SQLSTATE[23000]: Integrity constraint violation: 1062 Duplicate entry 'HzrqtfsmvXZzytZeW6wgcPPCaYXlc8XJxe0Rki4F6T5udVzZRV6TBLmBz9NB7Abv' for key 'sid'SQLSTATE[23000]: Integrity constraint violation: 1062 Duplicate entry 'U5rLNI4KhL1VMRtuN3Y3fX2ZEi0ffWc0RuBu2v4a7VVKDe5h8TbeG43acUgiGj9o' for key 'sid'
L'Angleterre n'est plus une île
Un grand journaliste britannique nous trace un portrait de la décadence de la démocratie anglaise. En contrepoint, une biographie de Disraeli à son zénith victorien. Contraste cruel.
L’Angleterre est une île. En ouvrant le livre de Peter Oborne, on se rassure comme on peut.Après l'avoir refermé, on est convaincu que le tunnel sous la Manche ne laisse pas passer que les trains. Le portrait que trace notre grand journaliste britannique de la décadence de la démocratie anglaise est tellement proche de la nôtre qu'on en reste stupéfait, interdit. Bien sûr, au-delà des noms des protagonistes, qu'on ne connaît pas toujours, nous n'avons ni la reine ni la Chambre des lords et ils n'ont ni l’ENA ni le cumul des mandats ; et contrairement aux Britanniques, nous n'avons pas suivi les Américains dans leur « croisade » en Irak, mais nous avons l'euro dans nos poches. Et pourtant, si tout est différent, presque exotique, parfois même abscons, tout est pareil. Oborne nous décrit la montée en puissance d'une classe politique de plus en plus professionnalisée, qui ne s'occupe que de son sort personnel, vit entre soi, liée étroitement au monde des affaires et aux médias, avec lesquels elle entretient des relations endogamiques, qui livre des pans entiers de la souveraineté étatique aux experts, où la différence idéologique entre gauche et droite n'a plus aucun sens, qui dynamite les institutions ancestrales du pays, et méprise un peuple, dont elle se moque des souffrances et des revendications, ne songeant qu'à trouver les méthodes les plus modernes de marketing empruntées au privé, pour mieux le manipuler. Vraiment, cela ne vous rappelle rien ?
Oborne nous décrit un Tony Blair quasi luciférien, loin de l'image iconique laissée par la presse française. Mais ce Blair, diable de séduction, ne fut-il pas le modèle de Nicolas Sarkozy et de Manuel Valls ? Ce Blair qui amasse une véritable fortune depuis qu'il a quitté le pouvoir, à coups de conférences grassement rémunérées aux quatre coins de la planète, n'est-ce pas Nicolas Sarkozy ?
Quand l'Angleterre était la mère des démocraties parlementaires, le personnage le plus important du gouvernement était le fameux chief whip, le ministre chargé de la discipline du groupe parlementaire majoritaire, et lien entre celui-ci et le premier ministre. Depuis Blair, le chargé de presse, qui n'était jadis qu'un troisième couteau anonyme, est devenu un des personnages centraux du pouvoir. Mais en France, Hollande n'a-t-il pas fait premier ministre le responsable de la communication de sa campagne presidentielle ? La gauche britannique, mais aussi la droite de Cameron, ne jure que par la « modernisation ». Pour s'adapter à la mondialisation, pour favoriser les grands groupes internationaux et la finance. En France, nous avons la « réforme », mantra de nature théologique qui rassemble, à l'UMP comme au PS, les « modernes » qui n'ont pas de mots assez durs pour les « conservateurs » de tous les camps. Depuis Blair encore, la gauche anglaise, mais aussi la droite tory, a adopté le concept de « triangulation », imité de Bill Clinton, qui consiste à prendre les idées et principes de l'adversaire, pour mieux s'installer au centre de l'échiquier politique, et repousser tous les adversaires comme « extrémistes ». Et qu'a donc fait Hollande avec sa « politique de l'offre » et son « pacte de responsabilité » ? En France comme en Angleterre, les conséquences sont les mêmes. L'abstention devient massive ; le peuple se détourne de cette classe politique qui s'est détournée d'elle. En Angleterre, on vit sous la domination des professionnels de la politique, qui après avoir été députés, deviennent lobbystes. En France, c'est le règne des attachés parlementaires et des attachées de presse, sans oublier les lobbys gays ou antiracistes et patronaux. Oborne a retrouvé dans l'histoire de la Grande-Bretagne beaucoup de points communs avec l'Angleterre du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, où « on participait à la vie politique pour satisfaire des intérêts personnels, familiaux ou locaux... À la manière de l'Aristocratie du XVIIIe siècle, la classe politique peine à comprendre la séparation entre l'intérêt public et les intérêts privés. Elle utilise les moyens de l'État au bénéfice d'individus ou de groupes ; elle est l'ennemie de la notion bourgeoise de vie privée. »
Les temps prédémocratiques, ceux du suffrage censitaire et des « bourgs pourris », ressemblent paradoxalement à notre ère postdémocratique. Nous connaîtrons donc - nous le voyons déjà - le retour des violences populaires, émotions, jacqueries, qui émaillaient
nos pays jusqu'à l'avènement apaisant du suffrage universel. En Angleterre, la parenthèse démocratique du XIXe siècle semble déjà loin. Cette période victorienne, tant moquée pour son rigorisme puritain, fut aussi celle où une élite imprégnée de valeurs chrétiennes et romaines a « reconnu la notion du domaine public, d'où les intérêts privés sont bannis et dont les affaires sont traitées avec impartialité... ». Elle fut incarnée emblématiquement par Gladstone, le grand et vertueux chef des Whigs. Son grand adversaire, à la fois combattu farouchement et admiré secrètement, s'appelait Disraeli. Quand on lit l'excellente biographie de James Mc Cearney, on comprend mieux pourquoi Disraeli était le vilain petit canard de la blanche couvée victorienne. II n'était pas un propriétaire terrien mais fils d'écrivain, juif converti à l'anglicanisme, et dandy libertin dans un univers compassé et puritain. Ce Disraeli devint pourtant le chef du parti tory - les conservateurs - et s'avéra le chantre le plus talentueux des traditions britanniques, la monarchie, la religion anglicane, et la grandeur de l'empire. Il devint l'ami de la reine Victoria dont il fit une impératrice des Indes. Son romantisme littéraire à la manière de Evron ou de Victor Hugo jeune lui avait fait comprendre que seules les institutions traditionnelles, la monarchie, la nation, le paternalisme des grands propriétaires terriens étaient finalement le moins mauvais rempart pour protéger le peuple des appétits insatiables de la bourgeoisie libérale. Une révolution conservatrice aux antipodes de la modernisation chère à Tony Blair et à tous ses émules de la droite française. •
ERIC ZEMMOUR
Benjamin Disraeli, biographie de James McCearney (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Disraeli maître de son destin
C'est une véritable épopée humaine et politique que retrace James McCearney dans cette biographie consacrée à Benjamin Disraeli
(1804-1881), le Premier ministre préféré de la reine Victoria. La vie sourd à chaque ligne, les formules sont ramassées et éclatent comme autant de feux d'artifice. On dirait que l'auteur a vécu dans l'ombre même de son héros. Romancier sans scrupule, criblé de dettes, celui qu'on appelle d'abord Ben, puis Dizzy, est sauvé par la politique. Orateur de talent, pragmatique, manœuvrier de génie, il force le destin. Considéré comme un parvenu juif, et le sachant, il ne s'en impose pas moins comme la « voix » du parti conservateur auquel il dessine un nouveau visage, national et populaire. Mieux : il le hisse au sommet en lui redonnant le pouvoir. Jamais abattu, Disraeli a marqué son siècle et l'Histoire. Il revit ici merveilleusement, dans cet ouvrage à lire d'urgence. Surtout par une droite en quête d'elle-même.
PHILIPPE MAXENCE
Benjamin Disraeli, biographie de James McCearney ( Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
"Putain" de saint Foucault de François Bousquet
Lisez Michel Foucault, notre Dracula : l'article de Roland Jaccard consacré à "Putain" de saint Foucault - Archéologie d'un fétiche de François Bousquet.
52 de Liz Kovarni
Ecoutez l'interview de Liz Kovarni, auteur de 52, son premier roman, sur France bleu Berry.
52 de Liz Kovarni
Ecoutez la présentation "Coup de coeur" du roman 52 de Liz Kovarni sur France bleu Besançon.
52 de Liz Kovarni
Découvrez l'article de présentation du roman 52 de Liz Kovarni dans le Mag Cultura.
52 de Liz Kovarni
Ecoutez l'interview de Liz Kovarni pour TVBA à propos de son premier roman 52.
A Argol il n'y a pas de château de Philippe Le Guillou
Ecoutez l'interview de Philippe Le Guillou dans l'émission de Philippe Vallet "Le Livre du jour" sur France info en cliquant sur :
http://www.franceinfo.fr/emission/le-livre-du-jour/2014-2015/le-livre-du-jour-du-21-10-2014-21-10-20...
En lisant Gracq, en écrivant
Pendant des années, Philippe Le Guillou fut l’un des visiteurs de Julien Gracq dans son refuge de Saint-Florent-le-Vieil, sur les bords de Loire, devenu pèlerinage littéraire. Ce recueil de beaux textes compose à la fois un hommage à la haute figure littéraire de Gracq, et un tribut à l’amitié dont l’honora l’écrivain, décrit comme chaleureux et secret, en tout cas pas aussi austère et ensauvagé qu’on le disait. De ces évocations émues surgit le portrait d’un homme, exigent certes, peu à l’aise dans cette « République des lettres où triomphent souvent les faiseurs et les talents frelatés », mais aussi attentif et indulgent à ce qui était à l’opposé de ses propres tropismes : « Il aimait les magnifiques, les porteurs d’aigrette, ceux qui s’avancent nimbés, mais il n’était pas de leur galaxie. Il était de la constellation des veilleurs discrets et fidèles. » Cet inventeur de mondes, dont l’œuvre porte jusqu’à l’incandescence la beauté poétique d’une langue hantée par l’Histoire et la fascination des lieux et des frontières, était un quêteur de mystères, à l’instar de son maître et ami André Breton. « Sa solitude, dit Philippe Le Guillou, était habitée, connectée. Reliée en permanence au souvenir du surréalisme, à l’enchantement de quelques rencontres… » Voilà pourquoi « A Argol, il n’y a pas de château » : la grande affaire de Gracq, Le Guillou le montre bien, c’est le détour par l’imaginaire, l’oubli du monde réel pour mieux y revenir et en décrire les forces souterraines, la grâce de l’Eros par des rencontrent furtives qui habitent ses récits, la présence des forêts, source inépuisable de rêveries pour l’admirateur de Wagner, l’amateur des légendes arthuriennes et de la matière de Bretagne qu’il fut aussi. A ce propos, Le Guillou évoque la belle amitié qui lia Gracq au Breton Henri Queffélec , amitié qui est peut-être une des clefs de son œuvre. Ce remarquable exercice d’admiration constitue une belle introduction à l’œuvre de Gracq.
BERNARD FAUCONNIER
A Argol, il n’y a pas de château, de Philippe Le Guillou (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Sélection de printemps du Renaudot 2012
16/05/2012 13:54:00
Sélection de printemps du Prix Renaudot
PARIS, 16 mai 2012 (AFP) - Le jury du Renaudot a effectué sa première
sélection de romans et d'essais en vue de l'attribution de son prix en novembre, a-t-il été annoncé mercredi dans un communiqué.
Romans :
Jean Blot : "Affaire de coeur" (Pierre-Guillaume de Roux)
Didier Daeninckx : "Le banquet des affamés" (Gallimard)
Ahmed Dich : "Chibani" (Anne Carrière)
Abdelkader Djemaï : "La dernière nuit de l'émir" (Seuil)
Pauline Dreyfus : "Immortel, enfin" (Grasset)
Dominique Fabre : "II faudrait s'arracher le coeur" (L'Olivier)
Paul Fournel : "La Liseuse" (P.O.L.)
Vénus Khoury-Gata : "Le Facteur des Abruzzes" (Mercure de France)
Régis Jauffret : "Claustria" (Seuil)
Tristan Jordis : "Le Courageux mourra dans la bataille" (Seuil)
Dany Laferrière : "La Dérive douce" (Grasset).
Henri Lopes : "Une enfant de Poto-Poto" (Gallimard).
Sabri Louatah : "Les Sauvages" (Flammarion)
Scholastique Mukasonga : "Notre-Dame du Nil" (Gallimard)
Bernard Quiriny : "Une collection très particulière" (Seuil)
Jean-Loup Trassard : "L'Homme des haies" (Gallimard)
Essais :
Michael Perrier : "Fukushima, récit d'un désastre" (Gallimard)
Daniel Filipacchi : "Ceci n'est pas une autobiographie" (Xo)
Jean-Louis Gouraud : "Le Pérégrin émerveillé" (Actes Sud)
Pierre Guyotat : "Leçons sur la langue française" (Léo Scheer)
Serge Koster : "Je ne mourrai pas tout entier" (Léo Scheer)
Virginie Linhart : "La Vie après" (Seuil)
Frank Maubert : "Le Dernier modèle" (Mille et une nuits)
Michel Onfray : "L'Ordre libertaire" (Flammarion)
Jean-Yves Tadié : "Le Lac inconnu" (Gallimard)
Affaire de coeur, roman de Jean Blot
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Ecoutez Jean Blot sur France Culture le 20 février à 20h
Jean Blot est l'invité de Philippe Garbit dans l'émission "A voix nue" sur France Culture du 20 février à 20h. Il présentera son roman Affaire de coeur paru aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.
Il s'agit du premier entretien d'une série de cinq qui se tiendront chaque jour à 20h du lundi 20 au vendredi 25 février 2012.
A ne pas manquer !
Affaire de coeur, roman de Jean Blot (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
La brume du souvenir se lève sur Amsterdam
Le narrateur du sensible roman de Paul Gellings revient dans la ville de son enfance, en quête de réconciliation.
Paul Gellings est un auteur qui ne trompe pas son lecteur. Ainsi, les premières pages de ce roman sont-elles empreintes d'un mystère parfumé d'Amsterdam, d'enfance et d'histoire - qui sont tout le roman. Le narrateur est un illustrateur, installe dans l'est des Pays-Bas, hanté par des images vieilles de trente ans. La note est intime, le style sûr, le crayon délicat : « Les rues de mon enfance. Je m'en souviens avec un regret qui m'assaille parfois comme une bouffée de fièvre. Depuis longtemps déjà, mes souvenirs les plus éprouvants sont doublés d'une nostalgie que je m'explique mal. » Paul Gellings compose un texte apparemment sans surprise : son narrateur revient à Amsterdam à l'occasion d'un livre sur lequel il travaille. Il affronte ses souvenirs, retrouve son passé qu'il croyait mort en la personne d'un camarade de classe, Leonard. Rien d'étonnant - et pourtant si : on ne s'ennuie pas. Traducteur et écrivain en néerlandais et en français, Paul Gellings est lui-même né à Amsterdam, dont le sud, où vécut la famille d'Anne Frank, s'anime sous sa plume. Il a également passé son enfance dans le quartier des rivières (ainsi dénommé « en raison du grand nombre de rivières figurant dans les noms des rues »), dont son narrateur racontera dans un livre illustré les années 1950 et le début des années 1960. En dépit de la précision de certains motifs urbains, la photographie reste cependant à gros grain, floutée par le souvenir et embrumée par la douleur. Le lecteur sent Amsterdam plus qu'il ne le voit. La figure de Leonard, en revanche, et l'école Saint-Théodore sont nettes. Certains personnages secondaires, également : Bouter, l'enseignant sadique, Sylvia, la bonne, ou encore la tante Use, qui se souvient de la guerre. Paul Gellings est un peintre humain.
Au coeur du texte, une humiliation générale : celle de l'enfance et du passé. Celle de l'enfant Leonard, de l'histoire douteuse de ses parents pendant la guerre, celle du passé pour un narrateur qui réalise qu'il fuit Amsterdam depuis trente ans. On avance à tâtons, on sait sans savoir vraiment. Quelques scènes sont d'une rare violence, cependant, littérairement remarquables, comme lorsque Bouter, sexuellement excité, s'acharne sur Leonard, «frappe et frappe. Si Leonard est presque terrassé par certains coups, d'autres le remettent d'aplomb ».
L'homme et l'enfant dansent horriblement. Ils dansent ensemble - et le narrateur quitte la classe, détourne le regard. Comme il l'a déjà fait. Comme il le fera encore. La relation des deux enfants est pleine d'un embarras un peu honteux. Ce sont des camarades de circonstance : le narrateur est bègue, Leonard empeste. « Mais avais-je jamais décidé d'être son ami ? », se demande-t-il, une génération plus tard et de retour.
Deux mouvements se confondent et s'enchaînent dans Amsterdam quartier sud. De perte et de retrouvailles, liées ensemble par l'écriture, le dessin et le souvenir. Tout l'enjeu du livre en découle. Au-delà d'une intrigue qui fait réapparaître Leonard que l'on croyait mort, le texte ne cesse de réconcilier le passé et le présent qu'il alterne de chapitre en chapitre, la violence et la douceur, l'oubli et le souvenir, la fiction et la réalité. Intelligemment, Paul Gellings dissipe le brouillard peu à peu, sans en avoir l'air. Le grain s'affine, la photo se précise – finalement le point est presque fait. En dépit d'une ou deux longueurs peut-être, le roman s'impose au lecteur et donne corps à ses fantômes. Et même à Anne Frank, d'une certaine manière – dont l'enfance violemment interrompue fait écho. Non, Paul Gellings ne trompe pas son lecteur : Paul Gellings est un excellent écrivain. •
NILS C. AHL
Amsterdam – Quartier sud, roman de Paul Gellings (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Le coup de cœur de Xavier de Marchis dans Télématin
"C'est le journal de Bridget Jones revu à la Michel Houellebecq"
Découvrez le coup de coeur de Xavier de Marchis, qui dirige la librairie Contretemps - 41, rue Cler - 75007 - Paris, dans l'émission "Télématin" (19 mars) sur France 2.
Après la chute, roman d'Olivier Rey (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Mathématique du quotidien
Dans Après la chute, Olivier Rey met en scène la jeune Alix, confrontée comme nous tous à une existence contemporaine dont elle aimerait bien qu'elle lui livre quelques vagues clés et qu'elle fournisse un intérêt quelconque. L'auteur appartient à l'espèce des mathématiciens et philosophes auteurs d'essais et de romans, espèce dont on déplore la plupart du temps qu'elle se soit aventurée sur le terrain de la fiction, mais dont ici on se félicite au contraire qu'elle ait sauté le pas.
Pourquoi ? Parce la narratrice, fille de scientifique, a un problème épistémologique qui est précisément celui du roman : ça se saisit comment, le réel ? La vie, considérée par le matérialisme ambiant comme une obsolescence programmée des fonctions vitales et de l'attractivité érotique, ça s'analyse en quels termes ? Quelqu'un pourrait-il, dans ce monde contemporain où tout le monde parle de sexe, de féminisme, de justice immanente, fournir un protocole expérimental qui permettrait de trouver les traces d'un message, fût-il même méchant?
Ce roman d'une drôlerie philosophique spontanée, constante, est obsédé par le concret, ou dit plus simplement • par la quête du non-bidon. Cette jeune doctorante en histoire médiévale n'a pas de préjugés (elle est même assez tentée par le olé-olé) mais voudrait bien, comme son scientifique de père, avoir des motivations un peu fortes dans ce monde, à défaut d'en obtenir des explications un peu étayées de ses fins dernières. Il n'y a pas pire ennemi de la stupidité de l'époque qu'un esprit d'une rationalité fraîche et honnête. Merveilleux récit, où il est démontré qu'une Candide femme n'est pas une femme candide.
MARIN DE VIRY
Après la chute, roman d’Olivier Rey (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Olivier Rey est l'invité de Philippe Vallet
Ecoutez l'entretien d'Olivier Rey avec Philippe Vallet dans son émission Le Livre du jour sur France Info à propos de son roman Après la chute (Pierre-Guillaume de Roux, 2014).
Arvo Pärt de Julien Teyssandier
Au plus fort de la bataille de Jean-François Roseau
Ecoutez l'interview de Jean-François Roseau par JC Caillette sur radio FPP
Au coeur de l'abîme
Zone Critique revient sur le premier roman de Jean-François Roseau, jeune auteur talentueux édité par Pierre Guillaume de Roux. Son livre, Au cœur de la bataille, nous plonge dans les méandres de la Première Guerre mondiale et nous découvrons les affres de la pensée de cette période tourmentée.
« Je pense à tous ces disparus. On doit se demander : mais pourquoi écrire sur la guerre de 14 ? Je m’interroge moi-même : c’est déjà fait, ressassé, ravalé, digéré…du réchauffé en somme. Moi, je ne crois pas. » Comment évoquer la question de la Grande Guerre alors que tout a déjà été dit, alors que plus un de nos soldats n’est encore présent ? Comment comprendre le suicide collectif dans lequel s’est précipité l’Europe ? C’est le pari ambitieux que Jean-François Roseau relève dans Au plus fort de la bataille. D’une découverte fortuite, un carton de lettres datant du début du siècle, le narrateur retrace l’histoire d’un triangle amoureux qui puise ses racines au cœur du conflit. Ainsi, le lecteur se retrouve confronté à une histoire des corps, qu’ils soient meurtris par le conflit ou tendus vers l’amour. Voici encore une fois, Eros et Thanatos inextricablement liés.
L’intérêt de ce roman réside dans sa composition. Le principe est d’apparence évident mais peut se révéler complexe à mettre en œuvre. Les lettres que le romancier a découvertes constituent l’ossature du récit tandis qu’il utilise sa formation d’historien et son imagination pour combler les failles, et ainsi redonner vie aux acteurs de cette guerre depuis longtemps disparu. Cependant, ce procédé connaît aussi ses limites, et entre ses fréquentes visites aux archives et ses hésitations, le narrateur confie ses doutes au lecteur. « Arrêtons-nous ici quelques instants pour montrer les coulisses dans le dos de nos personnages. Il faut bien que je leur souffle leur texte. C’est si loin ! Et les morts, paraît-il, ont la mémoire si courte. A force d’écrire, j’en viens à oublier qui dicte à l’autre ce qu’il doit dire. Ce sont les lettres qui troublent mes repères. Je ne sais plus très bien où se loge l’invention. » Ce travail méta-romanesque, où le narrateur émet des doutes sur le roman qu’il écrit alors qu’il est en train de l’écrire, accentue la vraisemblance de son propos. Le lecteur se fait alors lui-même romancier et tente d’imaginer ce qu’ont vécu les personnages du roman.
L’amour et la guerre enlacées
Ces personnages sont au nombre de quatre. Trois hommes qui gravitent autour d’une femme. Le premier, Alexandre, est un luthier établi rue de Rome, volontaire pour aller au front, ne supportant pas de rester inarticle_actif alors que la bataille fait rage. Il est marié à Hélène, une femme très jeune, qui souffre de l’absence de son mari et de ce conflit qui la dépasse. Aussi indécise que son illustre homologue mythologique, de guerre lasse, elle succombe au charme de Damien Leroy, un planqué travaillant au ministère et indifférent aux réalités de la guerre. Cependant, elle trouve une sorte de rédemption en étant marraine de guerre de Jean-Gabriel, pensionnaire à Henri-IV, qui par panache décide de s’engager. La polyphonie narrative que met en place Jean-François Roseau à travers ce roman épistolaire nous renvoie à une guerre plurielle. Ce procédé permet de diffracter la réalité et de faire découvrir au lecteur aussi bien l’horreur indicible du front, et la culture de la violence qui y règne, que les traumatismes psychologiques des soldats en permission.
Le roman retrace en arrière-plan un véritable conflit idéologique entre les Français et les Allemands. La culture devient un instrument de propagande et se transforme elle-même en champ de bataille au grand damn d’Alexandre. «L’harmonie française contre la fureur germanique !… Le génie contre la barbarie. La musique transposant dans ses gammes l’essence-même de la guerre ! Qu’on haïsse les Allemands parce qu’ils étaient l’ennemi, il pouvait le comprendre. Mais qu’on chercher à faire de cette confrontation la quintessence de l’histoire et de l’art, l’alpha et l’oméga du passé comme du présent, cela lui semblait toucher les bornes de l’hypocrisie. »
Ce roman nous fait entrer dans l’Histoire à travers de petites histoires qui n’en sont pas. Celles-ci nous montrent la puissance de la Grande Guerre, qui a imprimé sa marque sur tout le vingtième siècle, et dont nous ne réalisons les répercussions seulement maintenant. Cette guerre totale a engendré la profondeur d’un deuil dont les cicatrices peinent, encore aujourd’hui, à se refermer.
-
Au plus fort de la bataille, Jean-Francois Roseau, PGDR, 333 p., 22, 90 euros, 21 août 2014
Pierre Poligone
Interview filmée de Jean-François Roseau
Découvrez la présentation de Jean-François Roseau de son premier roman Au plus fort de la bataille ( Pierre-Guillaume de Roux, 2014) en consultant l'interview filmée que lui a consacré la librairie Mollat :
lien internet :
https://www.youtube.com/watch?v=2C7BUCfyChg
La sélection 1ers romans de Mollat
C’est un des plus jeunes auteurs de la rentrée mais la bataille ne fait pas peur à ce garçon de 24 ans qui est diplômé d’Histoire et de Sciences Politiques, ni l’avalanche de livres sur la Grande Guerre, toile de fond du quatuor amoureux qu’il met en scène. Composé de lettres, de tableaux historiques et de parties plus réflexives, Au plus fort de la bataille s’inspire d’une correspondance retrouvée qui nous fait visiter les tranchées et ceux qui s’en tiennent éloignés, la Corse si lointaine et Paris si proche du conflit. Un premier roman riche et savoureux.
LIBRAIRIE MOLLAT
http://blogs.mollat.com/litterature/
Au plus fort de la bataille, premier roman de Jean-François Roseau (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Signature à la librairie Gallimard le 5 février à 19h
SIGNATURE
AUTOUR DE JEAN-FRANCOIS ROSEAU
CHEZ DELAMAIN le 5 février à 19 heures
155,
rue Saint-Honoré
75001
– Paris
Métro
: Palais Royal
Au plus fort de la bataille de Jean-François Roseau
Ecoutez l'interview de Jean-François dans "Le Livre du jour", l'émission de Philippe Vallet sur France Info :
http://www.franceinfo.fr/emission/le-livre-du-jour/2014-2015/jean-francois-roseau-au-plus-fort-de-la...
Le pape a l'intention de guérir schismes et divisions
En avril 2012, Benoît XVI aura accompli les sept premières années de son règne sur le trône de Saint-Pierre, sous le feu des critiques politico-
médiatiques. « Un pontificat sous les attaques », diagnostique le vaticaniste Andréa Tornielli, en citant le Saint-Père : « Les attaques
contre le pape et contre l'Egiïse reviennent pas seulement de l'extérieur, mais de l'intérieur, du péché qui existe en elle. » Benoît XVI ne dénonçait pas seulement les scandales pédophiles, mais aussi tout ce qui s'oppose, an sein de l'Eglise, à son grand dessein de réconciliation. Pour les lecteurs du « Figaro Magazine », Andréa Tornielli fait le point.
Comment caractérisez-vous Benoît XVI et son pontificat ?
Je crois que Benoît XVI est un pape humble, qui s’efforce de rappeler aux chrétiens l’essentiel de la foi en la présentant comme une rencontre avec la beauté. C’est donc un pape qui souhaite parler de Dieu même aux non-croyants et dialoguer avec ceux qui Le cherchent. J’ai été très frappé par ses propos de septembre dernier en Allemagne, lorsqu’il affirmait que certains agnostiques sont plus proches de Dieu que bien des catholiques "de routine". Son pontificat est entièrement voué à l’évangélisation, prêchant la conversion, même au cœur de l’Église.
Partagez-vous l’avis de ceux qui affirment que les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI sont sur une même voie historique ? En quoi les deux pontifes sont-ils différents ?
N’oublions pas que Joseph Ratzinger a été à la Curie romaine le plus ancien des collaborateurs de Jean-Paul II. Et que celui-ci a refusé au moins trois fois de lui accorder la retraite qu’il sollicitait. On doit à leur étroite collaboration d’importants documents, comme par exemple le Catéchisme de l’Église catholique. Certes, ils diffèrent par leur origine, leur formation et leur tempérament. Mais au-delà des questions de caractère, les éléments de continuité l’emportent indubitablement. Benoît XVI a voulu poursuivre l’expérience des Journées mondiales de la Jeunesse et celle des voyages internationaux, et jusqu’à la rencontre inter-religieuse d’Assise. Un aspect les distingue cependant : Jean-Paul II – devenu pape alors que l’Europe et le monde étaient encore scindés en deux blocs – s’est avéré un acteur géopolitique de premier plan, alors que son successeur estime prioritaire la proclamation de la Bonne Nouvelle dans les pays d’évangélisation traditionnelle, et se préoccupe beaucoup moins de la politique internationale.
Expliquez-nous par des exemples l’hostilité extérieure à son égard et aussi celle qui existe à l’intérieur de l’Église. Benoît XVI a-t-il des ennemis, existe-t-il une conjuration des médias ?
Prenons un exemple frappant de l’hostilité extérieure : la polémique à propos du préservatif qui a suivi ses déclarations alors qu’il s’envolait vers le Cameroun, en mars 2009. Des responsables politiques et des parlementaires européens l’ont attaqué puis critiqué. Or le pape avait simplement rappelé une réalité scientifique bien établie, à savoir que la distribution massive de moyens financiers et de préservatifs ne réglait pas le problème. Les seuls exemples de réduction de l’incidence du sida découlent de programmes éducatifs plaçant au premier plan la fidélité conjugale et le rejet des rapports sexuels précoces. L’utilisation du condom par les groupes à risques dus à la prostitution et à la drogue ne vient qu’en troisième position. Un exemple d’hostilité interne peut être constaté dans les réactions et les actes de désobéissance au Motu proprio de 2007 (décision pontificale de libéralisation de la messe traditionnelle). Le problème ne provient pas d’un désaccord, mais d’une critique pernicieuse de la part d’hommes d’Église qui ne prennent même pas la peine de déterminer les raisons profondes qui ont motivé le pape. Je ne crois pas que Benoît XVI soit victime d’une conjuration des médias. Mais plutôt de leur ignorance croissante des réalités de l’Église ainsi que de la formation insuffisante des journalistes.
Benoît XVI est-il un pape rétrograde ? Quelle injustice à son égard souhaiteriez-vous corriger ?
Benoît XVI n’est aucunement un pape rétrograde. Jeune théologien au Concile, il ne souhaite pas du tout faire marche arrière et n’a aucune nostalgie du passé. Il rappelle l’Église à ce qui est essentiel. Il a des positions très intéressantes à propos de la mondialisation, de la sauvegarde de l’environnement ou de la nécessité pour l’Église d’être plus humble, moins attachée aux structures et davantage aux personnes, moins centrée sur elle-même… Le problème, à mon avis, est que ceux qui le secondent ne font pas toujours passer ce message. En écoutant ou en relisant une homélie écrite de sa main on se rend compte de cette différence. Je voudrais corriger l’impression d’un pontife défenseur obstiné de l’orthodoxie et incapable de dialoguer. La réalité est tout autre. Benoît XVI, je le répète, est un homme humble, qui ne cesse d’inviter l’Église à ne pas céder au nombrilisme, mais à tourner son regard vers le Christ. Je crois que le voyage à travers la France, de Paris à Lourdes, au cours du mois de septembre 2008, en a été la démonstration : quand les gens entrent en contact avec lui et ne se contentent pas de le considérer à travers le verre déformant que leur tendent les médias, ils réalisent qu’ils ont affaire à un pape bien différent de celui qu’on leur présentait.
Que faut-il retenir exactement de l’affaire de Ratisbonne ?
Le pape lui-même reconnaît dans le livre-interview "La Lumière du monde" de Peter Seewald (Bayard, 2010) n’avoir pas considéré les effets "politiques" de ce discours. Il faut retenir que la citation sévère de Manuel II Paléologue au sujet de Mahomet n’exprimait pas sa propre pensée. Mais il faut aussi être conscient du fait que ses collaborateurs auraient dû insister davantage pour que cette nuance ressortît plus clairement dans le texte. Malheureusement, ses propos ont été instrumentalisés par les fondamentalistes.
Benoît XVI est-il maladroit ou bien ce type de communication fait-elle partie de sa stratégie ?
Je ne pense pas du tout que Benoît XVI soit maladroit, et je ne crois pas non plus que cette citation ait été placée dans le discours de Ratisbonne afin de provoquer le monde islamique. S’il en avait été ainsi, le pape n’aurait pas répété une quinzaine de fois au cours des journées qui ont suivi que la citation ne reflétait pas sa pensée. Indubitablement, je crois que le pape sait communiquer, et on s’en rend compte en particulier dès qu’il improvise, mais il aurait dû être davantage aidé par son entourage, à certains moments, au début de son pontificat.
Le Motu proprio de la réconciliation avec les adeptes de Mgr Lefebvre et le retour à la messe en latin sont-ils une trahison du concile Vatican II ? Jean-Paul II l’aurait-il fait ? Est-ce que l’affaire du prélat négationniste Williamson est le résultat d’une manipulation ?
Jean-Paul II a accordé une première dérogation pour célébrer la messe à l’ancienne et ne considérait pas cela comme une trahison du concile. Je pense que le Motu proprio n’était pas tellement destiné aux adeptes de Mgr Lefebvre mais plutôt aux fidèles traditionnalistes en pleine communion avec l’Église de Rome, à qui les évêques refusaient trop fréquemment la célébration de la messe à l’ancienne en dépit de l’ouverture de Jean-Paul II. Cette pratique de tous les catholiques de rite romain depuis des siècles ne saurait être ressentie comme une trahison du concile, puisque c’est cette messe-là que les pères ont célébrée à l’ouverture de chacune de leurs sessions… Il convient par ailleurs de rappeler que c’est Jean-Paul II lui-même qui a entamé le dialogue avec les lefébristes en 2000. Quant à l’affaire Williamson, elle a été provoquée par un défaut de coordination et des erreurs du Vatican. L’interview était connue et sa diffusion annoncée quelques jours avant la publication de la levée de l’excommunication. On a cependant sous-évalué le caractère explosif des affirmations de l’évêque lefebvriste. D’autre part, dans l’Église mais aussi en dehors, il y a ceux qui ont soufflé sur le feu, pour tenter de présenter Benoît XVI comme quelqu’un qui voulait réintroduire des "antisémites" au sein de l’Église catholique. Certes la responsabilité des collaborateurs du pape reste entière, car ils auraient dû agir et n’en ont rien fait.
Peut-on parler d’insuffisance et d’absence de stratégie de la Curie romaine ? Donnez-nous des exemples, s’il vous plaît.
C’est indéniable, à mon avis, et j’estime que le livre présente une documentation convaincante là-dessus. Dans l’affaire Williamson, il aurait fallu soit retarder la publication de la levée de l’excommunication, en demandant à l’intéressé d’éclaircir au préalable ses positions, soit organiser une présentation exhaustive destinée à la presse, cautionnée par la présence d’un cardinal emblématique qui aurait coupé court aux polémiques en expliquant la signification et les motifs de la levée de l’excommunication et en prononçant une condamnation sans ambiguïté de Williamson. En ce qui concerne l’affaire du préservatif en 2000, il aurait fallu fournir d’emblée des données et une interprétation de la parole du pape en fonction des résultats positifs obtenus dans la lutte contre le sida au moyen de programmes éducatifs dont il a été question précédemment. Quant aux scandales de la pédophilie, ils réclamaient une diffusion plus rapide des informations ainsi que des bonnes traductions de certains communiqués, Mais je livre ici des considérations très personnelles…
Que faut-il penser de la réponse de Benoît XVI au sujet de l’usage du préservatif ? Quelle est la pensée du pape à ce propos ?
Le pape a dit en 2009, que la lutte contre le sida ne passe pas seulement par la distribution de préservatifs, mais qu’elle présuppose toute une éducation. Dans le livre-interview de 2010, cité précédemment, Benoit XVI affirmé qu’un prostitué qui, se sachant contaminé par le sida, utilise un préservatif, indique peut-être aussi par là qu’il prend conscience de la nécessité de protéger la vie de ses partenaires occasionnels.
Quelle est l’attitude de Benoît XVI à l’égard de la pédophilie dans l’Église en vue de faire triompher la justice ? Comparez l’attitude de Benoît XVI et de Jean-Paul II.
Benoît XVI, d’abord comme cardinal aux côtés de Jean-Paul II, et ensuite en tant que pape, a résolument combattu le phénomène. Depuis dix ans, l’Église a alourdi les peines et s’est dotée d’instruments juridiques qui lui permettent de poursuivre plus efficacement ces crimes abominables. Le pape actuel a fait beaucoup plus : il a veillé à ce que les victimes des abus ne soient pas considérées comme hostiles au renom de l’Église et pour cette raison souvent ostracisées, ce qui s’est, hélas, longtemps pratiqué. Il a montré par son exemple qu’évêques et prêtres se doivent de demeurer proches des victimes et de leurs familles pour les conforter et les soutenir. Il a aussi invité les évêques à assumer leurs responsabilités en affrontant le phénomène par des mesures pratiques et efficaces, sans estimer que de tels actes peuvent être réglés par la dissimulation des faits. Ce tournant avait déjà été opéré par Jean-Paul II. Mais le pontife provenait d’un pays communiste, où l’Église, placée sous le contrôle du régime, était la cible d’accusations de nature essentiellement sexuelles, souvent fabriquées de toutes pièces et donc difficiles à vérifier. Ce qui a certainement influencé Jean-Paul II, confronté à des choix qu’il ne lui était pas facile de faire. Je pense aussi que c’est la raison pour laquelle Jean-Paul II n’a pas cru aux accusations lancées contre Marcial Maciel, le fondateur des légionnaires du Christ.
Que pensez-vous de l’affaire Benetton ? N’aurait-il pas été préférable d’imaginer – tout au plus – un boycottage de cette firme ?
C’est un dilemme : réagir publiquement finit toujours par avoir un effet contraire à celui qui est escompté en aboutissant à un surcroît de publicité pour les provocateurs. Or, dans ce cas, je dois dire que la provocation était de taille: le baiser entre le pape et l’imam était une image différente de toutes celles qui impliquaient des chefs d’État. Le baiser était passionné ! L’image était postée sur le pont du Château Saint-Ange, face au Vatican… Mais le plus hypocrite a été la réponse de Benetton : « Je n’ai jamais imaginé provoquer une telle réaction ! » C’est grotesque. Il savait parfaitement, il a cherché et obtenu cette tempête médiatique. Je ne crois pas aux boycottages, surtout si c’est l’Église qui les lance. Et le résultat risque d’être à effet contraire. Mais je crois aux boycottages quand ils partent d’un bouche-à-oreille généralisé. De toute manière, il y a des normes – italiennes et internationales – qui réglementent l’usage des images à des fins publicitaires. D’après moi, le Saint-Siège ferait bien d’en exiger le respect en réclamant des dommages-intérêts à Benetton : cet argent-là pourrait servir à fonder une léproserie en Afrique.
Comment le Saint-Père prend-il la réaction catholique face à des créations scéniques blasphématoires comme Pisse-Christ ou Golgotha-picnic, qui font beaucoup de bruit en France ?
Je ne sais pas. Mais je suppose qu’il en est profondément attristé. Le christianisme est la seule religion que peuvent viser des attaques blasphématoires sans bornes. Parce que qu’on sait très bien que les chrétiens ne réagissent pas. Et certains spectacles bénéficient de la notoriété non pas en raison de leur valeur, mais simplement grâce à leur capital de provocation.
Où en est la cause en béatification de Pie XII ? Et celle de Jean-Paul II ?
La cause en béatification de Pie XII est conclue, le caractère héroïque de ses vertus a été proclamé par le pape en décembre 2009. Ce qui manque encore pour la béatification est la reconnaissance d’un miracle advenu grâce à l’intercession d’Eugenio Pacelli. Un cas intéressant est à l’étude. Jean-Paul II, en revanche, a été béatifié. Pour la canonisation il suffit que la Congrégation pour la cause des saints reconnaisse un nouveau miracle, advenu depuis sa béatification, du 1er mai 2011.
Quelle trace Benoît XVI laissera-t-il dans l’histoire ?
Il est difficile de le dire avant que le rideau ne soit tombé sur son pontificat. Jusqu’à maintenant, la décision la plus importante, destinée à perdurer, est celle de la création d’un dicastère du Vatican consacré à la nouvelle évangélisation. C’est un projet qui en dit long sur les priorités de Benoît XVI. Il y a aussi l’intention de guérir schismes et divisions, en dialoguant avec la Fraternité Saint-Pie X et en instituant des ordinariats anglo-catholiques à l’intention des anglicans qui, en désaccord avec les choix "libéraux" de leur hiérarchie, souhaitent entrer dans la communion catholique.
PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICE DE MIÉRITENS
Entretien avec Andrea Tornielli et Paolo Rodari
De Ratisbonne à l’affaire du préservatif, du scandale de la pédophilie au cas Williamson, deux vaticanistes italiens, Paolo Rodari et Andrea Tornielli, dissèquent les attaques récentes contre Benoît XVI. Entretien.
Ces attaques sont-elles vraiment une caractéristique du pontificat de Benoît XVI?
Ce qui impressionne le plus concernant ce pontificat, c’est la série des attaques très rapprochées en 2009 et 2010, et la succession de «crises» médiatiques qui ont suivi, amplifiées par l’administration parfois hésitante de la Curie romaine. C’est la grande différence, pour ce qui concerne le pape actuel : ces attaques se sont transformées en crises, car les rouages de la « machine» et du gouvernement curial n’ont pas toujours fonctionné correctement.
A-t-on d’autres exemples dans l’histoire d’un pape aussi attaqué?
Ce fut aussi le cas avec Jean-Paul II, surtout dans la première partie de son pontificat, car il était considéré comme conservateur sur la morale sexuelle. Il a également été critiqué pour ce qu’on a défini comme la « Sainte alliance» avec les États-Unis, de par son anticommunisme. Paul VI le fut lui aussi, au temps de l’encyclique Humanae vitae, avec des attaques plus dures encore que celles contre ses deux successeurs. Pour remonter encore plus dans le passé, Pie IX a été violemment pris à partie pour avoir défendu les États pontificaux: on a tenté de jeter son corps dans le Tibre!
S’agit-il d’un complot, d’une machination? Et de la part de qui?
Dans le livre, nous n’utilisons pas le terme de complot, car nous ne croyons pas que le pape soit attaqué par une tête pensante à l’échelle internationale. Ceux qui ont intérêt à déstabiliser Benoît XVI, et plus généralement l’Église catholique, sont tous ceux qui se sentent remis en question par les positions exprimées par l’Église sur plusieurs sujets: de l’éthique sexuelle à la globalisation, de la sauvegarde de l’environnement à l’approche unilatérale des crises internationales.
Ces attaques viennent aussi de l’interne. Est-ce une illustration de la difficulté à réformer l’Église?
Oui, il y a des dissensions internes: c’est ce que, dans le livre, nous avons appelé le «deuxième cercle» , et qui produit une sorte de «désaccord corrosif» au plus haut niveau. Le vrai problème est ainsi que la curie romaine démontre à notre avis un évident déficit de gouvernement. L’Église aurait sûrement besoin d’être réformée: on y voudrait plus de foi, d’obéissance, de communion et d’unité. Et surtout, qu’on y soit moins « carriériste», ce qui est le vrai cancer.
Au fond, que reproche-t-on à Benoît XVI?
Les progressistes reprochent au pape d’avoir libéralisé la messe traditionnelle, et d’avoir ouvert un dialogue avec les lefebvristes. À l’inverse, certains «ratzingeriens» reprochent au pape de ne pas avoir eu suffisamment une «main de fer» avec les contestations. Sur le plan théologique, la réforme engagée par Benoît XVI concerne l’essentialisme de la foi. C’est-à-dire que son pontificat est un appel à revenir à l’essentiel, aux racines, au coeur de la foi chrétienne, à la suprématie de Dieu et donc au culte divin. En touchant au coeur, il provoque forcément des réactions à la hauteur de l’enjeu…
Vous consacrez un chapitre à la piété mariale de Benoît XVI, notamment celle qui s’est exprimée à Fatima. Comment cela éclaire-t-il votre propos?
Nous avons été impressionnés de constater en effet que, pendant son voyage au Portugal en mai 2010, le pape a mis en relation le troisième secret de Fatima [qui prophétise une grave crise de l’Église, Ndlr], avec la crise des abus sexuels de prêtres sur des mineurs. C’est un problème extrêmement grave que Benoît XVI a combattu avec toutes ses forces, comme cardinal puis comme pape. À Fatima, il a consacré tous les prêtres du monde au Coeur immaculé de Marie, afin de mieux les aider à lutter contre le mal, y compris à l’intérieur de l’Église.
On dit que le diable porte pierre. Quel aura été l’effet bénéfique de ces attaques ?
On peut déjà faire le constat que l’Église et le Vatican ne sont pas de simples institutions humaines. Sinon, elles auraient déjà été renversées. Comme l’a dit une fois le cardinal Ercole Consalvi, secrétaire d’État de Pie VII, à un ambassadeur qui lui affirmait que Napoléon voulait détruire l’Église il répondait ainsi : «Il ne réussira pas, nous non plus n’avons pas réussi…»
Propos recueillis par AYMERIC POURBAIX
Revenir à l'essentiel : la foi
Avant de fantasmer sur un hypothétique complot, interne ou externe, il faut s’en référer aux faits. C’est tout le mérite de cet ouvrage, produit de l’enquête minutieuse des deux vaticanistes chevronnés qui sont allés à la source, donnant la parole aux acteurs et aux observateurs les plus avertis. Il est vrai que durant les six premières années de son pontificat, Benoît XVI n’a pas été ménagé: polémiques mondiales (Ratisbonne, préservatif), scandales concernant des clercs (pédophilie, Légionnaires du Christ, Williamson), sans compter la levée de boucliers provoquée par le motu proprio sur la liturgie et l’accueil des anglicans au sein de l’Église… En conclusion, pas de complot sans doute, mais peut-être un inspirateur unique, le Diviseur. Voilà sans doute pourquoi Benoît XVI a fait le choix de porter ses efforts sur l’essentiel : la foi.
AYMERIC POURBAIX
Benoît XVI – Un pontificat sous les attaques, document d’Andrea Tornielli et de Paolo Rodari, traduit de l’italien par Raymond Voyat (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
L'enquête passionnante d'Andrea Tornielli et Paolo Rodari
Paolo Rodari et Andrea Tornielli, correspondants auprès du Saint-Siège, se sont lancés dans une enquête passionnante depuis les coulisses du Vatican. Les cinq premières années du pontificat de Benoît XVI sont décryptées à raide de documents et de témoignages inédits. Présentation par les auteurs.
Vous consacrez un livre aux oppositions à Benoît XVI comme s'il y avait une singularité dans ces attaques. Mais Jean-Paul ll aussi avait été attaqué. Qu'est-ce qui diffère d'un pape a l'autre ?
Oui, Jean-Paul II a aussi été attaqué, mais rappelez-vous que Paul VI le fut également à l'époque d’Humanae Vitae avec des attaques mêmes plus dures que celles auxquelles furent soumis ses deux successeurs. Ce qui impressionne le plus dans le cas de Benoît XVI, c'est la succession des attaques et des « crises » médiatiques. Si bien que pour le Pape actuel, les attaques se sont transformées en crises car la machine du gouvernement de la Curie n'a pas toujours fonctionné suffisamment bien.
La réputation du cardinal Ratzinger ne l'a-t-elle pas précédé et n'explique-t-elle pas en grande partie les reproches faits au Pape Benoît XVI ?
Non, même si à propos de Ratzinger il y avait un préjudice médiatique négatif, créé par un cliché qui lui avait été imposé lors de ses années passées à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la foi Le cardinal Ratzingger était présenté comme un « Panzerkardinal » comme le conservateur qui bridait les ouvertures de Jean Paul II. Ce qui n'est pas vrai et ne l'a jamais été. Ratzingger et Wojtyla ont toujours travaillé ensemble ct en harmonie. Des documents comme Dominiu lesus - concernant l'unicité du salut par Jésus- étaient voulus par le pape lui-même, et pas seulement par le cardinal Ratzinger. Ce préjudice négatif ne suffit donc pas à expliquer toutes les attaques et les crises actuelles.
Vous concluez sur l'existence de trois cercles concentriques. De quoi s'agit-il ?
Il existe certainement un cercle extérieur constitué de groupes, lobbies internationaux et parfois même de certains gouvernements qui attaquent l'Eglise et le pape sur n’importe quel sujet : il y a les attaques contre les positions de l'Eglise à propos de la morale sexuelle mais aussi des attaques suscitées par la position de l'Eglise envers les plus faibles, comme le droit de tous à accéder aux ressources naturelles ou les positions du Saint-Siège pendant les crises internationales. Ces attaques-là, même si elles sont inacceptables, doivent être prises en compte. Le deuxième cercle concerne un désaccord intérieur qui parfois devient corrosif, comme dans le cas de motu proprio Summorum Pontificum. Théologiens, évêques et cardinaux avec plus ou moins de respect - ont pris leur distance avec le Pape. Benoît XVI en a parlé dans sa lettre envoyée à tous les évêques du monde après l'affaire Williamson. Le troisième cercle est celui des attaques dues aux erreurs des collaborateurs du Vatican qui, involontairement, avec leurs réponses inadaptées aggravent les crises au lieu de les éteindre Dans ce sens-là, l'affaire Williamson est exemplaire, mais dans le livre nous évoquons beaucoup d'autres exemples.
Comme journalistes, quel est le fait qui vous a le plus marqué dans l'ensemble de ces attaques ? Et comment envisagez-vous la suite du pontificat ?
Ce qui nous a marqué et surpris le plus est que le Pape soit attaqué et présenté comme quelqu'un qui veut couvrir et défendre les pédophiles, alors que tandis qu’il était cardinal, il a fait beaucoup pour combattre le phénomène de la pédophilie parmi les hommes de l'Eglise - en créant avec Jean Paul II des règles plus dures. C'est un véritable et éclatant cas de distorsion et d'altération complète dc la réalité. II n'est pas simple d'imaginer le futur du pontificat : tous les cas évoqués dans le livre ont sûrement servi d'enseignement à l'entourage du Pape. Cet entourage doit faire plus attention en considérant aussi que le panorama des medias dans le monde est rarement indulgent avec l'Eglise et dans la plupart des cas ne connait pas ses mécanismes de fonctionnement. On ne doit pas avoir trop d'illusions de toute façon : si le message du pape était toujours et partout acclamé et applaudi, il y aurait quelque chose qui ne va pas…
Propos recueillis par PHILIPPE MAXENCE
Benoît XVI - Un pontificat sous les attaques, document d'Andrea Tornielli et Paolo Rodari, traduit de l'italien par Raymond Voyat
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Un pontificat sous les attaques
Ils sont deux journalistes. Précisons : deux vaticanistes, cette race de journalistes vraiment à part, qui scrute et qui suit les faits et gestes du pape et de son entourage. Mieux : qui tente de les interpréter. Forcément, ils sont Italiens, on ne fait pas mieux en la matière. Évidemment, ils sont blogueurs. Paolo Rodari et Andrea Tornielli ont publié l’an dernier chez Piemme, un des principaux éditeurs d’Italie (qui n’en manque pas, par ailleurs, contrairement à la France, réduite à quelques maisons) un livre d’enquête sous le titre : Attacco a Ratzinger. Accuse e scandali, profezie e complotti contro Benedetto XVI. La version française de ce livre sort dans deux jours aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, l’un des meilleurs éditeurs de la place de Paris, autrefois aux Syrtes ou au Rocher, aujourd’hui bien installé chez lui, « Pierre-Guillaume de Roux éditeur ».
Le titre français, bien sûr, nous parle davantage que l’original italien. Dans sa brièveté, il est clair et percutant : Benoît XVI, un pontificat sous les attaques. À part quelques minimes erreurs, la traduction de Raymond Voyat est parfaite. Lisible et claire, elle aussi.
Depuis leurs postes d’observation, les auteurs étaient bien placés pour sentir et analyser les attaques contre Benoît XVI, en remarquant d’ailleurs que dès le départ certains parmi la curie ne prédisaient pas une longue durée au pontificat du pape Ratzinger. Six ans après, il est toujours là. Souriant, (presque) à l’aise avec la foule. En tous les cas, il est entré dans son rôle de pape, même si parfois l’autorité romaine n’est pas très visible. Un fait est certain : on ne lui a pas pardonné d’avoir accepté le suprême pontificat.
À ce sujet, les auteurs relèvent un peu plus de dix cas qui montrent les attaques dirigées contre Benoît XVI. De Ratisbonne à l’affaire du préservatif, du scandale de la pédophilie à l’affaire Williamson, en passant par Summorum Pontificum ou les nominations d’évêques à Varsovie (Pologne) ou à Linz (Autriche), sans oublier le cas Maciel ou les remous autour de l’intégration d’Anglicans, les faits sont nombreux, circonscrits, étudiés et analysés.
Au bout du compte, on ressort avec une synthèse intéressante sur des faits que la mémoire finit par évacuer. Reliés ensemble, ils prennent une certaine épaisseur. Une certaine cohérence en ressort.
Globalement, les auteurs sont restés au plan journalistique : des faits, encore des faits, une analyse, mais ils ne dévoilent pas vraiment les responsables de ces attaques. Pas de noms, surtout. Seulement trois cercles concentriques : les médias et les pouvoirs qui ont intérêt à discréditer l’Église, une partie de l’entourage incompétent, les adversaires de l’intérieur.
En fait, respectueusement, délicatement même, les auteurs laissent entendre tout au long du livre qu’une grande partie des problèmes auxquels fut confronté Benoît XVI tient à un manque de gouvernance au sommet et à l’incapacité d’une partie de la curie, qui ne seconde pas correctement le Pape ou s’oppose à lui. C’est clair : nos deux vaticanistes en savent davantage qu’ils ne le disent dans ce livre. Mais déjà celui-ci dévoile un climat et indique les difficultés internes dans lesquelles se débat l’Église. À ce titre, il mérite vraiment d’être lu.
VICTOR SCRIBE
Benoît XVI - Un pontificat sous les attaques, document de Paolo Rodari et Andrea Tornielli - traduit de l'italien par Raymond Voyat
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Bernanos, romancier du surnaturel de Monique Gosselin-Noat
Ecoutez Monique Gosselin-Noat évoquer son nouvel ouvrage Bernanos, romancier du surnaturel dans l'émission "Les nouveaux chemins de la connaissance" sur France Culture.
Les songes pleins de Frédérick Tristan
Ces « Brèves de rêves » surgies sans clé du sommeil entraînent
le lecteur dans le labyrinthe d'une vie. Enigmatique et enchanté.
Que raconte-t-on quand on raconte un rêve? A quelle vitesse réécrit-on ce qui par nature ne peut être que lambeau souvenir en train de s'estomper, fiction déjà? Le romancier et poète Frederick Tristan (prix Goncourt 1983 pour Les Egarés, Balland), en réunissant les deux cents récits de Brèves de rêves, prend avec une sorte d'orgueil amusé le risque de perdre son lecteur dans le brouillard, faute de savoir ce qu'est au juste ce livre parcouru à tâtons - journal des rêves de la nuit, fantaisie brodant sur leur motif, réinvention assumée. D'autant qu'il le tient dans un terrible silence, sortant ses textes un à un de son carnet, sans autre commentaire qu'un laconique « la fable des songes est plus révélatrice que le constat de la veille » en début de volume, et avec ca débrouillez vous.
L'appui est vite lâche. On n'a bientôt devant soi qu'une pente à dévaler. Le pari de Frédérick Tristan sera donc gagné selon que son lecteur acceptera ou non de glisser sur cette pente, abandon qu'on ne saurait trop lui conseiller s'il veut participer de l'enchantement dont témoigne le livre. L'écrivain a d'ailleurs assez de tour de main pour le faire passer sans transition du burlesque au nostalgique, de bribes philosophiques à des épisodes de contes de fées, saute-mouton aérien d'un monde à un autre qui était déjà sa marque lorsque, jeune homme, il était encouragé à écrire par André Breton. Le surréalisme n'est jamais loin, bien sûr (comment y échapper quand, filleul d'un tel parrain, on s'occupe de rêves ?), mais les étiquettes adhèrent mal à cette écriture déliée qui, d'une manière plus secrète, est aussi bien autobiographique, donc exactement réaliste jusque dans I'incertitude du souvenir. Une étiquette, même celle-là, arrêterait la glissade, et le jeu est de glisser toujours plus, toujours plus vite, de ne pas faire de halte.
Le plus étrange est qu'à cette vitesse on finisse par voir apparaître un univers défini, avec ses axes, ses lignes de force et de fuite, son ordre ou son désordre particuller. Lui aussi, il faudra renoncer a le comprendre, mais au moins il est là, impérieux, comme une présence qui ne s'analyse ni ne se conteste, il ne s'agit que de le rencontrer, ce qui est simple, puisqu'il n'est pas autre chose que I'auteur en personne,
tel qu'il veut bien se montrer. Soit de l'intérieur, dans cette familiarité avec soi-même dont le rêve est le plus intime repli. Mais la familiarité n'apporte aucune lumière, ou trop forte peut-être. «Dehors écrit-il, je ne suis que buée sur une vitre dedans, c'est l'infinie projection des images dans le face-aface du labyrinthe »Livre fait des morceaux épars d'une vie, Brèves de rêves est hanté par une unité impossible, il ne glisse et ne fuit que vers elle, qui s'éloigne sans cesse, dans une diffraction infinie, tout en renouvelant sa promesse. Ce sadisme est propre au rêve,annonce perpétuelle de ce qui n'aura jamais lieu, et dont toute l'intensité tient à une évidence éphémère qui se défait quand on veut la saisir
Machine à récits
«Le colis est arrive Je l'attendais depuis longtemps J'avais 13 ans lorsque je me l'étais envoyé. Dedans, j'avais enfermé tout ce qui a l'époque m'importait mes cahiers de dessins, de poèmes, la lettre
qu'une petite fille rn 'avait adressée avec un petit coeur decoupé (... ) Je ne trouve à l'intérieur que de vieux journaux allemands des
années 1940. Ils enveloppent une vieille main embaumée sur laquelle grouille une colonie de mouches vertes » Noires sur prises, vain retour sur soi raconter des rêves, c'est se rendre capable d'avouer la
défaite du sens, ou son ouverture indéfinie. Frederick Tristan raconte-t-il les siens, ou les invente-t-il ? C'est égal il a su fabriquer sur leur patron une machine à produire du récit, et qui tourne si bien que le
livre est un rêve pour le lecteur. Celui d'un autre, bien sûr, et qui pourrait lui rester indiffèrent. Mais aussi celui de tout hornme, dénudé par la nuit, figé dans le désir irrémédiable de se connaître.
FLORENT GEORGESCO
Brèves de rêves, récits de Frédérick Tristan (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Extrait
« Une foule s'est rassemblée afin d'entendre un discours qui me dit-on, revêt une énorme importance. On me pousse sur le podium. Serais-je I'orateur ? Je I'ignorais et ]e n'ai rien préparé, je tente de redescendre de I estrade maîs une main ferme rn'oblige à demeurer là face à ce public qui rn applaudit, rn'encourage. Lorsque le silence s'établit, je vois tous
les regards tournés vers moi en I'attente d'une parole qui les galvanise, les transforme. En un geste désespéré, je rn'empare du micro et je dis "Il n'y pas de sublime parole." Puis je me tais. Après un instant de surprise la foule s'enthousiasme pousse des cris de joie, éclate en vivats comme si ce que ie venais d'exprimer avait suffi à les délivrer d'un grand poids. »
Deux-cents « Brèves de rêve »
QUELLE IMAGINATION et quelle poésie ! Avec Brèves de rêves, son nouveau recueil de récits qui vient de sortir aux Editions Pierre-Guillaume de Roux, l'écrivain de Bourdonné Frédérick Tristan (Prix Goncourt 1983 avec Les Egarés) nous livre une pépite, pleine d'insolite et d'humour Ainsi l'histoire de ce personnage qui vient remercier son auteur et lui apprend qu'il a une soeur, ce que l'auteur ne savait pas. II y a deux cents trouvailles dans ce style ! Lors de la soirée de lancement-dédicace, jeudi dernier à Paris, rue du Cherche-Midi, l'auteur confirmait qu'avec ce nouvel opus, il est aux antipodes de la longue et pétulante saga de "Chesterfield" , le héros des Egarés, sorte de Don Quichotte confronté à la montée du nazisme. «Là, ce sont de courts petits récits que j'ai écrits pendant une trentaine d'années, par fragments et puis un beau jour j'ai décidé de les réunir et cela a donné ce livre. De même qu'il y a les brèves de comptoir, il y a mes brèves de rêves...».
«Des idées drôles ou absurdes» II nous confiait aussi que «dans mes récits, il y a un peu de mes voyages, qui ont ressurgi pendant le sommeil. Quand on dort, on a des idées qui sont souvent absurdes et aussi parfois très drôles.» Quant au Pays Houdanais, il en est bien sûr question, puisque c'est là qu'il écrit depuis vingt-sept ans et qu'il s'y trouve tres bien1 En lisant ce magicien du verbe, un maître de l'imaginaire, on entre dans un monde féerique et on s'y sent bien !
B. DELATTRE
Brèves de rêves, récits de Frédérick Tristan (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Piège à rêve
Il y a eu les brèves de comptoirs, célèbres et fameuses. On y trouvait souvent des perles de bon sens un brin surréaliste. Dans ces pages signées Frédérick Tristan, on ne passe pas de l’autre côté du zinc mais de l’autre côté du miroir. De part et d’autre du cerveau de l’écrivain. D’un côté, le conscient ; de l’autre, l’inconscient. Et ses phrases sont les layons et les sentiers serpentants qui mènent vers l’onirique « palais des fées » (p. 37).
Frédérick Tristan, tout à la fois Alice, Lapin Blanc et chat de Chester, convie le lecteur dans ses bribes de rêves. Qu’on se rassure, l’auteur ne nous livre pas un simple recueil de ses songes qui auraient été rédigés au saut du lit, les prunelles encore emperlées d’une hallucinogène poussière de fée. Les deux-cents récits, aphorismes de plusieurs lignes ou pensées paradoxales prennent racine dans l’apparent absurde des cérébrales écumes nocturnes, mais ne sont en rien une liste d’emplettes pour psychanalystes amateurs. Toute l’acuité de l’écrivain est à l’œuvre. Et, dans cet enchevêtrement aux dehors parfois ludiques, parfois frivoles se dévoile la sève d’une vie d’écriture.
À travers souvenirs poétisés, rires enfantins tapissés de larmes d’or pâle, effrois carnassiers d’une Histoire trop vaste parviennent des pensées singulières sur des réalités que nos fictions idéalisées rendent souvent bien plus vaporeuses que les brumes de nos délires nocturnes.
L’enfant regarde le monde à travers de subtiles lucarnes. Les ombres et les lumières qui s’y agitent ont beau n’être que Krako le Croquant ou Blanchemine, elles sont de loin plus réelles et moins fallacieuses que les pantomimes de nos actualités télévisés. (p. 162)
Tristan invoque, évoque et convoque tout ce que nous connaissons bien : les personnages loufoques, les situations incongrues et gênantes qui peuplent les rêves. Ses rêves, ses rêveries et parfois les nôtres. Au détour d’un doux délire, on se prend alors à réfléchir. À la frontière, aux lisières, aux cloisons que l’on s’efforce de faire toujours plus étanches. Que faisons-nous de toutes ses créations ? De tous ces tissages de nuit faits de la matière subtile du monde ?
Les grands égarements du rêve déverrouillent la nuit, font éclore les subtilités les plus lumineuses de l’éveil. Tout est affaire de perspective indéfinie et de transparence dilatée, forcément énigmatiques. Pont étendu au-dessus de l’abîme. Printemps secret sous la croûte de l’hiver. Zauberkunst. Hé là ! Je m’éveille, la bouche pleine de mots encombrés de terre. (p.37)
Naïveté d’étonnements enfantins, craintes abusives des mêmes âges, mélancolies incongrues, plaisanteries à l’ésotérisme impromptu, intrigantes et chaleureuses charades, tout se mêle et s’entremêle pour former une insaisissable sagesse esthétique. Sur le chemin buissonnier des rêves éveillés, l’écrivain nous invite à lâcher les liens et les amarres du tyrannique Titanic du « tout comprendre tout le temps ».
Tandis que cet homme tente de m’intriguer avec cette question abstruse, je regarde un oiseau qui se pose délicatement au bord de son nid. Il apporte une friandise à ses petits, résolvant ainsi la clé de l’énigme. (p.185)
Le livre se feuillette sans qu’on y prenne garde. Nous voici pris comme dans un de ces pièges à rêves amérindiens. On y fait sa collecte. Certains rêves éclairent d’une lumière rase les nôtres. Le simple le dispute à l’ironie et aux devinettes de secrètes alcôves. Ce pourrait être un jeu de piste invisible, un escalier aux marches évanescentes livrant l’une après l’autre plus de mystère que de révélation. Ce pourrait être un livre à lire en deux cents jours ou en deux cents nuits. Un livre qui s’évanouit, mais ne disparaît pas lorsqu’on l’a fini.
Le livre est cette chose de papier qui dort dans les rayons d’une bibliothèque, et qui s’envole dans l’esprit ou le cœur d’un passant qui, l’éveillant, soudain s’attarde . Les lettres gelées se sont changées en ruisselet ou en torrent de méditation ou de rêve. L’auteur, s’il exista, depuis longtemps est allé se coucher. (p. 170)
Avec un verbe et une verve toute française, sans lorgner vers la facile copie du haïku, le chapelet de ces brefs rêves à pourtant tout du koan : cette sentence des maîtres asiatiques assimilée au coup de bâton sur la tête qui peut amener à… l’éveil !
THIERRY JOLIF
Frédérick Tristan, Brèves de rêves, 223 pages, Pierre-Guillaume de Roux, novembre 2012, 23€
Frédérick Tristan invité de Christophe Bourseiller sur France Musique
Ecoutez Frédérick Tristan s'entretenir avec Christophe Bourseiller sur France Musique dans son émission de la Matinale à propos de Brèves de rêves (Pierre-Guillaume de Roux, 2012).
Brigitte Bardot, l'art de déplaire de Marie Céhère
Découvrez l'article du Nouvelobs consacré à Brigitte Bardot, l'art de déplaire de Marie Céhère.
Brigitte Bardot, l'art de déplaire de Marie Céhère
Découvrez l'article du Nouvelobs consacré à Brigitte Bardot, l'art de déplaire de Marie Céhère.
Céline total. Entretien avec Philippe Alméras, par Pierre Chalmin
Pour avoir lu jadis, en 1994 à sa parution chez Robert Laffont, la biographie du Professeur Philippe Alméras que republie Pierre-Guillaume de Roux, je savais un peu à quoi m’attendre : l’auteur et moi ne tomberions pas d’accord… N’importe, il me fallait saluer la fidélité de Pierre-Guillaume de Roux à la mémoire de son père Dominique qui le tout premier entreprit de ressusciter Céline, et confia à Philippe Alméras alors plus jeune de quarante ans, la formidable documentation qu’il avait rassemblée pour ses Cahiers de l’Herne.
Je me devais aussi de rendre hommage à l’obstination de l’auteur dont l’opinion n’a pas varié, comme il se plaît à le rappeler dans la Postface inédite à cette réédition de son Céline entre haines et passion. Dans notre pays où la notoriété d’un intellectuel se juge au nombre de ses reniements et volte-face, s’accroît des erreurs passées, confessées, sans que jamais vienne à l’esprit du public le soupçon qu’une succession d’erreurs n’est pas une voie de vérité, il est reposant d’avoir affaire à un entêté, digne en cela de l’écrivain qu’il s’est attaché à dépeindre.
Philippe Alméras me plaît encore quand il raconte De Gaulle à Londres (Éditions Dualpha) à partir des archives de guerre du Foreign Office; quand l’éditeur qui lui a commandé Vichy-Londres-Paris, «l’itinéraire obligé», y renonce après consultation d’un des barons de la Ve République («C’est ça, mais…»). En un mot, le confort intellectuel n’est pas sa tasse de thé.
Enfin, Philippe Alméras m’est sympathique par le nombre et la variété de ses ennemis : un homme qui a réussi à se mettre tant de monde à dos ne peut pas être foncièrement mauvais. Les affligeants procédés dont on a usé à son encontre défient l’imagination la plus paranoïaque : interdiction par voie de justice des Lettres des années noires (Berg International) de Céline qu’il avait pris la peine de rechercher et de commenter, empruntées ensuite pour publication dans la Pléiade, assorties de commentaires déplaisants à l’encontre de leur inventeur; envoi à toutes les universités américaines – le Professeur Alméras enseignant alors à l’Université de Boulder, Colorado – d’un libelle imité de la lettre À l’agité du bocal le mettant en scène; diffusion de la rumeur selon laquelle il serait un petit-fils caché du maréchal Pétain, qui glaça les Alliances françaises et incita plusieurs universités à le désinviter; cambriolage avec effraction par des huissiers de son domicile parisien, suite à un procès en diffamation qu’on lui fit et dont il ne savait rien étant aux Amériques… Le Professeur Alméras rit et se rit de tout cela.
Trêve d’hilarité, passons aux choses sérieuses. Nous avons interrogé notre auteur qui s’est bien complaisamment prêté au jeu. Une ultime précision : ayant en horreur les notes, nous n’en avons commis aucune; si certaines allusions demeurent obscures au lecteur, notre but sera atteint : on attend de lui qu’il achète l’ouvrage de Philippe Alméras.
PIERRE CHALMIN
*
Pierre Chalmin – Professeur, pouvez-vous rappeler au lecteur quand et comment vous en vîntes, un des tout premiers, à vous intéresser à Céline ?
Philippe Alméras – Parce que désirant devenir professeur pour la rente de douze mille dollars que cela représentait aux États-Unis dans les années soixante, il me fallait un Ph.D. (doctorat américain). Et proposer trois sujets de thèse. Les deux premiers ayant été refusés il me restait une dernière carte : Céline, «le passage du roman aux pamphlets». Cela s’était fait en un an et je pensais donc me tirer rapidement de la rédaction de mon travail. La conscience professionnelle et le dépit d’être contredit ont changé la donne. Quarante ans plus tard nous voici encore sur le sujet. Les documents auxquels Dominique de Roux m’avait donné accès avaient bouleversé le sujet car j’avais découvert que Céline (celui des trois sujets que je connaissais le moins) ne s’était pas improvisé une idéologie en un an. Bagatelles pour un massacre venait de loin. Lui-même le disait en parlant par exemple de L’Église (1927).
– Céline entre haines et passion, pourquoi les haines plurielles et la passion singulière ?
– Les titres sont le privilège des éditeurs. Chez Robert Laffont on voulait de la haine. J’ai ajouté la passion. Les haines sont multiples, la passion unique.
– Votre titre est à double entente : l’homme et l’œuvre continuent de susciter haines et passion chez nos contemporains; comment les analysez-vous ?
– Comme je vous l’ai dit : je ne pensais pas aux lecteurs mais à lui. À ma connaissance, tous les lecteurs et commentateurs ont une passion pour lui sauf moi qui suis censé être animé à son égard d’une «haineuse passion». Eux l’adorent sans condition. Quitte à l’exorciser souvent. J’ai très peu vu pendant ce cinquantenaire célinien se manifester aucune des haines d’autrefois, ni les imputations de folie, ni celle de démission. Il m’a même semblé que ma version non approuvée et non expurgée de sa vie était enfin admise : le Céline que tout le monde admirait était bien le Céline total, complet que j’ai présenté dans la biographie qu’on vient de rééditer. On m’a dit que Klarsfeld lui-même, celui qui a voulu interdire toute célébration de Céline, était un admirateur aussi ardent que son ami Godard de Céline…
– Jean-Paul Louis, célinien chevronné, a pourtant constaté : «2011 est pour les études céliniennes à la fois une chance et une terrible régression. Les discours obtus et réactionnaires d’il y a une vingtaine d’années et davantage remontent pour alimenter une improbable opération de purification nécrophage : le tombereau de stupidités, en tous sens, que nous avons lues et entendues en ce premier semestre 2011 dépasse l’entendement.»
– Jean-Paul Louis ne peut qu’avoir raison : tout ce qui s’imprime sur Céline hors de Tusson (Charente) est bon à mettre à la poubelle. Heureusement quatre cents céliniens (de gauche si j’interprète correctement votre citation) ont gardé le sens de la typographie exacte et d’une appréciation mesurée au millimètre de l’immense écrivain. Ils sont une poignée à savoir ce qu’il convient de penser de lui, de sa vie et de ses œuvres. Le savoir diacritique permet de montrer sans montrer (déclarations de Céline sur les mitrailleuses de Hitler à Moabit avant-guerre : «la chose à faire») et dire sans dire car le texte qu’il ne censure pas est rendu opaque. Pour la Pléiade Correspondance, je me permets cependant un petit reproche. Mes Lettres des années noires interdites par voie de justice y sont reprises et utilisées sans façon – à l’exception de celle du 15 juin 1942 qui vaut pourtant le détour et qui a gardé toute sa virulence dans la mesure où Céline qui écrit au moment de l’imposition de l’étoile jaune se projette cinquante ans en avant pour décrire la France pas mal bigarrée que nous connaissons. Pourquoi cette suppression ? On me dit que c’est parce que c’est une anthologie. Mais justement : la lettre est un chef-d’œuvre stylistique. Allez voir, lisez.
– Obéissant à l’injonction du Professeur A., c’est ce que nous fîmes. Le lecteur trouvera infra le texte des deux lettres invoquées, la première «sur les mitrailleuses de Hitler à Moabit», lettre de Céline du 26 octobre 1937 à sa secrétaire Marie Canavaggia qui lui reprochait sa virulence; la seconde, celle du 15 juin 1942, adressée à Henri Poulain de Je suis partout.
– Peut-on imaginer, au rebours de votre thèse et en dépit du savoir diacritique, que l’antisémitisme de Céline, dont les origines n’ont rien de bien original, répond aussi de sa part à un calcul, une quête de notoriété à tout prix et de succès commercial ? L’échec de Mort à crédit lui ayant été une terrible désillusion, il aurait alors recherché le plus grand nombre de lecteurs en enfourchant un vieux dada démagogique ?
– Les racines de son racisme biologique ne sont pas aussi banales que vous semblez le penser. Au moins de son temps, puisque nous avons vu émerger de la guerre un pays bâti sur des critères strictement biologiques que les Nations Unies et le monde entier ont porté sur les fonts baptismaux et auquel ils garantissent toutes sortes d’exceptions au Droit des gens. L’antisémitisme de Céline, secondaire à son racisme, était effectivement bien plus porteur. Les fortes ventes des pamphlets l’ont encouragé dans sa voie mais sa diffusion encourage tout écrivain sauf l’élite que vous signalez, la poignée de gens qui savent que la prostitution littéraire commence au quatre-cent-unième exemplaire vendu. Je ne crois cependant pas qu’il faille voir dans les pamphlets uniquement le souci de grossir ses réserves d’or, le trésor de guerre. Et Mort à crédit n’a pas été l’échec que vous semblez poser – au témoignage de Gide qui affirmait qu’on voyait le livre partout. La claque reçue par le second roman a porté sur la grossièreté de l’auteur. Trop de scatologie dit Élie Faure et Descaves et Daudet se défilent. J’explique une grande part de Céline par l’orgueil.
– Que penser alors de l’intelligence politique de Céline ?
– Elle est aiguë et nulle. Il «voit des choses». Surtout dans le sens des catastrophes, mais distingue mal les données et les enjeux. Et il a eu tellement raison en annonçant la défaite de l’an quarante, qu’il s’est rendu incapable de voir la suite. Après Stalingrad, si la volonté épuratrice se calme considérablement, il croit toujours à une lutte des races. Or c’est l’obsession raciale qui perd Hitler. Il s’aliène les Ukrainiens et autres peuples subjugués par les Soviets en les traitant en sous-hommes. Qu’importe d’ailleurs, victoire ou défaite (il croit à l’une en annonçant l’autre), il ne peut qu’avoir raison : «Ils ont gagné».
– Que vous inspirent les céliniens ?
– Beaucoup de bons et de beaux sentiments. Surtout ceux qui ont sacrifié leur carrière à leur passion pour Céline. Il faut saluer leur courage. J’ai assisté cet hiver à un colloque à Beaubourg organisé par la Société des Études Céliniennes que Dauphin, Godard et moi avons fondée en 1975 et à un autre, plus universitaire, dans mon quartier. Quel progrès ! J’ai été à chaque fois ému par la richesse des apports et surtout par les jugements intrépides prononcés par chacun : «condamnable, sulfureux, criminel», disaient-ils, et ainsi de suite. Vous me direz que Céline faisait les frais de ces exorcismes mais il faut avouer qu’il ne l’avait pas volé. L’un des intervenants de Beaubourg confessait que lui, lecteur inlassable, n’avait pas réussi – en s’y reprenant à plusieurs fois et malgré tous ses efforts –, à terminer l’un des trois pamphlets. Sa punition l’attend bientôt quand il sera choisi pour être l’un des annotateurs de la Pléiade Pamphlets.
– Que pensez-vous de la récurrente alternative qu’on prétend imposer : Céline génie ou salaud, génial mais salaud, etc. ? Ce critère moral vous paraît-il pertinent ? Ne peut-on convenir avec Giovanni Raboni (1932-2004), poète et traducteur de Proust, qui rapproche Pound de Céline, que : «Une grande poésie, un grand roman, une grande tragédie, bref un grand texte littéraire qui ne contient pas, en plus et à l’intérieur de la beauté de l’écriture, un noyau de grandeur éthique, un principe article_actif de vérité […], c’est une contradiction dans les termes…»
– Si ce n’était trop d’honneur à me faire, je crois avoir le premier prononcé le terme de salaud au micro de Pierre Assouline. Je m’en souviens car aussitôt je me mordais les lèvres : qui étais-je pour juger ? Je sortais de la rédaction du chapitre sur l’Occupation et j’étais encore scandalisé par le manque de compassion du bon docteur pour les persécutés. Ce qu’il avait ri, écrit-il à Me Naud, en suivant les alarmes de Colette dont le mari avait été enlevé en décembre 41 avec les mille notables juifs. Vous me direz que ces rires s’expliquaient par le fait qu’il n’avait jamais vu autant de Juifs à Paris et qu’il était persuadé qu’il ne pouvait rien leur arriver, mais tout de même !
Je ne crois pas qu’il faille chercher chez lui le noyau de grandeur éthique ni le principe de vérité si celui-ci n’est pas le devoir de croître et de survivre à ses adversaires. Alors il est un maître. Et un maître qui rit !
– À vous lire, on devrait donc convenir que la passion de Céline fut celle du racisme, dès 1927 ? Sa seule passion et sa seule raison d'écrire, puisque vous lisez partout cette obsession ? Que penser de sa thèse de médecine sur Semmelweis qui était juif; elle date de 1924 ? Vos interprétations me paraissent discutables : si par exemple Céline n'est pas «du même monde» qu'Élie Faure, comme il le lui écrit, c'est qu'il n'est pas un grand bourgeois : il s'agit de classe pas de race. Vous récusez aussi systématiquement les témoignages à décharge – épisode Gen Paul à l'ambassade d'Allemagne, attesté par trois témoins; Champfleury; etc. –, même si je ne conteste pas les témoignages à charge que vous mettez en avant : Jünger n'a certainement rien inventé; Gen Paul a, sous l'Occupation, fichu plusieurs fois Céline hors de son atelier pour avoir proféré de ces appels au massacre proprement délirants… Aimez-vous Céline, Professeur ?
– Je réponds par la fin : j’aime Céline quand il est aimable (J.-P. Sartre disait qu’on n’aimait que les gens aimables – au sens fort bien sûr). Il lui arrive d’être détestable et même méprisable hors littérature. Il ne faut pas confondre l’homme et le narrateur, sinon on tombe dans le sirop Godard. Céline n’était pas fou et il lui arrivait d’être méchant et de souhaiter le pire à ses ennemis. C’était un humain pratiquant la vieille langue. En 1927, il n’a pas encore de passion, mais il a des idées, par exemple concernant le rôle des Yudenzweck dans la politique internationale.
L’amputation de l’acte III de L’Église dans son roman me paraît aussi significatif qu’une longue diatribe antisémite : Voyage est profilé pour le succès.
Je suis prêt à parier qu’on trouvera plus fort que ce qui s’est révélé jusqu’ici. Manquent encore les correspondances avec divers intimes. Avez-vous lu l’apologie de Hitler passant les bistrots de Moabit à la mitrailleuse : «C’est ce qu’il faut faire» (1937, avant les Bagatelles, à Marie Canavaggia) ?
Le dîner à l’ambassade, je veux bien… si vous le voulez. Je lui reproche de nous arriver sous la forme multiple de la légende. Et je tiens Benoist-Méchin qui est à l’origine de l’histoire, comme Rebatet, pour un témoin systématiquement inexact. « – Fais Hitler !» était destiné à marquer la gouaille et l’indépendance du personnage; la plaisanterie marque aussi l’intimité avec les visiteurs. Céline, vous le savez n’était pas Jacobin. Je vois plutôt le dîner en déjeuner et se passant à l’Ambassade de Brinon. Pure conjecture, naturellement.
D’une façon générale, je ne juge pas. Je lis ce que je lis et je décris ce que j’ai lu. La morale n’a pas grand-chose à faire avec la pratique de la biographie. On veut savoir, on veut comprendre. J’ai cru comprendre que Céline s’était formé quelques convictions tout en se faisant écrivain. Est-ce si rare ?
Ce qui m’a fait insister sur le thème c’est de ne pouvoir le faire accepter pendant quarante ans.
http://stalker.hautetfort.com/
Céline entre haines et passion, biographie de Philippe Alméras
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Céline mis à nu
Tout le monde connaît les grands épisodes de la geste célinienne : le carabin, l’hygiéniste de la SDN, le médecin de banlieue, le pamphlétaire antisémite, le paria, l’exilé, le retour en grâce et la mort. Tout le monde a en tête le style inimitable, la gouaille littéraire de l’écrivain écorché vif par l’existence qui justifie le titre ambivalent à dessein de la biographie de Philippe Alméras, Céline entre haines et passion. C’est que les déchaînements de ses contemporains, comme les dissensions de la critique, sont à la hauteur d’une passion unique et entière qui guide la trajectoire existentielle de Louis-Ferdinand Céline. Tel est en tous les cas le postulat critique de Philippe Alméras : l’emportement chronique de l’écrivain et celle du pamphlétaire ne sont plus pensés comme deux Céline contradictoires, l’un génial, l’autre antisémite, raciste et fou à lier. La gageure du biographe est de concilier les deux visages de ce Janus bifrons de la littérature, qui gêne aux entournures l’esprit et le style. Le critique avertit à la fin de sa postface en guise de panneau annonciateur de l’enfer dantesque qui attend le lecteur devant ce Céline mis à nu : “Attention, c’est le Céline total et non retouché que propose ma biographie.” Nous voilà prévenus. Un Céline sans fard.
Fort d’une documentation très fournie, fondée sur le dépouillement et l’analyse d’une abondante correspondance, Philippe Alméras nous fait entrer dans les coulisses du personnage Céline avec le souci du détail et de la précision qui ne nous fait perdre aucun instant de ses turpitudes : le chercheur s’y révèle enquêteur, fin limier pourrait-on même avancer. Les étapes de l’épopée Céline sont ainsi retracées à l’aune de dix stations aux titres aussi éloquents que brefs, le lapidaire et le définitif étant aussi une marque de Céline l’expéditif : “Jeune chien”, “Cuirassier”, “Colon”, “Étudiant”, “Médecin”, “Écrivain”, “Militant”, “Occupé”, “Émigré”, “Réprouvé puis ressuscité”. Céline Lazare aux milles vies, comme il aimait à se présenter, écartelé entre diverses existences qui ont fait sa richesse autant que son scandale. Céline démaquillé, démasqué plus exactement.
Le bal commence dans la marginalité qui sera l’empreinte de l’écrivain abhorré, celle du “passage Choiseul” qui le marque au fer rouge du vocable des marchands populaires, à Paris, au début du XXe siècle. L’expérience du “jeune chien” Céline est déjà celle de Bardamu voyageur, en apprentissage de la langue germanique en Allemagne, en proie à l’hostilité d’autrui. Le retour à la “taupinière” du passage Choiseul n’est guère long et l’errance se poursuit en quête d’un métier sur la Côte d’Azur, à Nice puis à Paris. “Cuirassier”, Céline engagé dans la grande guerre se révèle inadapté pour l’emploi : blessé, rapatrié, ainsi se construit le mythe de Céline trépané, comme son personnage et double Bardamu. Médaillé de guerre, il vit une “vie rêvée” à Londres puis s’enrôle comme expatrié et colon en Afrique. “Louis des Touches” en fait le paradis de l’écriture contre l’enfer du climat et des autres, encore eux : il cherche à attirer à lui son ami Milon, lui promettant l’argent facile. En 1917, quitter Bikobimbo revient à épouser la condition de Carabin et à revenir aux origines de l’hygiénisme familial. Collaborateur à la revue Eurêka, Louis-Ferdinand Destouches se fait même un temps conférencier. La réussite des examens de médecine rime avec littérature, la thèse – La Vie et l’œuvre de Semmelweiss – devient un “roman hugolien à sujet médical” selon la formule de Philippe Alméras. Le médecin annonce déjà l’écrivain : les deux sont indissociables et Céline ne lâchera jamais complètement la médecine.
Recruté dans la “section hygiène” de la SDN par la fondation Rockefeller, le médecin Destouches fait encore patienter l’avènement de Louis-Ferdinand Céline : encore le voyage comme seconde vie, l’Amérique et Ford, matière à venir d’un épisode du Voyage au bout de la nuit. Céline voyage au bout de l’hygiène. Exit Edith sa femme et sa fille Colette, bonjour Elizabeth Craig, première d’une longue série de danseuses qui vont partager sa vie tumultueuse. Leur rencontre à Genève est fugace mais Elizabeth vient vite le rejoindre : premières amours et premières danses, premiers espoirs d’écrivain rapidement avortés avec L’Église et Semmelweiss, refusés par Gallimard respectivement en 1927 et 1928. Céline, une fois désengagé de la SDN, devient “médecin des pauvres” au dispensaire de Clichy : se crée alors une “bulle américaine” de 1926 à 1932, où Elizabeth danse et lui gribouille le Voyage au bout de la nuit dans les intervalles de son activité de médecin. C’est désormais dans leur location de Montmartre que le mythe de Céline écrivain va se dessiner.
SEBASTIEN BAUDOUIN
http://www.nonfiction.fr/article-4823-celine_mis_a_nu.htm
Céline entre haines et passion, biographie de Philippe Alméras
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Céline : la vérité qui dérange
Louis-Ferdinand Céline, alias Louis Destouches, est une légende cultivée aujourd'hui par toutes sortes de spécialistes, de droite et de gauche. Il faut dire que son style tortillé fournit la musique au biographe potentiel. Ne restent plus que les paroles... Pas facile de démêler le scénario véritable — que l'on déchiffre en filigrane - parmi les vies multiples dont fait état le futur Bardamu.
Dans cette perspective, la réédition enrichie de la biographie de Céline publiée en 1994 par Philippe Alméras est un petit événement La méthode rigoureuse, strictement factuelle de ce professeur à l'université de Californie fait merveille au milieu des tartarinades et de la facilité verbale de son héros. Une longue postface relève les éléments nouveaux apparus de- puis la première édition Il faut reconnaître que le travail pointilleux du biographe et son point de vue initial se trouvent largement confortés aujourd'hui. Finie « la théorie des deux Céline », selon laquelle il faudrait étudier séparément l'homme de lettres, auteur de certains romans parmi les plus importants du XX' siècle, et l'analyste politique, avec les obsessions racistes et antisémites qu'il projette dans ses pamphlets.
Ne pas le réduire à ses idées
La correspondance montre bien qu'il n'existe qu'un seul Destouches. « En décrivant ses idées, écrit aujourd'hui Alméras dans sa postface, je ne faisais évidemment pas de propagande pour lui ni pour elles, comme l'ont cru stupidement quelques universitaires américains. Et je ne l'ai jamais réduit à ses idées, comme l'ont assuré leurs équivalents français. Je me suis contenté de dire ce que je lisais et ce que je savais sans me rendre compte qu'il est devenu grâce à nous tous un produit reconnu du marché littéraire. Marque déposée, et comme tel soumis aux impératifs du marché. Juste ce qu'il faut de soufre pour intriguer le lecteur, mais pas trop pour ne pas le faire suffoquer. Les commentateurs ont la sagesse d'y penser toujours et de n'en parler jamais, ou juste le temps de se montrer avertis et sévères. »
Alméras n'a pas cette sagesse. Il « en » parle. De quoi ? De l'obsession raciale qui traverse Céline et dont notre « grand auteur » fait état à tous propos et hors de propos. Il faut bien reconnaître que le docteur Destouches est l'un des rares exemples de racisme médical. Quant à sa vie amoureuse, riche en conquêtes et en danseuses, elle paraît tout aussi « médicale » - dénuée en tout cas de tout sentiments profonds. « Parlez-moi d'amour» lui dit un jour une de ses danseuses. }e veux bien, Cillie, mais je ne peux pas. Je n'ai jamais parlé de ces choses-là. Je parle de popo, je comprends popo, je mange popo. Je ne suis bon qu'à popo. Je suis content de vous revoir en novembre. Que de séances de popo je vais vous donner »
Il est comme ça, Louis, il ne force pas sa nature. L'un des aspects intéressants de cette biographie est de nous montrer la naissance d'un style qui a fait tant d'émules. Dans les lettres du maréchal des logis Destouches à sa famille, on voit poindre cette manière si particulière de manier les mots, ce style «fait de crudité drolatique, parigote et montmartroise » est né certainement passage Choiseul, au dessus du magasin de la famille Destouches. Retrouvant des harmoniques profondément enfouies dans le parler de la capitale, il suscite toujours un écho profond chez ses lecteurs. Voilà une bio qui remplace beaucoup de livres sur Céline. Philippe Alméras essaie de nous dire simplement la vérité sur le mythe, malgré les haines qu'il suscite et l'engouement qu'il produit. Passionnant.
JOEL PRIEUR
Céline entre haines et passion, biographie de Philippe Alméras
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Céline : un torrent éditorial
Hormis les spécialistes, y a-t-il encore quelqu'un qui parvient à suivre dans le détail I’avalanche des parutions consacrées a Louis Ferdinand Céline ? Le gouvernement français a refusé de commémorer le cinquantenaire de sa mort, mais les éditeurs ne se sont pas privés. Dans la dernière vague célinienne, quelques ouvrages s'imposent néanmoins. D'abord la réédition, chez un nouvel éditeur parisien, de la grande biographie de Céline due à Philippe Alméras. L'auteur signale qu'elle propose un«Céline total et non retouché». Admirateur évident de I’auteur de Mort à credit, Alméras ne partage pas, en effet, I’idolâtrie de certains célinomanes. Qui pourrait le lui reprocher ? David Alliot de son coté, a réussi I’exploit de rassembler dans une somme de plus d’un millier de pages quelques 200 témoignages, connus ou inconnus, relatifs à Louis Ferdinand Céline, l'ensemble étant assorti d'une préface de François Gibault et d'un appareil critique d’une rare érudition. Le travail universitaire de Jacqueline Morand Deviller de facture plus classique, s'efforce de tirer au clair les idées politiques de Céline, mais s'abstient a juste titre de leur attribuer une étiquette. Tout au plus constate-t-elle que ces idées ne s’inscrivent pas tant à droite ou gauche qu’aux«extrêmes». Dans son étude consacrée à Voyage au bout de la nuit, Marie Christine Bellosta affirme tout aussi justement que l'itinéraire de Céline fut parfaitement cohérent : la séparation convenue qu'on a pris l'habitude de faire entre le « grand romancier » et l'« abominable pamphlétaire » n'a tout simplement pas lieu d'être Céline, dans toutes ses œuvres s’est tout simplement imposé comme le plus grand écrivain du XXe siècle. Bien à I écart des études savantes - et parfois pédantes -, Maroushka [Dodele] livre de son coté le témoignage particulièrement émouvant d'une femme qui, ayant pris des cours de danse chez Lucette Destouches, à partir de l'âge de 6 ans, ne découvrit que peu a peu que le «mari de Lucette» était aussi un écrivain ! A.B
Céline entre haines et passion, biographie de Philippe Alméras
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Céline : la gloire du paria
Ier juillet 1961, dans son pavillon du 25 ter, chemin des Gardes à Meudon, Louis-Ferdinand Destouches alias Céline achevait son voyage terrestre, dix ans après son retour du Danemark en France et l’amnistie dont il avait bénéficié. II venait juste de mettre le point final à son dernier livre, Rigodon, dernier volet de la Trilogie allemande. Un an plus tard se réalisait ce qu'il aurait tant voulu voir de son vivant : la parution du Voyage au bout de la nuit et de Mort à crédit dans ce panthéon littéraire qu'est la collection de la Pléiade Témoignage de reconnaissance de ce qu'il avait apporté à la littérature française. Avec ce mélange d'orgueil prophétique et de bouffonnerie qui était sa marque, Céline avait proclamé, dès 1932, à la remise du manuscrit du Voyage au bout de la nuit, la nouveauté révolutionnaire de son œuvre « Une symphonie littéraire émotive [ ] Du pain pour un siècle entier de littérature [ ] et le Goncourt dans un fauteuil pour l'heureux éditeur qui saura retenir cette œuvre sans pareille, ce moment capital de la nature humaine »En 1955, dans son désopilant Entretiens avec le Professeur Y, ou il livre les secrets de fabrication de son œuvre, il réaffirmait l'importance de la révolution dont il avait été le fourrier «Je suis qu'un petit inventeur, et que d'un tout petit truc '[ ] je connais mon infime importance ' [ ] L'émotion dans le langage écrit ' Le langage écrit était à sec, c'est moi qu'ai redonne l'émotion au langage écrit ' [ ] C'est pas qu'un petit turbin je vous jure ' [ ] C'est infime, mais c'est quelque chose'» Depuis la disparition de l'écrivain, sa stature et son audience n'ont cessé de croître, à telle enseigne que Céline est l'auteur français auquel le plus grand nombre des travaux ont été consacrés, tant chez nous qu'à l'étranger, tandis que ses romans figurent parmi les plus vendus aussi bien dans la Pléiade qu'en collection de poche A titre anecdotique, Voyage est le livre de poche le plus volé dans les librairies Si l'écrivain est reconnu comme l’un des deux plus grands, avec Proust, de la littérature française du XXe siècle, l'homme suscite toujours "haines et passions", selon le titre du livre de Philippe Alméras, l'un de ses biographes et exégètes A preuve, son éviction des "commémorations nationales", de la part du ministre de la Culture cédant à l'intimidation de Serge Klarsfeld, capitulation honteuse qui témoigne à la fois de l'imbécillité congénitale ou de l'inculture crasse de l'administration et de la lâcheté proverbiale de la classe politique. L'anecdote montre, si besoin était, que l'imprécateur le plus forcené de la littérature française ne sera jamais l'objet d'un consensus fade, et que ce mort encombrant, cinquante ans après sa disparition, est plus vivant que bien des momies contemporaines. Pérenne sujet de scandales et d'empoignades, l'auteur de Mort à crédit et de Bagatelles pour un massacre demeure un ferment de divisions et suscite toujours une sorte de sidération. L'attestent les nombreux livres qui viennent de paraître à l'occasion du cinquantenaire de sa disparition : Céline, la biographie nuancée d'Henri Godard, le maître d'œuvre de l'édition des œuvres littéraires dans la Pléiade, celle, plus politique de Philippe Alméras, Céline entre haines et passions, les deux livres de David Alliot, D'un Céline l'autre et Céline, idées reçues sur un auteur sulfureux, le recueil d'entretiens composé par Joseph Vébret, Céline l'infréquentable, avec les meilleurs céliniens actuels, de François Gibault à Émile Brami, en passant par Frédéric Vitoux, Éric Mazel, Marc Laudelout et Philippe Sollers. Question centrale : comment concilier le génie littéraire et la morale ? Comment peut-on, à la fois, être l'auteur d'une œuvre puissamment originale, humainement bouleversante, et la bouche d'ombre sacrilège qui proféra invectives et élucubrations racistes et antisémites ? Longtemps, une thèse a prévalu, celle des "deux Céline", le Céline d'avant et celui d'après Bagatelles pour un massacre, comme si une soudaine conversion avait, en 1937, métamorphosé l'écrivain sensible à la détresse des humbles en un antisémite enragé et paranoïaque, dénonçant la "persécution" infligée aux goyim par les futurs persécutés. Cette thèse, postulant la folie ou l'irresponsabilité d'un homme en proie à l'ébriété verbale (sans même évoquer l'accusation —gratuite— de vénalité lancée par Sartre), avait l'avantage de concilier occultation et morale sociale. Elle permettait aussi d'exonérer les admirateurs du "premier" Céline - à commencer par Sartre lui-même qui avait inscrit en exergue de la Nausée une citation célinienne tirée de l'Église-du soupçon de complicité ou d'aveuglement. Philippe Alméras, dont Pierre Guillaume de Roux réédite le livre magistral, Céline entre haines et passions, le dévoile, textes à l'appui : d'une part, Céline n'a pas attendu 1937 pour verser dans le racisme ; d'autre part, on ne saurait voir dans son "délire" une sorte d'accès de folie lié à des raisons contingentes. Au vrai, l'imprécateur solitaire s'était imprégné, très tôt, de la vulgate antisémite de la Belle Époque, des textes des Toussenel, Chirac « et autres socialisants qui dénoncent la puissance de l'or juif », avant que Drumont ne fasse basculer l'antisémitisme de la gauche vers la droite. Nulle originalité donc - hormis celle du style et de la mise en scène-dans Bagatelles et les Beaux Draps, mais l'écho amplifié d'un antisémitisme largement partagé, à gauche comme à droite, que Céline laïcise dans le fond et la forme. Tel est le réel occulté qu'Alméras met au jour, révélant du même coup ce paradoxe de « voir l'œuvre célinienne défendue contre de prétendus sympathisants par des adversaires déclarés de tout ce à quoi il a cru, incarnant tout ce qu'il a détesté ». Dans sa postface, prenant en compte les découvertes les plus récentes, notamment l'édition en Pléiade de la correspondance, l'auteur réaffirme sa position : « les convictions de celui qui dira n'avoir pas d'opinions et aucune idée sont enfuit aussi précises que précoces » et Céline ne les a jamais reniées, pas plus que Lucien Rebatet les siennes. À rebours du vieil idéalisme grec du kalos kagathos, où le beau se confond avec le bien, il faut admettre qu'un grand créateur peut aussi être un "monstre" et que la littérature et la morale peuvent faire chambre à part. Sur ce point, la majorité des céliniens interrogés par Joseph Vébret en sont d'accord : il est absurde de vouloir séparer le Céline romancier et le Céline pamphlétaire, l'auteur du Voyage et celui de Bagatelles, l'École des cadavres et les Beaux Draps, dont il faut souhaiter l'édition critique, interdite de par la volonté de Lucette Destouches, la veuve de l'écrivain, et non de par la loi, comme certains le croient. Prétendre cataloguer, étiqueter, et donc neutraliser Céline participe d'un vain combat. À cet égard, le livre de David Alliot, recueil de tous les témoignages sur l'écrivain, dont beaucoup étaient inédits, en fait foi, qui dévoile combien l'homme était grevé de contradictions, de même l'œuvre, immense bric-à-brac de visions hétéroclites et terrifiantes, contient tout et le contraire de tout. On n'a pas voulu voir que ce réfractaire inclassable, ce poète enrage, rebelle à toute annexion était d'abord un écrivain, mi-Diogène mi-roi Lear, visionnaire halluciné qui bouleversa, à l'égal de Joyce, la forme et l'idée même de littérature en exprimant, dans une voix jamais entendue jusqu'alors, ce que Bardèche a nommé dans une excellente formule, « l'interdit, l'innommable, le secret tragique de la bête humaine » et ce, « avec des mots proscrits ».
BRUNO DE CESSOLE
Céline entre haines et passion, biographie de Philippe Alméras
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Céline en question
Qu'une question se pose et se repose de décennie en décennie ou d'année en année paraît naturel.Mais le cas de Céline est plus étrange puisque d'année en année, on bute sur la même réponse. Un grand écrivain et un franc salaud. Nul ne met en doute cette dualité, tout au plus souligne-t-on d'un clin d'oeil ou d'un coup de menton la proposition sur laquelle on insiste. Mais à répéter ainsi une réponse, on signale sa singularité. Aurait-elle quelque chose d'insupportable qui, révélant la charge éthique de l'esthétique, dévoile ce que l'on attend du grand écrivain ? S'agit-il seulement d'ignorance ? C'est le pari que fait dans Céline, entre haine et passions, Philippe Almeras auteur de nombreuses études céliniennes (notamment un Dictionnaire Céline). Véritable monument paru aux éditions Pierre-Guillaume de Roux que celui-ci, longtemps directeur littéraire aux éditions du Rocher, vient de fonder, ce livre renouvelle aussi discrètement que profondément l'image devenue canonique. Quelques exemples : tout écrivain, grand ou petit, a toujours rêvé d'écrire. Mais non celui-ci qui a déjà bien dépassé la trentaine, quand, joaillier, cuirassier, administrateur de plantations africaines, courtier et commissionnaire dans diverses branches avec l'Amérique, se décide à envoyer des textes à des Revues. L'un est publié. On se souvient de l'émotion de Proust, recouvrant son lit des exemplaires du Figaro de sa première publication. Rien de tel ici. On y préfère la médecine et ce n'est pas sans étonnement que le lecteur apprend que, sous la Troisième République au moins, on pouvait éviter les longues études conduisant au titre de docteur en épousant la fille du patron. Fort heureusement Céline n'abandonne pas la littérature mais les lettres la concernant, en dehors de quelques formules magicosibyllines telle que "passer dans l'intimité du langage" qui paraît courir sans grand succès après son sens, on ne parle que de droits d'auteur, c'est-à-dire d'argent. Il y a pire, plus gros que Philippe Aimeras révèle sans y toucher. Parmi toutes les collections de citations faites pour illustrer le propos, il n'en est pas une qu'il s'agisse de femmes, d'enfants, d'amitié, des malheurs de la patrie ou de l'espérance littéraire qui touche le lecteur, l'émeut, lui fait goûter le bonheur d'une expression, la justesse d'un sentiment. De ce fait, Aimeras a renouvelé le sujet Céline. Sans doute on se retrouvera bientôt à affirmer avec les variantes que l'on sait qu'il s'agisse d'un beau salaud et d'un grand écrivain. Mais une nuance nouvelle aura était introduite dans cette occasion historique et récurrente de mesurer la fragilité de l'alliance du Beau et du Bien et le schisme qui menace la relation de l'éthique et de l'esthétique.
JEAN BLOT
Céline entre haines et passion, biographie de Philippe Alméras
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Louis-Ferdinand Céline sous le signe du feu
On a pris l'habitude de scinder en deux la vie et l'oeuvre de Céline, comme le Vicomte pourfendu, d'Italo Calvino, une partie faisant le bien, une autre le mal Dr Destouches et Mr. Céline, ou l'inverse. En réalité, le créateur de Bardamu est un bloc, comme la Révolution selon Clemenceau, la virulence des pamphlets ne faisant que refléter les épisodes paranoïaques qui cadencent les grands livres. Chez Céline, le romancier existentialiste tenait toujours la main à l'auteur hygiéniste, le voyant au possédé, l'écrivain extralucide au somnambule halluciné, le médecin des pauvres au clinicien aliéniste. En lui, cohabitaient une Cassandre hantée par le déclin de l'Europe et une sorcière shakespearienne prête a en précipiter la descente aux enfers. De face ou de profil, c'est toujours la même personne. Céline est dans tous ses livres et sa vie entière est dans son oeuvre. Elle charrie un immense fleuve de déjections, de misère et de folie C'est Ie Styx de notre temps où des galériens hagards rament dans l'obscurité vers le néant Quoi d'étonnant a ce que le Voyage au bout de la nuit (1932), le grand roman de la déréliction, un sentiment qui, d'après Heidegger, a saisi les hommes dans les tranchées, commence par la guerre de 1914 et finisse dans un asile ' Rien ne résume mieux la vision du monde de Céline, né Destouches, à Courbevoie, le 27 mai 1894. Le Voyage est le premier d'une longue séné de chefs d'oeuvre, coup de tonnerre dans le ciel sombre de l'entre-deux-guerres C'est le Candide du xxc siècle, comme l'a souligné Marie-Christine Bellosta dans l'une des meilleures études qui lui a été consacrée, de nouveau disponible, maîs un Candide inscrit dans une guerre totale dont le XVllf siècle ne pouvait même pas concevoir la possibilité. Une guerre qui fera de Céline, emmuré dans une négativité sans retour, un déserteur du social et réorientera sa vie, ou plutôt la refermera sur elle-même « La raison est morte en 14, en novembre 14 après c'est fini, tout déconne . » Adieu humanisme, Lumières, progrès. II ne reste rien d'autre que cette pulsion de mort qui fascinera tant Céline dans les essais de Freud « La vérité de ce monde, c’est la mort », lâche Bardamu. La voilà la grande affaire Bardamu et son double Robinson l'appréhenderont d'abord comme dans les « vanités », ces natures deux fois mortes qui, au temps du jansénisme, représentaient dans des allégories picturales la fin de toute chose. Mais au fur et à mesure de l'avancement de l'oeuvre, la mort va devenir chez Céline bariolée et grand-guignolesque, bien plus proche au fond d'une pièce de boulevard que d'une tragédie classique, où le mari trompé ne serait finalement qu'un « cocu d'infini », paradoxalement sauvé par les femmes, à commencer par Elizabeth Craig, danseuse de son état, l'Isadora Duncan de Céline, qu'il poursuivra en vain jusqu'aux Etats-Unis et à qui il dédiera le Voyage. Céline fera de sa vie le décor de son oeuvre. C'est d'elle qu'il tirera les grands mythes négatifs qui nourriront les livres et transformeront son histoire individuelle en désastre sans fin, prélude à une apocalypse collective. C'est ce qui ressort de l'avalanche de témoignages recueillis par David Alliot dans D'un Céline l'autre, qui vient de paraître dans la collection « Bouquins ». Le parfait complément à la biographie fleuve de Philippe Almeras, Céline entre haines et passions, enfin rééditée grâce à Pierre- Guillaume de Roux. (...)
FRANCOIS BOUSQUET
Céline entre haines et passion, biographie de Philippe Alméras
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Interview avec François Gibault
Le Point : Avez-vous été surpris par l'étendue de la polémique autour de la « célébration nationale » de Céline? François Gibault:
Ça ne m'a pas du tout surpris. J'ai d'ailleurs dit au ministre de la Culture qu'il avait bien fait de retirer le nom de Céline, car il n'a nul besoin d'être célébré par l'Etat. Les lecteurs sont suffisants. En tout cas, je constate avec une immense satisfaction que cette histoire a servi Céline au point qu'on ne parle que de lui. Il s'est passé la même chose avec le goncourt : alors qu'on devait lui accorder le prix, la majorité a brusquement changé et c'est Guy Mazeline, auteur aujourd'hui oublié, qui l'a obtenu.
Vous comprenez que cette célébration ait pu choquer.
L'occupation allemande et la collaboration sont des plaies qui restent ouvertes. Et puis Céline est quelqu'un de très étrange, tout et son contraire : avare et généreux, anarchiste et homme d'ordre, sentimental et froid, comme on le voit dans les pamphlets. A travers l'écriture, il a toujours cherché à noircir, à aggraver les choses vers le pire.
Pourquoi continuez-vous à interdire la réédition des pamphlets antisémites de Céline?
Parce que ce sont des écrits politiques et de circonstance publiés dans un contexte international très particulier. L'idée de Céline - d'ailleurs le bandeau de « Bagatelles pour un massacre », qui a été vendu à près de loo ooo exemplaires, précisait « Pour bien rire dans les tranchées » - était d'éviter la guerre entre la France et l'Allemagne. Il pensait que les juifs poussaient à un conflit contre Hitler. Evidemment, Céline étant Céline, ses pamphlets sont complètement outranciers. Les publier aujourd'hui serait une forme de provocation.
Il y a quand même des témoignages accablants, comme celui d'Ernst Jùnger, qui décrit un Céline surpris en 1941 que les Allemands n'exterminent pas les juifs...
Jünger détestait Céline. Et Céline, quand il était à table, disait n'importe quoi, c'était un provocateur. Mme Céline m'a un jour raconté qu'à la fin de sa vie il répondit à un journaliste qui lui demandait ce qu'il pensait des Français : « Je n'attends qu'une seule chose, que leur sang coule dans un caniveau. » Le journaliste était horrifié. En le raccompagnant, Mme Céline lui a dit: «Vous ne vous êtes pas aperçu qu'il se foutait de vous. »
La biographie de Philippe Alméras a montré qu'il était obsédé par la régénération de la race.
Je n'ai jamais nié cela. J'ai découvert des lettres secrètes qui étaient abominables, et je les ai publiées. Je n'ai jamais rien caché, car je ne suis pas l'avocat de Céline mais son biographe, et la biographie que j'ai publiée est parfaitement « objective »
* L'avocat François Gibault est le conseiller de Lucette Destouches, la veuve de Céline, et le gardien du temple de l'oeuvre
PROPOS RECUEILLIS PAR THOMAS MAHLER
(Le Point du 12 mai 2011)
Céline entre haines et passion, biographie de Philippe Alméras (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Céline total et non retouché
Dépassionner le débat n’est en revanche pas le fort du controversé Philippe Alméras, auteur d’une volumineuse biographie de Céline que réédite, dix-sept ans après sa publication chez Robert Laffont, l’éditeur Pierre-Guillaume de Roux (fils de Dominique, éditeur et célinien célèbre). Pour ce dernier, cette biographie «n’est pas une hagiographie. C’est la première qui étudie, analyse, dissèque l’antisémitisme de Céline. Elle reste la plus originale, la plus juste et honnête. Et c’est une biographie d’écrivain. C’est quelqu’un qui a le sens de la formule, une alacrité».
Précisons que le premier témoignage sur Céline, et le premier à pointer son antisémitisme, fut l'oeuvre de Stuart Kaminsky, dont le Céline en chemise brune est toujours disponible. Quand il paraît en 1938, il a néanmoins beaucoup moins de succès que les pamphlets céliniens… La somme d’Alméras (495 pages) n’a rien à voir avec le court essai de Kaminsky. Les céliniens ne sont pas tous d’accord sur cet universitaire atypique qui a dû passer sa thèse aux Etats-Unis: selon certains d’entre eux, «il ne vérifie jamais rien et est très content de lui».
Dans la postface à sa nouvelle édition, il se justifie, n’hésitant pas à conclure, presqu’hautain: «Attention, c’est le Céline total et non retouché que propose ma biographie». Gouailleur et sans doute provocateur, il considère pourtant que la multiplication de –bons– livres sur Céline ne nuit pas à la compréhension de l’homme et de l’œuvre:
«Elle éclaire aussi. Si j’étais du même avis qu’Henri Godard, on n’aurait pu parler de rien. Attendons sa biographie. A mon avis, il est en train de se réconcilier avec moi!»
Le cinquantenaire de la mort de Céline verra t-il les céliniens se rabibocher? Rien n’est moins sûr. Mais que, malgré cette frénésie, les lecteurs n’oublient pas l’essentiel: lire Céline. Il n’y a rien de mieux pour se faire une opinion et découvrir un auteur qui, admiré ou détesté, reste l’un des plus grands du XXème siècle.
OLIVIER BAILLY
(http://www.slate.fr/story/38425/celine-cinquantenaire-commemoration)
Céline entre haines et passion
Biographie de Philippe Alméras (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Céline super star
Mitterrand, le ministre de la Culture, ne s'était pas trompé en inscrivant dans les célébrations de l'année 2011 le nom de Céline (Louis Destouches pour l'état civil), mort il y a cinquante ans, le 1er juillet 1961.
M* Klarsfeld en a jugé autrement. Ayant un peu élevé la voix, selon son bon plaisir, le nom de Céline a été aussitôt rayé des célébrations. Quelle chance de savoir que des princes nous gouvernent ! Personne n'ignore que Céline fut le plus grand écrivain français du XXe siècle, rénovateur du langage et du style. À titre privé, le personnage, comme beaucoup d'écrivains, n'était pas un modèle de tenue. Accessoirement, il était antijuif, au moins depuis Bagatelles pour un massacre (1937). Ancien combattant de 1914, spectateur impuissant du gigantesque holocauste européen qui se poursuivit jusqu'en 1918, il prévoyait vers 1937, avec horreur, qu'on allait «remettre ça». Il attribuait aux «Juifs» l'ardeur qui poussait à la guerre contre Hitler. Ce fut la cause des incantations qui l'ont rendu infréquentable, sans rien retirer à son génie. Et c'est bien ce qui étonne. Malgré le grand interdit attaché à ses sulfureuses invectives, il écrase ses censeurs de son talent et de son incroyable célébrité posthume. Impossible d'ailleurs de répertorier tout ce qui est publié cette année sur « Bardamu ». Signalons quand même quelques livres qu'on ne peut ignorer. D'abord, chez un nouvel éditeur, Pierre-Guillaume de Roux Éditions, la reprise corrigée de la fameuse biographie de Philippe Al meras, Céline.Entre haines et passion (512 p., 23,90€). Une biographie critique, écrite sur le ton d'alacrité ironique qui fait le charme grinçant d'Aimeras. Ensuite, dans la collection "Bouquins" (Robert Laffont 1172 p., 30€), D'un Céline l'autre. Ce volume, préfacé par Me François Gibault (avocat de Céline et de sa veuve) rassemble plus de 200 témoignages passionnants qui scandent l'itinéraire de l'écrivain. Ils ont été recueillis par David Alliot. S'y ajoute un utile appareil critique. David Alliot revient sur le sujet dans un petit livre publié au Cavalier bleu : Céline, idées reçues surun auteur sulfureux, une façon de récuser la légende noire (171 p., 19€). Il récidive même avec un autre petit livre publié chez Horay (120 p., 7,50€), sous le titre Louis-Ferdinand Céline en verve. Il s'agit d'un recueil de citations et d'aphorismes que l'on peut glisser dans la poche pour épater les copains et les demoiselles.
CHARLES VAUGEOIS
Céline entre haines et passion, biographie de Philippe Alméras (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Avalanche d'hommages à Céline
De nombreux livres seront publiés prochainement à l'occasion du 50e anniversaire de la mort de l'écrivain.
A l'approche du cinquantième anniversaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline, le 1er juillet prochain, de très nombreux livres sont en préparation: l'amoureux du ballon rond Eugène Saccomano sortira un Céline, coupé en deux, tandis que le comédien Christophe Malavoy publiera, sous le titre Même pas mort !, une évocation de l'écrivain, et que le romancier Alexis Salatko le mettra en scène dans Céline's Band; l'universitaire Henri Godard promet une biographie pour mai chez Gallimard, David Alliot, outre un Céline en verve (Horay), réunit des centaines de témoignages pour un monumental D'un Céline l'autre en collection Bouquins et les éditions Pierre-Guillaume de Roux rééditeront le Céline entre haines et passion, de Philippe Alméras. Enfin, Marouschka Dodelé évoquera, dans Une enfance chez Louis-Ferdinand Céline (Michel de Maule), ses souvenirs de jeune danseuse auprès de Lucette Destouches, l'épouse de l'écrivain.
Céline. Entre haines et passion
Ecrivain, critique littéraire, longtemps professeur de littérature aux Etats-Unis, Philippe Aimeras est l'auteur d'une thèse sur les idées de Céline qui fit couler beaucoup d'encre (il lui aura fallu plus de vingt ans pour pouvoir la soutenir). L'auteur,désireux de peindre un «Céline total et non retouché» s'attachait à ne rien dissimuler d'un écrivain qui finissait par disparaître derrière trop de légendes. Il entreprit alors de rédiger une biographie qui s'approcherait le plus possible du motif. Aidé par Dominique de Roux, qui mit a sa disposition les archives des deux Cahiers de l'Herne consacrés à Céline, il rencontra aussi de nombreux témoins, amis, ennemis adversaires. Publié pour la première fois aux Editions Robert Lafont en 1994, cet ouvrage décisif sera réédité au mois de mai, dans une version corrigée et augmentée, aux Editions Pierre-Guillaume de Roux. On y retrouve l'art du récit qui caractérise Almeras, mais aussi cette musique qui lui est propre, vive, elliptique, poétique, derrière laquelle sourd souvent une ironie cruelle, le clin d'œil de celui à qui on ne la fait pas. «Créateur inlassable d'histoires à base de réel travaillé, Louis Destouches engendre et engendrera la légende»,écrit-il de l'affabulateur dont il trace un portrait libéré de l'emprise stérilisante de l'Immense ou de l'Ignoble écrivain. VTV
Céline entre haines et passion, biographie de Philippe Alméras (Pierre-Guillaume de Roux 2011)
Céline's Big Band d'Emeric Cian-Grangé
Découvrez l'interview d'Emeric Cian-Grangé à propos de Céline's Big Band sur salon-litteraire.com.
Phillippe Simonnot invité de Philippe Vallet
Ecoutez l'interview de Philippe Simonnot par Phillipe Vallet sur France info à propos de son livre Chômeurs ou esclaves- le dilemme français (Pierre-Guillaume de Roux, 2013).
Conférence de Philippe Simonnot à l'Assemblée Nationale
Philippe Simonnot présentera son dernier ouvrage : Chômeurs ou esclaves - le dilemme français, (Pierre Guillaume de Roux, 2013). le jeudi 21 Février de 19h30 à 21h30 à l'Assemblée Nationale (entrée par le 126 rue de l'université).
Nous vous rappelons qu'il est nécessaire, pour des raisons de sécurité propres à l'Assemblée Nationale, de vous inscrire en répondant à Marie-France SUIVRE
mfsuivre@hotmail.fr , et d'être en possession de votre pièce d'identité.
Le hollandisme fait craindre une catastrophe
Le hollandisme, qui a érigé en doctrine l’improvisation et le mi-chèvre mi-choux, se révèle être une impasse. Cette politique fait même craindre une prochaine catastrophe. La stupéfiante bienveillance de la majorité des médias français à l’égard de la gauche (à comparer à leur antisarkozysme d’hier) a avalisé sans broncher le renoncement du gouvernement à atteindre son objectif solennel de 3% de déficit en 2013. Ce lundi, sur RTL le ministre de l’économie, Pierre Moscovici, a assuré : "La France est sur la bonne voie", sans s’excuser sur le reniement de sa promesse qu’il présentait il y a huit mois comme "non négociable". Il a beau en appeler au "sérieux", rien ne l’est quand un pouvoir s’engage sur des buts qu’il sait intenables, en espérant un miracle qui ne viendra pas. La vérité est que la France endettée doit tailler dans ses dépenses publiques. N’en déplaise à Cécile Duflot, ministre du logement, qui conteste cette issue et d’autres avec elle à gauche. Il est vrai que cette inévitable solution, qui ne peut se contenter de fiscaliser les allocations familiales ou les retraites, revient à suivre une politique libérale imposant une réduction du périmètre de l’Etat, des mises en concurrence, des privatisations. Même si le hollandisme n’est plus vraiment le socialisme, il n’est pas programmé pour autant pour choisir de claires options. Combien de temps tiendra-t-il ?
Ponctionner encore les contribuables serait jouer avec le feu qui couve au coeur d’une société civile de plus en plus considérée comme une force négligeable. La gauche est en train de réaliser que ses solutions interventionnistes sont devenues inopérantes pour sortir de cette crise de l’endettement des Etats, cautionnée depuis quarante par tous les gouvernements y compris à droite. Entendre, ce lundi sur Europe 1, Jean-François Copé se faire l’avocat d’un "big-bang économique" est une bonne chose. Il faut en effet en passer par là. La France doit se sortir de l’emprise économique et social d’un Etat qui ne sait plus gérer ni son propre budget, ni encore moins des entreprises. Mais l’UMP, qui semble découvrir l’urgence qu’il y a à changer de politique économique, était bien frileuse avec le libéralisme lorsqu’elle était la majorité. Quelle est aujourd’hui la doctrine économique de l’opposition ? Jusqu’où est-elle prête à aller dans l’amaigrissement de l’Etat, dans la refonte de la protection sociale, dans la privatisation de certaines allocations, etc ? L’anticapitalisme français, ce trait qui nous distingue des autres pays d’Europe, oblige à une "révolution culturelle et juridique", comme l’écrit Philippe Simonnot (1). L’UMP y est-elle vraiment prête ?
IVAN RIOUFOL
(1) Chômeurs ou esclaves, le dilemme français, Editions Pierre Guillaume de Roux
http://blog.lefigaro.fr/rioufol/2013/02/le-hollandisme-qui-a-erige.html
Exclusivité - Chômeurs ou esclaves par l’économiste Philippe Simonnot
J’ai eu la chance de lire en avant-première ce livre court (Chômage ou esclaves - Le dilemme français) qui sera publié mi-février aux éditions Pierre Guillaume de Roux. Au-delà du fait que le sujet traité – le chômage en France – est sans doute l’un des plus importants à régler en France, le titre provocateur de ce texte donne matière à réflexion à plus d’un titre.
On découvre, en effet, que le concept de « contrat de travail » en France ne s’est jamais libéré d’une relation ambiguë avec celle de l’esclavage, ce qui a sans doute en partie légitimée que le marché du travail en France soit hyper-réglementé.
Or, ces réglementations qui entourent le travail en France sont pratiquement devenues auto-réalisatrices. En créant un chômage de masse contre lequel aucun gouvernement n’a su s’opposer, elle a rendu les Français esclaves d’un travail qu’il ne faut perdre à aucun prix ou d’un chômage qu’il est difficile de quitter.
Salariat et esclavage : l’approche juridique
Philippe Simonnot, constatant comme nous la montée inexorable en France du chômage, nous invite à faire un petit retour en arrière dans l’Histoire afin de montrer que le mépris à l’égard du travail n’a rien de surprenant. Sans être capable moi-même de juger des questions juridiques traitées, le propos mérite le détour tant il est évident qu’en France les relations de travail sont empreintes de lutte des classes.
L’auteur nous explique que le contrat de travail n’a pas su, à ce jour, se libérer d’une fiction juridique dans laquelle il s’est enfermé lors de la rédaction du code civil en 1804. La crainte à l’époque était de faire renaître la notion d’esclavage en même temps qu’on donnait au salariat ses lettres de noblesse.
Cela a conduit les juristes à introduire des distinctions peu réalistes visant à permettre la vente de la force de travail sans pour autant faire de la personne un esclave à la merci de son employeur. Sans entrer dans les détails (à découvrir dans l’ouvrage), il semblerait que ce débat salariat/esclavage a entaché le contrat de travail d’une infamie durable, le rendant corvéable à merci et légitimant qu’on puisse le réglementer à tous les niveaux. Ce que n’a pas manqué de faire la puissance publique en France. Selon le Forum économique mondial, le marché du travail en France est ainsi classé 113e sur 142 pays.
Salariat et esclavage : l’approche politique
La répugnance des Français a l’égard du travail a conduit à l’empêcher de fonctionner comme un marché où s’y confronterait librement des offres et des demandes, de sorte qu’émergent des niveaux de salaire propre à satisfaire demandeurs d’emplois et offreurs. Le signe le plus évident des entraves sur ce marché est que le taux de chômage n’est plus passé sous la barre des 7% depuis 1982.
À cela, il y a beaucoup de raisons et de spécificités françaises que l’auteur décrit, nous donnant par là même des données et des chiffres intéressants. On regrettera seulement, une chose que la taille du texte rend incontournable, à savoir que les explications sont souvent trop courtes à notre goût.
La première est celle de l’existence d’un Smic en France alors que nombre de pays développés n’en ont pas comme l’Allemagne, la Finlande, le Danemark, l’Autriche ou encore la Suède. Il n’aura échappé à personne que ces pays ne manquent pas pour autant de protection sociale. Ce Smic a la particularité en France de s’appliquer sans distinction d’âge, de lieu d’activité ou de profession et pénalise ainsi les personnes jeunes et peu qualifiées. Il a donc été nécessaire de faire des aménagements en multipliant les contrats exonérés de charges visant ces catégories de personnes.
L’auteur décrit aussi des effets pervers des 35 heures (autre spécificité française), les contraintes au licenciement, la prédominance des Contrat à durée déterminée dans les créations récentes d’emploi et s’attaque au tabou en France de l’existence d’un chômage volontaire. Il explique qu’il est lié notamment à l’existence d’un arsenal d’indemnités et allocations associées au statut de chômeur ou de sans-emploi qui rend d’autant plus dur le retour à une activité rémunérée qu’il faut renoncer à ces avantages qui peuvent représenter plusieurs centaines d’euros. Le calcul peut amener des personnes parfaitement rationnelles à renoncer à prendre un emploi.
Conclusion : À quand l’approche économique ?
Philippe Simonnot, qui consacre aussi une section du livre aux causes de la faiblesse syndicale, conclut qu’il faudrait sans doute une révolution culturelle pour faire évoluer le système.
En effet, la grande absente du marché du travail est l’approche économique alors que l’échange de travail a pour but premier de satisfaire les envies et besoins des consommateurs et que pour ce faire les échanges volontaires sont sans doute ce qu’il y a de mieux. Car ils permettent d’orienter les ressources, les talents, le travail là où il est le plus nécessaire.
Faute de prendre cette dimension en question, il sera impossible de retrouver une croissance dont l’auteur nous rappelle bien qu’elle est aussi destructrice que créatrice d’emplois. Il faut se laisser guider par elle (à savoir par les choix des consommateurs) pour mettre fin au chômage et au manque de liberté que son existence suscite.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.
Chômeurs ou esclaves - Le dilemme français, essai de Philippe Simonnot (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Interview de Philippe Simonnot
Ecoutez l'interview de Philippe Simonnot par Pierre-Yves Rougeyron au Cercle Aristote réalisée le 13/02/2013.
Chômeurs ou esclaves - Le dilemme français, essai de Philippe Simonnot (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
"L'angle mort d'Emmanuel Macron", éditorial d'Yves de Kerdrel
Découvrez "L'angle mort d'Emmanuel Macron", éditorial d'Yves de Kerdrel (Valeurs actuelles)
Cinématique des muses de Ludovic Maubreuil
Découvrez "Ces égéries féminines des salles obscures qui ont peuplé nos vies", article de Thomas Morales paru sur Causeur.fr
Cinq femmes de Gilles Cosson
Découvrez le grand entretien avec Gilles Cosson paru sur le site d'Eurolibertés.
La constellation Cioran
On peut tout imaginer : l’homme aujourd’hui n’est plus guère en mesure de faire savoir ce qu’il pense de ce centième anniversaire ni des diverses initiatives prises à cette occasion ; y a-t-il donc lieu de s’interroger sur ses éventuelles réactions puisque de toute façon la question restera sans réponse…
Quant au public, il ne peut que se réjouir desdites initiatives, assez peu nombreuses hélas, car ces cent bougies semblent avoir été soufflées sans tambour ni trompette. Parmi elles, et voilà qui rachète beaucoup de choses, la publication de deux ouvrages de première importance : un volume d’OEuvres dans la Bibliothèque de la Pléiade qui groupe la totalité des textes que Cioran a écrits en français et, aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, Cioran et ses contemporains, un recueil d’essais et d’entretiens conçu sous la direction de Pierre-Emmanuel Dauzat – traducteur et essayiste qui a voué son travail personnel à l’étude de la pensée chrétienne – et de l’écrivain belge Yun Sun Limet. D’une élégante sobriété, cet ouvrage se signale à la vue par le bel effet chromatique du bandeau jaune bordé de noir et de blanc se détachant avec éclat sur la couverture blanche barrée d’une large trace peinte gris pâle.
« CIORAN 100 ANS » clament de grandes capitales noires… La formule, carrée dans son graphisme, sonne brillamment – on se dit qu’elle cligne de l’oeil à la sensibilité picturale de Cioran autant qu’à son art de manier sons et sens à la manière d’un poète.
Mais quoi que laisse penser le bandeau arborant cette fière inscription, ce recueil n’a rien d’opportuniste – il résulte juste d’une heureuse synchronie. En réalité l’histoire du livre trouve son origine loin en amont du centenaire ; elle a été longue, passablement compliquée – Yun Sun Limet parvient toutefois à la résumer simplement, sans en taire les accidents : « Entre le moment où le projet a commencé d’être conçu et sa publication, il s’est écoulé à peu près sept ans. Je travaillais chez Fayard quand j’ai rencontré Pierre-Emmanuel Dauzat ; il avait déjà initié un recueil collectif consacré à Cioran pour les éditions de L’Herne. Me sachant spécialiste de Maurice Blanchot, il m’a demandé d’écrire une contribution qui traiterait des rapports entre les deux écrivains. À peine lui avais-je remis mon texte qu’il renonçait à la publication : de profonds désaccords s’étaient creusés entre Pierre-Emmanuel et la directrice de la maison qui ne parvenaient pas à se résoudre. Elle voulait en effet insérer les textes que Cioran avait écrits tandis qu’il était membre de la Garde de fer tandis que Pierre-Emmanuel s’y refusait, estimant que ces textes exigeaient un minimum de précautions éditoriales impossibles à prendre dans un recueil collectif. Pour lui, l’appartenance de Cioran à l’extrême droite est une question grave, qui ne doit pas être éludée mais qui ne peut être abordée de manière simpliste ou à des fins de “coups éditoriaux”. Qui plus est, la publication des textes litigieux ne pouvait se faire qu’en violation expresse des décisions de l’exécuteur testamentaire, Yannick Guillou : il n’était donc pas question de cautionner ce qui était un manquement à la parole donnée.
Le Cahier de L’Herne qui aurait dû paraître n’a donc jamais vu le jour. Là-dessus le temps a passé…
Voyant que rien ne bougeait, et que cet immobilisme attristait beaucoup Pierre-Emmanuel, je lui ai proposé de l’aider à trouver un autre éditeur. Mon implication dans ce projet, au départ très circonstancielle, est ainsi devenue plus étroite. « Après ce conflit avec les éditions de L’Herne, ce sont les éditions Gallimard qui se sont offertes pour publier le livre. Mais là encore les atermoiements se sont multipliés, pour des raisons complexes dont le détail importe assez peu et, de reports en reports, Gallimard a finalement jeté l’éponge. Pour corser le tout, il faut ajouter à ces aléas éditoriaux les énormes problèmes juridiques qu’a posés la succession de Cioran, qui n’a pas eu de descendants et dont l’épouse, son unique ayant droit, est morte en 1997. Malgré tout, Pierre-Emmanuel a persévéré – pourtant, d’autres obstacles ont surgi : en 2009, les éditions de L’Herne ont publié un Cahier Cioran où figuraient plusieurs textes originellement destinés au recueil de Pierre-Emmanuel. Ils n’étaient donc plus disponibles ; il a fallu repenser l’ouvrage dans son ensemble, solliciter de nouvelles contributions… In fine, c’est Pierre-Guillaume de Roux qui a accepté de publier le livre – il est le fils du fondateur de L’Herne ; peut-être est-ce un signe ? La décision a été prise très vite, dès que nous avons été libérés des engagements contractuels qui nous liaient à Gallimard ; c’était au mois de mai 2011 et, ensuite, les choses se sont accélérées. Voilà comment ce recueil en est venu à paraître tout à fait par hasard début novembre, quasi en même temps que le volume d’OEuvres dans la Bibliothèque de la Pléiade… »
L’objet issu de ce parcours à rebondissements est un livre imposant de presque quatre cents pages réunissant des contributions dues à une vingtaine d’auteurs, un petit assortiment de textes de Cioran – des lettres, quelques dédicaces – et une bibliographie bien nourrie.
Les articles sont variés de forme, et nombreux les thèmes qu’ils abordent. À cet égard, le titre est trop modeste : si une bonne part du contenu est en effet consacrée aux liens, humains et/ou littéraires qui se sont noués entre Cioran et plusieurs de ses contemporains – Camus, Gary, Malraux, Blanchot, Beckett, Ionesco,Michaux, et surtout Benjamin Fondane – l’on va bien au-delà de la stricte contemporanéité avec Manuel de Diéguez qui examine « L’héritage de Pascal dans l’oeuvre de Cioran », avec Constantin Zaharia qui relie « le rire de Démocrite » à la « mélancolie de Cioran », avec tous les contributeurs qui se sont penchés sur « les racines roumaines » de l’écrivain… Plusieurs perspectives se croisent à l’intersection desquelles Cioran et ses écrits gagnent en éclat. Il n’y a là rien d’inhabituel : imagine-t-on, aujourd’hui, que l’on puisse appréhender une oeuvre autrement qu’à l’intérieur d’un large contexte ? Il semble cependant, à écouter Yun Sun Limet, que Cioran n’ait pas beaucoup bénéficié de cette tendance intellectuelle : « Certes, son oeuvre est connue, et des mémoires, des études ont été publiés, mais sa postérité n’a pas été si importante que cela dans le milieu universitaire. Peut-être les polémiques qui ont entouré la révélation de son appartenance à la Garde de fer et la découverte des textes qu’il a écrits pendant cette période-là ont-elles entraîné une certaine méfiance de la part des chercheurs ? À moins que son oeuvre ait été jugée trop singulière, trop hiératique… Toujours est-il qu’on s’est,jusqu’à présent, assez peu intéressé aux passerelles qui existent entre Cioran et les autres écrivains de son époque, aussi avons-nous eu à coeur de montrer que sa pensée n’est pas isolée, tel un petit diamant posé sur son socle ; c’est pour cela que le livre s’intitule Cioran et ses contemporains. »
On l’a vu, le recueil offre plus, beaucoup plus. Pourtant les maîtres d’oeuvre le qualifient de « mince volume » en regard de l’oeuvre très riche de Cioran.
C’est la raison pour laquelle Yun Sun Limet le présente comme « une sorte d’introduction » à l’auteur : « Il y a d’une part son écriture, qui témoigne d’un vrai souci de la langue, et puis sa pensée, vraiment singulière, qu’on ne peut pas enfermer dans un système philosophique. Cette pensée qui se développe ne peut pas être séparée de l’écriture, l’une et l’autre sont indissolublement liées… Travailler sur cette oeuvre un peu sérieusement en révèle la richesse et la complexité, et montre que bien des pistes restent à exploiter. » Certaines de ces « pistes » sont à peine suggérées – on ne devine la passion de Cioran pour la peinture qu’à travers un texte qu’il a écrit sur Nicolas de Staël, inséré à la fin du volume – d’autres passées sous silence – par exemple aucun article n’évoque l’importance que l’écrivain roumain accordait à la musique – et cela justifie, pour Yun Sun Limet, que le recueil soit, malgré sa richesse et sa densité, considéré comme une introduction. Le terme pour autant ne signifie pas que l’ouvrage est
un jeu de clés destiné aux néophytes – veut-on aborder l’oeuvre de Cioran que l’on commencera par s’immerger naturellement dans ses
textes. Une fois franchi ce cap, on n’en appréciera que davantage tout ce qu’apporte ce volume – une lumière aux incidences multiples, dont on apprivoisera les reflets en circulant librement dans le livre, consultant un article par-ci, un entretien par-là… La variété de ton et de nature des textes s’y prête merveilleusement. Certes organisés en parties, ils ne sont pas corsetés par cette architecture et se laissent approcher « à sauts et à gambades » comme de petites unités autonomes, chacune dotée d’un minutieux appareil de notes. En regard de cela, on s’étonne qu’aucun des contributeurs ne soit présenté, fût-ce sommairement. L’omission est tout à fait délibérée, précise Yun Sun Limet : « C’est Pierre-Emmanuel qui l’a voulu ainsi. Il a estimé qu’il valait mieux ne pas présenter les auteurs des articles de façon à ce que ces derniers soient lus pour leur contenu et non en fonction de qui les avait écrits. De plus,
comme nous avons dû travailler très vite dès que la décision de publier a pu être prise, il aurait été extrêmement difficile d’obtenir des contributeurs qu’ils nous envoient leur biographie dans les délais impartis. » Le choix est conforme à l’esprit général de l’ouvrage : à l’écart des polémiques, suggérer plutôt qu’affirmer ou nier, puis laisser ensuite le lecteur disposer..
Déployant autour de l’oeuvre et de la personnalité de Cioran de nombreuses perspectives non pour en explorer des aspects précis mais pour, à son tour, ouvrir devant les lecteurs de larges espaces perspectifs où chacun d’eux s’aventurera comme il l’entend, ce livre est un port que l’on quitte pour commencer un long périple, non une terre où l’on accoste pour y dénicher des assertions péremptoires et des opinions définitives. Yun Sun Limet et Pierre-Emmanuel Dauzat l’entendent bien ainsi qui concluent leur introduction en désignant leur ouvrage comme « une invitation au voyage ». Il ne nous reste plus qu’à prendre le départ…
Yun Sun Limet : Concours de circonstances
Yun Sun Limet a dit de son implication dans l’élaboration de Cioran et ses contemporains qu’elle était « circonstancielle ». L’adjectif pourrait
tout aussi bien qualifier son installation en France : « J’ai quitté la Belgique pour la France il y a environ quinze ans parce que j’ai épousé
un Français ; lui avait un emploi stable quand moi je n’avais pas encore de profession tout à fait fixée ; je l’ai donc tout naturellement suivi dans
son pays, et à Paris puisqu’il est parisien. Si j’avais épousé un Guatémaltèque, je serais allée vivre au Guatemala », a-t-elle conclu en souriant.
Mais le cours de la vie a été tel qu’elle n’a pas eu à s’éloigner beaucoup du pays où elle a grandi et auquel elle demeure profondément attachée, ni à faire sienne une langue étrangère : « S’installer dans un pays où on parle français quand on est soi-même francophone, ça facilite les choses ! » Cependant, pour elle qui a passé son enfance et son adolescence dans un petit village, a peu fréquenté les grandes villes et n’a connu Bruxelles que pendant deux ans, s’adapter à Paris n’a pas été facile : « Je ne crois pas avoir beaucoup d’affinités avec Paris, le “champ littéraire parisien”… Je me suis sentie davantage dans mon élément en Normandie, pendant les quatre années que j’ai passées là-bas, et je ne suis revenue à Paris que forcée. Je ne peux pas dire que je me sente parisienne… » Tout en reconnaissant que Paris est une belle ville, stimulante d’un point de vue culturel et indéniablement favorable à qui veut faire carrière, elle estime l’ambiance de la capitale plutôt néfaste à son écriture – enfin… ce n’est pas aussi simple : écrire n’est pas affaire de lieu mais, avant tout, de disponibilité. C’est le temps, la liberté d’esprit dont elle dispose, qui décide si elle peut s’adonner ou non à l’écriture. À l’heure où nous nous entretenions, il y avait dans l’air la parution d’un roman prévue pour le printemps 2012. Et d’autres petites choses aussi, dont elle ne dira rien, craignant peut-être que des paroles trop tôt hasardées vinssent anéantir des projets encore fragiles tant qu’ils ne sont pas entièrement concrétisés…
ISABELLE ROCHE
Le Carnet et les instants - n°170 (février - mars 2012)
Cioran et ses contemporains, dir. Yun Sun Limet et Pierre-Emmanuel Dauzat (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Le coup de coeur par Christophe Bourseiller
Sans doute n’a-t-on jusqu’ici pas encore pris la mesure de l’importance de Cioran, cantonné qu’il peut être aux yeux du grand public à l’auteur de phrases de dissertations sur la vanité de l’existence. Le centenaire de sa naissance peut être l’occasion de redire ce que son œuvre a apporté à la pensée et le contexte intellectuel et historique dans lequel elle est apparue. Ce volume rassemble les contributions de chercheurs et de témoins importants. La première partie replace Cioran à la croisée d’autres écrivains ou penseurs : Beckett, Caillois, Ionesco, Romain Gary, Blanchot, Pascal. Le témoignage inédit de Jeannine Worms en particulier, vivant et spirituel, nous rend un Cioran très présent, et ses liens avec Caillois et Beckett dévoilés dans leur profondeur. En écho et dans la dernière partie sont publiées des correspondances inédites : en particulier celles avec Paulhan, celle avec un ami de longue date et qui sera un des derniers à qui il écrira, Gérard Benda : une lettre sur l’arrêt de l’écriture, de nombreuses dédicaces à Michaux, Beckett, ou Ionesco, présentées par Yves Peyré. Entre ces deux parties, des chercheurs et essayistes reviennent sur sa pensée et son écriture : la question de la langue, du passage du roumain au français, du « dialogue des métèques » pour reprendre l’expression d’Edouard Roditi, la question du style et le « moment Cioran » dans l’histoire des relations entre pensée et écriture, le rôle des carnets dans son œuvre, la double face mélancolie et rigueur classique, la dimension européenne de son influence également, les racines roumaines de sa Weltanschauung. Autant d’éclairages qui montrent à la fois l’importance de l’œuvre et son actualité, son « intempestivité ». Un dossier spécifique, élaboré par Monique Jutrin, montre ses liens avec Benjamin Fondane, poète et philosophe d’origine roumaine, mort à Auschwitz en 1944. De nombreux inédits, les contributions de Jacques Le Rider, Manuel de Dieguez, Edouard Roditi, Mario Andrea Rigoni, Norbert Dodille, Cecile Ladjali, Gabriel Matzneff, Constantin Zaharia, Simona Modreanu, Dorica Lucaci, Andrei Plesu, Liliana Nicorescu, Imre Toth, un entretien inédit avec Simone Boué : ce volume fera date.
CHRISTOPHE BOURSEILLER
Cioran et ses contemporains, dir. Yun Sun Limet et Pierre-Emmanuel
Dauzat (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Pierre-Emmanuel Dauzat sur France Culture
François Noudelmann reçoit Pierre-Emmanuel Dauzat à propos de Cioran et ses contemporains : essais, un livre écrit sous sa direction et sous celle de Yun Sun Limet dans le Journal de la Philosophie du 4 janvier.
Cioran et ses contemporains, collectif sous la direction de Pierre-Emmanuel Dauzat et Yun Sun Limet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
L'honneur dû à Cioran
Pour retrouver un Cioran démuséifié, contextualisé, il faut se plonger dans le passionnant Cioran et ses contemporains. On y voit que ce grand solitaire était aussi en plein dans la vie intellectuelle germanopratine, dialoguant indirectement avec Camus ou Blanchot et éblouissant Gary. Ce recueil permet aussi de saisir l’importance dans son œuvre d’une culture roumaine imprégnée d’antiques traditions thraces - où l’on pleurait la naissance et fêtait la mort. «Il m’a fallu toute une vie à m’habituer à l’idée d’être roumain mais les années me ramènent à mes origines et ces ancêtres dont j’ai tant médit, que je les comprends et que je les excuse», écrit-il dans ses Cahiers, immense journal qui n’en est pas vraiment un, et jaillissement de l’œuvre à l’état brut, qui mériterait un second volume dans la Pléiade.
MARC SEMO
Cioran et ses contemporains, dir. Yun Sun Limet et P-E Dauzat
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Le feuilleton d'Eric Chevillard
De l'avantage d'être né il y a cent ans - ou serait-ce encore l'un des inconvénients de n'avoir su rester inaccompli ? -, les commémorations éditoriales se multiplient. Signalons en particulier le copieux recueil collectif, Cioran et ses contemporains(sous la direction de Yun Sun Limet et Pierre-Emmanuel Dauzat, Ed. Pierre-Guillaume de Roux, 340 p., 26,50 €), qui rassemble des lettres inédites de Cioran, des entretiens rares, des témoignages, des lectures croisées (avec Gary, Camus ou Blanchot) et quelques contributions de haut vol. Yves Peyré évoque magnifiquement son "intense proximité" avec Beckett et Michaux. Constantin Zaharia pose la question "du bon usage de la négation". "Imaginer Cioran heureux est impossible", écrit-il après avoir décrit un homme rongé par une mélancolie voisine de la bile noire des Anciens puis pointé la "dimension apocalyptique" de son écriture, notant toutefois que le ton de celle-ci "n'en est pas moins celui de la jubilation ; c'est le ton d'un enthousiasme que seule l'idée de destruction est capable d'éveiller".
Tous les témoins s'accordent pourtant sur ce point : Cioran était un plaisant compagnon, drôle, volubile, qui confessait avec une honte un peu feinte un "amour morbide de la vie" et ne se tenait pas lui-même pour un nihiliste : "Est-ce qu'une gifle est une négation ? Donner une gifle, c'est une affirmation", dira-t-il lors d'un entretien télévisé. "Mais ce que je fais, c'est des négations qui sont des gifles, n'est-ce pas ? Donc des affirmations !"
ERIC CHEVILLARD
Pour en savoir plus : http://www.lemonde.fr/livres/article/2011/11/17/cioran-pleine-peau_1604908_3260.html
Cioran et ses contemporains, essais (dir. de Yun Sun Limet et Pierre-Emmanuel Dauzat)
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Cioran le complice du néant
Loin de la caricature, le remarquable « Cioran et ses contemporains »
(sous la direction de Yun Sun Limet et de Pierre Emmanuel Dauzat, éditions Pierre Guillaume de Roux, 3 40 p.,26,50 e) redonne toute sa complexité à l'écrivain, compilant des lettres et témoignages souvent inédits (Paulhan, Matzneff.), ainsi que des analyses mettant en perspective son oeuvre par rapport à Beckett, Ionesco ou Blanchot.
THOMAS MAHLER
Un manifeste littéraire
Lire Ezra Round (1885-1972), auquel Gérard Joulié fait référence dans son article sur Hemingway, c'est entrer dans un autre univers et prendre le risque de se faire secouer. À l'origine de la versification libre, maître de la révolution moderniste dans la littérature de langue anglaise, Pound publie à la fin des années vingt une espèce de manifeste littéraire intitulé Comment lire. Un manifeste de plus, se demande-t-on d'emblée ? Oui, sauf qu'il est de Pound, que l'homme n'est pas seulement un poète de génie, mais un personnage qui échappe à toute définition et, parfois à lui-même.
Certes, on hésite un temps à savoir s'il s'agit bien dans cette charge contre l'enseignement de la littérature et plus globalement, du rapport du lecteur avec la littérature, d'une ébauche ou d'un manifeste accompli. Mais, au fond, qu'importe ! Pound râle contre l'enseignement académique, contre les passages obligés, les commentaires de commentaires sur les grands auteurs (ou dit tels) et sur le manque de clarté des critiques littéraires sur leurs critères de jugement. Beaucoup de choses justes, d'intuitions qui ne sont pas toujours suffisamment étayées et un grand coup de pied dans l'enfermement de la littérature dans la secte de l'enseignement froid et distant, qui décortique une œuvre comme on se charge d'un cadavre réduit en pièce de laboratoire.
Philippe Mikriammos, déjà traducteur d'une partie des Cantos de Pound ainsi que de la biographie de celui-ci par John Lytell, offre ici une nouvelle traduction de Comment lire, assortie d'un ensemble de notes vraiment passionnantes et de compléments qui ne le sont pas moins.
BENOIT MAUBRUN
Comment lire, d’Ezra Pound (traduction, notes et postface de Philippe Mikriammos, Pierre-Guillaume de Roux 2013)
La force de Pound
À l'occasion du 40e anniversaire de la mort d'Ezra Pound, voici une réédition de son manifeste sur la prose et la poésie, dans une traduction nouvelle.
« Pesant et inefficace » : tel était le jugement tranchant porté par Pound sur l'enseignement des lettres à l'école et à l'université en son temps. Donner à l'apprenti lecteur des « axes de référence » afin « qu'il ne perde pas complètement la boule et n'accorde pas une importance ridicule à des œuvres d'intensité secondaire», ou, pour s'en tenir au titre d'une simplicité herculéenne, Comment lire, voici le propos miséricordieux du poète dans ce petit manuel de survie parmi les livres.
Simplicité herculéenne, mais orphique tout aussi bien : comment lire ? est l'écho inversé d'une question de poète : pourquoi écrire ? et Pound dresse une liste d'auteurs « qui ont effectivement inventé quelque chose» : «La f onction de la littérature en tant que force dont la production est digne d'éloges est précisément d'inciter l'humanité à continuer de vivre. » La traduction de Philippe Mikriammos, savante, complète, allègre, pugnace, est poundienne en un mot.
PHILIPPE BARHELET
Comment lire, d’Ezra Pound, trad., notes et postface de Philippe Mikriammos (Pierre Guillaume de Roux,2013)
Venise sans modération
On savait que le courant était très bien passé entre Ezra Pound et Théophile Gautier, que le premier avait lu le second avec avidité, constance et confiance, le poète d’Emaux et camées reprenant du service, longtemps après sa mort, depuis Londres, à l’heure des premières avant-gardes du XXe siècle… Mais le bilan que Christopher Bains dresse de cette filiation n’en est pas moins surprenant par la richesse des « échanges » qu’il met au jour. Son livre, loin des thèses interminables, refuse la sécheresse du comparatisme et traite autant de poétique, de peinture que de stratégie littéraire. Tout s’est donc passé comme si le Vorticisme des Anglais, mouvement que Pound cornaque au seuil de la Première Guerre mondiale, avait rejoué ce que Sainte-Beuve appelait la « révolution de 1852 », quand une nouvelle génération d’écrivains français décidait de tordre le cou aux derniers soubresauts du lyrisme romantique. L’école des voyants et des pleurnichards se faisait déborder par l’écriture voyante, celle qui préférait l’image à l’effusion, la ciselure à la bavure, la métonymie à la métaphore, la condensation à l’analyse et, en somme, le réel à l’idéal sous l’esthétisme outré.
Les choses sont claires dès 1913, alors que Pound définit le nouvel « imagisme » en sa visée essentielle, le « direct treatment of the thing whether subjective or objective ». Cinq ans plus tard, au lendemain des charniers de la guerre, des millions de soldats anglais et français sacrifiés à la barbarie allemande, le même pouvait écrire : « Gautier est, selon moi, la colonne vertébrale de la poésie française du XIXe siècle. » Songeons qu’à la même époque l’université et l’intelligentsia françaises, Gide compris, se gargarisent de leur mépris pour un écrivain qui serait aussi superficiel qu’artificiel, froidement érotique, inutilement immoral, définitivement périmé. Reste que le centenaire de la naissance de Gautier avait ranimé la braise sous la cendre des idées mortes. En 1912, quelques mois après cet anniversaire, Pound se met à le lire. L’expat américain, 27 ans, vit à Londres et publie chaque semaine sa colonne dans The New Age, un hebdomadaire socialiste. Pound raffole des vers « hard » de Théo, partage sa haine du flou. La solidité païenne de Gautier, sa densité de sens et de forme, il la dresse en rempart contre le débraillé et les lourdeurs symboliques du lyrisme va-t-en-guerre des futuristes. Le Londres des années 1912-1914, comme Matthew Gale l’a bien montré, était plein des vociférations de Marinetti ! Le prétendu formalisme de Pound tendait vers une autre musique en renouant la cordée.
Ouverts tous deux sur le monde, Gautier et Pound n’en négligent aucune beauté, jusqu’aux dons inespérés de l’horreur moderne. Face à la guerre, celle de 1870 ou celle de 1914, cet esthétisme ne saurait se dégonfler. Comme Christopher Bains le note, Pound, bon lecteur des Tableaux de siège de Gautier, se sépare ici encore des futuristes : « voir la beauté de la guerre ne signifie par la célébrer comme seule hygiène du monde ou simple expression superlative de l’anarchie. » Ce distinguo crucial nous oblige à ne pas confondre la façon dont un artiste vorticistes comme Gaudier-Brzeska traite le conflit avec le bellicisme aveuglé des Italiens. Dans Blast, la revue éphémère des Anglais, la ligne de front est marquée avec fermeté. Quant au vortex qui baptise le clan, loin du tourbillon régressif, il renvoie à la nature même de l’œuvre d’art, beauté en mouvement, et se livrant sans mode d’emploi ni allégeance idéologique transparente : « L’image n’est pas une idée. C’est un nœud ou une grappe lumineuse ; c’est ce que je peux et dois appeler un vortex, depuis lequel, par lequel et dans lequel défilent incessamment des idées. » Rien de moins sec et figé que « la forme » des vrais poètes.
L’Italie, Venise notamment, devait s’offrir bientôt comme l’autre trait d’union qui mène de Gautier à Pound ? C’est à Rapallo que l’Américain devait rédiger son précis ironique de littérature, How to read, en 1927-1928. Les éditions Pierre-Guillaume de Roux en publient une nouvelle traduction, celle de Philippe Mikriammos, qui se montre précis et âpre à la fois, plus proche de la vocalité incisive du verbe poundien. On pourrait s’étonner que l’ex-Vorticiste ait choisi d’aller écrire au soleil du fascisme mussolinien, dont les futuristes s’étaient parfaitement accommodés. Comment lire, sans point d’interrogation, aurait pu caresser le nouveau régime dans le sens de sa latinité retrouvée. Or il n’en est rien. Pound nous ouvre plutôt la meilleure part de sa bibliothèque française. Le critère d’excellence n’a pas varié, son sens de la provocation non plus : si Villon est préférable à Shakespeare, c’est qu’il ne s’encombre pas de fioritures et cultive « la présentation directe ». Les contempteurs de l’ornement inutile depuis Homère et Dante sont en réalité peu nombreux. Pound cite à titre d’exemples Un cœur simple de Flaubert, les Goncourt, Rimbaud, Corbière et Laforgue plus que Swinburne, Rossetti et même Baudelaire. Et Gautier dans tout ça ? Fidèle en amour, Pound le convoque à maintes reprises dans son inventaire iconoclaste. Quelle leçon pour ses lecteurs français ! Si écrire consiste à « charger de sens au plus haut degré le langage », Gautier siége bien parmi les princes de la condensation et du vortex.
- Christopher Bains, De l’esthétisme au modernisme. Théophile Gautier, Ezra Pound, Honoré Champion éditeur, 80€.
- Ezra Pound, Comment lire, traduit de l’anglais par Philippe Mikriammos, Editions Pierre-Guillaume de Roux, 21,90€.
- Jean-Christian Petitfils, Le Frémissement de la grâce. Le roman du Grand Meaulnes, Fayard, 19€.
Alain-Fournier n’aura pas joui longtemps de son statut d’espoir du roman français. Dès 1914, sous son uniforme et ses galons tout neufs de lieutenant, il enterra près de Verdun la gloire récente du Grand Meaulnes, auquel toutefois la cette disparition tricolore allait donner un éclat longtemps considérable. Dans la belle édition qu’elle en a donné en 2008 au Livre de Poche, Sophie Basch a interrogé le léger désamour qui a fini par ternir la réputation de ce livre canonique. Si la lecture de ce « chef-d’œuvre » (André Billy) enchante et irrite au même degré, c’est que l’esprit d’enfance et la verdeur des désirs adolescents n’y brûlent pas à la bonne intensité. Hésitant entre Sand et Nerval, Samain et Rimbaud, Jammes et Laforgue, Stevenson et le conte bleu, Watteau et Maurice Denis, Le Grand Meaulnes bute sur ses contradictions faute de joindre le pur et l’impur dans le récit aussi bien que dans sa langue pleine de trouvailles. A l’âge de Larbaud et Proust, qui ont si bien parlé des premières passions et des premières trahisons, il semble encore enlisé dans les fadeurs de Maeterlinck et les frémissements stériles du dernier symbolisme. Que n’a-t-il été ce « symboliste romantique » qu’il voyait en Verhaeren ? Quand son dernier amour, Pauline Benda, apprit l’existence d’Yvonne de Quiévrecourt, la « demoiselle élue » qui avait échappé à Fournier, elle enregistra tranquillement l’existence de cette passion déçue, solitaire « autour de qui sa jeunesse avait si romanesquement fabulé. » A lire aujourd’hui l’essai enlevé que Jean-Christian Petitfils consacre à l’éblouissement du 1er juin 1905, on comprend que l’écrivain en herbe, sensuel à éclipses, a autant souffert que rêvé sa souffrance afin de lui donner la perfection d’un roman imparfait.
STEPHANE GUEGUAN
La littérature selon Ezra Pound
Parler de la littérature d’un point de vue ironique tout en rappelant qu’écrire consiste à charger le langage au plus haut degré de sens, cela semble aujourd’hui si dangereux qu’on se réjouit de se trouver des prédécesseurs. Pound n’est pas le moindre qui, dans Comment lire, s’insurge aitcontre la nullité du système éducatif anglo-saxon et celle de la critique littéraire pour rappeler ce qu’est la littérature, comme ce qu’elle ne doit pas être : « Elle occupe celui qui s’y livre, et, tant qu’il la garde pour soi, elle ne nuit pas aux autres, ne transgresse pas la définition de la liberté qui figure dans la déclaration des Droits de l’Homme : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ce qui, dans l’ensemble, est plutôt négatif et insatisfaisant. »
Si sa fonction est d’ « inciter à vivre » et son objet la « conscience humaine », la littérature n’est pas plus complexe que la biologie, dit Pound dans ce bref et incisif essai de 1927-28, où il ne craint pas de « chiffonner les partisans de l’ordre ». Encore faut-il connaître les lois de cette science somme toute aussi exacte que les autres, et rendue plus dure encore par les lois si fluctuantes de son énonciation : le style, la musicalité, l’inactualité, le petit nombre d’élus… D’où le recours à la poésie comme ordalie et exercice souverain de la langue, sinon des langues : « La science moderne a toujours été plurilingue », soutient Pound, faute de quoi l’écrivain ou le lecteur accepterait que « son esprit compte moins que ses reins ou son automobile », rappel de l’idée-force poundienne selon laquelle « tout âge prétendument grand est un âge de traductions. », lui-même ayant traduit en anglais des pièces de Bion, Catulle, Heine, Rimbaud, Laforgue, et des nouvelles de Morand.
D’où le recours à peu d’écrivains : Homère, Confucius, Ovide, des troubadours, Villon, Dante, la prose de Voltaire, Stendhal (« Au moins un livre et demi »), Flaubert (sauf Salammbô et la Tentation de saint Antoine), Gautier, Corbière, Rimbaud, Laforgue, et aussi Yeats et TS Eliot. Une « inoculation » grâce à laquelle l’étudiant peut : être exposé « sans risque à la modernité ou toute autre forme de littérature ». Des poètes, donc, et des romanciers qui ont élevé la prose au rang de poésie, selon les trois modalités de la poésie : la « melopoeia » (ou propriété musicale des mots) ; la « phanopoeia » (ou ce que les images donnent à voir) et la « logopoeia » (ou « danse de l’intellect parmi les mots ».
Une inoculation dont on voudrait aujourd’hui rappeler aux lecteurs comme aux étudiants en lettres, s’ils existent encore en tant que vrais lecteurs au sein de l’empire du Bien et que l’enseignement ne soit pas devenu un « système mort », que la littérature n’est pas un outil social, ni de promotion sociale, encore moins ce qu’on veut nous faire prendre pour elle, mais, souvent, une irréversible prise de risque.
RICHARD MILLET
Ezra Pound : Comment lire, traduit de l’anglais et excellemment annoté et commenté par Philippe Mikriammos. Editions Pierre-Guillaume de Roux, 159 pages;
Corps d'élite
Ecoutez le coup de coeur de Xavier de Marchis consacré à Corps d'élite de Philippe Colin-Olivier dans l'émission Télématin sur France 2.
Retrouvez Clara Royer au Salon du Livre de Trouville le 11 novembre
Clara Royer signera Csillag au Salon du Livre de Trouville le 11 novembre. A cette occasion, elle participera à la table-ronde "spécial premier roman" de 15h à 15h30, animée par le journaliste Jacques Perrotte ( FR3 Normandie).
Pour en savoir plus : http://www.trouvillesurmer.org/images/catalogue2011def.pdf
Csillag, roman de Clara Royer (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
"Csillag" : Je est une autre
Puzzle. En hongrois, on prononce «tchillag». «Etoile», mais aussi «mon trésor», « mon ange »... Mon étoile jaune ? C'est ce que croyait Ethel, au surnom légué par Marie, sa grand-mère juive hongroise adorée, barde de la légende familiale. Alors, cette photo dénichée par Côme, un ami chercheur ? Cette fillette qui ressemble à Marie mais il suffirait de lui poser la question si Alzheimer ne l'avait pas enfermée. Ethel enquête seule, reconstituant l'histoire
d'une petite fille qui a choisi la sienne et le puzzle de sa propre identité.
«Marie la juive, la tête dans un four! Un four de cuisine1. Il y avait de quoi hurler de rire et de chagrin. »
«Je défais l'élastique, je glisse mes doigts dans le petit bout de cheveux libérés. Puis je passe les poils doux de la brosse sur sa chevelure clairsemée de poussin. Je ne les passe que sur les mèches blond pâle en évitant le crâne rose, ça me dégoûte. »
«Notre mere avait été tuée pendant l'exode. (...) En plus du sang, son oeil avait roulé hors de
l'orbite et tout était carbonisé... Mais Marie, elle a rien dit. Elle a retourné notre mère, face contre le sol, elle a déplié son bras et elle a lissé ses cheveux. »
CLAIRE MEYNIAL
Csillag, roman de Clara Royer (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Ecoutez Clara Royer sur Radio de la Communauté Juive
Caroline Gutmann-Berline a reçu Clara Royer au sujet de son premier roman Csillag dans "Postface" sur RCJ mardi 5 juillet de 23 heures 30 à 0 heure.
Csillag, roman de Clara Royer (Pierre-Guillaume, 2011)
Rencontre avec Clara Royer le 23 juin 2011
La librairie La Lucarne
3 Rue Volontaires - 75015.
vous invite à rencontrer Clara Royer
pour Csillag, son premier roman
le jeudi 23 Juin de 18 h 30 à 20 h 30.
"J'écris par fidélité à la petite fille que j'étais"
Elle parle vite, et pourtant détache chaque mot, très précisément. Elle ne marque un temps d'arrêt qu'à bout de souffle, nous laisse poser une question, puis enchaîne encore une fois à toute vitesse. Clara Royer, 29 ans, est très sûre d'elle - ou pas du tout. Mais la jeune écrivain ne laisse pas le temps d'y réfléchir : elle est déjà passée du coq à l'âne (et retour), il faut suivre. Elle admet : "Si vous me posiez ces questions par écrit, j'y répondrais plus directement." Et ajoute rapidement : "Je suis très angoissée." Son premier roman, Csillag, très maîtrisé de bout en bout, possède cependant une écriture très sûre, lui. Une plume qui n'hésite pas.
Au commencement, au début des années 2000, une nouvelle, qui prend le contre-pied "d'une certaine littérature qui a été à la mode, en Europe, qu'il s'agisse de témoignages ou de romans". Quand d'autres se rendent compte sur le tard qu'ils sont juifs ("un phénomène quasi sociologique, en Europe de l'Est"), l'auteure imagine une héroïne, Ethel, qui découvre que ses racines ne sont pas juives et hongroises comme elle l'avait toujours cru. Ethel n'est plus tout à fait Ethel. Ni Clara Royer, d'ailleurs, malgré les origines hongroises de "la branche maternelle". Les premiers romans ne donnent pas toujours dans la confession ou l'autofiction, ce qui n'est pas plus mal.
A entendre la jeune écrivain, cela tient en partie au mouvement de l'écriture : "Il faut s'isoler. On rentre en soi pour en sortir, et tendre un bras en direction d'un lecteur." L'histoire de son manuscrit se confond d'ailleurs avec une sortie de soi. Après la nouvelle, elle achève une première version longue, envoyée à une dizaine d'éditeurs : sans résultat. "J'ai fait une petite déprime et je suis partie à Budapest", concède-t-elle. Elle ne revient à son roman que trois ans plus tard, et déconstruit son personnage principal : "Ethel était une intellectuelle, naïve et pas désagréable, comme une version sympathique de moi-même." Aujourd'hui, "tout ce qu'il reste de Clara Royer", c'est une passante (un "effet hitchcockien") dans un coin de paragraphe : "La vision d'une fille en rouge avec des mules, et un air de mépris parisien insupportable."
"Une littérature parlée"
"Je croyais que j'écrivais vite, j'ai découvert malgré moi que non", lâche Clara Royer avec ironie. Se relire comme si on était son propre lecteur ("un qui me ressemble, c'est logique"), émanciper le personnage de son auteur ("ne pas la faire parler comme moi"), chasser des obsessions ("certains mots qui reviennent tout le temps") - puis trouver "sa voix d'écrivain". Le chemin est celui d'une épuration, d'une "simplification". D'une rupture avec des "passages obligés", comme des "descriptions un peu trop propres". Saisissant que son vrai style se trouve dans ses dialogues plus que dans son récit, elle lisse son roman dans un sens plus oral ("mais littéraire") - et miraculeusement, elle fait un sort à tout ce qui lui paraissait "académique". En cherchant un instant ses mots, elle évoque "une littérature parlée".
La fiction est un besoin chez Clara Royer, mais "le besoin ne suffit pas". Avant Csillag, elle se considérait "écrivant" bien plus qu'écrivain : "J'ai toujours écrit à l'horizon d'autres écrivains, que j'admire, et c'était impossible jusqu'à aujourd'hui d'imaginer partager ce mot avec eux." Trajet classique : des poèmes de l'enfance aux journaux intimes de l'adolescence, puis des romans "trop compliqués", "voire ridicules", que l'on n'envoie pas : "Je crois à la nécessité d'un mauvais roman, ou de plusieurs, qu'il faut brûler." Après, on s'améliore. "Aujourd'hui, j'ai le sentiment d'écrire par fidélité à la petite fille que j'étais, qui inventait des histoires. De mes 8 ans à aujourd'hui, c'est mon unique fil rouge." La petite fille a beaucoup progressé.
Deux préoccupations reviennent chez elle : les personnages et la langue. Aux premiers, donner une consistance, une existence propre et une façon de parler. En ce qui concerne la seconde, "aboutir à des phrases qui ont un rythme propre, qui ne boitent pas". Elle répète : "Qui ne claudiquent pas." Elle prend un exemple, puis un autre. Elle enlèverait un mot ici - ou là. Retrancher, enlever, épurer. Clara Royer avoue avoir lu son roman une ou deux fois à voix haute ("mais pas depuis sa publication, même en silence"). Elle précise en riant : "Rien de flaubertien là-dedans, je ne gueule pas, je ne vais pas dans la forêt." Elle procède "phrase à phrase", sans trop se soucier d'architecture "ou de plan". Juste de rythme et d'équilibre.
"Vous y croyez, vous ?"
Alors qu'elle rédige sa thèse à Budapest, elle devient traductrice de hongrois. Elle rencontre ainsi son éditeur : "Je lui ai envoyé une lettre pour lui proposer un auteur, Karoly Pap. Et quand il a accepté, j'ai attendu une bonne année avant de lui dire que j'écrivais - pour ne pas tout mélanger." Elle n'a pas encore retouché à son roman, c'est le moment. Accepté en juillet 2009, le livre patiente, le temps de la création d'une nouvelle maison d'édition dont elle est le premier titre. La suite, elle prétend s'en moquer : "Un livre, cela peut vivre quinze vies que je ne maîtrise pas, dormir trois ans, et même si on en vend peu, cela n'empêche pas que quelqu'un le lise et soit touché."
Clara Royer a reçu des coups de téléphone de lecteurs, des Hongrois de Paris intrigués par l'histoire d'Ethel : "Vous y croyez, vous ?", s'amuse-t-elle. Avec le même ravissement faussement naïf, elle raconte qu'elle a vu une femme acheter son roman : "Je me suis planquée." Le terme est révélateur. Car si elle affirme avoir appris que ce n'est pas grave de dire "des conneries ou des gros mots", on devine qu'elle choisit ses mots. Comme lorsqu'elle écrit. Elle cherche à conclure : "C'est un premier roman, il n'y a pas d'enjeu, je suis encore dans la cour de récréation, moi." Elle se risque : "Même les critiques me font plaisir." Puis s'arrête, épuisée : "J'écris pour des lecteurs. Pas pour des gens, pour des lecteurs."
NILS C. AHL
Csillag, roman de Clara Royer (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Csillag", de Clara Royer : enquête sur fond d'Alzheimer et de judaïté
De deux choses l'une. Ou bien le titre du premier livre de Clara Royer intrigue parce que l'on est magyarophone (Csillag signifie en effet "étoile" en hongrois, ou, dans un sens figuré, "csillagom", "mon trésor", "mon ange"), ou bien il accroche l'oeil parce que l'on n'y comprend pas grand-chose. On demanderait volontiers comment cela se prononce.
On est perdu, curieux. Un peu comme Ethel, le personnage principal, quand elle devine que l'histoire juive et hongroise de sa grand-mère est inventée. Enquête sur fond d'Alzheimer et de judaïté féminine, Csillag surprend par sa maîtrise et sa maturité.
Certes, on trouve parfois à ce roman quelques longueurs, quelques complaisances qu'on voudrait attribuer à la jeunesse de son auteur. Et pourtant. A l'examen, la construction est d'une rare sobriété, le style taillé comme un arbuste à la fin de l'hiver. On n'y retrancherait rien. Et certainement pas cette écriture fragile, entre la langue parlée et un extrême raffinement littéraire, qui évoque plutôt les écrivains français du début de XXe siècle que les contemporains de l'Europe centrale. Ni la cruauté de la narration, parfois, qui s'amuse manifestement de ses personnages. Leur distribue quelques coups de ridicule bien sentis. Elle est joueuse, Clara Royer. Sincère, aussi. Et l'on veut croire que ce faux détachement est la marque d'un écrivain qui vient de découvrir la réalité de ses dons. Elle n'est pas la seule.
NILS C. AHL
Le Monde des Livres 16 juin 2011
Csillag, roman de Clara Royer
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Le voyage d'Ethel
L’un des premiers livres publiés dans une nouvelle maison, les Éditions Pierre Guillaume de Roux, écrit par une jeune normalienne de 29 ans, porte les traces des blessures de l'Histoire dans une mémoire familiale. Ethel, l'héroïne de ce roman au titre étrange - un mot hongrois signifiant « l'étoile » mais aussi « mon ange », « mon trésor » -, appartientà la troisième génération des victimes du nazisme La seconde, celle des enfants de déportés, souffrit du silence des parents, du non-dit qui entoura longtemps les persécutions Le récit de la Shoah, ce sont les petits-enfants qui l'ont reçu en héritage Ce qui était pour Georges Perec absence, disparition, interrogation, est pour la jeune Ethel, dessinatrice, l'étoffe même de son identité, construite à partir de la culture juive qu'elle a reçue et intégrée à son identité profonde par amour pour Marie, sa grand-mère maternelle. Cette vieille dame atteinte par la maladie d'Alzheimer est l'être qu'elle aime plus que tout autre, plus que son ami Côrne, chercheur en histoire sociale, plus que ses parents, à présent divorcés. De son père, elle a reçu le catholicisme, ou plutôt ses traditions, réduites à des rituels communautaires, et sa mère, juive, avait voulu oublier la religion de ses ancêtres. Ethel s'était, un temps, efforcée de croire en Jésus-Christ et puis, déçue par son entourage qui ne lui proposait qu'un rigorisme un peu vide, elle a finalement construit sa personnalité sur le judaïsme Son identité, elle l'a élaborée grâce à Marie, qui reconstitue pour elle l'histoire de leur « famille juive, hongroise, exotique et unique », avec, dans le récit, des lacunes et quelques mystères « Je suis devenue le parfait produit de Marie. Une juive sans religion, sans Israël, sans errance. Plus besoin de croire en rien. Plus besoin de faire partie de quoi que ce soit, ça ne nous valait que le droit d'être mis en poussière » Mais cette appartenance au judaïsme vole en éclats lorsque, dans les dossiers de disparitions d'enfants qu'étudiés Côme, elle reconnaît, sur la photo d'une adolescente introuvable depuis 1944, cette grand-mère qui semblait veiller à l'orée de son histoire, gardienne de sa judéité. La très jeune fille, qui s'appelle Marie elle aussi, mais porte à son cou une croix, est donc chrétienne. Peut-on construire une vie, une identité sur un mensonge, ce qu'Ethel considère comme une imposture ? La narration se déploie autour d'une double enquête : l'une est presque policière par ses modalités et son rythme, l'investigation d'Ethel auprès des éventuels témoins de l'époque, sur les traces d'une aïeule qui se disait juive et hongroise et n'était peut-être rien de tout cela. L'autre est un voyage à l'intérieur de son moi qu'elle perçoit en morceaux et souhaiterait reconstruire, à l'intérieur d'une mémoire perdue, celle de sa grand-mère, cousue peut-être de falsifications, d'emprunts, de fabulations, mais qu'elle a transmises à sa petite-fille.
Le dénouement de l'enquête sur les traces matérielles d'une fillette disparue contient aussi la fin de l'interrogation d'Ethel sur son identité véritable et une méditation sur l'essence même de sa judéité. Cette essence passe par un retour aux sources, une compréhension de ce miracle que constitua, au siècle dernier et durant quelques décennies, la Mitteleuropa. Cette révélation de la greffe - évidente- du christianisme sur le judaisme, c'est un très vieux survivant de cette civilisation détruite qui la fait à Ethel apprentie détective Et dans cette figure malicieuse, énigmatique et rayonnante de l'ancienne Autriche-Hongrie, on croît reconnaître un de ses derniers représentants, récemment disparu, le journaliste et écrivain François Fejto.
La fiction, mieux qu'un document, restitue le passé.
FRANGINE DE MARTINOIR
Csillag, de Clara Royer (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Csillag : un livre beau et émouvant
Imaginez, vous qui vous savez juif, vous qui étiez nourri de chants juifs, de récits de persécutions et de déportations, vous à qui votre grand-mère a raconté comment, petite fille, elle a dû fuir sa Hongrie natale avec sa mère et son petit frère - imaginez qu'un jour vous apprenez que tout cela est faux. Que votre grand-mère est chrétienne et qu'elle n'a jamais vécu en Hongrie. C'est ce qu'il arrive à Ethel; la jeune héroïne de "Csillag" ("étoile" en hongrois) quand elle tombe par hasard, dans des archives d'enfants disparus, sur une photo de sa grand-mère portant un collier orné d'une croix. Le monde s'écroule. Elle qui se savait et se sentait juive. S'en targuait même parfois. Mais pourquoi ? Pourquoi sa grand-mère, sa Marie adorée, lui a-t-elle menti ? Ne pouvant plus le lui demander - Marie étant à jamais délestée de ses souvenirs par la maladie d'Azheimer-, Ethel va mener seule son enquête afin de trouver la vérité et, par là même, de se retrouver elle-même. "Csillag" est une histoire de femmes, qui traverse plusieurs générations, de la grand-mère à la petite-fille en passant par la mère, et finalement par celle qui détient la clef de l'énigme. Ce premier roman de Clara Royer nous tient en haleine du début jusqu'à la fin, tel un roman policier, et l'on constate avec soulagement en refermant ce livre beau et émouvant que l'identité n'est pas une question simpliste, de sang ou d'origine.
GILBERT GABBAY
Csillag, de Clara Royer (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Csillag : une histoire vraie
Trente ans qu on le connaît, qu on le suit de maison en maison l'éditeur Pierre Guillaume de Roux vient enfin de fonder une maison à son nom. II proposera une quinzaine d’ouvrages par an essais recueils dédiés à l'Histoire littérature française italienne et hongroise.
Parmi les nouveautés ce premier roman met en scène un jeu de miroirs trouble entre deux femmes rescapées de la Shoah. L’une, Marie, n a rien transmis de ses origines juives hongroises à une descendance pourtant curieuse De l'autre on ignore tout Ethel, la petite fille de Marie percera son identité après la découverte d'une photo de sa grand-mère, enfant portant bizarrement un crucifix autour du cou. S’improvise une enquête invoquant l'Histoire dans ses sombres détails et la psychologie dans toute sa complexité Un roman pareil à une fresque, avec ses zones d’ombre et ses nuances infinies.
E DEL V.
Csillag, de Clara Royer (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Csillag, une quête identitaire
Clara Royer, auteur de Csillag aux éditions Pierre-Guillaume de Roux, est l'invitée de Serge Koster et d'Antoine Spire au Printemps du Livre de Cassis du 30 avril 2011 aux côtés d'Hélène Lenoir et de Jean-Paul Enthoven.
Csillag ou la judéité de Clara Royer
Olivier Germain-Thomas reçoit Clara Royer à For intérieur pendant 58 minutes à propos de Csillag, son premier roman publié aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.
Un entretien sur l'identité et la transmission.
Clara Royer répond à Olivier Barrot
Olivier Barrot reçoit Clara Royer dans son émission Un livre un jour à propos de Csillag, son premier roman publié aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.
Signature et verre à la librairie Delamain le 9 février à 19 heures
Retrouvez Philippe Caubet, l'auteur du magnifique roman Dans un autre temps, pour une séance de dédicaces et un verre de l'amitié à la librairie Delamain le 9 février à partir de 19 heures.
Librairie Delamain - 155 Rue St Honoré 75001 Paris
(01 42 61 48 78) Métro : Palais Royal – Comédie française
Dans un autre temps, roman de Philippe Caubet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Chef d'oeuvre
«Vivre, cette chose si simple, me parut une chose lointaine, presque inaccessible. Ils étaient tous morts, ils avaient disparu, et je ne
savais plus faire le compte des années. »
Quelle idée curieuse, aussi, de pousser un soir d'hiver quand il neige la porte de la pâtisserie Hencicognard, que l'on dirait dessinée par
Sempé, et d'y ramasser un agenda que l'on présume tombé de la poche d'un client... S'ouvre alors devant le narrateur, qui ne veut que rendre service en restituant l'objet à son propriétaire anonyme, un monde où tout a la couleur, le son, la consistance des natures mortes : les paysages, les objets, les circonstances mêmes semblent caduques, l'effort qu'elles font pour se ressembler, afin de le récompenser de ses bonnes intentions, tourne court.
« La vie se rétrécit, Monsieur, vous en savez quelque chose, n'est-ce pas ? Mais je vous affirme que vous n'êtes pas au bout de vos découvertes. » Le lecteur non plus, emporté dans un "autre temps" où la fatigue des choses et leur hâte à se détourner de lui seront pour finir moins fortes que l'amour, aussi vigilant que le souvenir, et que le rire victorieux des merles dans la lumière du premier printemps.
Fantastique, onirique, drolatique, étrange, inquiétant : tous les adjectifs, ordinaires aveux d'impuissance du critique, sont ici pris de court ; on a l'impression que la langue elle-même a permis à l'auteur de redécouvrir certaines de ses propriétés oubliées jusqu'à lui.
En un mot, qui ne nous est pas familier faute d'occasion de nous en servir, voici un chef-d'oeuvre.
PHILIPPE BARTHELET
Dans un autre temps, roman de Philippe Caubet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Philippe Caubet lauréat du Prix Thyde-Monnier
Philippe Caubet a reçu le Prix Thyde-Monnier pour son premier roman Dans un autre temps.
La remise du prix aura lieu le 1er décembre prochain à l'hôtel de Massa à la Société des Gens de Lettres.
Dans un autre temps, roman de Philippe Caubet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Photo Philippe Caubet © Léa Lund
Philippe Caubet sur RCJ
Toutes les villes sont-elles aussi mystérieuses que celle de Dans un autre temps ? Tous les souvenirs d'enfance conduisent-ils à cette odyssée fantastique ? Ecoutez l'interview de Philippe Caubet sur RCJ à propos de son roman Dans un autre temps.
Une ville fantomatique
Un homme trouve un agenda sous la table d’une pâtisserie-salon de thé où « une serveuse aux paupières molles et au pas de phoque » lui sert de minuscules gâteaux aux noms surprenants : « consolation-d’hiver et « falbalas-délice ». Ces gâteaux, le narrateur les juge « vétustes », « de couleur morte ». Cet agenda, le narrateur va le conserver, décidant de se rendre aux rendez-vous qui y sont consignés. Dehors, il neige. Dans un autre temps, le roman de Philippe Caubet, nous entraîne dans un parcours lent, au long des rues désertes d’une ville qui a connu des jours meilleurs, où les jardins sont clos, les musées vides. Ce périple, commencé sous la neige de février, s’achève en mars, au printemps. La neige laisse place à la pluie, puis les branches des arbres se couvrent de fleurs.
La ville du roman n’a pas de nom, on y trouve une « gare des départs » et une « gare des arrivées », les journaux locaux sont Impressions du soir ou Nouvelles de ce matin, on peut y manger dans les restaurants « Morsures » ou « La Lune rouge », jouer aux cartes dans un cabaret à l’enseigne du « Gant de boxe ». Le narrateur, poussé vers la périphérie à cause des rendez-vous notés dans l’agenda, découvre des quartiers et des rues qu’il ne connaissait pas, le quartier des Infirmes ou celui des Oiseaux, l’allée des Ronces, le boulevard Occidental ou celui des Infantes.
On l’aura compris, ce roman n’a rien de réaliste, rien de quotidien. Il faut y entrer en acceptant d’emblée de visiter un territoire troublant, déstabilisant. Un univers sensible.
Le narrateur, dont on ignore le nom, s’insinue dans la vie du propriétaire de l’agenda, dont il pense qu’il peut s’agir d’un certain monsieur Chappelle. Ce narrateur est apparemment désœuvré, en ressortant de la pâtisserie il a le sentiment qu’un « petit carnet [lui] tenait compagnie ». Lui, qui aurait aimé avoir « un père mieux portant et une mère plus aimable », qui déplore qu’aucune photographie de ses parents n’ait été sauvée – elles sont toutes passées par les flammes, celles de sa mère brûlées par elle-même, celles de son père plus tard, dans un incendie – mène une vie désolée, dont il ne se plaint pas. Sa vie se résume à : « L’escalier jauni, les trois étages, la trace rouge sur le mur entre le deuxième et le troisième, la porte aux chats qui s’enfuient, la serrure qui résiste à la clef, le regard des livres empilés, l’odeur du couloir, le tapis qui s’effiloche, les fauteuils éclairés par le réverbère ». Chaque fois qu’il revient d’un rendez-vous noté sur l’agenda de ce monsieur Chappelle, la même description nous est donnée, exactement la même, à la virgule près. De l’enfance du narrateur, à part le désastre des photographies de ses parents, nous savons uniquement qu’il l’a passée dans « un hôtel particulier bleu ». L’escalier jauni, la trace rouge sur le mur, et l’hôtel particulier bleu évoquent les trois couleurs primaires, essentielles à la déclinaison chromatique. Dès lors, dès que ces trois couleurs ont été mises en place, on peut passer à l’orange d’une chevelure, au vert d’un costume, au marron d’un pardessus. Et surtout au noir, au blanc, au gris. On peut avoir une lecture picturale de ce roman. Cette ville fantomatique, ces gares désertes, vides, évoquent immédiatement une atmosphère à la Chirico.
L’écriture de Philippe Caubet, apparemment classique, est savoureuse. Les portraits sont brossés d’un trait, « des dames aux grosses jambes », « il était debout, très petit et fort large », « l’homme était petit, fardé, atteint d’un tic de la lèvre supérieure qui faisait apparaître des dents sur la défensive », les décors plantés sur le même mode détaillé et allusif à la fois, le tout faisant naître un monde – oui, un monde – étrangement décalé, entre fantaisie et tragédie.
Dans un autre temps est de ces textes mystérieux, qui racontent une histoire inattendue, mais dont on devine, à la lecture, une signification souterraine. Ils sont bien peu, ces textes-là, bien peu à être parfaitement réussis. On pense à Épépé, de Ferenc Karinthy, ou à Forêt-forteresse, de Michel Host. Dans le roman de Philippe Caubet, une des clés se trouve sans doute dans l’orthographe particulière de deux mots : le propriétaire de l’agenda est nommé Chappelle, avec deux P, et dans ce nom, plus que le bâtiment religieux, on subodore un « j’appelle » ; le narrateur s’obstine à écrire « tiroire » au lieu de « tiroir », et dans ce mot allongé, on devine « histoire » et « mémoire ».
Ne dévoilons rien d’autre. Laissons au lecteur la découverte plus complète de cette ville, de ses habitants, de ses cérémonies, de son administration… Concluons simplement en affirmant que Dans un autre temps est une magistrale figuration du deuil.
CHRISTINE BINI
http://www.lacauselitteraire.fr/dans-un-autre-temps-philippe-caubet.html
Dans un autre temps, roman de Philippe Caubet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Philippe Caubet parmi les finalistes du Prix du premier roman
Quatre premiers romans français et deux étrangers restent en lice pour le prix du Premier roman, qui sera proclamé le 14 novembre.
Aux côtés de Marien Defalvard, toujours en lice pour le prix de Flore, et de Noël Herpe, rayé de la sélection du prix Décembre, les jurés du prix du Premier Roman, tous critiques littéraires, introduisent dans la course deux petites maisons d’édition, les éditions Pierre-Guillaume de Roux et les éditions de Corlevour, avec les romans de Philippe Caubet et de Nicolas Idier.
Rarement dans la course des prix d’automne, les éditions Calmann-Lévy et Belfond sont elles aussi en lice pour deux premiers romans étrangers.
Sélection romans français
Dans un autre temps, Philippe Caubet (Pierre-Guillaume de Roux)
Du temps qu’on existait, Marien Defalvard (Grasset)
Journal en ruines, Noël Herpe (“L’Arbalète” Gallimard)
La ville noire, Nicolas Idier, éd. de Corlevour
Sélection romans étrangers
La femme du Tigre, Téa Obreht (Calmann-Lévy)
Galveston, Nic Pizzolatto (Belfond)
Esprits d'enfance
Cette rentrée littéraire célèbre les langages de l'enfance. Du côté des auteurs français (Eric Fottorino, François Dominique, Hubert Haddad) comme des étrangers (Stephen Kelman ou Emma Donoghue), les écrivains font retentir la voix des gamins,allant parfois jusqu'à choisir un garçonnet ou une fillette pour narrateur. Donner écho à cette voix, ils l'ont prouvé, ce n'est verser ni dans la complaisance ni dans la niaiserie. En témoigne à son tour cette édition du « Monde des livres », traversée par l'esprit d'enfance, donc par l'éveil et l'enchantement, par l'angoisse et l'affabulation aussi «J'invente tout, je mens tout le temps », soufflait l'autre jour le génial Sempé, attablé dans le froid (et sous la pluie) à la terrasse d'un bistrot. Sempé, qui nous fait la joie d'illustrer la « une » de cette semaine, et que Florence Noiville a rencontré pour évoquer son dernier album, Enfances. Enfances plurielles, celle de la fraicheur langagière et d'une authenticité verbale dont Marguerite Duras incarne la quête, mais aussi celle du corps envahissant et du désir inquiet, telle que Marie Darrieussecq la met en scène dans un roman sur l'irruption de la puberté, et qui donne lieu, ici, à un débat entre Virginie Despentes et Jean-Philippe Domecq.
On retrouve cette ambivalence, ce va-et vient entre naïveté et angoisse, dans le nouveau livre de Philippe Caubet, complice et coauteur de Sempeé pour Portraits de mes amis (2006). Le roman qu'il publie aujourd'hui s'intitule Dans un autre temps (Ed Pierre Guillaume de Roux, 272 p, 18,50 €). C'est une histoire d'agenda égaré et de friandises aux « couleurs mortes » Comme chez le père du Petit Nicolas, l'essentiel est dans la capacité à décaper le langage, à produire l'image, à partir d'un détail ou d'une tranche de vie. Dans cette fiction loufoque ou l'effroi mine sans cesse l'insouciance, Caubet retrouve l'enfance, sa cruelle lucidité, la simplicité souveraine avec laquelle elle sème le doute. « Vivre, cette chose si simple, me parut une chose lointaine, presque inaccessible.»
JEAN BIRNBAUM
Dans un autre temps, roman de Philippe Caubet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
L'homme à l'agenda
Tout commence dans un sinistre salon de thé, probablement dans une ville de province, vraisemblablement dans les années cinquante. Un homme sans âge et sans qualités, y trouve un mystérieux agenda où seuls figurent quelques rendez-vous à venir, où sont précisés les lieux et les personnes à rencontrer. Cet homme, c'est un peu Roquentin, sans la métaphysique, égaré dans un roman de Buzzati, ou Nerval revenu des brumes du Valois, un siècle plus tard. Intrigué, il part donc sur les traces du propriétaire anonyme. On le retrouve dans un restaurant borgne, à travers des quartiers désolés, chez un photographe indifférent, sur une route sombre, au téléphone pour des conversations absurdes : rien.
Les énigmes enflent, le mystère s'épaissit au coeur de la morte saison : "La neige avait commencé de fondre, et j'eus la sensation que l'hiver était faux." Et le tragique commence à s'inviter : "Je pensais au train qui avait emmené Théa Fall, je me représentai je ne sais quelle frontière, des champs parsemés de bleu et de jaune, les sifflements de la locomotive fulminante et comme immobile dans sa propre course." Théa sera retrouvée morte. On le voit, il y a dans cette histoire fascinante et inclassable autant de flou poétique que de frissons, autant de lyrisme désabusé que d'atmosphère de polar. De l'auteur, on ne sait rien ou presque : il est avocat, il a la cinquantaine, est proche de Sempé, et a publié un livre intitulé Histoires consternantes et déconcertantes. Souhaitons-lui bonne chance dans la poursuite de ses déambulations.
THIERRY CLERMONT
Dans un autre temps, premier roman de Philippe Caubet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
David Lloyd George de James McCearney
David Lloyd George de James McCearney
Découvrez l'article de Frédéric le Moal paru sur www.lelitteraire.com au sujet de David Lloyd George de James McCearney
Une raison d'espérer
L’essai de Richard Millet De l’antiracisme comme terreur littéraire n’est pas passé inaperçu dans le landernau médiatique. Comme son auteur s’y attendait, il a fait l’objet de violentes critiques, critiques qui, malheureusement, confinaient le plus souvent aux réflexes pavloviens. Les thuriféraires de la pensée dominante, forts de leur religion droit-de-l’hommiste, ont taxé l’ouvrage d’hérétique et de barbare. A la lecture de cet essai, on remarque que l’analyse de l’antiracisme, laisse progressivement place à une réflexion métaphysique pour définir à terme le rôle de l’écrivain.
Cette dimension métaphysique semble avoir été totalement occultée par nombre de critiques. A l’instar de Langue fantôme qui analyse la langue pour mieux monter la décrépitude du roman, cet ouvrage décortique le terrorisme de l’antiracisme dans le monde littéraire afin de mieux nous dessiller les yeux sur les fausses valeurs, nous invitant à rompre avec le monde occidental actuel pour mieux le dépasser.
La structure de l’essai n’est pas sans rappeler la démarche cartésienne des Méditations métaphysiques. Le sujet, dans son solipsisme, observe le monde et doute de ses valeurs et de sa véracité. Ainsi, l’antiracisme est vu comme un totalitarisme intellectuel dans une société occidentale américanisée qui prône le multi-culturalisme, l’étranger au détriment de l’enraciné et l’horizontalité des valeurs. L’indifférenciation généralisée entre les individus devient la règle. Cette société, devenue exclusivement marchande, se donne à voir de manière pornographique, à savoir obscène. L’obscénité s’entend comme un spectacle excessif qui verse dans la démesure en totale contradiction avec notre héritage chrétien. Tout comme Descartes se méfait d’un éventuel génie trompeur, Millet voit dans cette fausse communauté mondialisée une ruse du Démon.
D’aucuns qualifieraient cet ouvrage de nihiliste, mais il procède d’une saine et exigeante démarche du refus de la vulgarité ambiante. L’humanité n’est pas en soi un horizon éthique comme le rappelle les préceptes des Droits de l’Homme. A ces pseudo-préceptes, l’auteur préférerait la citation de Platon dans le Timée : « L’homme est comme une plante, mais ses racines viennent du ciel ».
Bien entendu, ses détracteurs ont joué leur rôle d’indignés, et certains avec brio. L’anathème reste le seul argumentaire et il parait donc logique que la dimension métaphysique de l’œuvre ait été complètement occultée. Cependant, Millet n’en appelle pas à la destruction de notre société, telles les cités Sodome et Gomorrhe. Un espoir est permis car seule importe la recherche de la vérité. Pour ce faire, cette démarche nécessite une rupture avec le monde occidental afin de le nommer dans toute sa vérité, fût-elle immorale. L’écrivain authentique et responsable se doit de cheminer vers cette vérité et en assumer la transcendance et les contradictions. Une eschatologie, certes individuelle, est bien présente dans cet ouvrage.
Les critiques furent malheureusement en-deçà de l’essai de Millet. Ce dernier fut cantonné au rôle du méchant raciste, rôle dont se nourrit notre société du spectacle. En faisant preuve d’authenticité et de responsabilité, il nous invite tout simplement à lever les yeux
RACHID NEDJAR
De l'antiracisme comme terreur littéraire, de Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Millet coeur de sniper
En deux pamphlets, l'agent provocateur des lettres françaises vitupère le métissage et la société décadente. Mais, le temps d'un récit, il garde toute sa fraîcheur pour les jeunes femmes.
Ca y est, on le tient, chef ! Le voilà, le méchant, le nazi,le pestiféré des lettres. Nom : Millet Prénom : Richard. Profil : 59 ans, catholique, hétérosexuel, ancien combattant aux côtés des chrétiens au Liban. Délit : publie simultanément trois ouvrages en cette rentrée, un récit et deux brefs pamphlets (dont l'un sous titre, non sans provocation, Eloge littéraire d'Anders Breivik, du nom du jeune Norvégien coupable du massacre d'Utoya), dans lesquels il dénonce sans pincettes le métissage et l'emprise croissante de l’islam sur la société française. Signe particulier : est en même temps éditeur chez Gallimard, maison favorablement connue de nos services, où il a notamment couveéJonathan Littell et Alexis Jenni, tous deux Prix Goncourt
Le RER comme métaphore de notre décadence
On le voit, il y a un cas Millet Lui même enjoué, d'ailleurs « Ainsi, constatant que je suis le seul Blanc, dans la station de RER Châtelet Les Halles, à six heures du soir, ou déclarant que je ne supporte pas de voir s'élever des mosquées en terres chrétiennes, ou encore trouver que prénommer, à la troisième génération, ses enfants Mohammed ou Rachida relève d'un refus de s'assimiler, c'est a dire de participer a l'essence française, tout cela ferait de moî un raciste », note-t-il dans De l'antiracisme comme terreur littéraire. Pour Millet, la station RER de la gare du Nord, avec ses«métis violacés», ses«Tamouls verdâtres » et ses « Blancs cadavériques », serait la métaphore obsédante d'une société décadente, que le « politiquement correct » nous sommerait de célébrer
Mais son propos n'est pas seulement idéologique. Le « prêt-à-porter » littéraire aurait sa part de responsabilité dans cette dissolution généralisée des esprits. Le triomphe du gros best seller américain annoncerait la mort de notre civilisation (Mais, pourrait-on objecter, dans le passé, n'avait-on pas déjà Delly ET Gide, Pearl Buck ET Kafka?) On le sait, pas de bon pamphlet sans noms. Ainsi, après s’en être pris au très « rasoir » Umberto Eco, Millet fustige le discours de réception de Vargas Llosa au Nobel,«tissu de lieux communs politiquement correct» Plus courageux, il ose s'en prendre à l’intouchable icône Le Clezio. «Son style est aussi bête que naïve sa vision manichéenne du monde et ses romans dépourvus de ressort narratif. » Avouons-le, c'est un jugement qui se murmure par fois dans l'entre-soi des cocktails de Saint Germain-des-Prés, mais que l'on a peu l'occasion de lire noir sur blanc ?
Alors courageux ou kamikaze ? Notons au passage que Llosa et Le Clézio sont deux auteurs historiques de son « employeur » Gallimard. Si Millet peut compter sur la neutralité bienveillante des éditeurs de la maison - Sollers, Laclavetine - et sans doute de la direction administrative - rien ne vaut un Goncourt pour renflouer les caisses -, en revanche, certains auteurs Gallimard, comme Annie Ernaux ou Tahar Ben Jelloun, ne cachent pas leur hostilité à son égard. MaIs, après tout, on est là dans une vieille tradition familiale. Malraux et Drieu la Rochelle ne se croisaient ils pas dans les bureaux de la NRF en 1943 ?
Après ces deux pamphlets, on attendait évidemment notre sniper des lettres au tournant. Alors, que vaut son court récit autobiographique, Intérieur avec deux femmes ? Cet aller-retour Paris Amsterdam sur fond de crise amoureuse sorte de Sylvie nervalien où le Thalys aurait remplacé le fiacre, est porté par une tension sourde et une belle langue. Millet s'y montre à la fois « peu sympathique » et touchant, guettant fébrilement, tel un adolescent, le SMS d'une « très jeune femme» qui s'éloigne. II y développe aussi nombre de théories réjouissantes et parfaitement réfutables : que la peau des femmes de plus de 40 ans a la «consistance d'une poire mûre », que tous les lecteurs de L'Equipe sont des débiles mentaux , ou qu'il existe une corrélation entre le degré d'embourgeoisement et le niveau d'épilation du pubis des femmes. On est loin de ses pamphlets ? Pas vraiment… Après avoir aperçu du tram la gigantesque mosquée honnie de Rotterdam, Millet arrive à Paris, gare du Nord. Et plonge dans le RER. Et tout peut recommencer •
JERÔME DUPUIS
Langue fantôme, suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik,
De l'antiracisme comme terreur littéraire
Intérieur avec deux femmes, par Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Fausses vertus
«Ce qu'on appelle littérature, aujourd'hui et, plus, largement, la culture, n'est que la face hédoniste d'un nihilisme dont l'antiracisme est la branche terroriste. Il n'v a pas plus de racisme en France qu 'il n'y a de fruits d'or aux branches des arbres, et l'idéologie antiraciste a besoin d'en inventer pour justifier la terreur permanente qu 'elle exerce » Une nouvelle fois, le romancier, éditeur et essayiste Richard Millet porte le fer dans la plaie. Depuis Désenchantement de la littérature (en 2007) et son pendant, L' Opprobre, sans compter le pamphlet Arguments d'un désespoir contemporain, on savait le franc tireur Millet sur ses gardes, pourfendeur d'une post-modernité bien-pensante vilipendeur du "différentialisme minoritariste", las d'un monde dont les valeurs s'écroulent. Cette fois-ci le chantre du Haut Limousin et du Liban a mis dans sa ligne de mire l'antiracisme contemporain, « manifestation tout à la fois hystérique et froide de la haine d'autrui.»
ll revendique ab irato le droit de s'affirmer blanc, hétérosexuel et chrétien dans une société qui a fait du métissage, de la marge, des déviances sexuelles et des hérésies religieuses non européennes les nouveaux canons de la tartuferie socioculturelle l'iconostase contemporaine partages par «/'unanimité clabaudante» les tenanciers des «fausses vertus »
Pour autant alors que «I'hallalisation de la littérature» se propage, il se défend d'avoir cédé aux sirènes brunes du racisme. ll déplore de ne pouvoir s'interroger sur le «seuil de tolérance» évoqué par Levi Strauss à propos de l'immigration massive. Excessif ? Millet Misanthrope ? Oui. Deux fois oui. Comme Alceste plus par désespoir que par haine du genre humain. Et réfractaire, et réactionnaire oui (il réagit) Pis Millet a le tort de pleurer de rage contre le viol collectif de la langue de Molière, rongée par le « globish » mondialisé.
THIERRY CLERMONT
De l'antiracisme comme terreur littéraire de Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
De l'influence des intellectuels sur les talons aiguilles
Découvrez la vidéo de lancement pour De l'influence des intellectuels sur les talons aiguilles, le dernier livre de Roland Jaccard à paraître le 25 janvier.
Disparition de Jacques Vergès
Les Editions Pierre-Guillaume de Roux ont la profonde douleur de vous annoncer la mort de leur auteur, Jacques Vergès.
Maître Jacques Vergès a succombé à un arrêt cardiaque jeudi 15 août vers 20heures dans la chambre de Voltaire, précisément Quai Voltaire à Paris, alors qu'il s'apprêtait à dîner avec ses proches.
Un lieu idéal pour l'ultime coup de théâtre que devait être la mort de cet acteur-né, dont en témoignait ses plaidoiries spectaculaires mais aussi son one man show dans Serial Plaideur au Théâtre de la Madeleine puis de Gaieté-Montparnasse.
A l'instar de Voltaire, il cultivait l'art de la révolte et de la volte-face permanentes.
Ses mémoires publiés chez Pierre-Guillaume de Roux en février dernier sous le titre : De mon propre aveu - Souvenirs et rêveries anticipaient sa mort prochaine et synthétisaient une vie d'aventures et de coups de force sous la bannière de l'anticolonialisme (procès du FLN, rencontres avec Mao, le Che, etc.), tout en passant en revue les causes les plus cruelles qu'il avait eu à défendre au quotidien.
En 2011, Jacques Vergès avait cosigné avec Roland Dumas un pamphlet Sarkozy sous BHL (Pierre-Guillaume de Roux) s'insurgeant contre l'engagement de la France en Libye et dénonçant un faux couple à la de Gaulle et Malraux.
Jacques Vergès sur France Musique
Ecoutez Jacques Vergès dialoguer avec Christophe Bourseiller sur France Musique dans l'émission La matinale.
De mon propre aveu, mémoires de Jacques Vergès (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Jacques Vergès : "Je suis double."
Dans ses Mémoires(1), Me Vergès se raconte comme un personnage de roman. Des aveux qui ne dissipent pas l'ambivalence du défenseur de Barbie
« Sud Ouest Dimanche ». On pourrait résumer votre livre en cet extrait : « Dans ma layette, j'ai trouvé le mépris des convenances et un arc à deux cordes. Toute la richesse du monde. » Vous êtes un enfant du combat ?
Jacques Vergès. Je suis né comme on disait « métis », mais sans subir ce complexe d'infériorité. Au contraire, d'une mère vietnamienne et d'un père réunionnais, je me suis senti très tôt différent des autres. Mes origines ont fait que j'étais double, les critères de tout le monde ne me convenaient pas déjà enfant. Rien de tel pour me délivrer de tous les conformismes.
D'où cette aversion originelle pour les politiques et les gens riches ?
Ayant rapidement perdu ma mère, j'ai été élevé par mon père et ma vieille tante dans cet esprit. Lecteur de Mirbeau, mon père était médecin et responsable d'un groupe clandestin communiste, et il éprouvait une phobie pour l'argent et un grand mépris pour le pouvoir politique. J'en ai hérité.
« Les politiques ont honte de ce qu'ils font, mais le font quand même », écrivez-vous en faisant référence à Fabius et à l'affaire du sang contaminé…
Oui… Vous avez lu dans mon livre cette course contre la mort ? C'est terrible… J'ai défendu cette femme enceinte… Ce procès a eu lieu, ce n'étaient que des politiques jugés par d'autres politiques, c'était déprimant, ça ne pouvait pas aller très loin.
Vous entrez dans la Résistance à 17 ans, vous créez par la suite une revue communiste : vous aviez soif d'en découdre ?
Ce ne sont que des expériences fantastiques, se battre contre les vieux caciques à chaque fois, parcourir le monde comme révolutionnaire professionnel… Ma rencontre avec Nehru, avec Mao, c'était fou. En dépit de mes engagements idéologiques opposés au général de Gaulle, il m'a toujours été fidèle. Il avait un sens de la dignité malgré sa fonction d'homme politique. Il m'a écrit un jour : « Votre sincérité ne peut laisser personne indifférent. »
Vous obtenez brillamment votre concours d'avocat en 1956, mais vous ne choisissez pas le confort d'un cabinet parisien ?
Au contraire, je m'en vais à Alger défendre les politiques du FLN, l'anticolonialisme était la cause qui m'animait…
Puis les célèbres Barbie, Carlos, Ibrahim Abdallah, Garaudy, Gbagbo…
Ce furent les grandes plaidoiries qui m'ont fait connaître, avec des liens très particuliers avec mes clients, mais j'ai tenu dans mon livre à raconter aussi les inconnus, innocents ou coupables, que j'ai défendus. Lorsque j'ai pris des affaires courantes, tout à coup j'ai découvert un monde, la vraie vie, des gens qui me ressemblent. C'est le type qui dépose son bilan, c'est cette femme qui se suicide avec ses deux enfants…
Vous en avez sorti de l'anonymat, Omar Raddad par exemple ?
Un procès, c'est une œuvre au sens esthétique du terme ; pour être réussi, il doit toucher l'opinion…
Ce dont a manqué Antigone ?
Tout à fait. À l'époque, il n'y avait pas de médias… Il y a une phrase d'Antigone qui résume tout : « Il n'appartient pas au Roi de m'écarter de ce qui est mien. J'ensevelirai mon frère… et, si c'est un crime, je serai sainte dans mon crime. » La rupture, ce n'est pas l'injure ; quand, au procès des poseurs de bombes, je dis que les valeurs de l'accusé sont supérieures à celles du juge, je ne traite pas le juge de morpion ou de canaille, mais, au fond, c'est pire…
Lors de vos échanges avec vos clients, on ne sait plus si vous êtes avocat ou psy. Vous semblez atteint du syndrome de Stockholm…
Parfois, je me compare à un bouquin de Bernanos, « Journal d'un curé de campagne ». Ce type qui essaie de comprendre ce qui arrive… Sûrement, je suis atteint de ce syndrome, c'est comme en effet des otages qui se retrouvent dix jours avec les preneurs d'otages, se parlant, et se disant que finalement « ce mec, c'est moi ; à sa place, je ferais pareil ».
« Un seul homme peut approcher au plus près la personnalité de l'accusé : l'avocat », notez-vous. L'écrivain aussi, n'est-ce pas ? Pensons à Truman Capote et « De sang-froid »…
Moins l'écrivain touche à la fiction, plus le procès touche à la vérité. Pensez à saint François d'Assise, qui parlait de la beauté et de la splendeur du vrai. Mais il est certain qu'il y a entre la justice et la littérature un rapport très grand. La tragédie est le sujet du roman, mais aussi celui du procès. C'est la leçon de mon livre. La littérature m'a aidé à comprendre ; lorsqu'on arrive sur une scène de meurtre, on ne dit pas « crime et châtiment », on se dit « Qui est-ce et pourquoi ? »… Les avocats ne lisent plus, les politiques, n'en parlons pas. C'est inquiétant.
Si vous n'aviez pas été avocat, vous auriez fait quoi ?
Avocat, c'est qu'il me fallait un métier, à l'époque, et j'avais fait du droit. Moi, ce qui me passionnait, c'était l'histoire, surtout les civilisations mystérieuses. J'aurais eu du piston, on m'aurait donné une bourse, j'aurais déchiffré l'étrusque et j'aurais été enchanté.
Vous parlez très peu des mystérieuses années, de 1970 à 1978, où vous disparaissez de la circulation ?
J'étais un peu partout pendant ces années, en rapport avec le fils Bhutto, avec Camilo Torres, avec Salameh, l'auteur présumé des attentats des JO de Munich, qui me considérait comme un grand avocat et un ami. Je n'étais pas avec Pol Pot.
Votre « fumée de cigare éloigne les moustiques mais aussi les humanistes », aimez-vous dire. L'humaniste est-il un parasite selon vous ?
Les faux humanistes, oui ! Lors d'une émission, quand vous tombez sur un type qui vous dit avec la voix tremblante « les droits de l'hooooomme… », là, vous en tenez un… Regardez la France, qui combat les opposants au Mali et qui arme les opposants en Syrie… Quelle logique, au nom des droits de l'homme ?
Vous auriez préféré être D'Annunzio, Guevara, Zola ?
Zola, je le prends très au sérieux, le Che m'a initié au cigare, mais la vie de D'Annunzio, ses amours, me tente beaucoup plus… Il a écrit cette phrase fantastique : « Sans la France, le monde serait seul. » On a besoin d'artistes… Vous savez, seuls l'art et la beauté donnent un sens à la vie,et ce sens nous donne le bonheur.
Assez pour aborder la mort sereinement ?
Elle me reste un mystère, je l'appréhende comme une femme. J'aurais dû crever cent fois, mais on m'a raté : un poursuivant qui tombe en panne de voiture, une bombe dans mon appartement alors que je n'y étais pas…
Qu'aimeriez-vous pour vos obsèques en France ?
Trois ou quatre personnes qui m'aiment et qui m'enterrent. Et si des faux culs de politiques me récupèrent, j'aimerais leur dire : « Soyez un peu plus dignes. »
PROPOS RECUEILLIS PAR JEAN-CHARLES CHAPUZET
(1) « De mon propre aveu », éd. Pierre-Guillaume de Roux, 304 p., 21,90 €. En librairie le 14 février.
Des histoires à la Truffaut
François Truffaut aurait aimé ce recueil
de nouvelles. Peut être même, qui sait,
aurait-il demandé à son auteur de jouer
les receleurs de metal japonais, comme
il le fit avec Daniel Boulanger dans Tirez
sur le pianiste Oui, il y a dans ces his
-toires de retrouvailles une fébrilité
contenue, une bonhomie inquiète et
une sensualité urbaine dignes d'un film
de Truffaut. Ecrivain belge trop mal
connu en France, Michel Lambert a le
sens du mouvement. Ses personnages
entrent en collision avec des inconnus
ou des êtres oubliés, au hasard de ren
contres orchestrées par sa plume diabo
lique Ils se fondent dans la foule pour y
trouver leur reflet, leur double, leur
ombre, et cet enfouissement recèle une
grande angoisse C'est que Michel Lam
bert écrit comme un bavard condamné
au silence, qui roule en boucle des pen
sées élégantes, terriblement justes. II
réveille les mots endormis comme
«aplat», «embrocation», les entre
choque avec des descriptions paysa
gères gorgées d'oxygène, et en voiture
Martine, Andre, Charlie, Heloise, pour
des aventures absurdes, capitonnées
d'humour.
MARINE LANDROT
Dieu s'amuse de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Michel Lambert lauréat du Prix Ozoir'Elles 2011
Le Prix de la Nouvelle d'Ozoir'Elles 2011 a été décerné à Michel Lambert pour son recueil Dieu s'amuse paru aux éditions Pierre-Guillaume de Roux le 7 avril 2011.
Rendez-vous au Salon du Livre d’Ozoir la Ferrière le 19 novembre 2011 pour rencontrer le lauréat et les membres du Jury (Simonetta Greggio, présidente, Victoria Bedos, Astrid Eliard, Véronique Genest, Macha Méril, Colombe Schneck, Régine Deforges, marraine d’honneur après avoir présidé les trois premières éditions et les Ozoiriennes.)
Au coeur de la fêlure
Voici 10 nouvelles unies par un fil secret : la fêlure sous les apparences de réussite et de bien-être. C’est aussi le fil d’une course-poursuite effrénée qui se déroule généralement de nuit à travers les rues d’une ville en constant changement de décor. Et pour cause… tous les personnages de ces histoires successives sont des adolescents attardés, la cinquantaine élégante, soudain confrontés au retour d’un passé douloureux qui revient les hanter sous les traits d’une ancienne maîtresse, d’un rival ou tout simplement d’une mère qui ne vous a jamais aimé mais dont les yeux séniles vous dévisagent désormais à longueur de journée. Partagé entre le réflexe de fuir et la tentation de se saisir d’une seconde chance, le protagoniste provoque les situations les plus extrêmes, les plus pathétiques. Tel cet avocat (Le Jour du rat mort) qui se dépouille peu à peu de tout ce qu’il possède un soir de carnaval – argent, vêtements, fierté – parce qu’il sait qu’il ne sera jamais aimé. Tel cet homme, beau et adulé, mais devenu aujourd’hui parfaitement indifférent à ses amis d’antan (Marche triomphale) parce qu’il ne guette plus qu’un appel sur son portable : celui de la clinique qui lui annoncera la mort de sa sœur bien aimée. Tel enfin cet homme qui brisa tant de cœurs autour de lui à force de cynisme (Place de l’Ange), et qui, vingt ans après, n’est plus capable que de bégayer : « Est-ce que ça se voit tant que cela ? » Toutes ces vies au bout du rouleau gardent le plus longtemps possible leur secret : il faut courir après ces silhouettes en fuite pour leur arracher des fragments de confession et reconstruire peu à peu, au gré d’échanges saccadés, au bord du coup de poing, le puzzle de leur existence brisée. Une véritable descente du fleuve, une traversée de la nuit mais qui souvent trouve une éclaircie, une aube à la dernière minute. Le temps d’une bonne parole, d’un éclair de compassion inespéré dans le regard.
Sans tambour ni trompettes, à pas de colombe, comme disait le philosophe, les enjeux des nouvelles de Michel Lambert se posent sans qu’on n’y prenne garde. Le choc est d’autant plus fort, plus subtil. Question de style. Ou plutôt de ton. Légèreté et précision. Efficacité et émotion. Une femme autrefois aimée, un ami, un double, voire une passion ou un objet, et voilà que le passé resurgit à la faveur du hasard. Drôles de retrouvailles, qui cristallisent à la fois tout ce qu’on a refoulé, tout ce qu’on vit dans le présent et tout ce qui pourrait advenir encore. Dans un univers urbain, de souffrance, mais non doloriste, car toujours sourd la petite lumière de l’espoir, Michel Lambert met en scène la solitude moderne, où fourmillent des personnages qui nous ressemblent, qui nous disent que les moments dépassés sont la victoire de ces mêmes moments vécus dans l’adversité.
LUC-MICHEL FOUASSIER
Dieu s’amuse, de Michel Lambert. Éditions Pierre-Guillaume de Roux (2011), 190 pages, 16 euros.
La course de fond de Michel Lambert
Rencontre
Dieu s’amuse. C’est le titre de la première nouvelle écrite par Michel Lambert et qui a donné le ton et le titre à son tout dernier recueil qui inaugure les Editions Pierre Guillaume De Roux. "Dieu s’amuse", c’est un recueil de neuf nouvelles sur le thème des retrouvailles. "Le hasard, c’est Dieu qui s’amuse, j’ai lu cette citation quelque part , indique Michel Lambert qui place ses personnages sur le fil, à un tournant de leur vie, à un moment de basculement, quand la routine de leur existence éclate. Pour ces personnages, chaque pas est une réplique du pas précédent, or une rencontre improbable leur permet de faire un pas de côté, casser la routine et entrer dans un autre univers. Tout l’art de la nouvelle consiste à creuser, approfondir ce moment de basculement. Les nouvelles s’inscrivent dans un temps vertical contrairement au roman où le temps est horizontal" , précise celui qui pratique les deux genres littéraires et qui est à l’origine, avec Carlo Masoni du Prix Renaissance de la Nouvelle. Ce dernier recueil met en scène des personnages, soudain confrontés à leur passé. Des personnages un peu fragiles mais qui ont suffisamment de force pour faire de cette fragilité quelque chose de plus solide. Dans "Dieu s’amuse", deux rivaux amoureux se retrouvent face à face. Dans "Marche triomphale" Charlie oublie pour un instant, Lili, malade, lorsqu’une ancienne maîtresse se présente sous ses fenêtres.
Dans "Les bruits de l’ascenseur", un tableau fait perdre toute sa contenance à Antoine. Et avec "Le nuage", Hugo se heurte à Quentin, le frère d’Estelle qu’Hugo a perdue. Des circonstances particulièrement dures, même si, ici, plus que dans les autres recueils de l’auteur, une lueur d’espoir est davantage présente quant au futur des personnages. Tout est rendu par une écriture qui allège la lourdeur des situations vécues par les personnages. " L’écriture doit être claire et légère et la plus sobre possible, afin de rendre compte de situations complexes , indique Michel Lambert qui compare l’écriture à la course de fond qu’il a lui-même pratiquée. Chaque nouvelle compte 36 ou 37 versions et chacune demande une très longue maturation." Quant à l’écriture du recueil, elle s’est construite "avec des filtres". "Quand j’écris, c’est comme si un radar se mettait en place et ne capte que des sujets de nouvelles. Cela se fait de manière inconsciente, mais au fur et à mesure de l’écriture, le fil rouge et les lignes de force se construisent. Lorsque je commence une nouvelle, je ne sais pas où elle va m’emmener et le thème s’impose de lui-même. Au départ, il y a un personnage et une situation, puis intervient un dérapage. C’est un moment poétique où on ne contrôle plus la situation."
Les émotions des personnages, elles ont déjà été vécues par l’auteur, mais elles se révèlent dans de tout nouveaux contextes. Un processus où chaque mot compte, ce qui demande un important travail, indique Michel Lambert. Et l’inspiration ? Elle naît parfois simplement d’une luminosité, revient des tréfonds de la mémoire, se trouve dans la rue, mais aussi lors d’ateliers d’écriture que Michel Lambert anime dans des centres de santé mentale.
A noter que ce recueil est nominé ainsi que trois autres ouvrages pour recevoir le prix Ozoir’Elles. Le lauréat sera connu le 19 novembre à Ozoir-la-Ferrière. En attendant, Michel Lambert se consacre actuellement à l’écriture d’un nouveau recueil de nouvelles et il envisage ensuite un roman. Il poursuit ses ateliers d’écriture dans des centres de santé mentale et il est aussi rédacteur en chef du bimestriel de la Communauté française : "Le Carnet et les Instants" consacré à la littérature belge.
LAURENCE DUMONCEAU
http://www.lalibre.be/actu/brabant/article/681943/des-retrouvailles-qui-reconcilient.html
Dieu s'amuse, nouvelles de Michel Lambert
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Des retrouvailles qui réconcilient
L’Ottintois Michel Lambert publie un recueil de nouvelles sur le thème des retrouvailles
La première nouvelle écrite par Michel Lambert a donné le ton et le titre à son tout dernier recueil qui inaugure les éditions Pierre Guillaume De Roux, avec neuf nouvelles sur le thème des retrouvailles.
“Le hasard, c’est Dieu qui s’amuse, j’ai lu cette citation quelque part“, indique Michel Lambert qui place ses personnages sur le fil, à un tournant de leur vie. “Pour ces personnages, chaque pas est une réplique du pas précédent; or, une rencontre improbable leur permet de faire un pas de côté, casser la routine et entrer dans un autre univers. Tout l’art de la nouvelle consiste à creuser, approfondir ce moment de basculement. Les nouvelles s’inscrivent dans un temps vertical contrairement au roman, où le temps est horizontal”, précise celui qui conjugue à la fois roman et nouvelles, et qui porte le prix Renaissance de la nouvelle.
Ce dernier recueil met en scène des personnages soudain confrontés à leur passé. Dans Dieu s’amuse, deux rivaux amoureux se retrouvent face à face. Dans Marche triomphale, une ancienne maîtresse de Charlie se présente sous ses fenêtres. Et avec Le Nuage, Hugo se heurte à Quentin, le frère d’Estelle qu’Hugo a perdue. Des circonstances particulièrement dures, même si une lueur d’espoir s’annonce quant au futur. Le tout est rendu par une écriture qui allège la lourdeur du vécu.
“L’écriture doit être claire et légère et la plus sobre possible, afin de rendre compte de situations complexes”, estime Michel Lambert, qui compare l’écriture à la course de fond qu’il a lui-même pratiquée. “Quant à l’écriture du recueil, elle s’est construite avec des filtres . Cela se fait de manière inconsciente, mais au fur et à mesure, le fil rouge et les lignes de force se construisent. Au départ, il y un personnage et une situation, puis intervient un dérapage. En réalité, c’est un moment poétique où on ne contrôle plus la situation.”
Les émotions des personnages, elles ont déjà été vécues par l’auteur, mais elles se révèlent dans de tout nouveaux contextes. Un processus où chaque mot compte, ce qui demande un important travail, ajoute encore Michel Lambert.
Et l’inspiration ? Elle naît parfois simplement d’une luminosité, revient des tréfonds de la mémoire, se trouve dans la rue, mais aussi lors d’ateliers d’écriture que Michel Lambert anime dans des centres de santé mentale. En plus, Michel Lambert se consacre actuellement à l’écriture d’un nouveau recueil de nouvelles et il envisage ensuite un roman, est rédacteur en chef du bimestriel de la Communauté française : L e Carnet et les instants consacré à la littérature belge.
LAURENCE DUMONCEAU
LA DERNIERE HEURE JOURNAL
Dieu s’amuse, nouvelles de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Les nouvelles sont-elles fraîches ?
« Il n'a pas changé, ai-je pensé avec mépris. Et l'instant suivant : si, il a changé, mais en quoi ? Et l'instant d'après : peut-être, après tout, n'est-ce pas lui ? Ca faisait combien ? Trente ans ? » Voilà le fil rouge des neuf nouvelles réunies par le Belge Michel Lambert, prix Rossel 1988 pour 'Une vie d'oiseau' et adepte du texte bref : les retrouvailles imprévues, le retour inattendu et dérangeant d'un passé plus ou moins éloigné, parfois oublié. Dans une esthétique proche de la nouvelle américaine, Lambert met en scène des personnages fatigués aux prises avec leur passé, et qui ne s'en tirent pas forcément comme prévu. Un beau recueil à l'écriture sobre, qui inaugure la nouvelle maison lancée par Pierre-Guillaume de Roux, le fils de Dominique de Roux.
BERNARD QUIRINY
WWW.EVENE.FR
Dieu s’amuse, nouvelles de Michel Lambert
(Pierre-Guillaume de Roux 2011)
Les destins qui trébuchent
Michel Lambert affectionne les destins qui trébuchent, convaincu sans doute que c'est à I'instant de la perte d'équilibre que se produisent les redressements les plus féconds. Il campe des situations fortes en peu de mots, comme I'exige la forme brève de la nouvelle. Ainsi cet homme qui rend visite à sa mère sénile, et qui oscille entre tendresse et distance, à mesure qu'elle se rapproche ou lui demande en Ie fixant qui il est. Ou cet autre qui emboîte le pas à deux coureurs de la Cross cup et se remémore un ami perdu. Ou encore ce couple qui ne sait trop s'il doit se séparer et qui renoue in extremis. Ou les retrouvailles de ce groupe d'amis en goguette qui s'observent et se taquinent avec malice, dans l'ombre d'un drame. Michel Lambert a un faible pour les amours et les amitiés suspendues, celles que I'on hésite à ranimer, les rêves qui reviennent sans crier gare et qui s'emparent du présent, s'estompant au premier battement de cils.
Cet art consommé de f instant fugitif donne à ces neuf courts récits un charme indiscutable qui, associé à quelques images fortes et neuves, donne à ce recueil aux facettes multiples sa texture propre.
TH.D.
Dieu s’amuse, nouvelles de Michel Lambert
(Pierre-Guillaume de Roux 2011)
Au hasard de Dieu et de Michel Lambert
Entre romans et nouvelles, le Belge Michel Lambert promène sa plume. Le Prix Rossel 1988 invite cette fois aux retrouvailles.
Les héros de Dieu s’amuse, le dernier recueil de nouvelles de Michel Lambert se retrouvent tous face à leur passé (voir ci-dessous). Entre romans et nouvelles, l’auteur belge, Prix Rossel 1988, explore inlassablement l’âme et la destinée humaines.
Manifestement, vous aimez le monde de la nouvelle !
D’aussi loin que je me souvienne pour reprendre l’expression consacrée, j’ai lu des nouvelles. Ce type d’écriture a ceci de particulier qu’il repose sur un moment de crise qui cristallise tout. C’est presque métaphysique. Qu’est-ce qui est important, toute la vie ou un moment, un personnage « capital » qui la résume ? J’aime travailler sur ce moment. Dans un roman, le temps est un facteur important. Généralement, l’histoire s’étale sur plusieurs semaines, années ou même générations. C’est comme une ligne de points sur laquelle des petits personnages se rencontrent puis se perdent puis se retrouvent… Dans une nouvelle contemporaine, on prend un point sur cette ligne et on essaie de l’approfondir. C’est un traitement vertical du temps.
Mais vous alternez aussi avec l‘écriture romanesque ?
Je crois en toute honnêteté que je ne serais pas le nouvelliste que je suis si je n’écrivais pas des romans et vice-versa.
Cette pratique régulière de la nouvelle, c’est très américain…
Je suis à mi-chemin de ce qui se pratique outre-Atlantique et de la tradition française qui ne va pas aussi loin dans le dépouillement et la brutalité. Mais c’est vrai que la plupart des écrivains que j’admire sont anglo-saxons et américains. Ou alors, en France, ce sont des auteurs comme Modiano par exemple…
Comment naissent vos personnages ?
Simple, je suis un grand observateur. J’écoute, je regarde et parfois, il arrive qu’un personnage, une situation m’interpelle. Je me dis « et moi à sa place, qu’est-ce que je ferais ? ». Je construis le personnage. Au départ c’est un étranger puis petit à petit, il devient poreux, perméable, le temps qu’il m’accepte et que je l’accepte. Là aussi il y a une grande différence entre le roman et la nouvelle. Dans un roman, après une trentaine de pages, le personnage a une densité, il peut alors prendre la relève. Mais dans une nouvelle on se laisse plus conduire par le ton. On doit être attentif au moindre mot. Je vais toujours chercher mes personnages en dehors de moi-même mais l’émotion de ce personnage, c’est la mienne.
Vous animez des ateliers d’écriture dans des centres de santé mentale, ça vous aide ?
Ce travail m’aide vraiment, j’y ai trouvé beaucoup de personnages. Je pense aussi que l’écriture a une vertu thérapeutique. On apprend sur soi-même. Ça a un côté pacificateur aussi. Plusieurs patients m’ont déjà affirmé que certains exercices les aidaient à se restructurer.
Vous avez remporté le Prix Rossel en 1988, c’est important ?
Bien sûr. C’est une reconnaissance de ses pairs. On est admis, en quelque sorte, dans la confrérie. Ça donne confiance en soi et c‘est une carte de visite. Côté public, ça vous donne des lecteurs que vous perdez au bout de l‘année… Et à la conquête de qui il faut alors repartir ! Même si quand on écrit, c’est d’abord pour soi-même.
Bientôt un nouveau roman ?
Le prochain recueil, ce seront encore des nouvelles. Mais après, je vais peut-être essayer d’écrire un roman à la première personne. Je ne l’ai jamais fait. Un nouveau défi. ¦
Interview : MARIE-FRANCOISE GIHOUSSE
(L'Avenir du 1er juillet 2011)
Dieu s'amuse, nouvelles de Michel Lambert
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
La solitude en neuf nouvelles
Il avoue admirer Modiano et il est certain qu’il y a un peu de l’auteur français dans Dieu s’amuse, le dernier recueil de nouvelles de Michel Lambert. Neuf histoires qui racontent l’instant où, dans la vie d’un homme, un événement, une rencontre le met face à son passé. « Ce sont souvent des rencontres dues au hasard, affirme Michel Lambert, un moment capital où se cristallisent le temps passé et le temps présent. Le personnage se repositionne par rapport à son passé et peut dès lors se préparer plus facilement pour le futur. Je pense que ce sont des moments inévitables quelles que soient ces rencontres. »
Dans la nouvelle qui donne son nom au recueil, on voit ainsi un homme devenu écrivain à succès se retrouver, trente ans après, face à son rival amoureux heureux. Dans Qui est-ce ? C’est toute l’enfance du héros, les difficultés de l’amour d’un enfant pour sa mère qui refont surface. Ailleurs, c’est l’absence d’amour paternel qui poursuit le personnage. Chacune de ces histoires est d’abord un moment de solitude mais évoqué avec une légèreté et une tendresse qui, malgré le sujet, éloigne toute sensation de noirceur.¦
M.F.G.
Dieu s'amuse, nouvelles de Michel Lambert
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Le passant capital de notre vie
Nous l'avions perdue de vue depuis si longtemps que la crainte de la revoir s'était évanouie. Et au « hasard » de retrouvailles, nous voilà en présence de cette personne - rival amoureux, ancienne maîtresse, géniteur oublieux - qui a si profondément déterminé. notre existence La texture de la réalité se fait plus dense et les faits anodins prennent soudain valeur de symboles. Notre premier mouvement est de fuir, mais comment nous déroberions-nous à ce « passant capital » ? Dans un style efficace, clair et volontiers elliptique, l'écrivain belge Michel Lambert décline en neuf nouvelles le thème des retrouvailles Moment qui amène à relire sa vie et à entendre autrement l'appel à aimer ses ennemis Ce premier livre témoigne de ce que veulent être les toutes nouvelles éditions Pierre-Guillaume de Roux • une maison d'authentiques écrivains, qui mise sur un catalogue littéraire de qualité plutôt que sur des coups éditoriaux Une aventure à suivre.
XAVIER ACCART
Dieu s'amuse, roman de Michel Lambert
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Michel Lambert maître de l'art bref
Ces nouvelles ressemblent à des instruments d'optique que nous tendrait l'auteur pour nous faire entrer dans son univers. Ce monde que l'on croirait familier au premier regard et qui, soudain, se brouille, comme par inadvertance, se délite, où les conjurations ordinaires de la vie quotidienne ne suffisent plus à nous cacher que Dieu s'amuse : "Je" est un autre, et même de nombreux autres, ce vertige étrangement familier est notre plus grand effroi et notre plus ancienne tentation. « Pourtant aucun d'eux n'avait marqué le pas, aucun ne s'était arrêté face à lui, sauf moi. Moi qu'il dévisageait tout en prononçant ces quelques mots, je ne sais pas pourquoi je vous dis ça. »
L'apparente nonchalance du style dissimule une redoutable économie de moyens. Avec ce recueil, les toutes jeunes éditions Pierre-Guillaume de Roux nous offrent un maître de l'art bref.
PHILIPPE BARTHELET
Dieu s'amuse, de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Quand Dieu s'amuse, le lecteur s'ébaubit
Neuf nouvelles (...) sur le thème des retrouvailles, indique la quatrième. Une mère, une ex-compagne, un meilleur ami avec qui on s’est fâché, un tableau… Les personnages en effet, pour la plupart, retrouvent quelqu’un ou quelque chose apportant avec soi des grappes de souvenirs. Pas tous cependant: le narrateur d’"André" comme celui de "Qui est-ce?" plongent simplement dans leur passé tandis que celui de "Place de l’Ange", lui… ne retrouve rien du tout mais, en prêtant intérieurement une vie rêvée à un inconnu croisé au sortir du train, peut-être se trouve-t-il lui-même?
Quant au lecteur familier des romans et nouvelles de Michel Lambert, il retrouvera ici une même manière de conduire un récit, ouvert in medias res pour ensuite progresser le long d’un moment allant de quelques heures à plusieurs jours en compagnie d’un narrateur qui, par bribes, se rappelle son passé – une brise fugace soulève le tissu léger du récit qui retombe très vite à son présent –; des personnages pareillement insatisfaits, traînant avec eux regrets, remords, désirs inassouvis… et qui conjuguent le verbe aimer à toutes les formes négatives – ne pas savoir aimer, ne pas avoir été aimé, ne plus aimer... autant de personnages-narrateurs qui, en racontant, ont l’air de donner des coups de pied désabusés dans les décombres de leur vie foireuse. Et dans ces nouvelles il reconnaîtra, également, un certain réalisme, marqué par un attachement aux petits détails matériels et quotidiens. Il se sentira en pays connu. À cela près... qu'une étrangeté difficile à définir, pas vraiment "inquiétante" mais pas "familière" non plus, imprègne tous les textes; une étrangeté parfois éclatante comme dans "Le Jour du Rat mort" ou "Place de l'Ange", mais le plus souvent à peine perceptible et qui se révèle a posteriori, par exemple dans le dénouement de "Qui est-ce?", ou dans la spontanéité avec laquelle le narrateur d'"André" s'invite à bord d'une Audi dont il ne connaît aucun des occupants...Mais après tout, si Dieu s'amuse, n'y a-t-il pas lieu de s'attendre à ce qu'adviennent des choses bien peu pénétrables à l'humaine raison?
Chacun de ces neuf récits, que l’instance narratrice soit une première ou une troisième personne, est écrit selon le point de vue du personnage principal. Michel Lambert n’intervient pas pour combler ce qu'il passe sous silence: c’est là son attitude habituelle que de s’effacer derrière ses personnages dont le regard est seul maître du jeu. Il en résulte une narration bien particulière, trouée de grands blancs où l’on espérerait quelqu’un de ces avant-récits qui, hors de la fiction mère, donnent à celle-ci consistance, densité, profondeur. C’est une façon de raconter parfois déroutante pour le lecteur, qui ne peut presque jamais avoir le sentiment rassurant d’être mis dans la confidence à l’insu des personnages et doit au contraire regarder en face des espaces narratifs laissés vierges. En cette matière, il me semble que les textes réunis ici sont ceux qui vont le plus loin, si j’en juge à l’aune de ce que j’ai déjà lu de Michel Lambert. Cela leur confère une étrangeté de forme qui sied à cette autre étrangeté, de fond si l’on veut, qui évoque un peu l’univers pictural de Paul Delvaux. Ou de James Ensor: ne songe-t-on pas à ses fameux masques (Masques raillant la Mort, L’Intrigue…), à sa grande toile L’Entrée du Christ à Bruxelles, en lisant "Le jour du Rat mort"? La nouvelle est d'ailleurs inspirée par une tradition d’Ostende, ville natale du peintre et qui est peut-être la ville innommée du dernier texte, où se trouve une avenue James-Ensor…
Et le ciel, le ciel par-dessus toutes les destinées en vrac ramassées là, qui n’est pas seulement un élément de décor ni une banale note d’ambiance… Il n’est pas non plus un personnage comme on le dit parfois d’un bâtiment ou d’une ville. Le ciel a dans ces textes une place à part – il y déploie toutes ses humeurs, de jour, de nuit, au lever du soleil comme à son coucher… On le voit de dehors ou bien par la fenêtre, il est omniprésent même lorsqu’il est absent, caché derrière "Le nuage"... Il traverse le recueil comme un thème musical, qui contribue à resserrer la cohésion de l'ensemble.
"Un recueil de nouvelles se compose; les textes doivent constituer un tout cohérent, et s’il faut éviter la disparité, il faut aussi se garder de la répétition", a souligné Michel Lambert lorsqu’il a évoqué les grands principes qui le guident dans son travail d’écrivain à l’occasion de la soirée "Autour de la nouvelle" organisée le 31 mai dernier par le
centre Wallonie-Bruxelles de Paris. Dieu s’amuse illustre cela à merveille: l’homogénéité thématique, et tonale, est évidente; les textes sont, de plus, d’une grande unité stylistique, tant en ce qui regarde leur construction que leurs rythmes phrastiques. Pourtant chacun d’eux a son caractère, son identité – et je ne pense pas qu’il viendra à l’esprit d’aucun lecteur que ces nouvelles "se répètent". Par contre elles se répondent, se lancent les unes aux autres des clins de mots, ou d’images – d’infimes échos qui les unissent étroitement au-delà de leur fraternité de fond, et l’on peut dire du recueil qu’il est aussi finement architecturé que les récits dont il est fait.
ISABELLE ROCHE
Michel Lambert, Dieu s’amuse - nouvelles, éditions Pierre-Guillaume de Roux, avril 2011, 187 p. – 16,00 €.
Le recueil comprend:
"Qui est-ce?", "Le jour du Rat mort", "Un rêve", "André", "Marche triomphale", "Dieu s’amuse", "Les bruits de l’ascenseur", "Place de l’Ange", "Le nuage".
(http://terres-nykthes.over-blog.com/article-quand-dieu-s-amuse-le-lecteur-s-ebaudit-75577900.html)
Rendez-vous au Centre Wallonnie-Bruxelles le 31 mai à 19 heures
Avec Michel Lambert, nouvelliste phare de langue française, à l’occasion de la parution de son dernier recueil Dieu s’amuse (Pierre-Guillaume de Roux, 2011).
Michel Lambert nous présentera, en exclusivité, la lauréate 2011 du Prix Renaissance de la nouvelle, Madame Scholastique Mukasonga, écrivain rwandais de langue française, pour son premier recueil L’Iguifou – Nouvelles rwandaises aux éditions Gallimard.
Le prix franco-belge Renaissance de la nouvelle, créé en 1991 par Michel Lambert et Carlo Masoni, a pour but d’encourager cet art narratif encore trop marginal dans la sphère francophone.
Le comédien Philippe Müller lira des extraits de ces deux recueils.
ENTREE LIBRE.
Centre Wallonie-Bruxelles
7, rue de Venise – 75004 Paris- http://www.cwb.fr- Tél : 01 53 01 96 96.
Michel Lambert parmi les 4 nominés du Prix Ozoir'elles
Depuis le lancement du Salon du livre d'Ozoir-la-Ferrière, un prix est décerné à un recueil de nouvelles publié dans l'année précédente. Ce prix est attribué par un jury formé de personnalités et des lectrices d'Ozoir.
La sélection officielle des recueils retenus pour le prochain prix Ozoir'elles vient de sortir. La voici :
Dieu s’amuse, de Michel Lambert ( éditions Pierre-Guillaume de Roux)
La lettre de Buenos Aires, d'Hubert Mingarelli (éditions Buchet Chastel)
Mon amoureux et moi, de Isabelle Minière (éditions D'un noir si bleu)
La mauvaise habitude d'être soi, de Martin Page (éditions de l'Olivier)
Le jury regroupe, cette année, Simonetta Greggio (présidente), Victoria Bedos, Astrid Eliard, Véronique Genest, Macha Méril, Colombe Schneck.... et les Ozoiriennes. Régine Deforges ne participe plus au vote mais demeure “Marrraine d’honneur”.
Alors rendez-vous le samedi 19 novembre 2011 à Ozoir-la-Ferrière pour connaître le lauréat de cette année.
Michel Lambert orfèvre de la compassion
Faulkner prétendait qu’on fabriquait des romans à défaut d’écrire des poèmes ou des nouvelles. Indirectement, il signifiait son appartenance à l’univers anglo-saxon. Lequel apprécie le sprint autant que le demi-fond, et bien davantage que le dix mille mètres ou le marathon. C’est qu’il se trouve dans le genre de la nouvelle une élégance de l’instant. Et l’intuition que la vie se joue plus souvent sur un clin d’œil que sur un élan de la volonté.
La nouvelle entrebâille la porte de la chambre pleine de remous et livre la vérité cinglante, soit l’existence lorsqu’elle échappe à toute maîtrise ou analyse. Tout le mérite revient à Michel Lambert de nous conduire en ces moments de grâce inversée où le scalpel brille, inéluctable et pourtant humain. Jamais à ce point, je crois, il n’a été maître de son sujet. Maître ? Ou plutôt serviteur des failles qui courent sur les façades de nos existences sans lendemain. Dans un style dépourvu de graisse, mais nourri des mille et un détails qui parlent bas, il suit les trajectoires d’hommes et de femmes à qui le destin, cruel par essence, impose un moment de lucidité. Laquelle, on le sait, est mère des plus grandes douleurs. C’est soudain le langage qui l’emporte sur toute autre considération ; un geste échappe à tout contrôle ; les faits s’enchaînent comme dans un rêve qui vire au cauchemar.
La plupart des nouvelles de ce recueil évoquent l’amour tel qu’il devient à la cinquantaine : un regret, une morsure, une plaie d’orgueil, un reste d’espérance. A l’instar de Simenon, sans juger, Lambert s’efforce de comprendre. Jamais, il ne conclut. Tels amants se retrouvent par hasard, bien après les orages de la passion, pour une conversation au goût de cendres. Un homme croise celui que son grand amour a choisi, il y a bien des années ; le duo déambule entre chien et loup, pour s’avouer que chacun au bout du compte a tout perdu. Une femme vient réveiller en pleine nuit celui qui l’a refusée en son temps, et le fait descendre dans un bar, loin de son téléphone resté allumé dans l’attente de l’épouse qui se meurt d’un cancer à l’hôpital.
Toutes ces révélations tissent une trame éminemment humaine, dans des atmosphères en demi-teintes, comme assourdies, proches de l’intime et des gouffres amers. Les masques tombent et Dieu s’amuse à jeter les dés. De leur côté, solitaires et blessés, les hommes s’arrangent avec ce qui reste d’eux-mêmes : le plus souvent, ils font dans la trahison de la femme aimée, de l’ami, de l’âme surtout. En sorte que le soir tombe, mangé par le bleu de la nuit et les réverbères qui tremblent de loin en loin. Il faut faire seul et se fondre dans le bruissement de la ville qui continue de gémir des mille et une espérances en déroute.
Recueil de toutes les mélancolies, Dieu s’amuse montre l’exemple de la compassion vraie ; c’est là une réussite littéraire de haut vol.
ALAIN BERTRAND
Dieu s'amuse, nouvelles de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Michel Lambert face au passé
Parfois le passé semble loin. Parce qu'on ne l'a pas convoqué depuis longtemps, parce que le présent se fait plus intéressant, parce qu'on l'a enfermé à double tour dans un coin de notre tête. Et parfois, au contraire, il est éclatant. Eclaboussant. Il nous saute à la figure au détour d’une artère, par le biais d'un coup de fil ou au souvenir d'un trajet en voiture. Et là, la carapace s'effrite. C'est ce qui arrive aux personnages des nouvelles du dernier livre de Michel Lambert, joliment titré Dieu s'amuse.
Dans celle qui donne son titre au recueil, le narrateur tombe nez à nez avec l’homme qui lui a volé sa fiancée, et réalise du même coup ce qui l'a pousséà écrire. Dans « Le nuage », Hugo est confronté à Quentin,le frère d'Estelle, qu'il a aimée tant qu'il pouvait jusqu'à ce qu'elle se donne la mort. Charlie, lui, voit son passé débouler une nuit, quand deux vieux amis viennent le sortir de sa retraite taciturne, dans « Marche triomphale ». Dans « Les bruits de I'ascenseur », Antoine gâche un rendez-vous important, ébranlé par la vue d'un tableau qu'il sait cher son ex. Etc. Que se passe-t-il alors ? Souvent, pas grand-chose.
Michel Lambert ne décrit ni destins bouleversés, ni trajectoires de vie tarabiscotées. Ce n'est pas son genre. Avec sa plume délicate, il laisse ses personnages encaisser le coup. Se reprendre. Et bien souvent, poursuivre ce qu'ils avaient entamé. Le chavirement est à l'intérieur. Mais I'auteur ne le détaille pas, et laisse le lecteur le ressentir grâce à la justesse de description des situations. Pas de fioriture dans ce recueil très cohérent. L'écrivain affirme juste, histoire après histoire, qu'on n'échappe pas à son passé. Et qu'il faut souvent s'y frotter pour le dépasser.
Ce n'est pas une leçon de morale, Michel Lambert a trop de finesse pour ça. Juste des histoires humaines qu'il raconte tendrement.
ADRIENNE NIZET
Dieu s'amuse, nouvelles de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
La lisière illuminée
Rares sont les êtres et les livres qui ne déchoient ni de leur nom ni de leur titre. Rare est Dreuse, homme et livre… sans les hommes, les textes n’étant rien, sinon des miroirs sans fond. Les vibrations caverneuses du bel accord mineur du titre ne s’éteindront jamais, engendrant d’elles–mêmes, par la logique profonde d’une écriture en prise sur la nature des êtres et des choses, les harmoniques cristallines, immatérielles de la fin. Fin tragique et sublime d’un nom d’un chien d’histoire dont la beauté va crescendo.
C’est de nos jours, ou même un peu plus tard, au cœur secret de la Bretagne. Loin des gloires singeresses d’une époque abîmée, un homme s’est retiré, pour la nécessité du paysage et le travail, dans un courage de solitude et un secret qui lui valent le respect mais aussi la curiosité du village quasi déserté. Quel travail accomplit-il dans le silence de sa maison aux blancheurs chaulées de chapelle ? Malgré sa gravité dans son rapport aux textes et sa connaissance des poèmes, il se défend d’être écrivain. Hors normes, d’une simplicité hauturière, d’une bonté sans condescendance, triste et courtois, on ne connaît de son visage que l’expression boisée des yeux, et de sa haute silhouette qu’un manteau de marche vert pâle. Il se livre mais à peine, à travers la relation malicieuse, chaleureuse, qu’il entretient avec deux surprenants confidents choisis pour leur qualité d’âme. Admirable personnage, dont l’auteur parle comme personne.
Pour des raisons d’abord énigmatiques, Hadrien Dreuse de temps en temps monte à la capitale, où se noue, de façon bien inattendue et non sans un humour discret, une intrigue amoureuse poignante et saugrenue, on ne peut plus contemporaine et parisienne. Quand l’indicible se dira, quand tout se précipitera, non que le tempo s’accélère, mais parce que diminuera la résistance de la matière, l’histoire se transmuera en conte intemporel, élevé à puissance de légende dans la Bretagne retrouvée, archétypale et précise à la fois.
Le premier roman français, Tristan et Yseult, conte d’amour et de mort, n’était pas français, mais breton. En pleine post-modernité, Dreuze reconduit, avec un léger sourire, la Matière de Paris à la Matière de Bretagne… Rien de passéiste pourtant chez Louis Jeanne, qui possède l’oreille absolue et des moyens littéraires extrêmement sophistiqués, mais qui n’en fait pas une manière, une virtuosité d’apparat. Ses amples phrases, à la fois serrées et fluides, marchent au pas du lieu dont les replis épouse, attentive, la pensée. Le récit, magistralement mené, mais sans les attendus des suspenses ordinaires, d’abord paisible et détaché, se donne finalement le droit d’un romanesque absolu qui ose le ravissement, l’irrationnel abandon, conscient de ce que l’alchimie du verbe en son étape ultime, l’assication ou combustion sourde, n’a de sens que si l’alchimiste s’implique dans la purification. Aux confins de l’esprit lisant s’ouvre alors, et sans retour, la lisière illuminée. Dans le salut particulier d’une vision inoubliable, car peu atteignent cette lumière-là, dans un dernier regard perdu et la réprobation du monde, le titre et la gloire sont réconciliés.
Dreuse vous fauche dès en entrant, par sa belle et sûre écriture, sa voix étrangement familière, son souffle incomparable, son mystère, et ce quelque chose en plus dont on ne sait pas ce que c’est, mais qui en fait un grand livre.
CLAIRE VAJOU LE TALLEC
Dreuse, premier roman de Louis Jeanne
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Le dernier Français
C'est peut-être le dernier Français dont Louis Jeanne fait le portrait dans ce premier roman qui annonce un grand écrivain. Mais, contrairement au « dernier homme » de Nietzsche, ce dernier Français, Hadrien Dreuse, n'est pas un dégénéré,entièrement asservi à sa médiocrité et satisfait de l'être. Dreuse est tout au contraire un combattant, dressé seul contre la décadence dans une Thébaïde rurale ou ne sont admis que les rares rescapés - êtres et choses - de l'ancienne France, cette France dont les feux se seraient éteints vers 1968. Dreuse ne combat pas seulement pour se protéger de la catastrophe culturelle dont la France est le théâtre, il combat essentiellement pour l'honneur, pour être le témoin de sa victoire intérieure, laquelle passe par une organisation presque maniaque et véritablement héroïque du temps et de l'espace qui lui sont impartis, et que Louis Jeanne décrit avec une extraordinaire méticulosité poétique.
Cette intériorisation du temps et de l'espace s'exprime dans la dilatation de la phrase, dont le rythme immémorial, accordé à celui des saisons, s'emballe parfois dans une imprécation digne de Péguy. Louis Jeanne a notamment des mots terribles pour accuser les renoncements de l'école républicaine et la destruction de l'identité nationale qui en a résulté. Mais la victoire intérieure de Dreuse, et tout le roman est là, passe aussi par l'épreuve des nostalgies, des regrets, des tentations.
De ces épreuves, le héros ne sortira pas vivant, mais transfiguré, le vieux fonds légendaire des campagnes françaises resurgissant à point pour emporter Hadrien Dreuse dans un conte de Perrault ou un roman de la table ronde. Le récit, obscurément initiatique, bascule alors dans la lumière du mythe, contre laquelle les maléfices de la modernité ne peuvent rien.
MICHEL MARMIN
Dreuse, premier roman de Louis Jeanne
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Matière de Bretagne
Une énigme insoluble pour les villageois: un certain Dreuse, venu s'installer à Kerpantric « pour le besoin de solitude, la nécessité du paysage et le travail », échappe à toute catégorie, riche d'un authentique rapport à soi, chose rare dans un monde en plein « désarroi » - terme clef-que la faillite de l'enseignement, décrite sans complaisance, ne peut plus juguler. Dreuse a donc fui pour « l'autre rive » où il « veille », uniquement soucieux désormais de « son salut particulier ». À Kerpantric, le rapport aux autres est différent, loin de l'enfer du paraître, où seuls l'argent et le pouvoir permettent d'accéder à une forme de reconnaissance; balayant « les fausses évidences », Dreuse fait de l'autre l'objet d'un intérêt véritable. Si désespérée qu'y soit la description de notre société, le roman s'illumine de la présence d'êtres simples et vrais, doués d'un regard capable de « lever chez [les autres] ce qu'ils ignoraient d'eux-mêmes », tout en respectant leur part de secrets.
Dreuse cherche enfin un rapport au monde juste, quêtant dans le plus humble objet, loin d'une consommation dictée par la mode et l'artifice, « le sentiment inaltérable du vivant, de la durée, de l'épaisseur de l'être ». Le miracle simple qui consiste à goûter, chaque matin, le retour du jour traverse le roman comme le sceau d'une liberté conservée, à l'inverse de « l'illusion de la liberté par les loisirs » - « l'embrigadement » d'un monde moderne, décoré d'emblématiques monuments aux morts, déjà « réduit par les bruits de bottes ». Cultivé, charmant, Dreuse est avant tout, « une bonne personne, juste préoccupée par des choses [permettant de] regarder loin en lui ou plus haut ».
Ce don de vue profonde, la seconde partie du roman le dévoile, magistralement, à la faveur d'un épisode amoureux, parisien et branché, qui, d'une façon aussi inattendue que nécessaire, se transmue en « un beau conte d'amour et de mort ». L'enjeu est de ranimer en nous, dans un monde qui sombre dans le néant, l'étincelle de vie capable de traverser l'ombre et de pénétrer « la lisière intérieure », celle du retrait. Il s'agit d'une reconquête, la course du monde vers la gloire et les richesses provoquant « cette perte organisée de soi qui froisse le vrai noeud du monde ». Dans son désir de retrouver « ce qui était de lui au plus profond de lui-même », Dreuse espérait « voir la lisière illuminée un jour ».
Or l'écriture, qui est capacité de traverser un paysage, offre le moyen d'une telle entreprise - ainsi celle de Louis Jeanne, ample, procédant par enjambées successives, longues et cadencées, calquant son rythme sur une respiration intérieure, riche d'ajouts visant à préciser une réalité complexe qu'elle cherche à approcher doucement, et peut-être patiemment apprivoiser. Mais cette écriture qui relève de « la nécessité impérieuse » et non d'une simple « mise en scène » n'a pas été reconnue, et Dreuse y a renoncé. Jusqu'à ce qu'une femme, par amour, lui soumette un texte qui le conduira à ce qu'il cherchait obscurément. L'espace et le temps désormais reliés, conjugués « dans une géographie perdue dans le silence du temps », l'histoire peut trouver son dénouement, Dreuse par la passion « remis aux origines oubliées », rentré « dans l'épaisseur définitive du temps ».
La fin, sublime par son tragique, éblouissante par sa grandeur, consacre un homme - et plus encore, un écrivain - qui a refusé toute compromission : sa « vie de retrait » au regard d'un « monde sans raison, à la raison principale égarée » prend soudain la dimension d'une « histoire où la raison gagne les tréfonds de ce qui nous possède », et donne l'exemple d'« une sorte de folie raisonnée ». La lisière atteinte se révèle le lieu sacré de l'être: dans un transport d'amour extatique, non pour se perdre, mais pour « se retrouver », il va « plonger dans ce coeur qui n'était plus celui du monde mais le coeur vraiment », montrant que « l'irrationnel » est « la seule subversion possible face à ce monde de raisons posées et triomphantes » et que « le ravissement » en est la manifestation.
BEATRICE MARCHAL
Dreuse, premier roman de Louis Jeanne
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012
Bouleversant
Campagne perdue, écrivait le poète. Plus exactement campagne à l’abandon, campagne des rescapés. C’est aux confins de la Bretagne que s’est retiré Hadrien Dreuse pour se régénérer dans la solitude, permettre l’exploration inquisitrice de soi-même. Dreuse fait la connaissance de Fauchet, homme à tout faire à la campagne ; de la mère Vauton, observatrice aiguë. D’autres figures se font jour attachés à la terre. On emboîte le pas à leurs envies, on guette leurs pratiques. Louis Jeanne propose un nouveau Chaminadour sondant les parties les plus obscures de l’âme, à l’aide de phrases d’une longueur extrême, permettant de donner consistance à des vies un peu grises. Il importe d’abord de libérer la parole, car la parole fait l’homme, son débit ou son peu d’éloquence. La libre exposition des affections des personnages n’est pas oubliée. Le silence est rompu comme on rompt le pain. On tient bon en s’isolant, on se fait oublier en tenant sa langue. On s’insère, on déclare forfait, on ne capitule pas. Hadrien Dreuse est un homme debout dans une campagne préservée, heureusement épargnée, si l’on ose s’exprimer ainsi, loin de cette ère nouvelle dont il n’y a plus rien à attendre. Comme chez Michel Leiris et sa « goutte de vérité » enfouie dans le passé, qui donne sa règle au jeu de la vie, Louis Jeanne accompagne ses personnages image par image comme sur une table de montage. Il met en évidence ce qui selon lui doit demeurer, doit subsister, doit rester immuable si l’on veut préserver l’intégrité de l’homme, d’un pays. Si on s’emploie à être en accord avec sa conscience. Un dernier mot : ce livre est un premier roman.
ALFRED EIBEL
Dreuse, roman de Louis Jeanne (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Eloge érotique de Richard M. de Mariia Rybalchenko
En pays défait de Pierre Mari
En Rêve et contre tout d'Anastasie Liou
Découvrez "Lecture stupéfiante & stupéfiante lecture", l'article de Pascal Adam consacré à En Rêve et contre tout paru sur www.profession-spectacle.com
En Rêve et contre tout d'Anastasie Liou
Découvrez "Anastasie Liou, l'anti- Marc Lévy", l'article de Thomas Morales paru dans Causeur à propos d'En Rêve et contre tout.
A la recherche du Brésil
Depuis le XVIe siècle, Ie Brésil est en mouvement, en mutation, en dérangement continu. D'abord arrivent les Portugais, puis les Espagnols, dans la foulée débarquent les Francais. Quand Gilles Lapouge met les pieds pour la première fois, il trouve un pays en progression persistante et en tombe amoureux. Rien de commun avec ces écrivains voyageurs qui se contentent de fairel'inventaire de ce qu'ils ont vu. Lapouge multiplie les séjours, finit par intégrer la rédaction d'un quotidien à Sao Paulo pour lequel il est correspondant a Paris. Son tableau du Brésil n'est jamais terminé. C'est cela qui est passionnant chez Lapouge qui déplace les ombres, les lumières de ce pays de l'excès où les grosses fortunes côtoient la pauvreté, où les déceptions s'effacent devant des satisfactions prolongées. Le meilleur duromanesque n'est pas dans le roman, il est dans ce livre qui nous mené de surprise en surprise, laissant le lecteur pantois, lui ouvrant de nouvelles perspectives sans reprendre haleine. La finesse des Brésiliens frappe Lapouge lorsqu'il arrive « des épaisseurs de l'Europe notamment ». Stefan Zweig n'a-t-il pas écrit que le Brésil est une terre d'avenir ? Avec Lapouge, l'avenir est aujourd'hui.
ALFRED EIBEL
Equinoxiales, récit de voyage de Gilles Lapouge (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Ecoutez Gilles Lapouge sur France Inter
Ecoutez Gilles Lapouge évoquer le Brésil d' Equinoxiales et la guerre intemporelle d'Un soldat en déroute dans l'émission Ouvert la nuit sur France Inter.
Equinoxiales, récit de voyage de Gilles Lapouge
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Etude pour un homme seul de Richard Millet
Lisez l'article de Thomas Morales à propos d'Etude pour un homme seul de Richard Millet paru sur Causeur.fr
Entretien avec Philippe Vallet sur France Info
France Info
Familles je vous aime
Alexandre Devecchio interviewe Ludovine de La Rochère pour Figarovox au sujet de son ouvrage Familles je vous aime.
Richard Millet le nouveau mécontemporain
«La France n'a jamais connu une telle dégradation unanime de la langue. Quand la langue est malade, le reste est malade. Le cancer de la langue est k cancer social par excellence. »
En 1977, jeune professeur, il croyait la maladie réversible. « J'ai enseigné le français pendant une vingtaine d'années. Je m'y suis donné tout entier, sans faire de différence entre les origines des élèves. J'ai cru très longtemps quelque chose. J'ai vu que k système excluait toute volonté réelle de transmission. Quand j'ai constaté que je sortais du système, je suis sorti de tout. » Sortir de tout, c'était rejoindre « l'épaisseur rythmée », la « mémoire frémissante» de la langue, et mourir au monde pour ne pas mourir avec lui. Ecrire des romans (son premier, L'Invention du corps de saint Marc, a paru en 1983), des récits autobiographiques, mais aussi des essais, sortis en rafales ces dernières années. Désenchantement de la littérature, L'Opprobre, L'Enfer du roman, Fatigue du sens balaient un vaste champ : le culturel contre la culture, la loi contre l’éthique, l'incompatibilité de l'islam avec l'Europe, le viol de la langue, l'américanisation de la France, la faiblesse du roman national et la « soupe narrative accommodée aux épices de la mondialité anglophone », la fiction de l'antiracisme, le cancer du nihilisme, etc. En retour, ses « ennemis», les suppôts du « Nouvel Ordre moral », l'ont habillé pour l'hiver de la pensée : «pseudoprophète égaré dans ses vaticinations idéologiques », « négativiste teigneux», ouvertement «lepéniste », « homophobe », etc.
Ses ennemis ? « Les sicaires d'un système qui se prétend de gauche ou d'extrême gauche mais qui, en réalité, participe du capitalisme le plus sauvage. Contradiction qu'ils assument sans aucun état d'âme. » Dans Fatigue du sens, il prévient d'emblée qu'il n'écrit pas « contre les immigrés, les races, les ethnies, lésé/rangers, l'islam, etc. », mais des extraits sortis de leur contexte, des focalisations excessives ont laissé croire le contraire. Au fond, il n'a jamais rien eu d'un polémiste, et chez lui, la théorie critique n'est même pas première. Elle naît d'une forme de stupéfaction devant le monde tel qu'il va et où il voit se dissoudre son identité d'homme « blanc », « catholique »,«hétérosexuel ». Cette inquiétude l'engage parfois dans les voies du paradoxe, de la provocation, de l'équivoque, du ressassement pénible. Elle catalyse aussi sa pensée, l'élève au plus haut point d'une sécession et d'un exil qu'on ne saurait réduire à son ironique position d'« apartheid volontaire ». Les trouées, les nuées de Millet sont vertigineuses. Il faut le lire lentement, sans zapper. Mais qui prend le temps du sens aujourd'hui ? Sûrement pas les damnés de la blogosphère. Lui en rajoute dans la pose christique : « Aux caresses des amis je préfère les crachats. » Au risque de passer pour le réac, le proscrit, l'imprécateur de service. A la télé, il brocarde Jack Lang qui « a contribué l'aplatissement de la culture » et Dominique de Villepin pour son goût du slam. Il se moque de mettre la doxa servile dans sa poche. Quand il se dit gêné « esthétiquement » par les Américains obèses en goguette au Louvre, il est moins applaudi que Nicolas Bedos.
JEAN-MARC PARISIS
Photos Nicolas Reitzaum
Fatigue du sens, essai de Richard Millet, (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Richard Millet lauréat du Prix des Impertinents 2011
Le Prix des Impertinents 2011 a été décerné, lundi 21 novembre, à Richard Millet pour son essai Fatigue du sens, publié aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.
Le Prix des Impertinents, remis à la brasserie Montparnasse 1900, partenaire du prix, distingue un livre s’inscrivant à contre-courant de la pensée unique. Le jury, présidé par Jean Sévillia, réunit Christian Authier, Jean Clair, Louis Daufresne, Chantal Delsol, Bruno de Cessole, Paul- François Paoli, Rémi Soulié, François Taillandier et Eric Zemmour.
Prix des Impertinents 2010 : Michèle Tribalat, Les yeux grand fermés. L’immigration en France, Denoël.
Prix des Impertinents 2009 : Claire Brière- Blanchet, Voyage au bout de la Révolution, de Pékin à Sochaux, Fayard.
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Richard Millet parmi les finalistes du Prix des Impertinents
Le Prix des Impertinents 2011 sera décerné le 21 novembre.
Parmi la sélection déjà opérée par le jury, présidé
par Jean Sévillia, et qui comprend :
Laurent Fourquet, L'Ère du consommateur (Cerf)
Jean-François Mattéi, Le Procès de l'Europe (Puf)
Jean-Claude Michéa, Le Complexe d'Orphée (Climats)
Richard Millet, Fatigue du sens (éd. Pierre-Guillaume de Roux).
Richard Millet l'imprécateur
Romancier, essayiste, éditeur et membre du comité de lecture de Gallimard, Richard Millet est aujourd'hui un écrivain condamné à l'exil intérieur dans un pays qu'il ne reconnaît plus, la France. Avec son dernier opus, Fatigue du sens, il brosse le tableau clinique d'un pays fatigué d'être lui-même et de son symptôme le plus évident, l'immigration de masse, ce « trafic d'êtres humains où les intérêts mafieux rencontrent ceux du capitalisme international». Rencontre avec un écrivain guerrier.
Alain de Benoist: Votre livre est un long cri de tristesse et de colère indignée contre les pathologies sociales engendrées par l'immigration. Mais, à très juste titre, ce n'est pas tant aux immigrés que vous vous en prenez qu'à un climat général qui, entre autres choses, a rendu possible cette immigration. Vous parlez de la « fatigue du sens » qui règne sur la France, « grand corps épuisé » - et vous expliquez très bien l'origine de cette fatigue. Mais vous mettez aussi en cause l'économie de marché et la « disneylandisation ethnique » (« Disneyland comme résurgence hédoniste des camps de concentration »). Quel lien peut-on faire entre les deux phénomènes ?
Richard Millet: Le lien peut se trouver dans le rapport entre l'hégémonie du Marché et des populations obéissant au principe de mondialisation, laquelle s'établit surtout sur ce qu'on n'ose plus appeler le Tiers-monde et sur des nations fatiguées d'être elles-mêmes, rongées par une culpabilité fantasmatique, par l'abaissement culturel, par la chute de toute verticalité en un vertige horizontal petit-bourgeois, fade, américanisé, devenu l'idéal commun ou l'unique lien entre indigènes et immigrés. La disneylandisation du culturel va de pair avec celle du politique: le « métissage » comme horizon ultime, et Obama comme face vertueuse de Berlusconi. Le Marché ne va pas sans le droit, comme l'a montré Michéa; or, si le Marché n'a cure des nations, des traditions, des peuples, des langues vernaculaires, de la culture, il a grand besoin de main d'oeuvre, quelle qu'elle soit; d'où une ethnicisation du juridique, le droit ayant moins pour fonction de défendre les immigrants et les « minorités » que de rappeler à l'ordre les récalcitrants. Rien d'étonnant que, devant certaines résistances à son programme hédoniste-totalitaire, la propagande se soit dotée d'appareils de répression tels que la loi Gayssot et tout ce qui a été regroupé dans ce nouvel organisme appelé, je crois, les droits de la personne. Nous vivons dans un système où le ludique et le « cool » sont l'expression vertueuse d'un totalitarisme inédit.
Alain de Benoist: Comme beaucoup, vous êtes frappé par le naufrage de l'école et l'effondrement de la culture qui en a résulté. La crise de l'école est avant tout une crise de la transmission. Pourquoi ne parvient-on plus à transmettre ?
Richard Millet: Pour transmettre, il faut un un instrument, en l'occurrence une langue ; or, la transmission même de cette langue est passée au second plan, quand elle n'est pas méprisée, voire oubliée: la langue est aujourd'hui en lambeaux. Regardez à quel flottement sémantique aboutit la féminisation idéologique des noms de métiers et des titres. Quant au flottement orthographique et syntaxique, il reflète bien la dégradation du lien social. Il y a donc crise, non pas des « valeurs », comme on tente de le suggérer, mais contestation de la valeur en tant que telle et en tant qu'elle serait l'apanage d'un monde ancien, révolu, dont le nôtre n'est que le simulacre inversé : quoi de plus petit-bourgeois par exemple que le « mariage homosexuel » ou la prétendue liberté sexuelle? L'idée même de transmission, donc de connaissance, est suspecte - le passé l'étant plus que tout, et objet de « révisions » perpétuelles.
Alain de Benoist: À part le suicide, quelle solution pour ceux qui, comme vous, se sentent en état d'«exil intérieur»?
Richard Millet: Ce sont les autres qui se suicident moralement, et les peuples qui se renient; moi, je survis: exil intérieur, ou apartheid volontaire, qui suppose une intense activité intellectuelle. Il faut regarder, écouter, témoigner, chercher des témoins pour les témoins que nous sommes. La solitude du témoin fait sa force. Le pire ayant déjà eu lieu, et sans croire que quelque chose de meilleur puisse poindre ni nous abandonner au désespoir, au moins faisons- nous savoir que nous ne sommes pas dupes. Et puis la solitude est une forme de dissidence...
Fabrice Valclérieux: Vous partagez l'opinion d'un nombre croissant de témoins -dont la rédaction d'Éléments, mais aussi nombre d'enquêtes nationales et internationales- sur la dégradation, voire le délabrement, du système éducatif français, mais pouvez-vous nous dire pourquoi, à vos yeux, on en est «arrivé là». Quelles en sont les raisons ? Qui en sont les « responsables » ?
Richard Millet: II y a eu, dans les années qui ont suivi les troubles de Mai 1968, une volonté de traquer l’« idéologie dominante » et d'en finir avec toute forme d'autorité, notamment de libérer l'« enfant ». J'ai enseigné pendant une vingtaine d'années et j'ai vu comment la droite giscardienne a mis en oeuvre, dans les années 1975, avec la réforme Haby, le programme de la gauche : fin des classes de niveaux (avec lesquelles il était pourtant plus facile de travailler qu'avec ce marécage mis en place par le « collège unique »), contestation grandissante du pouvoir des professeurs, d'ailleurs débaptisés en « enseignants », élimination du contenu littéraire au profit du journalistique et du communicationnel, suspicion jetée sur l'histoire de France, la langue française vécue comme instrument de domination de classe, et tout ce qui a été peu à peu jeté à bas pour faire mine d'intégrer des immigrés toujours plus nombreux et qui n'avaient nulle envie d'être français, surtout les musulmans. L'enseignement, comme le reste, est une structure flottante, en perpétuelle réforme, et en voie de paupérisation intellectuelle, travaillée en profondeur par la propagande. Comment admettre qu'un bachelier ou un licencié sache à peine la langue française ni l'histoire du pays où il vit? Ne peut-on pas penser que se dessine là le vrai, le cynique visage du libéralisme-libertaire qui veut des consommateurs, c'est-à-dire des esclaves « citoyens »?
Fabrice Valclérieux: Pensez-vous qu'il soit possible de sortir de ce marasme, et si oui comment ?
Richard Millet: Un marasme ? Plutôt une forme de guerre civile qui ne dit pas son nom, mais qui est la projection sur le territoire européen de la double intimidation islamique et américaine; l'islamisme comme miroir de la mauvaise conscience européenne, et l'américanisme comme vertige d'un impossible métissage; une guerre civile qui pourrait être une violente source d'espoir si l'islamisme ne faisait pas partie du Marché et de ses enjeux, et si les Américains ne détenaient pas le pouvoir technologique et symbolique par lequel ils définissent le nouvel ordre mondial.
Fabrice Valclérieux : En tant qu'éditeur et écrivain, que suggéreriez-vous pour améliorer le niveau de connaissance et de pratique de la langue et de la culture françaises ?
Richard Millet: Je ne crois plus qu'à l'épreuve individuelle, à l'expérience intérieure, aux rencontres bouleversantes - la rencontre avec une oeuvre, une pensée, un art, ce qui suppose un renoncement à la « Culture » et à ses mythologies, ou, plus exactement, au Culturel qui a pris la place de ce que les Européens appelaient la culture. Contre cette universalité de l'« entertainment», il faut revenir à une aristocratie de l'esprit, à un refus de l'utile, de l'humanitaire, de la culpabilité, à une esthétique de l'écart perpétuel. La culture universelle s'est jouée sur peu de noms, toujours article_actifs.
Michel Marmin: Votre critique du roman contemporain n'induit-elle pas une critique du genre lui-même? Ne peut-on pas considérer que le roman, mettons depuis Pamela de Richardson, est consubstantiel à la modernité et qu'il est l'expression même de cette « horizontalité » que vous dénoncez ? Ne s'oppose-t-il pas radicalement, à cet égard, au conte, par essence traditionnel et « vertical »? Qu'en pense le romancier Richard Millet ?
Richard Millet: Que la crise soit le mode d'existence du roman, depuis Sterne ou même Rabelais, soit Le roman doit viser les effets de surface de l'horizontalité pour les référer, les confronter a une forme de verticalité et a l'histoire de la langue dans laquelle il s'écrit, c'est ce croisement, cette dimension critique, parfois grammaticalement dissidente et esthétiquement solitaire, qui m'intéressent chez Balzac, Flaubert, Proust, Kafka, Faulkner, Alejo Carpentier, Jouhandeau, Claude Simon, Thomas Bernhard, Sebald, Handke II est cependant vrai que je suis un peu las d'un genre qui, incapable de se reenchanter et de produire du mythe, ne fait plus que perpétuer de façon infernale sa propre copie
Michel Marmin : Vous reconnaissez-vous des prédécesseurs ? Vous citez Péguy en exergue de Fatigue du sens. En vous lisant, j'ai plutôt pensé à Flaubert et à Montherlant. Ces rapprochements vous semblent-ils incongrus?
Richard Millet: Je connais mal Montherlant Sollers m'a signalé la série des Jeunes filles épatant, très moderne, et politiquement très incorrect ! Pour Flaubert, je reste hanté par son héroïque conception de l'écriture - cela même qui s'évacue aujourd'hui sous le double effet de l'ignorance ou la plupart des romanciers sont de leur propre langue et du roman anglo-saxon qui ne se soucie pas de « style ». Mes prédécesseurs sont plutôt ceux dont je viens de donner le nom.
Michel Marmin : II y a un grand mystère dans le monde actuel, c'est la musique. Alors que la littérature s'installe dans une sorte de « mainstream » qui est pire quetout, car c'est l'« horizontalité » lisse et indolore, alors que l'art contemporain est bel et bien contemporain dans la mesure où il ne relevé plus de l'esthétique, mais du marché, la musique savante connaît depuis Schoenberg une fertilité créatrice ininterrompue : vous en témoignez avec enthousiasme dans votre livre Pour la musique contemporaine. Ayant été personnellement impliqué dans certains courants de la musique contemporaine, ayant assisté à beaucoup de concerts, depuis ceux du Domaine musical, il y a une cinquantaine d'années, jusqu'à ceux de l'Ircam, ayant enfin un peu écrit sur le sujet, je n'ai jamais trouve d'explication à ce mystère. Le pouvez-vous ?
Richard Millet: La musique suppose une science, une connaissance a quoi ont renonce les autres arts pour privilégier une prétendue authenticité de l'« expression de soi » Une jeune fille me disait récemment n'avoir pas trouvé en France d'école ou apprendre le dessin elle est donc allée l'étudier a Florence, déjà ignorants de leur langue, les romanciers ne lisent plus Je voudrais aussi risquer ceci la musique savante est aussi une expérience du sacré, en rapport avec les mystères majeurs - cela même qu'on peut entendre jusque chez des compositeurs incroyants comme Debussy, Bartok ou Webern Et puis la récente levée des tabous mélodiques et rythmiques redonne toute sa chance à cette musique, comme chez Dalbavie, Part, Rihm, et tant d'autres Mais l'inculture menace aussi ce domaine le compositeur Régis Campo me dit ses étudiants incapables d'écouter une symphonie de Bruckner ou de Mahler en entier et a peu près ignares en littérature Comme la solitude, comme la liberté de penser, le silence est devenu insupportabl.
Pierre Le Vigan : Vous constatez dans Fatigue du sens l'« effondrement du politique dans la religion de l'Humanité». Cette religion de l'humanité n'a-t-elle pas un lien quasi consubstantiel avec le christianisme?
Richard Millet: L'humanité est ici un concept politique, une conséquence idéologique de la mondialisation antiraciste et des droits de l'homme non l'humanité au sens chrétien. En ce sens, l'humanité est sa propre religion Rappelez-vous le catéchisme de Michelet, antichrétien acharné, infatigable progressiste, grand écrivain mais benêt politique, intitulé La Bible de l'humanité.
Pierre Le Vigan: Vous parlez de « l'alliance objective entre le protestantisme et l'islamisme qui sont les deux religions sur quoi s'appuie le marché ». Vous ne pensez pas que, s'il existe un islam de marche et si le protestantisme a pu (c'était la thèse d'Alain Peyrefitte) concourir à un certain dynamisme économique capitaliste, l'inquiétude religieuse constitue néanmoins un élément de résistance au tout marché et au culte du progrès matériel ?
Richard Millet: Plutôt que d'« inquiétude religieuse », j'aimerais entendre parler de certitude, de foi Je respecte la foi islamique. Je ne tolère pas l'islamisation de l'Europe, tête de pont d'une guerre en cours que le capitalisme islamique a bien du mal à faire oublier Je ne suis cependant pas naïf au point de croire à une dialectique entre islam et chrétienté. C'est une dialectique effondrée dans le capitalisme, des répliques grotesques et cyniques de spiritualité, une dégénérescence de l'idée de religion. La religion comme « culture »? Laissez-moi la croire tout autre chose la laïcisation de la société, le multiculturalisme et la terreur antiraciste ayant coupé l'Europe de sa dimension chrétienne, c’est un continent devenu à peu près illisible culturellement. Comment dans ces conditions regarder une cathédrale, écouter Bach, lire Bossuet ou Simone Weil? Comment résister, dès lors qu'on est aveugle et sourd ?
Pierre Le Vigan : Vous écrivez que « tout éloge des frontières ne peut être qu'une ruse de l'horizontalité mondialiste ». Pourquoi? Régis Debray est-il pour vous un « faux ami »? Et là encore, pourquoi?
Richard Millet : J'ai dit combien j'aime passer les frontières, aller chez autrui, avoir le sentiment de l’ailleurs, et non celui d'une globalité du même, d'un totalitarisme de l'identique. J'aime l'universalité en tant qu'elle est productrice de vraies différences, non pas d'une juridisation politique de l'« Autre ». Je me méfie de ce que la propagande récupère, y compris le sentiment de la frontière. Quant aux amis, pour peu que j'en aie, j'ai appris à m'en méfier. Je vous disais que je suis seul...
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Entretien avec Richard Millet sur la guerre civile inommée
Richard Millet, vous êtes un des rares romancier d'aujourd'hui dont on
puisse dire d'ores et déjà qu'il est à la tête d'une oeuvre. Et vous vous mêlez
d'écrire sur les dysfonctionnements de notre société. N'y a-t-il pas contradiction ?
Il se trouve que j'ai fait scandale en disant « Quand on s'appelle Ahmed à la troisième génération, on ne peut pas être français.» Mais je ne sors pas de mon travail d'écrivain en disant cela. Le travail d'un écrivain, c'est de nommer J'ai des amis un peu tièdes qui disent« S'il se contentait d'écrire des romans !»Mais pour moi, cela fait partie de ma démarche, qui passe par une lecture non fictionnelle de la société contemporaine S'il y a des choses que l'on doit à tout prix éviter de nommer, alors autant aller planter des choux ! La tolérance n'est pas en cause : regardez la Hollande, le Danemark, la Suède, ils ont des députés populistes, c'est-à-dire d'extrême droite. Et pourtant du point de vue sociétal, du point de vue des mœurs, ce sont les gens les plus tolérants du monde. Alors on crie, on pleure. Et on ne dit pas pourquoi. Ce pourquoi, c'est souvent l'immigration non contrôlée, notamment musulmane. Ce que je mets en cause, c'est l'idéologie qui mène au silence et qui ne peut déboucher que sur un oubli de tout ce que l'on est, un flottement dans le présent, consécutif à l'oubli de toutes les traditions et de toutes les mémoires et notamment de la nôtre.
Ne croyez-vous pas que vous risquez de faire une fixation sur cette question de l'immigration, en lui consacrant des ouvrages entiers ?
Une romancière m'a violemment attaqué en disant « II regarde la couleur des gens » Je regarde l'autre en tant que tel. Cela ne signifie pas que je sois réductible à l'extrême droite ou que je sois raciste ! J'ai beaucoup discuté avec les élèves que j'ai eus « Nous, monsieur, on n'est pas Français, on tient à rester Algérien ». Moi je tiens à rester Français et je ne crois pas à l'idéologie du métissage obligatoire Je dirais : notre génération, au moins, elle a les moyens de la lire, cette idéologie. Mais les jeunes subissent un tel matraquage qu'ils ne comprennent plus ce qui est en jeu. Je n'ai rien contre l'immigré en tant que tel. En revanche, l'immigré, tel qu'il est instrumentalisé par la propagande, est une figure du nihilisme contemporain.
On ne peut pas dire que l'immigré ait le monopole du nihilisme...
Ce que je dénonce c'est une dialectique du pire, dans laquelle personne ne veut accepter l'autre : les uns ne veulent pas ou ne peuvent pas s'intégrer. Les autres se sentent pris dans la haine de soi (sur l'air bien connu : on est allé les envahir
pendant 100 ans, c'est normal qu'ils viennent chez nous) Qu'est-ce qui se perd dans cette dialectique négative entre l'indigène et l'immigré ? C'est l'esprit de la nation Je suis désespéré. Nous sommes quelques esprits, les derniers encore libres, à pouvoir dire cela. Mais cette perte pourrait bien être irréparable. J'ai le sentiment de me battre pour l'honneur. Connaissez-vous ce petit fait divers autour des cloches de Sartrouville. La Marne a interdit aux cloches de sonner. En substance, voilà ce qui est arrivé : « Nous ne voulons pas de muezzin, alors nous faisons taire la cloche » C'est une expression abjecte de la soumission au politiquement correct, la menace, en face, on la voit mais c'est notre culture que l'on neutralise ou que l'on pénalise.
On vous a beaucoup reproché ce que l'on appelle une posture de votre part, celle du dernier écrivain...
Je ne prétends à aucun monopole et à aucune posture ! Je veux rappeler que notre culture est une culture chrétienne. Et si je parle du dernier écrivain, c'est comme Nietzsche parle du « dernier homme ». La conviction de Nietzsche était que l'on a besoin de s'appuyer sur le désespoir pour toucher le fond. C'est vrai qu'il peut y avoir dans le désespoir du nouveau. Mais je ne le vois pas pour l'instant. Cela dit, je suis attentif à ce qui peut surgir de ce désespoir, ne serait-ce que tout ce qui montre que je ne suis pas seul. Pour l'instant, ce qui me touche, ce sont les premières réactions à ce livre Fatigue du sens, les gens qui déclarent « Enfin, je vois écrit ce que je pensais » Une lectrice m'a dit «Avant de vous lire, je croyais devenir folle » ll y a un bouche à oreille qui se met en place. C’est très difficile de se représenter un élément d'espoir face à la grande entreprise nihiliste. Ces réactions sont comme des signes que quelque chose va se produire. Mais la situation, reconnaissons-le, est particulièrement opaque. On n'est plus dans le même monde que Soljénitsyne par exemple. Lui s'attaquait à quelque chose de reconnaissable, d'identifiable. Nous faisons face à un contexte protéiforme, mouvant, qui peut paraître extrêmement sympathique, mais qui a l'appareil judiciaire derrière lui. Nous sommes dans une guerre civile innommée.
Qu'est-ce qui vous a fait entrer en résistance ?
Je n'ai jamais milité pour quoi que ce soit, je ne suis inscrit dans aucun parti politique. Ma démarche est personnelle. Je m'appuie sur mes lectures. Le mensonge général devant lequel on se trouve, cette déformation systématique de la réalité, Guy Debord appelait cela le spectaculaire. II nous a appris à ne pas nous laisser impressionner par le spectaculaire. Jean Baudrillard prolonge en quelque sorte le regard de Debord sur le spectaculaire. Dans Cool memories, quand il nous explique par exemple que « la Guerre du Golfe n’a pas eu lieu », on voit bien qu'il n'est pas dupe, lui non plus, de ce qui paraît. Dans ce registre, ma dernière découverte est Jean-Claude Michéa, un orwellien, qui explique le fonctionnement de notre société.
Avez-vous eu d'autres référents pour construire cette vision du monde qui se dégage de Fatigue du sens
J'ai lu René Girard La violence et le sacré. J'avais 20 ans C'est un livre qui a beaucoup compté pour moi, parce qu'il m'a donné, à moi lecteur de Nietzsche, une clé la victime émissaire. Je me suis beaucoup intéressé parallèlement à Georges Bataille, à la question de la part maudite. J'ai compris que la société ne peut survivre qu'en sacrifiant quelque chose de matériel. C'est le principe de la dépense somptuaire : la société n'est pas le produit d'un calcul. Elle ne peut survivre que par le don.
Et aujourd'hui...
Aujourd'hui, comme dit Michéa, en examinant la question libérale, il y a deux instances : le Marché et le droit. Voilà à quoi se réduit notre magnifique démocratie : on ne peut agir sur rien. Ce sont les marchés qui gouvernent le monde. Pas la peine de nous faire croire autre chose ! Et du coup, le politiquement correct a pris la relève des valeurs chrétiennes. Voyez l'anti-modèle américain puisqu'il y a mondialisation économique, l'obstacle ce sont les nations, les langues, les religions Elles gênent ce que nous voulons : la libre circulation des marchandises, mais aussi des hommes. Voilà le Marché. Et face au Marché, il y a des récalcitrants ? Pour régler la question des récalcitrants, vous avez le droit. En France ce sont les Lois Gayssot ou feu la Halde. Ceux qui veulent résister sont littéralement coincés entre ces deux instances.
C'est à partir de ce cadre que vous écrivez vos pamphlets ?
Ce ne sont pas des pamphlets. Le pamphlet déforme. Pour moi, je ne cherche pas à politiser les choses. Je fais une lecture du réel, qui se dérobe derrière toutes sortes de simulacres comme disait Baudrillard. Et c'est cette lecture du réel qui me fait dire que l'immigration extra-européenne est le problème majeur de l'Europe, notamment dans sa composante musulmane. Cette composante musulmane révèle plus que toute autre nos propres blocages par rapport à nous-mêmes. On veut nous faire croire que nous vivons dans un paradis social, intellectuel et même spirituel. Lire le réel, c'est faire voler en éclat le mensonge entretenu sur nous-mêmes.
Comment caractériseriez-vous ce mensonge en un mot ?
Lorsque l'on fait de « l'humanité » le concept politique ultime, selon la formule de Pierre Manent on tombe dans une sorte de phobie de l'autre. L'idéal c'est l'indifférencié. Et on s'y perd soi-même. Voilà ce que j'ai appelé « la fatigue du sens »Il n'y a rien que je haïsse avec autant de constance que le monde contemporain, ce monde où l'on peut constater tous les jours cette «fatigue du sens » Permettez-moi pour conclure cet entretien et donner envie au lecteur de découvrir la fulgurance de ce petit ouvrage de quitter la forme orale de l'entretien et de citer l'un ou l’autre des aphorismes qui, selon moi, définissent le mieux cette tentative de description d'une vente volontairement cachée et cette haine du monde comme « contemporain » qui est la vôtre « Ce n'est plus l'homme que nous voyons c'est le réel où l'homme advient comme simulacre, I immigration étant l'un des noms de cette dégradation qui fait de l'homme un produit biodégradable au coeur d'un Marché ou l’original (la vie elle-même) s'est perdu » Et encore « Je mets dans le même sac les immigrés qui méprisent ouvertement la culture française et ces Français de souche dont l'ignorance a contribué à faire basculer cette culture dans le Culturel, autrement dit dans le relativisme americain »
Merci, Richard Millet, d'avoir accepté de parler aux lecteurs de Monde et Vie Merci avant tout pour cette écriture somptueuse, qui nous fait pressentir quelque chose de la vente de notre condition contemporaine.
Propos recueillis par l'abbé G DE TANOÜARN.
Fatigue du sens, essai de Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Ligne de crête
S'il existe une véritable ligne de crête dans la vie intellectuelle française, c'est celle qui partage ceux qui croient à la guerre civile de ceux qui n'y croient pas. Croire en la guerre civile, c'est considérer que le métissage de la société ne peut être en aucun cas fraternel. On connaît cette expression angoissante de « Grand Remplacement » chez Renaud Camus, qui désigne l'épuration silencieuse anti-française qui est selon lui à l'oeuvre, on se souvient des thèses de Jean Raspail, et, sans que ces noms soient mélangés dans mon esprit tant leur orientation respective est différente, on a en mémoire les analyses de Finkielkraut sur la défense de la culture et de la pensée. Naturellement, un certain esprit de responsabilité reproche à ces auteurs de mettre le feu aux poudres, de pousser leur prophétie à s'auto-réaliser. À quoi un Richard Millet, auteur avant l'été d'un Fatigue du sens (2) très inquiétant, douloureux, et étrangement beau, répondrait que la guerre est déjà là, que l'apologie béate du métissage est la face idiote, sympathique, et irréelle, d'un véritable conflit souterrain entre un type d'homme qui disparaît, l'homme de la civilisation française, qui se trouve défié et sera bientôt anéanti par ses deux rivaux survitaminés que nous appellerons, sans trahir sa pensée nous semble-t-il, le « mahométan réformé » (que Millet appelle plutôt l'islamo-protestant), d'une part, et un « Homo economies pénaliste », esclave du Droit et du Marché, d'autre part. Pour Millet, ces deux types humains vont d'ailleurs converger pour déclencher une sorte d'Apocalypse ontologique, et déchireront allègrement, dans une scène digne d'une orgie satanique filmée par Stanley Kubrick, le manteau de cathédrales qui nous a recouverts depuis un millénaire.
Qu'est-ce qu'un mahométan réformé ? C'est un fanatique religieux, un excité de l'universel, sans profondeur, sans doctrine, sans colonne vertébrale. Un ectoplasme violent. Il croise dans son cerveau immanentiste la révélation directe (islamique) et la haine (protestante) des médiations. C'est un « Mao Spontex » qui croirait en un Dieu hologramme de son nombril haineux. À la différence d'un catholique français, qui accorde à son pape et à l'Église ce beau rôle pastoral de tenir la doctrine droite au milieu des turpitudes de l'esprit et de l'histoire, et qui dispose par conséquent, dans son rapport avec l'Éternel, d'un soutien à ce qu'il sait être ses limites spirituelles,
intellectuelles et morales, le mahométan réformé déteste les autorités spirituelles, ces béquilles de la finitude, car il est outré de lui-même dans sa prétention au dialogue direct avec Dieu, et il est aveuglé par un prophétisme à portée de haine, autant dire un fanatisme. Ce caractériel horizontal n'a pas de limite connue à son prosélytisme nihiliste, et n'a pas compris l'essentiel selon Millet, à savoir le sens de la phrase de Balzac selon laquelle l'amour universel est hors de portée de la « machine humaine » (en passant, je ne crois pas que ce soit la phrase la plus catholique de Balzac, et ceci est un euphémisme). Attention à l'excès d'universel et à la logique de prise directe sur le divin, voilà le message. Sauf qu'il est trop tard pour éviter le choc des civilisations, car ces mahométans réformes sont légion, et passionnément ambitieux, en bons nihilistes. Ils ont déjà gagné la plupart des esprits, selon l'auteur, car ils sont souvent nés catholiques et français depuis vingt générations : c'est simplement qu'ils se sont oubliés en route et ont rejoint le banc des abrutis, c'est-à-dire des hommes sans échelles et sans histoire.
Quant à {'Homo economicus pénaliste, l'homme du Marché et du Droit, c'est un adorateur de l'argent fréquemment traversé de pulsions de chicanes, grandi à l'ombre de la Bourse et des tribunaux. Un ventre vindicatif, un appétit procédurier, un accusateur automatique dont la seule et pauvre jouissance est de passer à la caisse sous le regard du dieu Dollar. Je veux dire : un crétin américain (la moitié de ma famille étant américaine et mon épouse calviniste, j'aurais des prétextes pour ne pas être patient avec Richard Millet !
Mais je tiendrai bon, car Millet fait l'effort de ne pas haïr ce qu'il n'aime pas, c'est vraiment un auteur recommandable). Convaincu, transparent, moral, matérialiste (l'argent est béni, donc celui qui en gagne beaucoup est dispensé de la nécessité de penser à son origine, là où Bossuet aurait ouvert ses yeux effrayés et les nôtres sur la genèse des fortunes des meilleures familles catholiques...), dénué de vie intérieure, sourd à l'ambivalence, agent du bien, probe, pragmatique, agressif, accusateur. En un mot : un manager sympa, un sénateur néo-conservateur, un éditorialiste Murdoch, mais aussi un démocrate impérial du « meltingpot » façon Clinton, etc.
Et ça y est, les mahométans réformés ont réalisé leur jonction avec les ploutocrates grandis à l'ombre des tribunaux américains, nourris à la chicane, dopés au pénal. Ça ne va pas être facile tous les jours, la guerre civile pour de vrai est sur le point d'avoir lieu, et je vais devoir m'y coller à mon corps défendant ; d'ailleurs, en un réflexe ancestral, j'ajuste mes cubitières en vous écrivant. Ma belle Savoie va bientôt devoir se défendre contre un projet de califat montagnard branche sur Wall Street, poursuivi militairement par des mollahs hagards, époux de dix ombres de femmes désespérées, tenues en esclavage. L'argent des Américains financera leurs missiles au nom du Droit. Stéphane Hessel sera un peu dépassé par les événements, il aura du mal à les faire entrer dans sa grille... Des agités du barreau constitués en tribunal international justifieront cette croisade à l'envers et diront « amen » en langage juridique onusien au moment de l'assaut sur mes positions. Je crois que c'est le moment de relire à l'envers la Prise d'Orange (anonyme) et la Jérusalem délivrée (du Tasse). Dans la famille, on a l'habitude de ce genre de situation, compliquée spirituellement (allez savoir qui a raison, demandons au chapelain entre deux assauts), mais simple militairement (on nous tire dessus, ripostons, de préférence sans perdre notre âme). Je vous tiendrai au courant de l'évolution de la situation.
Fatigue du sens est le journal intime d'un monde dans lequel l'épée est l'axe de l'histoire, sans que sa fin en soit la paix. À cet essai, j'ai deux objections. La première est pratique : quiconque a tenu un fusil d'assaut ou un lance-roquettes antichar dans ses mains, ou a commandé une section d'infanterie, sait bien que moins d'une seconde suffit pour basculer d'un monde sans drame à l'autre, le monde de la guerre. Le monde de la guerre ne nous apprend rien que nous ne sachions déjà sur le progrès moral de l'homme : au mieux, la chevalerie, au pire, les nazis. Déclarer la guerre, c'est faire bégayer l'histoire spirituelle de l'homme. Bégayer n'est pas faire avancer Deuxième objection : certes, nous sommes d'accord, le pseudo-monde sans drame dans lequel nous vivons est entièrement bidon, mais rien n'interdit de le déballonner, qui du fond de son monastère, qui du fond de sa thébaide, qui du haut de sa chaire. Il ne faut pas jeter les vrais innocents - veuves, orphelins, vieillards - dans la guerre pour régler leur compte aux faux innocents, qui, j'en conviens volontiers avec l'auteur, nous pompent furieusement l'air.
Mais ce n'est pas parce qu'elle est désarmée que l'intelligence doit être pessimiste. Et ce n'est pas parce qu'il recule que le catholicisme doit cesser d'être universel.
MARIN DE VIRY
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
La fatigue du sens
Maître ès littérature et déclinologue, romancier misanthrope au catholicisme paradoxal ; Richard Millet n'est pas un écrivain qui échappe aux définitions. À l'inverse même du cliché qui voudrait qu'un artiste ne rentre dans aucune case, sous peine de ne pas mériter sa place dans l'histoire des lettres, Millet se glisse dans les habits abîmés des décadents en épousant l'esthétique de ces réactionnaires mélancoliques pour lesquels la nostalgie figure la seule révolution qu'ils ne condamnent pas et qu'ils réclament en guise de dernière liberté quand la modernité leur a enlevé toutes les autres, — et celle de la parole en premier lieu.
Avec La fatigue du sens, c'est d'abord, comme dans ses précédents essais, par une réappropriation du langage que Millet s'engage dans la polémique mais, ici, selon une fureur désabusée qui menace de le stigmatiser définitivement aux yeux des inquisiteurs du politiquement correct, quand bien même ce ne serait déjà pas le cas, parce qu'elle ne s’embarrasse plus de détour et dit haut et clair sa parole. Cependant, cette colère froide résonnant à merveille avec le style de marbre cher à l'écrivain et qui le situe, sans aucun doute, à la plus haute place du panthéon littéraire de la France contemporaine, figure moins la forme d'une pensée profonde que le mouvement essentiel qu'elle cache. Et ce mouvement plus que la ligne de crête du pamphlet politique, ou même celle de l'analyse sociétale et déprimée, c'est la méditation de la mort d'une civilisation entière, dans le mélange abrutissant du tout avec le rien, que Millet définit par son appétence à une horizontalité présageant la position funèbre que chacun adoptera au tombeau. Chant mélancolique et fragmenté, La fatigue du sens, si l'on désire bien comprendre cet épuisement que Millet raconte, et qui fatigue le sens en premier dès avant de fatiguer l'homme qui ne le comprend plus en second, n'est ni la saillie d'un réactionnaire moins encore que le ressassement nauséabond d'un ressentiment invoqué à l'aune de quelques lubies : comme celles de la décadence ou celle de l'immigration. C'est plutôt, et plus essentiellement, l'abandon d'un monde, celui de la langue et celui de la France, que l'auteur de « L'opprobre » confesse sans se consoler dans l'espérance d'un « après » qui semble au mieux lointain, et plus sûrement chimérique.
Si chercher en lisant La fatigue du sens la faute raciste et n'interpréter ce recueil d'aphorismes où se mélangent la nostalgie et la fureur qu'à l'aune de la doxa antiraciste, que Millet définit justement comme ce qu'elle est, cette doxa qui se rêve doctrine, un « racisme sans race », c'est ne pas savoir lire et moins encore comprendre, c'est paradoxalement à Gobineau et à son traité sur l'inégalité des races que cette fatigue crépusculaire ressemble le plus. Non pas certes, dans la systématique raciale, carrément absente chez Millet et stupide jusqu'au grotesque chez le comte dépressif, mais dans ce mouvement inéluctable vers l'indistinction dont nous parlions à l'entrée de cet article, et qui tient la vrai place de sujet dans le traité gigantesque de l'ami de Tocqueville (que l'on aurait tort d'ailleurs de rabaisser à un simple délire raciste vomit sur plusieurs centaines de pages). Car même si la forme elle aussi diffère, le traité pseudo-érudit chez l'un, la sentence chez l'autre, permane dans les deux livres la même mélancolie, située à mille lieu d'une quelconque révolte politique, qu'aucun finalement n'appelle, puisqu'ils devinent ensemble que cette marche n'a d'autre issue que le néant où elle s'abolira.
Livre insupportable, parce qu'il dit la vérité sans ambages, quitte à cela de prendre le risque de se faire mal comprendre, et livre magnifique en raison de cette vérité, fut-elle seulement celle de Millet, qui n'accepte plus de transiger avec la novlangue de l'époque laquelle, dégueulant sa moraline derrière son sourire bisounours, annonce des lendemains nettement plus meurtriers que ces appels à la haine que l'on reproche à Richard Millet et que pourtant, à condition de le bien lire, il ne profère pas !
REMI LELIAN
http://www.boojum-mag.net/f/index.php?sp=liv&livre_id=2433#
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Les mélopées de Saint-Polycarpe
C’est la fin. Il n’y a plus rien. Tout est effondré. Steppe partout ! C’est par un tonnerre de livres (Désenchantement de la littérature, L’Opprobre, L’Enfer du roman) que Richard Millet nous annonce le grand vide des temps et des lettres. Et ces jours-ci, coup sur coup, deux livre siamois : Arguments d’un désespoir contemporain et Fatigue du sens. Cette ardeur démultiplicatrice a de quoi surprendre chez un ennemi déclaré du nombre. Quelle assiduité dans le désarroi ! Quelle endurance à dire la fatigue ! Cette fatigue nous gagne, à lire ces deux textes, où nous use moins le désespoir (quoi de plus désespérant qu’un optimiste ?) que la répétition – un des visages du démon, selon Richard Millet…
Fatigue du sens inquiète ; non pas tant parce qu’il y est question du rapport entre les figures de l’immigré et de l’autochtone en des termes propres à atterrer les zélateurs du Bien, que parce qu’on y ressasse jusqu’à l’étourdissement : pas moins de 150 pages, et deux fois autant de fragments, pour déplorer la dilution des singularités dans le bouillon américain du marché, du métissage, du nombre ; pour signifier l’inanité des multitudes apatrides ; pour faire part de la fuite de l’écrivain Richard Millet, non au désert, mais dans «l’apartheid volontaire». («Apartheid volontaire» ? Étrange, cette façon dont certains écrivains pourtant au fait, en général des pièges du langage, sont prompts à ramasser les mots de l’ennemi, pour les lui jeter au nez, assortis d’un signe moins – ripostes qui se veulent radicales, «anti-politiquement correct», et ne sont que spectaculaires... À novlangue, novlangue et demi ! Et c’est ainsi qu’à la surdité s’oppose la surdité ; que s’ouvre dans la langue le plus sûr chemin vers cette guerre civile qu’on s’inquiète par ailleurs de voir poindre aux confins du mensonge contemporain !). Fragments-mantras donc, psalmodies, comme pour tenir Dieu éveillé, et le démon à distance. Nulle échappée dans Fatigue du sens ; mais la même thèse grimée, rhabillée cent fois… Lire un fragment de Fatigue du sens, c’est les lire tous, ou quasi. Étrange dépit du lecteur de dériver au long de ce mauvais infini que Richard Millet redoute plus que tout !
«Au début des années 90, est-il écrit dans l’essai Arguments d’un désespoir contemporain, le Nouvel Ordre moral se mettait en place, irrésistiblement, dans les habits mêmes de l’idéal démocratique, avec la volonté de défaire, en les discréditant et en les vidant de leur contenu, les vieilles nations, les langues, le christianisme, la musique savante, la littérature, le secret, toute forme de pensée indépendante, au nom du relativisme généralisé et des lobbies minoritaristes qui prenaient le contrôle de la pensée». Richard Millet a des airs de Polycarpe, ce saint qui s’enfuyait en criant, mains sur les oreilles : «Mon Dieu ! Dans quel temps m’avez-vous fait vivre !» Saint Polycarpe a son charme, et c’est à bon droit que Richard Millet méprise ce dont s’enorgueillit notre Très-Bas-Empire : son horizontalité hyperdémocratique, athée, antiraciste, bavarde, procédurière et tautologique, travaillant frénétiquement à la prolifération du Même – ce qu’en laquais comique de l’Amérique protestante et multiculturelle, la France nomme diversité. Cependant…
«Ce monde nouveau, ce cauchemar post-humaniste, Nietzsche, Péguy, Spengler, Bernanos, Guénon, Huxley, Orwell, l’ont annoncé, Heidegger, Arendt, Marcuse, Debord, Baudrillard, Steiner, Muray, Fukuyama, Lyotard, Gauchet, Lipovetzky, Sloterdijk, Schaeffer, Michéa en ont proposé à des degrés divers la généalogie, la description, l’herméneutique […]». Aimable procession ! C’est qu’on se presse, depuis un siècle, pour jeter la dernière poignée de terre sur le cadavre de l’Occident, dont la sanie phosphorescente est prélevée, avec régularité, pour être mise en bocal, analysée, étiquetée. Ainsi, à quoi bon multiplier les requiems, qu’on sait par cœur ? Et puis Richard Millet, tétanisé par le monde tel qu’il va, c’est-à-dire tel qu’il ne va, c’est vrai, plus nulle part, s’inquiète médiocrement de chercher la cause de cette fringale de néant, de cette passion maladive pour le rien. Quand on prétend avoir la passion de l’origine, on jette sa sonde un peu plus profond ! Alors, coupables, les «bien-pensants», «antiracistes», droits-de-l’hommasses et autres démocratistes ? Sans doute, mais n’accablons pas tant notre clique d’imbéciles horizontaux. Nos petits kapos du parc d’attractions moderne, pour durs et rassis qu’ils soient, sont plus fragiles qu’on ne croit ! Que pense en revanche Richard Millet de ce plus gros morceau – de la curieuse fatalité du destin européen ? Comment s’accommode-t-il de ce que c’est l’Europe, et le mûrissement, le pourrissement, de ses meilleurs fruits, qui sont la cause de son tragique effondrement ; que c’est d’elle, puisqu’il faut rappeler cette banalité, que sont sortis les vers du nazisme, du communisme, du fascisme ; qu’enfin c’est sur ses ruines qu’ont pu prospérer l’Amérique et ses ersatz culturels ? Richard Millet touche quelque chose du doigt, mais pas plus, quand il écrit : «Il est possible que l’horizontalité culturelle (ou le multiculturalisme, ou le relativisme généralisé) soit le contrecoup, voire le prix que doit payer la culture humaniste pour avoir non seulement permis le goulag, Auschwitz et Hiroshima, mais aussi les justifier a posteriori, en un mouvement expiatoire qui trouvera dans le Spectacle post-éthique sa vraie justification» Permis le goulag, Auschwitz et Hiroshima ? Les justifier a posteriori ? Ô subtilité, qui dit bien la honte de l’homme européen, d’avoir chu de lui-même – comme un grand qu’il était!
Dès lors, en appeler, contre l’idéologie du métissage, contre «l’effondrement de la langue», et contre la fin, certes regrettable, du «grand roman des origines», à la pureté de la langue et de la race ? «J’aime non seulement qu’il existe des races, mais aussi leur pureté qui, comme la pureté des frontières, m’empêche de haïr le genre humain, dont je suis pourtant l’ennemi». Bien. Peut-on seulement se demander, tout en tenant à bonne distance l’antiracisme de sacristie, ce que ce mot de «pureté» et ce mot de «race» peuvent, accolés, avoir, pour certains, d’absolument inaudible ; si tel écrivain qui, comme Richard Millet, se répute, à bon droit, soucieux de la langue, peut revendiquer d’user de ce mot si amoché de pureté, comme on irait cueillir des coquelicots, innocemment, à Tchernobyl ? «Je ne suis excessif que par contraste ou par refus», écrit Richard Millet, qui ne manque ni de vigueur ni de courage ; mais l’excès seul, sans espérance, sans aspiration, sans tension ? Non plus l’excès, mais le confort… Et la bigoterie antiraciste, les Nicole Caligaris de tout poil, ont alors tôt fait de vous rejeter, non dans l’ombre chérie, non dans la douce moiteur des marges, mais dans l’histrionisme de la pestilence, où l’on fait, entre soi, des enfants mort-nés.
«J’ai appris à lire en même temps qu’à tuer», annonce Richard Millet en ouverture de ses Arguments. Et plus loin : «Je ne suis pas un homme cruel. Je hais la souffrance et l’agonie, et je ne crois pas à la victoire de la mort. Pourtant, j’ai tué beaucoup d’animaux, surtout des chiens». Notre saint Polycarpe libano-limousin ne cultive, on l’aura compris, ni la compassion d'un Hulot, ni l’enthousiasme benêt d'un Bégaudeau, ni la charité caramélisée d'un Mgr Gaillot. Il apprenait à lire en tuant des chiens, quand nous désapprenons de lire, en faisant du chien un citoyen comme les autres. Ainsi, quand il écrit : «Le monde où je suis né est mort», nous le croyons sans peine, mais après tout, avoir eu un monde, c’est toujours ça de pris, et puis ça fait de beaux livres : Le Goût des femmes laides, Le Sommeil sur les cendres, l’extraordinaire Confession négative. Un monde englouti ? Mais ça tient chaud ! «Si je ne puis plus me référer au monde où je suis né, ni à celui dans lequel j’ai grandi, non plus qu’à la somme d’expériences qui me constituent, au premier rang desquelles la guerre, il ne me reste plus, par un coup d’archet injustifiable autrement que par son audace, qu’à décréter que mes valeurs ne sont pas obsolètes mais, au contraire, terriblement actives, et que le monde d’où je viens n’est pas mort, qu’il m’est possible de le rendre sensible […]»
Voilà peut-être, au fond, le mot le plus vigoureux du livre, aux antipodes du mot de fin, qui est navrant : «Fidèle, je ne le suis qu’à moi-même» ! Non, cher Richard Millet ! Ceci, c’est le mot du dernier homme, s'avalant lui-même dans un bruit de courant d'air... Vous ne mangez pas de ce pain-là, vous qui croyez, affirmez-vous, à la Résurrection.
JEAN-BAPTISTE FICHET
http://www.parutions.com/index.php?pid=1&rid=1&srid=123&ida=13763
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
L'impossible existence nationale
Fatigue du sens est un essai rédigé par Richard Millet et publié au mois de mai 2011 aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Alternant brèves réflexions lapidaires et anecdotes personnelles, cet analyste prend soin de dévoiler, démasquer et ausculter les rouages d’une immigration de masse extra-européenne qui a selon lui, dégradé l’identité française de tradition hélléno-chrétienne. Considérant que le capitalisme marchand détruit les identités parce qu’elle réduit les personnes à des individus interchangeables, favorisant ainsi le communautarisme grâce à une gauche qui a institué « Un Nouvel Ordre Moral », « un antiracisme d’état » nécessaire à la bonne circulation des immigrés sur le territoire français.
1/ L’horizontalité: un principe article_actif du monde post-moderne
Professeur de français dans les années 1980 dans la banlieue sud-est de Paris, il prit conscience de sa progressive incapacité à instituer et référer à un seuil de connaissances commun dû à l’accroissement du nombre d’immigrés. Confronté à des revendications communautaires d’immigrés extra-européens, il devint impossible de dire « nous », d’où cette solitude du professeur, enfermé dans une identité et une histoire française qu’il ne pouvait transmettre. Assistant à une inflation du nombre d’élèves immigrés dépourvus de repères historiques français, Richard Millet ne peut que constater que ce vide fait le lit d’un capitalisme hédoniste prenant la forme de « sous américains » en quête d’identité. Il affirme P 64 « C’est dans l’enseignement que tout s’est joué. J’ai constaté que l’échelle historique s’était effondrée et que privés de repères, les élèves flottaient dans une temporalité si vague qu’elle faisait le lit d’un monde horizontal. »
L’horizontalité résulte d’une immigration qui engendre la destruction des repères historiques communs qui font que chaque citoyen se reconnaît dans l’Autre parce qu’il partage avec lui, une histoire, une langue et des valeurs communes. Ainsi, elle est l’expression même du libéralisme puisqu’elle réduit l’individu au consumérisme et privé de repères. Mais la perversité de l’horizontalité réside dans la revendication obsessionnelle de droits de la part des immigrés puisque tout se vaut, tout est équivalent, culture littéraire et « cultures de banlieue » alors qu’elle ne sont, selon lui, qu’une dégradation d’une langue noble, et une gesticulation frénétique et inculte calquée sur le modèle des ghettos américains et favorisée par une gauche couarde car inapte à imposer un modèle de référence. Or, la verticalité fut pour cet essayiste, l’expression même de l'assimilation puisqu’elle permettait d’abdiquer une identité passée au profit exclusif d’une nation par l’adoption de fait de sa culture que l’on faisait sienne. Ainsi, la soumission des immigrés aux principes républicains français, permettait l’universalisme et le rayonnement de sa nation. Mais, il pointe du doigt une troisième génération d’immigrés qui ne se sent ni originaire d’Afrique, parce que n’étant jamais allée dans le pays de leurs grands-parents, vivant en banlieue et revendiquant des droits d’une communauté qu’ils méconnaissent tout en recherchant l’immédiate satisfaction de leurs désirs consuméristes. Affirmant l’incompatibilité de la culture arabo-musulmane avec la culture occidentale hélléno-chrétienne, il se sent étranger dans un pays peuplé de nombreux étrangers, ce qui le conduit à « un apartheid volontaire ».
2/ Fatigue du sens: l’impossible existence nationale
Richard Millet promeut la pureté des identités nationales en tant qu’elles révèlent l’essence même d’un pays. Or, il voit dans la France, un pays de servitude volontaire. Ostracisés, selon lui, les français, blancs, catholiques sont irrépressiblement répréhensibles car suspectés de racisme et condamnés à vivre dans un non lieu puisqu’ils n’appartiennent à aucune communauté particulière, hormis celle des indigènes à qui on a imposé de nouvelles règles. Fustigeant, cette dictature de l’antiracisme, il écrit P 74 » d’une certaine façon, l’antiracisme finira par jeter l’opprobre sur ceux qui, n’appartenant à aucune minorité « visible » ne sont que des Français de souche et déjà discriminés au sein de l’indifférencié consensuel ». Accusé de racisme Richard Millet, serait inepte et simpliste. Il faut y voir l’écriture d’un désespoir contemporain et l’exaspération d’un écrivain qui cherche dans l’écriture la perfection de la langue française comme ultime espoir de préserver ce qui reste du patrimoine français.
Admiratif des différences culturelles, il reconnaît la qualité et la noblesse des autres civilisations lorsqu’elles savent préserver leur histoire. On peut lire P106 « j’aime l’idée d’être un pur français: que pourrais-je être d’autre? J’aime la pureté où qu’elle se trouve et me suis toujours méfié du discours sur l’impur comme valeur ». Face au politiquement correct qui assimile l’idée de pureté nationale au nazisme, il est impossible de défendre cette valeur qui favoriserait l’assimilation des étrangers à la nation française. Le politiquement correct affirme selon lui, une injonction « le métissage généralisé » qui détruirait l’essence nationale des indigènes et feraient d’eux des immigrés sans droit de cité et obéirait ainsi à la logique libérale qui recherche la destruction des frontières propice au consumérisme.
L’authenticité du discours de Richard Millet le conduit a affirmé P117 « j’aime qu’il y ait d’autres peuples et n’en juge aucun supérieur aux autres, même si j’en estime certains plutôt que d’autres pour des raisons culturelles, esthétiques, historiques et religieuses. Préférence qui suggère que les peuples doivent rester eux-mêmes » L’authenticité d’une nation est à l’identité ce que le peuple est à sa langue, la vertu et l’épaisseur d’une intelligence collective qui l’immunise contre les dictatures trompeuses que prennent selon lui le visage du " droit de l‘hommisme et l'humanitarisme » pour servir les intérêts du Marché.
L’avis du blogueur
Un livre à lire sans préjugé pour sa qualité esthétique, dans une syntaxe parfaite et une recherche de la complexité signifiante.
AKTUKRITIK
http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/27807
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Richard Millet contre le nouvel ordre moral
Richard Millet à qui I’on doit quelques-unes des plus belles oeuvres littéraires parues ces dernières années n’en peut plus. ll n’en peut plus de voir la France peuplée de plus en plus par de nouveaux arrivants qui n’ont pas la moindre intention de devenir français. ll n'en peut plus d'un nouvel ordre moral qui fait de I impératif de « métissage » un moyen privilégie de faire disparaitre toute conscience de soi. « Que serait une France entièrement métissée écrit-ii sinon une nation vidée d’elle-même, un pays qui aurait reçu de l'Autre une altération telle que l'Autre même que je serais devenu n’y aurait plus droit de cité. » Mais I’auteur sait aussi que l’immigration incontrôlée est moins une cause qu’une conséquence, et d'abord la conséquence de l'épuisement de la perte d’énergie d’une société trans- formée toute entière en non lieu («laFrance un grand corps épuisé»). C’est pour quoi il parle d’une«fatigue du sens», c'est-à-dire d'un«renoncement à toutes les valeurs de la verticalité». «Ce n'est pas I’immigré extra-européen qui détruit la culture européenne, écrit-il encore, c’est la conjonction d’une fatigue culturelle et de l’économie de marché.» Comme Renaud Camus et quelques autres, Richard Millet se sent donc progressivement exilé dans sa patrie. ll en souffre au point de dire à cent reprises combien son désespoir est profond. Chrétien qui a longtemps vécu au Liban, il voit autour de lui se répandre de pair I’égoïsme, I’athéisme et le narcissisme petit-bourgeois. Lucide, il en identifie les causes. L’immigration de masse devenue un cauchemar « pour les immigrés comme pour les autochtones », n’est qu’«un trafic d’êtres humains où les intérêts mafieux rencontrent ceux du capitalisme international.» Quant au terrorisme du Bien (l'« hystérie antiraciste »), il rend impossible tout débat. Que reste-t-il alors à ce solitaire qui ne se sent plus français ? ll lui reste le recours à la langue française. « Je me situe sur l'autre bord de la langue, sur I’autre rive du verbe» dit celui qui parle en tant qu’écrivain. Un cri de colère. Mais aussi un symptôme.
A.B
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Dites-nous des choses qui plaisent
« Dès lors qu'elle cesse d'être une aventure personnelle, la mixité raciale n'est plus qu'une aporie idéologique.» Il faut peser cette formule du romancier Richard Millet, écrivant tout récemment un petit essai au titre ô combien significatif : Fatigue du sens. Et il faut la relire si nous avons cherché, à première lecture, à en éviter le tranchant. Il est des sujets dont on n'ose plus parler, des réalités qui sont tellement tabous que l'on n'ose plus en prononcer le nom nec nominetur in vobis, disait saint Paul à propos des choses du sexe, qu'il n'en soit même pas question parmi vous. On peut dire que c'est ce qui concerne la race qui a pris le relais aujourd'hui. De la race, qu'il ne soit même plus question parmi nous ! Et voilà le premier indice de la fatigue typiquement occidentale qui est la fatigue du sens : ne plus parler de ce que tout le monde voit. Ne plus évoquer ce que tout le monde sait. Richard Millet enfreint l'omerta. Il le fait avec talent, et j'ajoute : il le fait de manière foncièrement chrétienne. Lui qui a vécu sa jeunesse au Liban, il sait ce qu'est la ruine d'un peuple par l'immigration extérieure, ce que l'on nomme couramment la « libanisation » Mais ce n' est pas la libanisation de la France qu'il dénonce d'abord. Dans son plaidoyer, il ne s'en prend pas tant à l'immigration qu'à l'indifférenciation des êtres qui domine aujourd'hui et à travers laquelle on a l'impression que les Français de souche sont devenus eux-mêmes des immigrés dans leur propre culture, tant ils partagent les réflexes et les habitudes des nouveaux venus. «L'autre, écrit encore Richard Millet, n'existe plus comme prochain, mais dans l'insignifiance de l'interchangeable.» Ces considérations ne sont pas forcément agréables à remuer. Mais elles nous aident à rester lucides, en continuant à mettre des noms sur ce que l'on ne veut plus nommer.
JOEL PRIEUR
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Millet le réactionnaire blessé
Le premier essai que publie Pierre-Guillaume de Roux dans sa toute nouvelle maison d'édition est aussi noir que du Cioran, aussi dérangeant que du Murray. "Fatigue du sens"est une absinthe pour âme forte. Ces apostilles sucrées-salées ont du goût, du corps et vous enivrent vite. Vénéneux à souhait. Provoquant et excessif, comme on le dit d'un pamphlet de Céline. Un chant d'amour en quelque sorte. La grenade que dégoupille Richard Millet risque de faire du bruit. Car cet homme blessé est un écrivain, un vrai, un dur, un tendre. L'auteur du "Désenchantement de la littérature" (2007) se sert de la langue française, sa douce maîtresse, pour faire passer un message la France court à sa perte, à sa dépossession « Je cultive le sain désespoir de ceux qui savent que tout est perdu, clame-t-il, la perte au sens moral, l'accomplissement de la décadence comme source d'espoir.» On est tombé si bas, que cette décadence ne peut qu'entraîner - mais quand ? – une véritable Renaissance, pense-t-il, en rajoutant une couche dans "Arguments d'un désespoir contemporain". Poète débarrassé de tout sentiment raciste, Millet refuse les tabous et quand il parle de Noir, de Blanc, de race et d'immigrés, il retrouve la langue de Montesquieu, de Voltaire et de Bernanos. Si les mots ont un sens, alors ils ne doivent pas nous faire peur. Ses mots agissent comme une matraque, son style huppe et siliceux vous atteint aux tripes. Ce qu'il refuse par-dessus tout ? La « sous-culture américaine », le multiculturalisme, l'immigration extra-européenne « érigée en modèle unique », l'islamisme, « la Loi, la Tolérance, le Bien, l'Humanité », tout ce qui est régenté par ce qu'il nomme les « lobbies sexuels, religieux, ethniques, régionalistes, maçonniques, etc », mais aussi Internet, qu'il appelle « la décharge publique de l'Opinion ». Cela fait beaucoup « Je n'estime pas assez l'espèce humaine pour tout supporter d'elle », lâche-t-il. Écoutez la voix de Millet le pur, vous gagnerez un frère Murray est mort. Vive Millet !
GILLES BROCHARD
SERVICE LITTERAIRE juillet/août 2011
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Olivier Germain-Thomas reçoit Richard Millet
Olivier Germain-Thomas a reçu Richard Millet à For intérieur le 8 juillet 2011 à 21heures.
Vous pouvez réécouter l'émission.
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Comment avons-nous cessé d'être fidèles à nous-mêmes ?
Comment avons-nous cessé d'être fidèles a nous-mêmes ? Comment nous laissons-nous mener au bord de la guerre civile ? L'écrivain Richard Millet brosse le tableau clinique de l'horizontalité postmoderne et de son symptôme le plus évident, l'immigration de masse, ou encore immigration de substitution « ll ne s'agit donc, ici, explique-t-il, que de savoir ce qu'il advient du sens de la nation et de mon identité devant une immigration extraeuropéenne qui la conteste comme valeur et qui, disons-le tout de go, ne peut que la détruire [ ] parce que l’illimitation de son nombre et son assentiment aux diktats du libéralisme international rencontrent cette terrible fatigue du sens qui affecte les Européens »
Dans la mesure où le libéralisme implique l'interchangeabilité des hommes, cette immigration de masse est le pur produit de cette logique Dès lors, toute verticalité, qu'il s'agisse des héritages religieux qui sont nôtres, du travail et de son « évacuation par l'hédonisme », ou encore du sentiment de patrie, est appelée à disparaître. Il ne reste plus entre les hommes que des liens juridiques et des rapports d'intérêt le droit et le marché. Le tout sur fond de sous culture américaine, mégamachine à déraciner qui, se nourrissant du déracinement, l'entretient et l'accélère.
Bien entendu certains points prêtent à discussion, comme l'idée que c'est l'islamisation de la société qui constituerait le problème majeur et non plus l'immigration. ll n'en reste pas moins qu'il s’agit là de l'ouvrage le plus radical, le plus existentiellement engagé, le plus crucial jamais écrit sur ce drame terrible de notre temps.
PIERRE LE VIGAN
Fatigue du sens, essai de Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Le courage de Richard Millet
Cet essai décrit l'histoire que nous vivons. ll est le plus courageux et libérateur que l'on puisse lire aujourd'hui C'est un cri de révolte et de Rage. Rage contre l'immigration de masse, contre le reniement des Français, leur fatigue de sens, leur fatigue d'être eux-mêmes. Cri d’amour aussi «J'aime me rappeler mes ancêtres gaulois J’aime ce grand songe généalogique Je n’écrirais pas s'il n'y avait en moi ce vaste souci de l'origine.»
De cet amour lucide naît l'angoisse d'aujourd'hui et la révolte « L'anéantissement nous guette, nous autres Européens, particulièrement les Français peuple dont la composition ethnique avait quelque chose de musical dans son harmonie. Cette harmonie détruite, je refuse la haine de ceux qui font de I assimilation un statut [ ] Je veux dépasser la haine par le combat la noblesse du combat »
Ce cri de colère vaut par l'élégance du style, les réalités et les idées consignées ll vaut par la qualité de son auteur, un homme du sérail en quelque sorte, romancier à succès (La Confession négative, Ma vie parmi les ombres ), éditeur et membre du comité de lecture chez Gallimard. Cet essai est un signe de ce qui change sourdement. ll mêle de brefs récits et des réflexions, les uns suggérant les autres « Je crois aux races, aux ethnies, aux étrangers, aux frontières, à I’ailleurs. J’aime qu’il y ait d'autres peuples et n’en juge aucun supérieur aux autres même si i en estime certains plus que d’autres pour des raisons culturelles, esthétiques, historiques, religieuses. Préférence qui suggère que les peuples doivent rester eux-mêmes. L’idée d’un monde entièrement brasilianisé me terrifie. Or, les peuples et les nations sont ce que le Nouvel Ordre moral entend éradiquer ou discréditer au profit de ce qui les globaliserait par l'annihilation réciproque l'humanité. » Saluons cette lucidité et ce qu'elle signifie de courage.
DOMINIQUE VENNER
NRH LA NOUVELLE REVUE D'HISTOIRE juillet/août 2011
Fatigue du sens, essai de Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Borloo, champion de la pensée conforme
Normalement, s'il continue ainsi dans le pathos du politiquement correct, Jean-Louis Borloo ne devrait pas tarder à s'épuiser dans les sondages. Les Français n'en peuvent plus, me semble-t-il, de tous ces clichés qui, au nom du respect de l'Autre, en arrivent à l'oubli de Soi. "Nous sommes tous des enfants d'immigrés, seule la date d'arrivée change", a-t-il ainsi déclaré, dimanche, en commentant sa nouvelle confédération centriste, présentée comme "la force anti-FN". Hervé Morin, qui rivalise avec son allié pour obtenir l'acquiescement des clercs, l'avait dit autrement en assurant dernièrement : "Les Français sont héritiers de l'immigration". C'est d'ailleurs en vertu de ce raisonnement, usuel chez les esprits clonés, que l'Education nationale a, par exemple, fait entrer dans les programmes de 4 e l'étude des civilisations africaines du Monomotapa et du Songhaï, au détriment d'Henri IV et de Louis XIV. Le processus de déculturation doit beaucoup à cette rhinocérite aïgue qui sacralise l'immigré au point d'en oublier l'autochtone. Personnellement, je trouve insultante cette discrimination qui me touche.
Faudrait-il que la France millénaire s'efface? Borloo ne voit pas plus loin que ses intérêts électoralistes. Il croit les trouver en flattant un conformisme de plus de trente ans d'âge, acquis aux exigences des minorités ethniques et sexuelles. Or, au contraire, je suis convaincu que l'urgence pour la République est de se libérer de cette tyrannie et de renouer avec l'intérêt général. Les hommes politiques ne mesurent pas la désespérance des Français oubliés, qui se voient relégués dans les soutes d'une nation que des Borloo-Morin jugent dépassée. C'est cette blessure que décrit, en écrivain écorché et provoquant, Richard Millet dans son essai, qui affole ces jours-ci la presse comme-il-faut (Fatigue du sens, Editions Pierre Guillaume de Roux). Il écrit : "Je veux dire en quoi je ne me sens plus français, pourquoi on me fait renoncer à cette qualité, et pourquoi je précipite le mouvement en m'excluant moi-même de ce corps malade, pratiquant une sorte d'apartheid volontaire (...)". Mais Borloo n'a pas encore gagné sur Millet.
Je participerai, mardi, à un débat sur LCI (1Oh-11h), puis à On refait le monde , sur RTL (19h15-20h)
(blog.lefigaro.fr/rioufol
le 27 juin 2011 15h19)
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Richard Millet enfreint nos tabous
Dans la post-littérature contemporaine, Richard Millet aggrave une fois de plus son cas avec son dernier opus, Fatigue du sens Le thème? Brûlant s'il en est, et bien propre à faire hurler les chiens de garde de la religion de l'antiracisme le renoncement des Français, sous l'aiguillon d'une maladie de la volonté, à leurs valeurs et à leur singularité face à une immigration extra européenne de masse qui ne peut ou ne veut se plier à l'assimilation .« Il ne s'agit ici, écrit-il-en liminaire de son ouvrage, que de savoir ce qu'il advient du sens de la nation et de mon identité devant une immigration extra-européenne qui la conteste comme valeur et qui, disons le tout de go, ne peut que la détruire [ ] parce que l'illimitation de son nombre et son assentiment aux diktats du libéralisme international rencontre cette terrible fatigue du sens qui affecte les Européens de souche » Nous sommes, poursuit Millet, entrés dans un monde post-démocratique qui se caractérise par la négation de toutes les valeurs de la verticalité et repose sur « l'universalité abstraite d'un mensonge - a savoir que l'homme est bon et perfectible, pour peu qu'on le délivre de l'ethnique, de la nation, du catholicisme, de la race blanche, des traditions européennes, de l'Occident même »
"Il est possible qu'être Français consiste à n'avoir plus d'illusions au sujet de la France."
Affranchi de tout signe d'appartenance, sans mémoire, sans fierté, fatigue de son histoire, mais imprégné des mots d'ordre du nouvel ordre moral, le sujet politique contemporain est un ludion individualiste, coupable, repentant, qui n'aspire plus qu'à se fondre dans une humanité indifférenciée et, hédoniste, à jouir de ses derniers privilèges de consommateur. Un peuple, une nation, une religion, une culture, qui abdique ainsi son identité historique et spirituelle se condamne à disparaître purement et simplement. Tel est le propos, provocateur mais juste, de ce livre, dont la forme - le fragment, l'aphorisme, le discontinu - ne facilite pas la lecture, et qu’on ne saurait confondre avec une diatribe primaire à I encontre de la figure de l'immigré, lui-même victime d’un phénomène pervers Les tenants et les relais de la nouvelle doxa antiraciste ne manqueront pas d'exploiter les "failles" de l'auteur l'aveu sans fard de son hostilité à la démocratie, de sa haine pour la société contemporaine, de son mépris pour les élites démissionnaires, de son antilibéralisme. Et il est vrai que Richard Millet se montre souvent abrupt et maladroit, mais cette rudesse, cette maladresse mêmes sont garantes de la sincérité de ce cri de colère et de douleur d'un homme condamné à l'exil intérieur dans un pays qu'il ne reconnaît plus et qui le nie dans son essence même.
BRUNO DE CESSOLE
Fatigue du sens, essai de Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Richard Millet : l'homme blessé
Dans un de ses précédents livres, L'Orient désert, Richard Millet dénonçait la perte des sens, l'infantilisation des esprits, les dérives de l'amour, l'héroïsme floué, les impostures érigées en dogmes, s'exclamant : « Je marche dans ma propre poussière. Pas d'autre mystère, du moins, que celui du mouvement par quoi se dessaisir de soi ».Cette fois, il récidive dans cette forme de pessimisme article_actif qui l'entraîne vers des sentiments habités par le découragement à travers deux ouvrages, Arguments d'un désespoir contemporain et Fatigue du sens. Refusant le monde tel qu'il est devenu aujourd'hui, avec surtout cette « immigration massive en Europe de peuples extra-européens » qu'il compare aux anciennes invasions barbares et totalitaires, Millet le paladin se dit en « apartheid volontaire », séparé des gens, des amis comme des intellectuels. Il vit ainsi un véritable exil intérieur, chassant en pleine lumière tous les affres qui pourraient l'encombrer. « Je cultive le sain désespoir de ceux qui savent que tout est perdu, clame-t-il ; la perte au sens moral ; l'accomplissement de la décadence comme source d'espoir ».
Les apostilles de son essai, d'une rare virulence, Fatigue du sens, qui sort dans la nouvelle maison d'édition Pierre - Guillaume de Roux , nous consolent de notre propre constat. Mais attention à ceux qui pourraient le lire sans comprendre que la démarche de cet écrivain solitaire n'a rien de politique en soi, c'est-à-dire d'idéologique. Millet ne roule pour aucun parti. Il est un des derniers « civilisés » du monde occidental qui fait acte d'écriture, comme un artiste en furie, un artiste dépossédé qui crie dans le désert.
« La Loi, la Tolérance, le Bien, l'Humanité »
Avec la rage au coeur, identique à celle que j'avais senti chez Robert Sainz, l'auteur d'Un Roi d'Allemagne dans la nuit d'Occident.Bruno de Cessole devrait ajouter un chapitre à son Défilé des réfractaires (L'Éditeur), car Millet serait à situer quelque part entre Jean Raspail, Dominique de Roux et Philippe Murray.Lui, l'homme blanc, le chrétien, le combattant, ne se reconnaissant plus dans ce monde couvert par « la Loi, la Tolérance, le Bien, l'Humanité » et régenté par ce qu'il nomme les « lobbies sexuels, religieux, ethniques, régionalistes, maçonnique, etc.».Il pointe du doigt la faillite du multiculturalisme qui va jusqu'à refuser de franciser les noms propres et les noms communs n'encourageant que la transcription anglophone : on ne dit pas Kossovar mais Kosovar, Burkinabé au lieu de Burkina Fasien ; sans parler de la féminisation des noms de métier.
En parallèle, il faut lire aussi Arguments d'un désespoir contemporain, au ton plus professoral sans doute, mais qui éclaire la structure de son propos, allant contre la « dégradation du sacré », offrant à son lecteur cette belle réflexion : « Si Dieu existe, Il est mon Créateur et il importe qu'il me voie à tout instant : ma vie en trouve non seulement une dimension tout autre, un sens d'une profondeur inouïe, mais aussi une lumière dont seul l'amour peut donner une idée ».
GILLES BROCHARD
(http://www.culturemag.fr/2011/06/10/richard-millet-l%E2%80%99homme-blesse/)
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Ce soir ou jamais - Frédéric Taddéi reçoit Richard Millet
Frédéric Taddéi reçoit Richard Millet dans son émission "Ce soir ou jamais" du jeudi 12 mai à 23 heures sur France 3.
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Répliques - Alain Finkielkraut reçoit Richard Millet
Jean-Christophe Bailly et Richard Millet sont les invités d'Alain Finkielkraut dans son émission Répliques sur France Culture " Au coeur de la France" qui sera diffusée le 11 juini 2011 à 9h10
Fatigue du sens, essai de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Faux Sanglants d'Edmond Tran
Découvrez l'article de Marie Céhère sur Faux Sanglants d'Edmond Tran paru dans Causeur
L'Essai et la Revue du Jour de Jacques Munier
Un mot, d’abord, sur ce titre sibyllin aux consonances joliment feuillues de frondaisons farfelues, emprunté à une enseigne de Kyoto où, paraît-il, la francophonie fait rage. L’auteur explique qu’ayant voulu dire « feu follet », on s’est emmêlé les pinceaux pour donner Fou forêt, et tant pis pour Vaugelas, ses Remarques sur la langue française, utiles à ceux qui veulent bien parler et bien écrire, cet écho déformé depuis les antipodes vient à point nommé illustrer le caractère végétal et surtout d’une fabuleuse plasticité du phénomène qu’on désigne sous le nom de langue, « rien de plus, mais surtout rien de moins qu’un moyen de parler de tout », nous dit l’introït de l’ouvrage, qui à bon droit est donc dédié « Au véritable feu follet », celui qui se manifeste surtout dans les cimetières, l’occasion de rappeler avec le poète que« là où il y a des tombes, il y a des résurrections ».
Non pas que la langue soit seulement cette barque funéraire où nous traînons, comme disait Fritz Mauthner,« d’innombrables cadavres du passé », qui nous imposent leurs manières de voir à travers leurs mots, mais il y a en toute langue un dépôt, dans tous les sens du terme, qui s’offusque du penchant « à s’en prendre aux mots quand on ne peut modifier les choses ». Philippe Barthelet dénonce avec une ironie féroce et jubilatoire les novlangues de tout acabit qui trahissent une impuissance à faire, alors que, comme le rappelle Aragon dès l’ouverture de son Traité du style, « en français, faire signifie chier ». Et le poète de citer L’art poétique de Boileau : « Ne forçons point notre talent, nous ne ferions rien avec grâce ». Si l’éloquence est « l’art de dire quelque chose à quelqu’un », l’art nouveau appelé « politiquement correct » consiste précisément à ne rien dire à personne. Et à imposer sans coup férir au misérable une condition« défavorisée », la « flexibilité » pour des horaires imprévisibles et malcommodes, un « plan de sauvegarde de l’emploi »en lieu et place de licenciements collectifs. Je cite : « La monstruosité du politiquement correct n’est pas tant dans le« correct » que dans le « politique », érigé en diapason auquel tout doit s’accorder ».
L’auteur crédite le général de Gaulle d’une infaillible connaissance de la langue comme moyen de gouvernement, même s’il juge son écriture « si souvent laborieuse ».Celui-ci refusait qu’on appelât les Français venus d’Algérie des« rapatriés », lequel vocable supposait une expatriation préalable pour des gens qui n’avaient jamais connu la France. Célébrant au passage l’apport de ces français d’outre-mer au patrimoine commun de notre langue maternelle, Philippe Barthelet signale l’usage, encore en vigueur dans nos banlieues, de « l’accusatif absolu » : là où on ne hait pas quelqu’un ou quelque chose mais où l’on « a la haine, comme on a le feu sacré ». Pas besoin de préposition ni de complément, « on a quitté la sociologie pour la métaphysique ».
Dans le registre politique, dont on sait depuis Talleyrand qu’il est le plus souvent « l’art d’agiter le peuple avant de s’en servir », le général qui avait fait carrière à la radio avant de se servir de la télé comme d’un instrument de pouvoir (« Avec elle, l’orateur suprême débarquait dans la salle à manger »,soixante fois en onze années de présidence), le premier magistrat embarqué avait su trouver le ton et le style, n’hésitant jamais à « donner des rallonges à Littré », comme dans l’expression visant le « quarteron de généraux », qui pis est « en retraite », pour désigner ce qu’il appela un « pronunciamiento », en évitant soigneusement les termes de rébellion ou de putsch qui auraient donné un commencement d’existence, voire de succès au soulèvement. Le mot, difficile à prononcer pour une bouche française était déjà une façon de désamorcer le conflit, et que dire du quarteron, qui signifie en fait « petit quart », ce dont les généraux en fin de carrière ne devaient pas se relever. Je cite encore : « De Gaulle, qui ne se reconnaissait d’autre « rival international » que Tintin, ramenait l’affaire d’Algérie à une péripétie d’opérette pour république bananière ».
Pour conclure, je vous propose la chronique virtuelle, qui nous rappelle que la cybernétique était pour les Grecs l’art de mener les hommes en bateau, « une technique de pilotage qui peut devenir une méthode de gouvernement », d’ailleurs gouverner vient de gouvernail qui vient lui-même de cybernétique, un mot qui a du être inventé par Ulysse, « le prince des expédients et des échappatoires, nous dit Philippe Barthelet, qui constate que la route d’Ulysse est devenue autoroute, autoroute de l’information qui mène à tout et à rien,« en tout cas rien de saisissable », là est précisément le progrès : « la cybernétique nous désencombre de la réalité ».C’est le règne du virtuel, dont la montée en puissance doit sans doute beaucoup au sens anglais de virtuel, virtual qui est un faux ami, au sens où, contrairement au français, où le mot signifie « qui est seulement en puissance et sans effet actuel, virtual veut dire : « de fait ».Je cite : « La Bourse l’a si bien compris qu’elle appelle« sous-jacents » ce qu’on nommait autrefois marchandises, avec lesquelles elle joue ou plutôt ne joue plus, car jongler virtuellement avec leur pur signe algébrique permet d’acheter et de revendre des récoltes de blé ou de coton qui n’ont pas encore été semées avant qu’elles soient transportées sur des bateaux qui n’ont pas encore été construits. Comme on le voit, la virtualité économise la réalité. C’est donc l’avenir, un avenir, et c’est bien là tout le progrès, qui n’a même plus besoin de présent ».
JACQUES MUNIER
* Philippe Barthelet a longtemps été chroniqueur sur France Culture dans l’émission d’Antoine PerraultTire ta langue, ces textes sont issus de ses chroniques.
Fou Forêt,de Philippe Barthelet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Réécoutez la chronique de Jacques Munier.
Précieux langage
Considérations buissonnières sur le français et les Lettres
Dans la foulée de L'Étrangleur de perroquets, de Baraliptons (en 2007), puis de L'Olifant, Philippe Barthelet, qui ne fait rien comme les autres, poursuit cahin-caha son « Roman de la langue». Familier de Joseph de Maistre, de Dominique de Roux, exégète d'Ernst Jünger, il nous livre aujourd'hui de nouvelles considérations buissonnières, tout en mordant les nouveaux « miliciens de la langue ». Dieu merci, Barthelet n'est pas seul. Richard Millet, Andreï Makine, François Taillandier, Benoît Duteurtre, Jean Clair et le regretté Jean Dutourd, parmi d'autres, sont bien là, à ses côtés. il met les pieds dans le plat (et on l'accompagne) du « politiquement correct », fondé sur cette « hypocrisie imparable : le respect des minorités», d'où une «langue entortillée de niais euphémismes, de plates périphrases et d'ineptes circonlocutions». En un mot : châtrée. Un peu plus loin : « "La correction politique" est faite aussi pour les chiens. » On approuve.
« L'espérance est une lacune de la fatalité »
De même pour ses attaques, toujours empreintes d'une certaine élégance, contre les gargarismes de la francophonie officielle (« La francophonie est bonne pour les goujats.») Au besoin, il appelle à la rescousse les anciens qu'il admire, comme Boileau, ou, plus près de nous, le grand Suisse Charles-Albert Cingria, qui déclarait que la langue doit être «fine, donc alexandrine, itinérante, aimable, scientifique, sensible, pleine de ménagements de la raison et du coeur... ». Mais Barthelet n'est pas que force ni que rage. Sa qualité est d'aimer d'amour et de défendre le français, à l'heure où la langue et la littérature sont menacées par « la fatalité du commerce, toujours entre négoce et négociation ». Il rend hommage aux poètes emprisonnés (Apollinaire, Théophile de Viau...), au vin des poètes chanté par Raoul Ponchon, Rûmi, Rabelais, et nous parle de méthyologie, science mise au point par Lichtenberg, qui explique ce que l'homme peut dire ou écrire sous éthylisme.
En revanche, on a bien du mal à le suivre quand il évoque la « grâce d'un chant inimitable » des Poèmes de Fresnes de Robert Brasillach, avant, justement, le coup de grâce, épuratif, millésime 1945. Comme quoi les muses ne sont pas toujours fertiles. Y compris pour Eluard, qui avait loué le « cerveau d'amour » du camarade Staline, en 1950. On préférera Barthelet quand il réhabilite les Précieuses (qu'on écrivait Prétieuses au Grand Siècle) et leur gosier. Sans doute ce qui le pousse à aphoriser, ici ou là. Comme cette sentence que l'on retiendra, sans peine : «L'espérance est une lacune de la fatalité. »
THIERRY CLERMONT
Fou Forêt, de Philippe Barthelet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Fou Forêt : un jardin de réminiscences
On aurait tort de se laisser abuser par le format du dernier opus de Philippe Barthelet. On croira à un simple livre de poche et on emportera avec soi un véritable feu d'artifice d'intelligence, de culture (au meilleur sens du terme) et même de savoir vivre. Parce que l'auteur tient une chronique appréciée et suivie sur la langue française, on risque de conclure un peu vite qu'il s'agit là d'un recueil dont la mission serait de nous faire redécouvrir notre langue. L'ambition ne serait pas vaine, tant il y a des progrès à faire dans ce domaine-là. Malgré tout, il faut bien convenir que, sous l'apparence de cette illustration de la langue française, Philippe Barthelet nous entraîne plus loin, et parfois même plus haut, que cette nécessaire mission. Ou, plus exactement, il dévoile à nos yeux de modernes engoncés dans des habitudes de robot combien les mots transportent avec eux tout un univers à conquérir, toute une forêt à explorer et même « un jardin extraordinaire aux réminiscences théologiques. »
Les prétextes sont variés, allant de la dénonciation des effets du politiquement correct dans le monde des expressions à l'évocation d'une scène historique ou des tics du langage dans notre contemporaine condition. C'est le propre de la chronique de faire feu de tout bois et même parfois de créer le motif de se laisser aller a ses petites marottes. Pour nous autres gens pressés, elle y ajoute le précieux avantage d'être concise, et ici bien enlevée, nous laissant piocher au gré de nos attirances ou de notre imagination. Mais insistons : Barthelet nous pousse à réfléchir et nous invite au bon sens. À le lire, on se dit qu'il sait tout, aussi bien les vues de ces Messieurs de Port-Royal que les prêches de saint Vincent Ferrier. A certains endroits, il agacera certainement. Mais c'est parce que, comme Bernanos évoquant Drumont, il nous donne un livre vivant. Nous n'en avons plus l'habitude et c'est dommage. Raison de plus pour le lire très vite.
PHILIPPE MAXENCE
Fou Forêt, de Philippe Barthelet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Fulgurances poétiques
C'est à la manière dont sonne une langue qu'on reconnaît si elle ment ou vit de sa vraie vie. La fulgurance poétique reste encore le meilleur gage de sa vigueur. Que Feu follet devienne ainsi Fou forêt à Kyoto, dépasse, en somme, toute espérance, extrapolation mise à part. Puisque, dit Philippe Barthelet, chroniqueur à Valeurs actuelles, « là où il y a des tombes [et donc des feux follets], il y a des résurrections ». Celle du français, prisonnier du double carcan de la "correction politique" et de l'anglicisation galopante, ne tient plus qu'à cette flamme faite d'éclat et de résistance... Comment échapper pourtant au spectre de la servilité et de l'effacement, qui, vu du ciel, plane non pas sur le réseau mais bien sur la résonance fantomatique de nos communications : « C'est ainsi que les aéroports ont maintenant des "lignes domestiques" et non plus intérieures ; que les divers guichets ne donnent plus de renseignements, mais des "informations"; et qu'on n'occupe plus un lieu, mais un "site". » Qui donc habite encore le pays introuvable du français, aujourd'hui réduit à peau de chagrin sous l'hégémonie de la mondialisation ? Blois et Vendôme murmurent encore le « souventes fois » de madame de Sévigné. De même que Marseille fait volontiers claquer le mot absolu de César : « J'ai la haine. » Ou que le Calvados, fidèle à Vaugelas, aime à se « donner de garde ». Tandis que la Franche-Comté des aïeux mal assurés sur leurs jambes « tratelle » parfois- parlant à son insu comme le duc de Saint-Simon. Mais c'est à Strasbourg que les "âmes chaudes" désigneront bien plus qu'un délicieux plat de saucisses mais le lieu même de la "saveur", ce concentré de francité qui fabrique à une manière de sentir et de penser unique au monde, sa devise profonde : "Entre savoir et sagesse". Philippe Barthelet, magnifique conteur et styliste auquel on doit déjà Baraliptons (prix de l'Essai de l'Académie française 2007), nous conduit au coeur du plaisir de la langue
ANNE-SOPHIE YOO
Fou Forêt, de Philippe Barthelet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Philippe Barthelet magicien du verbe
LEXICOGRAPHE, GRAMMAIRIEN, FUNAMBULE DE la langue, Philippe Barthelet est un peu tout cela Les lecteurs du Spectacle du Monde et deValeurs actuelles le connaissent par les billets qu'il y signe à chaque numéro, « Le mot du mois » et « L'esprit des mots » Mais pareil à un magicien, il cache dans son chapeau bien d'autres talents. La grammaire ne conduit-elle pas à tout - à la condition d'en sortir? On s'en assurera en lisant Fou Forêt, son dernier livre, qui retrace l'épopée du français à travers les âges et les usages.
Depuis l'Etrangleur de perroquets, publié en 1991, il s'est lancé dans un vaste chantier la poursuite du « roman de la langue » II y eut Baraliptons, en 2007, couronné du Grand Prix de l'essai de l'Académie française, et l'Olifant, en 2008. Voici aujourd'hui Fou Forêt, objet d'ufologie littéraire, dont on ne sait s'il faut le faire précéder du féminin ou du masculin –feu follet folâtrant dans la forêt touffue du langage Comme il se doit, le personnage principal de ce « roman de la langue » n'est autre que le français Philippe Barthelet en fait une sorte de héros résolument antimoderne, en butte aux Trissotin du savoir, tout autant malmené par les barbons que par les barbares qui se pressent à nos portes, menacé dans son être par les progrès du « globish » et de l'espéranto des affaires
Ainsi dresse-t-il, face à ce mur de l'ignorance, un monument, le monument aux mots, ces mots tombés au champ d'honneur des grandes batailles sémantiques.Tout au long de ces pages, il nous rappelle combien la grammaire a à voir avec la géopolitique, cette « grammaire des civilisations » chère à Fernand Braudel Car il n'y a pas de géopolitique sans poésie. De Gaulle, Malraux, Dominique de Roux, trois noms auxquels celui de Barthelet est associé, ne l'ignoraient pas. S'il est vrai que le poète est celui qui habite la langue, alors il en est un, et des plus déroutants. Sa patrie est le français, dont il est le serviteur à la fois cocasse et fidèle A l'écriture automatique, au français fonctionnel, à la novlangue technocratique, aux réformes soviétiformes de l'orthographe, il oppose le génie du français et sa rationalité contrariée, pourvue d'innombrables exceptions grammaticales qui confirment et confortent la règle Aux petits pions de la rue de Grenelle, siège de l'Education nationale, il préfère l'école buissonnière du langage et les étymologies bariolées.
Tout l'éloigne des semiologues et des pédants, et du premier d'entre eux, Roland Barthes. « L'étymologie est [. .] catégorique, écrit-il facétieusement: Barthelet n'est pas, à aucun égard, un diminutif de Barthes. » A l'un, la chaire du Collège de France ; à l'autre, la chair de la France. Imaginez Alexandre Vialatte réécrivant le Discours sur l'universalité de la langue française, de Rivarol, vous obtenez Barthelet. Ajoutez à cela l'érudition d'un Etiemble, auteur de Parlez-vous franglais/ Beaucoup de science, autant de fantaisie. Fou Forêt est un bric-à-brac enchanté qui tient comme un numéro d'équilibriste, on ne sait trop comment. C'est écritdans une langue dont on ne voit guère d'équivalent aujourd'hui, pleine de finesse et de légèreté, une légèreté qui ne s'interdit aucune profondeur. Les adjectifs se disputent sous la plume pour en fixer les contours : est-ce délicieux, exquis, inimitablement civilisé, merveilleux, féerique, précieux, mais sans le moindre ridicule ? Tout cela, assurément. Avec tous ces dons, on pardonnera à l'auteur de se laisser parfois aller à pétrarquiser - son péché mignon.
CHEZ LUI, l'écrivain n'est pas seulement souverainiste, il est souverain. Sa langue maternelle descend tout droit de l'ordonnance de Villers-Cotterêts, en 1539, par laquelle François Ier institua le français, ce patois roman qui détrôna alors le latin dans les actes officiels. Peut-être même procède-t-elle des serments de Strasbourg qui scellèrent, au milieu du IXe siècle, dans un très vague protofrançais, l'alliance de Charles le Chauve et de Louis le Germanique contre Lothaire Ier". Autant dire que l'auteur de Fou Forêt est aussi ancien que notre pays, même si ses livres sont plus nouveaux que le journal du matin, commele disait Péguy d'Homère. Le plus curieux chez ce poète de religion gaulliste, c'est qu'il y a dans tout ce qu'il écrit un désordre préclassique, bien plus proche, au fond, des Gaules que de Charles de Gaulle. C'est celui d'une France encore féodale, d'oc et d'oïl, stylistiquement moins timorée, plus audacieuse, autrement bigarrée que la nôtre, où les mots ne se coulaient pas si aisément dans leur moule académique.
Pierre Gripari, autre collaborateur du Spectacle du Monde, disait, en manière d'amusement, que le français est la langue originaire, dont tous les idiomes découlent, le tronc commun, au sens darwinien de l'expression. Philippe Barthelet n'est pas loin de penser la même chose. Avec Pou Forêt, il nous livre un chant d'amour à la France et à son coeur nucléaire — la langue, celle de Molière, de Paul-Jean Toulet et de Charles-Albert Cingria, à qui vont ses préférences. C'est le français des Francs, étymologiquement : les hommes libres. Homme libre, toujours tu chériras ta mère, la France.
FRANCOIS BOUSQUET
Fou Forêt, de Philippe Barthelet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Eloge d'un mousquetaire de la langue
Depuis déjà longtemps, l’écrivain Philippe Barthelet, avec un esprit bien français et un style digne du Grand Prix de l’essai que l’Académie française lui décerna en 2007, tient une chronique de défense de la langue française dans l’hebdomadaire Valeurs Actuelles. Chaque semaine, il réussit à tenir en haleine ses fidèles lecteurs avec la pudeur de l’écureuil, le savoir-faire du grand professionnel et la grâce de l’artiste.
Du panache, Barthelet n’en manque assurément pas. Non seulement il se fait militant infatigable de la langue française non sans audace ni courage, mais encore il se refuse toujours à mettre « la littérature à rude épreuve » et n’hésite pas à se moquer du « langage automatisé que préconisent les ministères », surtout en cette période d’élections présidentielles où les plus prestigieux de nos candidats à l’Elysée ruent volontiers dans les brancards du style académique…
Nous aimons l’ironie de Philippe Barthelet et son sens inné de la poésie. Pour un magazine comme Valeurs Actuelles, bénéficier de la collaboration fidèle d’un tel essayiste est une permanente aubaine ! Pour cet expert, « le français ne s’apprend pas, il se conquiert » et « le langage est la signature de l’être ».
À la devanture de nos libraires frigorifiés, en ce mois de février, un petit livre vient d’apparaître et intrigue. Sous le titre de FOU FORËT, il est justement signé Philippe Barthelet et nous entraîne dans l’épopée de la langue avec une force de conviction remarquable. C’est un tout jeune et talentueux éditeur, expert en insolite (1) qui a pris le risque de le publier et de le diffuser prenant ce pari contre la médiocrité et la mollesse ambiante. En fait, on lit son ouvrage « savant » sans jamais s’ennuyer. Toutes les deux ou trois pages, on en apprend de belles ! Ainsi, on découvre que le langage « qui est un grand maître parle de silence de mort » (p145). Et l’on approfondit la réflexion philosophique en poursuivant : « De fait, la mort est un autre nom du silence ; elle est moins le contraire de la parole que celui du bavardage, c’est-à-dire de la parole vaine ».
Au bout extrême des mots, Philippe Barthelet est un sage. Il fait partie des empêcheurs de tourner en rond. Il est davantage poète que professeur ou puriste. Il aime à nous montrer le ridicule de certaines expressions de notre bel aujourd’hui… En attirant les rieurs à lui, il réussit aussi à nous faire explorer ce « jardin extraordinaire » qu’est une langue natale, à nous convaincre que « le français a du coeur » !
Dans les écoles, on devrait faire entrer dans les programmes d’explication française des pages bien choisies de Philippe Barthelet. Le candidat à la présidence de la République qui osera préconiser cette idée, croyez-moi, y gagnera de nombreux électeurs et électrices ! Surtout venus du royaume des poètes…
JEAN-LUC MAXENCE
http://www.lacauselitteraire.fr/chronique-du-sel-et-du-soufre-fevrier-2012.html
Fou Forêt, de Philippe Barthelet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Olivier Barrot reçoit Philippe Barthelet sur France 3 le 24 janvier
Philippe Barthelet s'entretient avec Olivier Barrot dans l'émission "Un Livre un jour" sur France 3 du mardi 24 janvier à 17h05 à propos de Fou forêt, chroniques délicieuses sur la langue.
L'émission est diffusée sur le site de l'émission : http://programmes.france3.fr/un-livre-un-jour/index-fr.php?page=accueil&id_article=2756
A écouter absolument !
Fou Forêt, le roman de la langue, de Philippe Barthelet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Eclairs et fragments de George Steiner
Après son roboratif Poésie de la pensée, paru l'automne dernier, George Steiner change de registre : il signe aujourd'hui un court essai, en forme de fragments. «Un peu roussis», et prétendument jetés sur un papyrus exhumé à Herculanum et attribués à un certain Epicharne d'Agra, vivant au IIe siècle avant J.-C. ! Ce recours à la fiction souligne la sautillante liberté qui anime toujours l'esprit de ce passeur né en 1929.
Tout à la fois «moraliste et rhétoricien», Steiner passe au crible de son intelligence la réalité du mal ; l'histoire de l'athéisme; le règne de l'argent; l'inégalité entre les hommes; le lien entre lumière et ténèbres ; la puissance de l'amitié, celle qui «nous autorise à dire: "Je suis parce que tu es"», mais qui «enchâssée dans la liberté» peut se comprendre comme une « critique de l'amour».
Il rend aussi hommage à la musique, le grand amour de sa vie, qui ne cesse de venir narguer la rationalité du langage: «La musique n'est ni vraie ni fausse, ni vérifiable ni falsifiable», écrit celui qui aime se définir comme un maître à lire. De page en page, la vivacité de l'écriture défie la proximité de la mort. Ces fragments sont autant d'éclairs. De graves éclairs : «De la pointe de la terre à l'horizon, l'éclair dessine un arc. Voici que brille la ténèbre, et qu'avant l'épilogue du coup de tonnerre les constellations sont incomparablement éclairées. »
JULIETTE CERF
Fragments (un peu roussis) de George Steiner,
Traduit de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Steiner, fusées de détresse
D’ abord le titre les « fragments un peu roussis », qui composent I’entête de chacun des chapitres de cet essai, proviendraient d’un rouleau retrouvé a Herculanum, dont I’auteur ne serait autre qu’Epicharne d’Agra auteur du IIe siècle avant Jesus-Christ. Rouleau en mauvais état, « un peu roussi », en effet, et déchiffré à grand-peine. Cet Epicharne-là, avouons-le humblement, nous est inconnu. Vérité ou fiction ? Tel est le jeu, sinon le savant canular auquel nous convie George Steiner dans ce bref volume. Compacité, réduction à I’essentiel des thèmes qui hantent depuis un demi-siècle les livres de ce polyglotte érudit, grand-prêtre de la religion du livre, heideggérien mélancolique universellement connu et célébré, passeur autant que penseur : une manière de testament où Steiner cherche encore, dans ses racines juives autant que dans la métaphvsique du Verbe ou les grammaires perdues, le sens du sens et la vérité de I’être.
Et qui pose indéfiniment cette question : d'où vient le mal tapi au coeur de l'humain, à plus forte raison quand il est le produit de la plus haute civilisation ? Quelques belles âmes trouveront sans doute à s’agacer, entre autres de certaines pages provocatrices sur les « souris » qui composent la majeure partie de notre imparfaite espèce et se vautrent dans la servitude : le « vieux maître » ri a plus grand-chose, ni grand monde à ménager. Réactionnaire ? Si vous le dites.
Le livre est donc fait d’un commentaire très personnel de chacun de ces fragments énigmatiques « Quand l'éclair parle il dit ténèbre » ; « Amitié tueuse d'amour » ; ou encore « Réfute I’Olympe si tu peux » ; « Mort amie », ce dernier fragment donnant lieu à un véritable petit traité de stoïcisme moderne, et à une utile réflexion sur I’obscénité des efforts qui cherchent à prolonger des vies condamnées. II y a sinon une « méthode » Stiner, dont Réelles présences, I’un de ses essais majeurs (rééd Folio Essais), avait livré le cheminement, du moins une démarche : oser des questions qui n’attendent pas de réponse parce qu’elles la contiennent, dans leur sagesse contemplative ; contester le délire contemporain du commentaire, cette nouvelle scolastique, I’arrogance d’une critique obsédée par les déterminismes historiques, sociaux ou psychanalytiques, pour tenter une approche réellement ontologique ou métaphysique, des oeuvres d’art notamment - au risque parfois de la tautologie « l’être est, le non-être n'est pas » : comment dire le néant ? Dans cet espace où s'arrête le langage, le dicible, I’articulé, dans la musique par exemple n’est-il pas un au-delà bien proche de l'hypothèse de Dieu ou du Nichts heideggérien ?
Le premier « commentaire » de ces Fragments est à cet égard foudroyant… comme son titre : l'éclair peut-il être I’obscur ? « Ya-t-il un trou noir au coeur de I’être ?» En reprenant le questionnement premier de la métaphysique et en résumant ses enjeux, I’auteur administre comme une première leçon de ténèbres. La suite en procède dans des variations souvent savoureuses, et des formules délectables, empruntées aux meilleurs des aphoristes, de I a Rochefoucauld à Oscar Wilde, mais surtout dans des réflexions sur I’amitié qui est une « critique de I’amour », sur I’argent la musique, et même sur Dieu et I athéisme, avec un coup de griffe à Pascal, dont le pari fleure I’opportunisme.
Ces fusées sont l'écho d’un pessimisme fondamental, qui trouve sa consolation dans I’infini de Babel et la fréquentation des élus, en tout cas de leurs œuvres. Car, pour le commun des mortels, le mal existe, et l'humanité selon Steiner qui semble lorgner parfois vers Nietzsche, souffre de quelques défauts de fabrication : « Entre I’esprit d'un génie et celui d’un débile, quelles égalités ? [ ] quel signe d'égalité entre Newton et un crétin, mes ressources intellectuelles et celles d’un Dostoïevski ?»
Telle est la mélancolie lucide de George Steiner, dans ce précieux petit livre de sagesse et de savoir qu'on referme avec une gratitude apaisée dans le banquet du premier cercle où il a parfois son couvert, parmi les génies de I’humanité qui le protègent et l'inquiètent, il est lui-même hôte de passage consolateur inconsolé de n'être pas du club, un peu Cassandre, un peu Alceste. Et beaucoup Orphée, dans sa quête des beautés de la musique, cet ultime mystère, sur lesquelles il écrit ses plus belles pages.
BERNARD FAUCONNIER
Fragments (un peu roussis), de George Steiner
traduit de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Steiner face aux ténèbres
Pour comprendre le lien entre Poésie de la pensée et Fragments (un peu roussis) de George Steiner, il faudrait pouvoir se représenter quelles furent les dernières paroles d’Ulysse à ses enfants avant son départ pour la guerre de Troie. Il faudrait pouvoir entendre ses promesses répétées de retour, et en souligner la valeur dérisoire au regard des événements qui s’ensuivirent. L’immense généalogie de l’échec que déroule Poésie de la pensée passe ainsi au crible toutes les tentatives accumulées depuis les Présocratiques jusqu’à Heidegger pour « rentrer au bercail » : pour réintégrer l’ordonnancement d’une cité idéale, oeuvre elle-même de la pensée qui, seule, préserve l’homme du joug des passions et lui assure une demeure habitable. « Demeurer », perdurer en maître, tel est le rêve que caresse Platon, quand il chasse les tragédiens et les poètes, réputés fauteurs de troubles, de cette précieuse enceinte. Rééditant le geste de Créon qui, dans la tragédie de Sophocle, condamne Antigone pour avoir offert au cadavre de Polynice la sépulture que la loi lui interdit. Paradoxalement la nuit du paria-poète est lumineuse. Elle contraste avec la cécité de l’être de raison qui, enfermé dans les concepts et les principes gravés à jamais dans la pierre, a rompu avec l’expérience poétique, proprement « oraculaire », qui accède, en toute liberté, à l’étrangeté et à la profondeur du monde et bien plus, à son au-delà. La continuité tragique de l’Histoire qui ne cesse de faire voler en éclats la visée d’équilibre et d’harmonie des œuvres humaines, ne postule pas tant que l’existence soit dénuée de sens. Mais que ce sens « demeure » caché, comme un appel récurrent à être revisité, ressaisi et révélé. Pour cela, le philosophe doit s’effacer devant le poète dompteur d’obscurité.
C’est au seuil de ce « passage sacré dans la patrie même du langage », hanté par la présence de Paul Celan et d’Hölderlin, que les Fragments (un peu roussis) jaillissent au regard dans toute leur énigme. Le fragment désigne d’entrée de jeu l’impossibilité de cette totalité à laquelle nous aspirons tout en témoignant de la vie intérieure. Il procède par éclairs, par brisures, définissant une dialectique des contraires héritée d’Héraclite qui oppose tour à tour lumière et ténèbres, amour et amitié, petits et grands, mal et bien, homme et Dieu, musique et silence, mort et éternité. « Mais pourquoi l’énonciation de la ténèbre dans notre fragment ? Parce que l’existence est un bienfait mélangé, qu’elle occasionne une rupture tragique avec la paix de l’inerte, que l’histoire humaine est faite de gaspillages et d’incommensurables souffrances ? We are for the dark. » « L’être-pour-la-mort » de Heidegger veille. Ce qu’il combat, c’est l’excès de « positivisme » qui a envahi le champ de notre conscience, la volonté de puissance que traduit le recours sans nuances au progrès technique et scientifique. La pleine « lumière » de nos sociétés dominées par l’idéal de souveraineté démocratique masque, en réalité, une chute en dignité : la négation des limites physiques et morales qui nous conditionnent et dont le héros tragique n’ignore rien. Dès lors, les huit fragments nous attirent comme autant de portes royales défendant un mystère grandissant que l’on traverse par le questionnement et le choix irrémédiable de vivre ou de mourir. Ce sont, en effet, les forces vitales qui sont en jeu. L’amour est-il, de ce point de vue, plus valable que l’amitié ? L’homme peut-il se passer de Dieu ? La musique ne donne-t-elle pas naissance au silence de l’inconnaissable, de l’intraduisible ? Aucune réponse n’est définitive ni sans douleur. Aucune épreuve ne nous est épargnée. Quant au déclin sans retour auquel nous sommes condamnés, seul un fait minuscule le dément. Qui filtre et court tout au long de ces fragments : la joie secrète de l’homme éclairé qui, depuis Héraclite jusqu’à l’ère de la mondialisation, n’aura rien perdu du spectaculum mundi.
ANNE-SOPHIE YOO
Fragments (un peu roussis) de George Steiner
Traduit. de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Le testament spirituel de George Steiner
Rencontre à Cambridge avec le grand critique qui ne mâche pas ses mots
C’est dans un cottage au gazon très vert et aux briques brunes, dans un quartier résidentiel de Cambridge, que George Steiner (né en 1929) vit paisiblement, après un demi-siècle d'enseignement à Princeton, au Churchill College, à Genève et ailleurs. Mais c'est toujours frénétiquement qu'il lit, écrit et annote, calfeutré dans une espèce de cabane octogonale, en bordure d'un jardinet, au milieu de ses livres de prédilection. Critique, spécialiste de littérature comparée, philosophe du langage et de la traduction (il est quadrilingue depuis son apprentissage récent de l'italien), dont la trentaine d'ouvrages ont été traduits en vingt-deux langues, ancienne « bête à concours », Steiner fait un retour sur lui-même, dans un petit livre testament qui étonne par sa fraicheur impertinente, une fois de plus. Une foi obstinée et talentueuse dans le désir de ne rien faire comme les autres, et qui lui a très probablement coûté le Nobel de littérature, sans compter quelques déclarations fracassantes contre la bien-pensance Steiner voulait être musicien ou romancier (tiens, comme son aîné Roland Barthes ) il fut et reste un nostalgique de la « beauté pythagoricienne des mathématiques », auteur de véritables bréviaires exaltant ce vice impuni (Tolstoï et Dostoïevski, son premier ouvrage, Apres Babel, Réelles présences), dépoussiérant Heidegger au point de le rendre lisible, ou bien brocardant notre sous-culture (Dans le château de Barbe Bleue) et ses icônes postmodernes de verroterie (Susan Sontag et consorts)
Formules lapidaires
Steiner, plus postino que passeur, aime ce que nous ne lisons plus la pensée d'Alain, Péguy, Boutang (« je préfère Boutang aux staliniens qui crachent sur Morand »), Xavier de Maistre, La Reine morte de Montherlant (la scène finale, qu'il met par-dessus tout), et même Les Deux Etendards de Rebatet le maudit, il nous ferait aimer ce que nous avons négligé, venant d'outre-Manche Milton, Wordsworth, Spenser, Nashe et les autres poètes élisabéthains, ou encore la Bible version King James, ou bien Alexis Philonenko. Certaines de ses formules lapidaires ont valeur de thèse, ainsi, quand il nous lâche, entre deux tasses de thé « Proust et Céline ont divisé la langue française. »
Allegro vivace, il passe des Variations Goldberg ou des Vêpres de la Vierge à Moïse et Aaron de Schoenberg, enjambe Ravel pour rejoindre le chant d'Arion ou une toile de Chardin, en quelques pages, nous quittons un sonnet de Shakespeare pour rejoindre Joyce, James ou T S Eliot, il relit le Tractatus de Wittgenstein à la lumière d'un adagio de Brahms ou d'un extrait du Journal de Kafka. A chaque fois, c'est la lumière intelligente de la jubilation. Pourtant, George Steiner avoue « Je suis heureux qu'il y ait toujours du mystère, que nous manquions de solutions. » Ses principales œuvres seront réunies début 2013 par Gallimard dans la collection « Quarto ».
Entretien avec George Steiner
Vous présentez votre dernier ouvrage, Fragments (un peu roussis), comme votre testament spirituel. N'avez-vous plus rien à dire ? Plus rien à nous transmettre, vous le nautonier des lettres classiques et modernes ?
Depuis un demi-siècle, j'ai écrit plus d'une trentaine d'ouvrages, revenant inlassablement sur les mêmes thèmes, que j'estime toujours aussi cardinaux et cruciaux, et même davantage aujourd'hui. Le centre, le nœud de ce travail de pédagogue, de penseur et de passeur a été la lecture. Le fragment aphoristique sous forme également de précepte, inspiré de la morale d'Epicharne d'Agra, qui a dû vivre à la fin du IIe siècle avant J C, m'a semblé la forme idéale pour revenir sur ces problématiques la portée de la philosophie grecque, l'empire du mal, la mort en ce qu'elle a de plus universel, la folie despotique de l'argent, l'intraduisible musique, la ténèbre comme absence de lumière. A quatre-vingt-trois ans, je ne regrette rien, comme dit votre chanson, rien de ce que j'ai écrit Je ne regrette non plus aucune de mes lectures. Mais il est vrai, j'ai néglige, peut-être a tort le cinéma, qui a renouvelé la sémantique.
De façon plus inattendue, vous revenez également sur l'amitié, cette force vitale, indéfectible contra mundum, qui est à vos yeux une des plus grandes vertus.
Cet éloge est plutôt tardif 'C'est une préoccupation, une obsession que j'avais déjà évoquée ici ou là, mais elle revient aujourd'hui avec force , elle s'impose au-delà de l'amitié virile entre Achille et Patrocle. Peut-être parce qu’ elle nous manque L'amitié est cette valeur transcendante qui nous permet de dire tout simplement, en écho a Montaigne « Je suis parce que tu es «Mieux elle peut nous dispenser des impératifs anarchiques de la sensualité. Je rêve d'un roman ou un couple d'amoureux, une fois passé l'étape du sexe dans tout ce qu'il a d'absurde, devient profondément ami au-delà de l'éros. Mais les grands amants ont bien du mal à être de grands amis Plus tard, dans la vie, on peut devenir l'ami de son conjoint, cela forme une espèce de modulation George Eliot ou Colette auraient pu écrire ce roman , elles ne l'ont pas fait. Je l'attends. Vous savez, en général, l'amitié pardonne à la sexualité, elle a cette capacité précieuse, alors, je peux dire l'amitié « tueuse d'Eros » J'ai nourri une forte amitié affective pour un écrivain honni chez vous, Pierre Boutang, l'auteur d'Ontologie du secret, malgré ses idées monarchistes que je ne partageais pas, vous vous en doutez* C'était un condottiere de la pensée, il ne connaissait pas la peur, alors que moi, je suis un poltron. D'ailleurs, je crois que si j'étais soumis à la torture, je parlerais, surtout si l'on ose toucher à mon chien.
Vous n'avez pas pu devenir musicien, le regrettez-vous ?
Oui, énormément c'est un des tourments de mon âme. Mes parents étaient viennois de naissance ou d'adoption, mon père d'ailleurs fréquentait Sigmund Freud, dans les années 1920, années marquées par la trinité atonale de Schoenberg, Berg et du miniaturiste Webern, j'étais donc destiné au piano ou au violon, et finalement je ne suis devenu qu'un auditeur, un amant de la musique Elle a toujours été au centre de ma vie. Comme je l'ai développé dans Errata je la vois comme l'expression extraordinaire, exorbitante, des plus hauts états de la conscience humaine. Leibniz, même si je lui préfère Spinoza, tenait la musique pour l'algèbre de Dieu : j’approuve ! Ecoutez le merveilleux Socrate d'Erik Satie, que j'adore, c'en est l’évidente illustration ! Et la grammaire est une musique de la pensée. Et puis, je me pose souvent la question suivante : « la musique peut-elle mentir ?», en pensant notamment à Richard Wagner et à son mystère redoutable, le mysterium tremendum. De même, comment peut-on lire Shakespeare, écouter Cosi fan tutte de Mozart, aimer Schubert, et se livrer aux pires tortures ? Ce qui est une façon de dire et je l'ose, que Wagner était dans un sens coupable, ou complice des atrocités nazies, a posteriori.
Votre amour de la poésie que vous associez souvent à la philosophie, a-t-il été déterminant dans votre formation, votre sensibilité ?
Mon père m'avait offert un volume des Trophées de Jose Maria de Heredia, un symboliste un peu pompeux des lors j'ai compris, et j'étais jeune, que la poésie était une lutte contre la parole, une porte ouverte sur d'autres mondes, comme le sont les langues étrangères Je vis en poésie et en philosophie Aristote avait raison la poésie est plus véridique que l'histoire. Chaque jour, je lis Héraclite et des poètes modernes comme Paul Celan, devenu avec le temps un pan entier de mon âme et de sa respiration, René Char, Yves Bonnefoy, dont je possède les œuvres complètes Et chaque jour, j'ai ce titre allitératif d'Eluard en tête « Le dur désir de durer ». Mais la poésie reste soumise à une « lecture bien faite », comme le disait Charles Péguy (que les Français ont un peu trop oublie, il me semble) et cette lecture présuppose le silence absolu, lequel a pratiquement disparu, ou c'est un luxe. Aujourd'hui, nous sommes submergés par les anthologies, les commentaires, les digests, les florilèges prémâchés, au détriment des originaux. Qui lit intégralement aujourd'hui la Commedia de Dante ou Paradise Lost de Milton ? Mes pérégrinations littéraires entre les langues et les siècles m'amènent à constater que nous sommes dans une après-culture, ou, comme dans l'Inferno, les pleurs empêchent même de pleurer… Constat annonçant la notion d'inconsolable de Kafka, ce « neveu de Dieu ». Alors que le propre des classiques, les inépuisables classiques, est d'être relus constamment ils ne sont en rien anciens, mais, au contraire, à venir…
Quel message, quel témoignage, aimeriez-vous laisser ?
J'aimerais que le souvenir que l’on garde de moi soit celui d'un maître à lire, de quelqu'un qui a passé sa vie à lire avec les autres. Un lecteur, un auditeur, qui se sent avant tout européen, et qui s'est posé de plus en plus de questions. Celle-ci par exemple : « L'espérance serait-elle une erreur ? » A méditer J'aimerais également laisser ce message aux jeunes lecteurs : « Ne jamais négocier vos passions ! » Mais pour terminer sur une note moins sombre, je vais vous confier, en parodiant Samuel Beckett, que j'appelle « le virtuose de Babel », ce qui est mon bonheur, aujourd'hui ; il est simple : être seul, m'asseoir et lire des commentaires sur Platon. C'est très British, n'est-ce pas ?
PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY CLERMONT.
in Le Figaro littéraire du 3 mai 2012
* Dialogues sur le mythe d'Antigone, sur le sacrifice d'Abraham, de George Steiner et Pierre Boutang (JC Lattès, épuisé)
Fragments (un peu roussis) de George Steiner
Traduit de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat.
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
La mort devant soi
Il y a des livres qui pensent et ceux qui font penser. George Steiner a donné dans les deux catégories. Cette fois, il s'agit de la seconde. A 83 ans, ce grand intellectuel formé à la curiosité féconde de la Mitteleuropa, titulaire d'une chaire de littérature comparée à l'université de Cambridge, fait une sorte de bilan. A l'instant où la vie regarde la mort, l'essayiste se fait volontiers philosophe. II nous propose une sorte de conversation entre la sagesse antique incarnée ici par Epicharme d'Agra, moraliste du IIe siècle avant J C qui semble sorti de son imagination, et le monde moderne. A l'aide de ce levier, l'écrivain soulève bien des questions. Celle de l'histoire humaine «faite de gaspillages et d'incommensurables souffrances » Comme Walter Benjamin, il demeure fasciné et horrifié par le fait que la culture la plus haute ne puisse servir de rempart a la barbarie à cause de « la réalité ontologique et autonome du mal ». On trouvera dans ce livre inédit le territoire favori de Steiner, celui des livres, ainsi qu'un bel éloge de l'amitié, « la prime de la vie humaine, sa gratification imméritée », mais aussi « tueuse d'amour » car elle tend à faire la critique d’éros. Et puis il y a thanatos, la mort qui est « maîtresse en démocratie » avec le mal en maître de ballet de la condition humaine Steiner reprend volontiers
la formule de Thoreau sur la vie menée comme un « désespoir tranquille ».
« Du meurtre de Caïn aux chambres à gaz et à l'incinération nucléaire, qu'est notre histoire, sinon une chronique de l'inhumain ? » Ce polyglotte ne à Paris de parents juifs autrichiens sait de quoi il parle. Et il parle de ce qu'il sait La littérature, bien sûr, la musique qui l'enveloppe, la science qui le fascine et l'économie qui le désole avec cet argent qui a trop souvent l'odeur du sang « La seule notion de richesse est saturée d'ambiguïté. L'économie de la sainteté est celle du mendiant » Celui qui a toujours savamment distille ses chroniques dans le New Yorker ou dans le Times Iiterary Supplement et prudemment accordé des entretiens assène : «Aucun philosophe sérieux ne devrait être riche » Et il se moque volontiers : « Des intellectuels de haut vol dansent comme des animaux de cirque dès que les médias font rutiler leurs honoraires.» II émet aussi quelque doute sur l'athéisme, «phénomène tardif, peut être lié à l'effondrement du monde antique. » Avec I"âge on devient prudent. Que tuer de tout cela ? « La découverte la plus capitale dans l'histoire de I’homme est celle de la mort.» C'est pour cela qu'il a inventé la vie. Un temps plus ou moins long qui peut être le pire comme le meilleur «Pourquoi se soumettre aux épreuves de la vie quand il n'y a pas moyen d'échapper à la mort ? ». Savoir la mort devant soi n'entraîne pas le refus de la vie, au
contraire. C'est le message - s'il y en a un - de ces confessions en forme de testament stoïque.
LAURENT LEMIRE
Fragments (un peu roussis) de George Steiner
Traduit de l'anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Gifler Jean d'Ormesson de Romaric Sangars
Michel Crépu, directeur de la NRF, commente l'ouvrage de Romaric Sangars : Suffirait-il d'aller gifler Jean d'Ormesson pour arranger un peu la gueule de la littérature française sur le blog dédié.
Hôtel des Invalides passionnément
Tout commence avec la splendeur du dôme des Invalides dans le ciel de Paris, brumeux ou rayonnant. Il est à l'image d'une histoire enfuie, grande, jadis, avant la descente au tombeau. Premier chantier voulu par le roi après le Louvre et avant Versailles, encore à ses débuts, l'Hôtel des Invalides s'est édifié dans le fracas du Grand Siècle, au milieu des intrigues et des batailles, dont le souffle est présent dans ce livre. Françoise Lafarge, agrégée de Lettres classiques, spécialiste de la littérature du xviie siècle, raconte avec éloquence sa passion pour ce monument d'exception et ses parties distinctives. L'au- teur ne fait pas pour ses lecteurs la visite prévue pour les guides touristiques. Elle livre vraiment sa passion pour ce lieu unique, survivant dans un monde qui est sa négation.
DOMINIQUE VENNER
Hôtel des Invalides, passionnément, de Françoise Lafarge (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Millet coeur de sniper
En deux pamphlets, l'agent provocateur des lettres françaises vitupère le métissage et la société décadente. Mais, le temps d'un récit, il garde toute sa fraîcheur pour les jeunes femmes.
Ca y est, on le tient, chef ! Le voilà, le méchant, le nazi,le pestiféré des lettres. Nom : Millet Prénom : Richard. Profil : 59 ans, catholique, hétérosexuel, ancien combattant aux côtés des chrétiens au Liban. Délit : publie simultanément trois ouvrages en cette rentrée, un récit et deux brefs pamphlets (dont l'un sous titre, non sans provocation, Eloge littéraire d'Anders Breivik, du nom du jeune Norvégien coupable du massacre d'Utoya), dans lesquels il dénonce sans pincettes le métissage et l'emprise croissante de l’islam sur la société française. Signe particulier : est en même temps éditeur chez Gallimard, maison favorablement connue de nos services, où il a notamment couveéJonathan Littell et Alexis Jenni, tous deux Prix Goncourt
Le RER comme métaphore de notre décadence
On le voit, il y a un cas Millet Lui même enjoué, d'ailleurs « Ainsi, constatant que je suis le seul Blanc, dans la station de RER Châtelet Les Halles, à six heures du soir, ou déclarant que je ne supporte pas de voir s'élever des mosquées en terres chrétiennes, ou encore trouver que prénommer, à la troisième génération, ses enfants Mohammed ou Rachida relève d'un refus de s'assimiler, c'est a dire de participer a l'essence française, tout cela ferait de moî un raciste », note-t-il dans De l'antiracisme comme terreur littéraire. Pour Millet, la station RER de la gare du Nord, avec ses«métis violacés», ses«Tamouls verdâtres » et ses « Blancs cadavériques », serait la métaphore obsédante d'une société décadente, que le « politiquement correct » nous sommerait de célébrer
Mais son propos n'est pas seulement idéologique. Le « prêt-à-porter » littéraire aurait sa part de responsabilité dans cette dissolution généralisée des esprits. Le triomphe du gros best seller américain annoncerait la mort de notre civilisation (Mais, pourrait-on objecter, dans le passé, n'avait-on pas déjà Delly ET Gide, Pearl Buck ET Kafka?) On le sait, pas de bon pamphlet sans noms. Ainsi, après s’en être pris au très « rasoir » Umberto Eco, Millet fustige le discours de réception de Vargas Llosa au Nobel,«tissu de lieux communs politiquement correct» Plus courageux, il ose s'en prendre à l’intouchable icône Le Clezio. «Son style est aussi bête que naïve sa vision manichéenne du monde et ses romans dépourvus de ressort narratif. » Avouons-le, c'est un jugement qui se murmure par fois dans l'entre-soi des cocktails de Saint Germain-des-Prés, mais que l'on a peu l'occasion de lire noir sur blanc ?
Alors courageux ou kamikaze ? Notons au passage que Llosa et Le Clézio sont deux auteurs historiques de son « employeur » Gallimard. Si Millet peut compter sur la neutralité bienveillante des éditeurs de la maison - Sollers, Laclavetine - et sans doute de la direction administrative - rien ne vaut un Goncourt pour renflouer les caisses -, en revanche, certains auteurs Gallimard, comme Annie Ernaux ou Tahar Ben Jelloun, ne cachent pas leur hostilité à son égard. MaIs, après tout, on est là dans une vieille tradition familiale. Malraux et Drieu la Rochelle ne se croisaient ils pas dans les bureaux de la NRF en 1943 ?
Après ces deux pamphlets, on attendait évidemment notre sniper des lettres au tournant. Alors, que vaut son court récit autobiographique, Intérieur avec deux femmes ? Cet aller-retour Paris Amsterdam sur fond de crise amoureuse sorte de Sylvie nervalien où le Thalys aurait remplacé le fiacre, est porté par une tension sourde et une belle langue. Millet s'y montre à la fois « peu sympathique » et touchant, guettant fébrilement, tel un adolescent, le SMS d'une « très jeune femme» qui s'éloigne. II y développe aussi nombre de théories réjouissantes et parfaitement réfutables : que la peau des femmes de plus de 40 ans a la «consistance d'une poire mûre », que tous les lecteurs de L'Equipe sont des débiles mentaux , ou qu'il existe une corrélation entre le degré d'embourgeoisement et le niveau d'épilation du pubis des femmes. On est loin de ses pamphlets ? Pas vraiment… Après avoir aperçu du tram la gigantesque mosquée honnie de Rotterdam, Millet arrive à Paris, gare du Nord. Et plonge dans le RER. Et tout peut recommencer •
JERÔME DUPUIS
Langue fantôme, suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik,
De l'antiracisme comme terreur littéraire
Intérieur avec deux femmes, par Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Millet coeur de sniper
En deux pamphlets, l'agent provocateur des lettres françaises vitupère le métissage et la société décadente. Mais, le temps d'un récit, il garde toute sa fraîcheur pour les jeunes femmes.
Ca y est, on le tient, chef ! Le voilà, le méchant, le nazi,le pestiféré des lettres. Nom : Millet Prénom : Richard. Profil : 59 ans, catholique, hétérosexuel, ancien combattant aux côtés des chrétiens au Liban. Délit : publie simultanément trois ouvrages en cette rentrée, un récit et deux brefs pamphlets (dont l'un sous titre, non sans provocation, Eloge littéraire d'Anders Breivik, du nom du jeune Norvégien coupable du massacre d'Utoya), dans lesquels il dénonce sans pincettes le métissage et l'emprise croissante de l’islam sur la société française. Signe particulier : est en même temps éditeur chez Gallimard, maison favorablement connue de nos services, où il a notamment couveéJonathan Littell et Alexis Jenni, tous deux Prix Goncourt
Le RER comme métaphore de notre décadence
On le voit, il y a un cas Millet Lui même enjoué, d'ailleurs « Ainsi, constatant que je suis le seul Blanc, dans la station de RER Châtelet Les Halles, à six heures du soir, ou déclarant que je ne supporte pas de voir s'élever des mosquées en terres chrétiennes, ou encore trouver que prénommer, à la troisième génération, ses enfants Mohammed ou Rachida relève d'un refus de s'assimiler, c'est a dire de participer a l'essence française, tout cela ferait de moî un raciste », note-t-il dans De l'antiracisme comme terreur littéraire. Pour Millet, la station RER de la gare du Nord, avec ses«métis violacés», ses«Tamouls verdâtres » et ses « Blancs cadavériques », serait la métaphore obsédante d'une société décadente, que le « politiquement correct » nous sommerait de célébrer
Mais son propos n'est pas seulement idéologique. Le « prêt-à-porter » littéraire aurait sa part de responsabilité dans cette dissolution généralisée des esprits. Le triomphe du gros best seller américain annoncerait la mort de notre civilisation (Mais, pourrait-on objecter, dans le passé, n'avait-on pas déjà Delly ET Gide, Pearl Buck ET Kafka?) On le sait, pas de bon pamphlet sans noms. Ainsi, après s’en être pris au très « rasoir » Umberto Eco, Millet fustige le discours de réception de Vargas Llosa au Nobel,«tissu de lieux communs politiquement correct» Plus courageux, il ose s'en prendre à l’intouchable icône Le Clezio. «Son style est aussi bête que naïve sa vision manichéenne du monde et ses romans dépourvus de ressort narratif. » Avouons-le, c'est un jugement qui se murmure par fois dans l'entre-soi des cocktails de Saint Germain-des-Prés, mais que l'on a peu l'occasion de lire noir sur blanc ?
Alors courageux ou kamikaze ? Notons au passage que Llosa et Le Clézio sont deux auteurs historiques de son « employeur » Gallimard. Si Millet peut compter sur la neutralité bienveillante des éditeurs de la maison - Sollers, Laclavetine - et sans doute de la direction administrative - rien ne vaut un Goncourt pour renflouer les caisses -, en revanche, certains auteurs Gallimard, comme Annie Ernaux ou Tahar Ben Jelloun, ne cachent pas leur hostilité à son égard. MaIs, après tout, on est là dans une vieille tradition familiale. Malraux et Drieu la Rochelle ne se croisaient ils pas dans les bureaux de la NRF en 1943 ?
Après ces deux pamphlets, on attendait évidemment notre sniper des lettres au tournant. Alors, que vaut son court récit autobiographique, Intérieur avec deux femmes ? Cet aller-retour Paris Amsterdam sur fond de crise amoureuse sorte de Sylvie nervalien où le Thalys aurait remplacé le fiacre, est porté par une tension sourde et une belle langue. Millet s'y montre à la fois « peu sympathique » et touchant, guettant fébrilement, tel un adolescent, le SMS d'une « très jeune femme» qui s'éloigne. II y développe aussi nombre de théories réjouissantes et parfaitement réfutables : que la peau des femmes de plus de 40 ans a la «consistance d'une poire mûre », que tous les lecteurs de L'Equipe sont des débiles mentaux , ou qu'il existe une corrélation entre le degré d'embourgeoisement et le niveau d'épilation du pubis des femmes. On est loin de ses pamphlets ? Pas vraiment… Après avoir aperçu du tram la gigantesque mosquée honnie de Rotterdam, Millet arrive à Paris, gare du Nord. Et plonge dans le RER. Et tout peut recommencer •
JERÔME DUPUIS
Langue fantôme, suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik,
De l'antiracisme comme terreur littéraire
Intérieur avec deux femmes, par Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Un rapprochement inéluctable : entretien avec Ardavan Amir-Aslani
Ardavan Amir-Aslani est un avocat et essayiste spécialiste du Moyen-Orient. Il a récemment publié Juifs et Perses. Iran et Israël (Nouveau monde) et Iran-États-Unis, les amis de demain ou l’après-Ahmadinejad (Pierre-Guillaume de Roux).
Daoud Boughezala : Dans vos deux derniers livres, vous prédisez un rapprochement de l’Iran avec Israël et les Etats-Unis. S’il est vrai que la mouvance salafiste est l’ennemi commun de la République islamique, des USA et de l’Etat hébreu, n’est-ce pas un peu court pour justifier une alliance de long terme ?
Ardavan Amir-Aslani : Je ne le pense pas. Les raisons d’un tel rapprochement sont nombreuses et dépassent la nécessité d’une alliance contre le courant salafiste-jihadiste. Tant Israël que les Etats-Unis sont en manque d’alliés véritables dans la région. Israël n’a jamais été aussi isolé dans sa région que depuis le commencement de ce pseudo printemps arabe. Son ambassade au Caire a été incendiée et son personnel diplomatique a été évacué d’Amman. Tant l’Égypte que la Jordanie vivent des moments troubles. Nul ne sait jusqu’à quand la monarchie hachémite pourra tenir face aux islamistes et aux Palestiniens qui se radicalisent de plus en plus sur son territoire. Quant à l’Égypte, il n’est pas certain que son armée, aux ordres des Saoudiens, soit à même de contrôler indéfiniment les islamistes, qui restent aux aguets. Il en va de même pour la Turquie où le premier ministre islamiste a eu recours à une terminologie belliqueuse envers Israël à propos de l’affaire de la flottille. Les relations entre ces deux pays sont pour le moins froides. Les manœuvres militaires communes ont été annulées et le pouvoir d’Ankara a tendance à se radicaliser face aux troubles qu’il a affrontés dernièrement. Bref, Israël est en manque d’alliés dans la région. Seul l’Iran de demain pourra assumer ce rôle. Le Président iranien nouvellement élu, Hassan Rohani s’est rendu hier à l’Assemblée Générale de l’ONU en compagnie d’un député juif du parlement iranien. Ce geste qu’il faut rapprocher de son Tweet à l’occasion de Roch Hachana traduit une volonté d’apaisement de l’Iran envers l’État Hébreu. Par ailleurs, je vous rappelle que l’Iran a assumé naguère le rôle d’allié d’Israël sous le régime du Shah. Il ne s’agira que d’un retour aux sources. Et personne en Iran n’a oublié la destruction de la centrale d’Osirak en Iraq par l’aviation israélienne qui a évité que le peuple iranien reçoive une bombe nucléaire sur la tête.
Même sous la République islamique, Israël, pendant la guerre Iran/Iraq a soutenu l’effort de guerre iranien lors de la fameuse affaire de l’« Irangate ». S’il ne sera pas de cœur, le rapprochement entre les deux pays sera de raison. J’ajoute que les dirigeants iraniens savent que le chemin vers Washington passe par Jérusalem.
Hubert Védrine estime que le retour de l’Iran parmi le concert des nations passe nécessairement par un changement de régime à Téhéran. Jugeant les structures de la République islamique trop rigides, il parie sur un effondrement intérieur du régime. Pensez-vous que l’Iran doit dire adieu au pouvoir islamique pour réintégrer la communauté internationale ?
Je crois au contraire que le régime iranien peut se réformer de l’intérieur. L’élection récente d’un modéré, en rupture totale avec l’administration d’Ahmadinejad, en est la preuve éclatante. L’Iran dispose, malgré des imperfections réelles, d’un régime semi-représentatif. À mon sens, la forte participation de l’électorat aux dernières élections a parfaitement légitimé l’élection de Rohani. Personne n’a contesté ces résultats, même pas les Américains qui ont même adressé une lettre de félicitations au nouveau président. Ainsi, dès lors que le pouvoir doit impérativement tenir compte de la volonté nationale, la réforme est possible. L’Iran est un pays différent de ses voisins. La jeunesse de moins de 40 ans représente 70% de sa population, par ailleurs très éduquée et ouverte sur le monde. Dans ces conditions, je suis convaincu que le changement viendra graduellement de l’intérieur. À terme, l’avènement d’un régime séculier et démocratique est inéluctable. L’ouverture du pays vers l’étranger et le retour de l’Iran dans le concert des nations hâtera la chose.
En attendant ces lendemains qui chantent, l’Iran doit gérer son passif diplomatique. Ces huit dernières années, le président Ahmadinejad a multiplié les saillies incendiaires contre Israël et les États-Unis, avec la bénédiction du Guide suprême Ali Khamenei. Aujourd’hui, ce dernier laisse le nouveau président Hassan Rohani rassurer la communauté internationale par des déclarations apaisantes. La stratégie du Guide ne consiste-t-elle pas à souffler le chaud et le froid pour gagner du temps sur le dossier nucléaire ?
Non. Pour la première fois dans l’histoire de la République islamique, la totalité des organes de pouvoir sont sur la même longueur d’ondes. Je crois que l’on ne peut pas comparer la présidence de l’ancien président modéré Khatami (1997-2005) à celle de Rohani : la situation régionale et l’état économique du pays ont profondément changé. Aujourd’hui, le pouvoir iranien se sent de plus en plus assiégé par l’islamo-fascisme sunnite qui les prend pour cibles aussi bien en Syrie qu’en Irak et partout ailleurs au Moyen-Orient où une communauté chiite est présente. Le pouvoir n’a pas le choix aujourd’hui. La pression des sanctions américaines et européennes ont dévasté l’infrastructure industrielle du pays et dévalué sa monnaie de presque 100%. Le réalisme des dirigeants iraniens me fait croire qu’ils ne rateront pas cette opportunité historique qu’offre l’élection de Rohani pour sortir de l’engrenage du nucléaire et mettre un terme aux sanctions internationales. Il en va de la paix sociale en Iran et donc de la pérennité du régime.
Justement, on a l’impression que la République islamique joue aussi son va-tout à Damas, tant la diplomatie iranienne soutient le régime baasiste, allié de Téhéran depuis une trentaine d’années. Même en cas d’accord américano-russe sur l’après-Bachar, l’Iran se résignera-t-il à voir un pouvoir sunnite, probablement proche des Frères Musulmans, succéder aux Assad ?
Je ne pense pas que l’Iran s’y résigne, mais les Occidentaux non plus ! Regardez ce qu’ont fait les pays arabes du Golfe en Égypte. Ils ont encouragé et financé un coup d’Etat contre les Frères Musulmans. Je les vois difficilement faire l’inverse en Syrie. Ce conflit est dans sa troisième année et ni l’Occident ni Israël, ni même le peuple syrien dans sa majorité, n’ont envie de voir la Syrie devenir un califat islamiste, un deuxième Afghanistan. Si tel était le cas, les Israéliens et les Américains auraient déjà changé la donne du pouvoir syrien. Ils ne l’ont pas fait car la solution qui consiste à remplacer Assad par des talibans islamistes ne convient à personne. Au mieux, il y aura une paix des braves en Syrie, au pire la division du pays en trois morceaux, dont un Etat alaouite.
Puisque vous évoquez la position d’Israël en Syrie, qu’adviendrait-il du Hezbollah en cas de paix froide entre Téhéran et Jérusalem ? Pensez-vous que la milice chiite puisse renoncer à la violence et à la reconquête de la Palestine sur ordre de son parrain iranien ?
Il faut aller au-delà de la rhétorique et voir les faits sur le terrain. Le Hezbollah a de facto signé une paix avec Israël. Dès lors que le cheikh Hassan Nasrallah a proclamé que le Hezbollah allait tourner ses fusils vers les djihadistes en Syrie, cela signifie que ces mêmes fusils ne seront pas tournés vers les soldats du Tsahal. Lors des deux guerres de Gaza, le Hezbollah n’a pas apporté son concours au Hamas. Tout au plus, un tir de missile, pour signifier ce qu’ils peuvent faire mais qu’ils ne feront pas. D’ailleurs, depuis de nombreuses années maintenant, il y a une réelle accalmie sur la frontière sud du Liban. Même si je comprends la position israélienne qui vit mal l’existence sur sa frontière de ce que les experts militaires considèrent comme la meilleure infanterie légère au monde, un modus vivendi a été trouvé. Le retour de l’Iran dans le concert des nations apportera un terme définitif aux menaces que représente le Hezbollah envers Israël. Vous savez, les Iraniens et les chiites ont de nos jours d’autres chats à fouetter que la question palestinienne !
Iran Etats-Unis les amis de demain, d’Ardavan Amir-Aslani (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Jacques Laurent à l'oeuvre d'Alain Cresciucci
Découvrez l'article de Thomas Morales en cliquant sur :
http://www.causeur.fr/jacques-cecil-laurent-30875.html
Jacques Laurent à l'oeuvre d'Alain Cresciucci
Découvrez l'article de Thomas Morales en cliquant sur :
http://www.causeur.fr/jacques-cecil-laurent-30875.html
John Wayne n'est pas mort de Roland Jaccard
Ecoutez l'interview de Roland Jaccard sur RTS.
L'Etre boeuf de Richard Millet
Première page.
Eros et côtes de boeuf
Richard Millet aborde souvent des thèmes qui dérangent, jusqu'à inquiéter ceux qui parfois ne l'ont même pas lu. Il est sans conteste l'un des plus grands stylistes de la langue française. Les deux petits opuscules qu'il nous offre cet hiver en font une fois de plus la démonstration. Dans L'Etre-bœuf, il interroge notre rapport à la viande, à la bonne chère, tout en sachant que parler de la viande revient à évoquer le plus intime, c'est-à-dire le rapport au corps et au plaisir. L'auteur souligne que son goût pour la viande bovine, qu'il mange saignante mais jamais crue, lui est venu en même temps que la découverte du corps féminin. Dans l'extraordinaire scène finale, il peint avec finesse comment, lors d'un dîner au restaurant, le partage puis l'échange d'une côte de bceuf fonctionne comme prémisse d'une scène sexuelle. Le texte démontre à travers une véritable jubilation de l'écriture que « partager avec une femme une côte de bceuf, même recuite, est donc un acte éminemment érotique ».
Millet n'en reste pas là, ce serait mal le connaître. Poussant plus loin la métaphore, il va jusqu'à affirmer que cette viande possède une puissance amoureuse, « les femmes rêvant le mâle tout à la fois comme taureau et comme boeuf, dominant et servile, soit l'impossible ».
Dans Trois légendes, Richard Millet, interroge trois figures du plateau de Millevaches et nous entraîne vers mille chemins rêvés, vers le pays de Siom, magnétisant le lecteur par son écriture sublime. Le passage consacré au loup est haletant et d'une rare beauté, dans une forêt profonde, métaphore de la création littéraire. A lire absolument.
Gaston-Paul EFFA
L'Etre-boeuf et Trois légendes, de Richard Millet
(Pierre-Guillaume De Roux, 2013 ).
J'envisage de quitter cette France que j'aime
ENTRETIEN Richard Millet se confie, un an après la controverse dont il fut l'objet.
LE FIGARO. - Vous considérez-vous comme une victime ou comme un incompris9
Richard MILLET - Ce qui s'est passé il y a un peu plus d'un an a totalement bouleversé ma vie A travers cette curée organisée, cette véritable chasse à l'homme, on a visé l'écrivain, et c'est l'un des éditeurs de Gallimard qui a trinqué Certains ont voulu me faire payer ma liberté de parole sur la littérature française et sur certaines têtes d'affiche. Mais ce qui m'a le plus choqué et ébranlé, c'est qu'Eloge littéraire d'Anders Breivik n'ait pas été lu par mes détracteurs, ni même feuilleté, tout comme De l'antiracisme comme terreur littéraire, paru le même jour J'ai été victime de l'opprobre jetée par une poignée d'écrivaillions et de journalistes, condamné au bannissement, et ce, à partir d'une non lecture. Avec l'épilogue que l'on sait : ma démission contrainte et forcée du comité de lecture de Gallimard, maison ou je suis désormais interdit de séjour, malgré le soutien d'Antoine Gallimard. Tout cela faisait désordre. J'y reste simple lecteur et éditeur. Désormais, on m'envoie les manuscrits par coursier.
Comment voyez-vous les choses, aujourd'hui?
J'ai songé et d'ailleurs j'envisage toujours de partir, de m'exiler, de quitter cette France que j'aime mais où presque plus rien n'est possible, ou tout se délite, ou le climat social est devenu délétère Le Liban, où j'ai passé ma jeunesse, est une tentation. J'y réfléchis Pourquoi en 2012, ne m'a-t-on pas donné la parole pour me défendre, m'expliquer, à part le magazine L'Express ? II n'y a eu aucun débat. Qu'en est-il de la défaite de la pensée ? De la décadence de l'Occident ? II est devenu impossible d'évoquer ces grandes questions, tout comme les problèmes liés à l'immigration massive, sans être traité de fasciste. C'est un comble ' On ne sait plus supporter le réel, sa noirceur. ll fallait une mise à mort symbolique. J'étais le coupable idéal Finalement, cette lamentable« affaire » s'est révélée un symptôme, un révélateur de la déliquescence généralisée de notre société.
Suite à cette « affaire », avez-vous eu des regrets ?
Je vis désormais dans une solitude extraordinaire, et je souligne l'épithète. Tout simplement, je voudrais être lu comme Lin écrivain et non être considéré comme un affreux, un pestiféré. Je rappellerai que seuls deux grands réfractaires, Gabriel Matzneff et Renaud Camus, sans oublier Alexis Jenni (Prix Goncourt 2011), que j'ai édité chez Gallimard, m'ont publiquement soutenu.
Depuis votre premier roman, L’Invention du corps de saint Marc, paru chez POL en 1983, pensez-vous être parvenu à la fin d'un cycle ?
J'ai surtout le sentiment qu'une page de ma vie s'est tournée, définitivement. Avec Une artiste du sexe, je pense avoir- tait le tour du roman. C'est un genre très fatigué. Franchement, depuis dix ans, je n'ai rien lu qui m'ait vraiment enthousiasmé ou transporté, même si j'ai beaucoup d'estime pour l'œuvre de Javier Marias ou de l'Estonienne Viivi Luik. Depuis cet été, je fais mon retour vers la poésie. Ça concentre tout ce qui m'intéresse, y compris le spirituel. C'est vital pour moi. J'ai déjà composé une centaine de poèmes, qui probablement seront publiés un jour. La poésie du XXe siècle ne m'a jamais quitté, celle de La Descente de l'Escaut de Franck Venaille, celle endiablée et vertigineuse de Christophe Tarkos, disparu prématurément, celle de Jude Stefan, digne héritier de Catulle et des petits maîtres baroques, sans oublier Pierre Jean Jouve ou le Franco- Roumain Benjamin Fondane, assassiné à Auschwitz. Je pourrais en citer tant d'autres. La liste est longue. Mon regain d'intérêt pour la poésie se manifestait déjà dans mon essai Esthétique de l'aridité, qui prône un cheminement vers les cimes, à travers l'ascèse et la frugalité. A l'opposé de la dictature actuelle de l'hédonisme a tout crin.
Dans cet essai paru chez Fata Morgana, vous affirmiez : «Je participe de la grande misère contemporaine – laquelle est avant tout spirituelle. » C'est toujours vrai ?
Oui, et plus que jamais Et le spectacle de cette grande misère me désespère. Reste le recours au poème ou à l'isolement total •
PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY CLERMONT
La grande nuit humaine
LES FEMMES, la chair, la langue, l'animalité : on retrouve dans ces trois livres publiés simultanément (et qui se font écho) la dilection de Richard Millet pour ses quatre thèmes fondamentaux. Une artiste du sexe, c'est la rencontre de Sébastian et de Rebecca à Paris. Lui est américain, fils d'un vétéran du Vietnam ; elle, plus jeune que lui, est une métisse, fille de Danois et de Maorie de Nouvelle-Zélande. Ces deux enfants de divorces qui paient les lézardes conjugales de leurs parents ont en commun l'exil, leur rapport désespéré au monde, la passion pour l'écriture, la langue française, et la « terreur fascinée de la mort ». Tortueuse et intermittente, leur relation amoureuse est placée sous la bienveillance trompeuse de l'écrivain vieillissant et aigri Bugeaud, originaire du haut Limousin, « vautré dans !a mélancolie » et qui ressemble diablement à Millet lui-même.
On retrouve le couple dans un Paris qui rappelle celui des surréalistes : la place Dauphine, le Pont-Neuf; on pense aux personnages de Nadja ou de Georgette, la protagoniste des Dernières Nuits de Paris de Soupault. Feu follet à « !a joie froide », sphinge sexuelle à la sensualité inquiétante, Rebecca ne cesse de fasciner Sébastian, son «frère en désespoir ».
Enfances brisées
Une nouvelle fois, Millet excelle dans les portraits de femme : « Rebecca était un être de la nuit et, plus qu'à la nuit de Paris, elle semblait appartenir à la grande nuit humaine, celle des enfants brisés et des impossibles amoureuses.» Un peu plus loin, on lit : « Son histoire est celle de son corps, de ses sens, de ses hantises, de l'immédiateté avec laquelle elle se donne ou disparaît.» Le couple n'est pas que de chairs et d'étreintes ; les deux enfants perdus errant dans les intervalles troubles de l'amour échangent réflexions et commentaires enflammés sur la littérature ; l'occasion pour Millet d'évoquer Maurice Blanchot, Flannery O'Connor, Pierre Jean Jouve, Emily Dickinson, Alejandra Pizarnik, et de lancer quElques piques («Les Etats- Unis sont hantés par la collectivisarion et la démocratisation absolue de la littérature »). Avec Une artiste du sexe, Millet signe certainement son meilleur livre, aux côtés de Musique secrète et de La Voir et l'ombre. Par ailleurs, on recommandera la lecture de son éloge impertinent de la viande bovine (L'Être-bœuf)...
THIERRY CLERMONT
L’Etre-bœuf, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Trois légendes, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
L'homme qui murmurait à l'oreille des vaches
Après un silence d'un an, Richard Millet revient avec deux livres où les animaux et la nature tiennent une place centrale. Entretien.
Richard Millet est un écrivain discret. Depuis l'incroyable lynchage médiatique dont il a été l'objet il y a un an (son Éloge littéraire d'Anders Breivik k avait fait hurler les bien-pensants, dont trois cents écrivaillons pétitionnaires dans Le Monde), il est resté silencieux, restant chez lui pour écrire. Bien lui en a pris.
Il publie cet automne chez Pierre Guillaume de Roux un bref essai original (qu'on réservera aux adultes), L'Etre-bœuf (voir encadré ci-dessous), où il évoque la condition animale à travers son attirance pour la viande de bœuf, et un recueil de nouvelles, Trois légendes(1).
Pourquoi écrire sur la viande bovine ?
D'abord en raison de la réprobation grandissante autour de la viande; la sensiblerie contemporaine y est hostile. Et plus largement, en raison de mon goût pour cette viande et de quelques scènes que j'avais envie de raconter. J'ai beaucoup gardé les vaches étant petit, dans ma Corrèze natale. Activité qui m'a énormément appris. Quand on garde les vaches, on est seul et c'est éprouvant. Vous êtes obligé de vous forger une force morale, pour parler comme Dostoïevski. Je voulais aussi rendre hommage à la beauté des vaches, dont on ne parle jamais par peur du ridicule. Les limousines, par exemple, avec leur robe froment, et non pas rouille, qui est la couleur de leurs voisines d'Auvergne, les salers. Maîs les plus belles sont à mon avis celles de l'Aubrac, avec leurs grands yeux effilés et comme entourés de khôl...
Notre société entretient des rapports étranges avec les animaux. On les considère soit comme des enfants (« Viens avec Maman!», dit-on à son chien), soit comme des choses qu'on entasse dans des élevages concentrationnaires. Comment voyez-vous ce paradoxe ?
Dans le village où je suis né - cent habitants -, j'ai tué beaucoup d'animaux. Non pas à la chasse, mais pour les manger ou parce qu'ils étaient vieux ou malades, comme font tous les paysans. C'était comme un rite de passage. Les rapports que nous entretenions avec les animaux étaient justes, équilibrés. Les animaux étaient intégrés à la vie de tous les jours. Mais il n'y avait pas ce discours bêtifiant dont vous parlez. On pouvait corriger son chien quand cela s'imposait. En revanche, celui qui était cruel envers les animaux était banni ! Il y avait une hiérarchie entre les animaux et les hommes, que j'aimais beaucoup. Cet ordre est rompu, ne serait-ce que parce que, dans les campagnes, il n'y a plus grand monde. Les rapports sont beaucoup plus lointains. Par ailleurs, est apparue cette idéologie égalitariste, qu'on retrouve dans nos liens avec les animaux. Récemment, un homme ayant pendu son chien a été condamné à cinq mois de prison ferme. Sans justifier son geste, je trouve ça disproportionné. C'est assimiler des animaux à des humains. C'est presque un retour au paganisme. Mais on ne sait plus ce que c'est que l'humain, étant donné l'importance des avancées génétiques, de la procréation artificielle : il est normal de ne pas savoir ce qu'est un animal.
Et puis, il y a cette dureté...
Plus il y a moralisation, moins il y a de l'humain. Le nouvel ordre mondial, qui donne des leçons de morale sur l'immigration et l'antiracisme - j'en sais quelque chose -, est totalement indifférent à la souffrance des immigrés et des indigènes. Même chose pour l'industrialisation de l'élevage des animaux et de leur mise à mort. Moi, je me souviens du départ des veaux qu'on vendait au boucher. Les vaches pleuraient pendant plusieurs jours. C'était déchirant!
Vous publiez aussi Trois légendes...
Ce sont trois récits qui se passent en Corrèze. L'un raconte l'histoire d'un cordonnier, également violoneux, à la fin du XIXe siècle, sans cesse suivi par des loups. C'est tiré d'une histoire vraie. Le deuxième : deux frères partent à la guerre de 39, à qui leur mère a fait jurer de ne jamais s'abandonner l'un l'autre. La troisième histoire est celle d'un ancien marin qui revient s'installer dans sa Corrèze natale et bâtit une sorte de navire dans les arbres. Trois contes assez cruels, où la nature et les animaux sont très présents... Comme un écho à mon essai L'Être-boeuf.
Extrait - Du Christ mort au bœuf écorché
« Concomitante de la sacralisation des droits de l'homme, la question des droits des animaux suppose la destruction de toute hiérarchie, de toute verticalité, à commencer par celle du Christ, figuré en miroir, j'y reviens, dans Le Bœuf de Rembrandt. Ce Bœuf écorché a été peint en 1655, à l'époque des deux Lecons d'anatomie montrent des corps étendus, lesquels rejoignent les Christs morts de Mantegna, de Holbein, de Champaigne Rembrandt était le contemporain de Bossuet, de Spinoza, du jansénisme, de Marc-Antoine Charpentier et des Leçons de ténèbres du Grand Siècle. Il est aussi le contemporain de ceux qui ont peint des bœufs écorchés, en hommage au sien : Chaim Soutine et Francis Bacon, lequel lui adjoint, en 1980, un oiseau de proie, comme pour boucler l'affaire et achever de nous renvoyer à un monde sans Dieu.»
PROPOS RECUEILLIS PAR CHARLES-HENRI D’ANDIGNE
L’Etre-bœuf, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Trois légendes, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
L'Adaptation de Michel Lambert
Découvrez "Le piège de l'envoûtement", l'article de Gilles Brochard consacré à L'Adaptation de Michel Lambert sur www.culturemag.fr
L'Adaptation de Michel Lambert
Découvrez l'article de Serge Cabrol consacré à L'Adaptation de Michel Lambert sur son blog Encres vagabondes.
L'Adaptation de Michel Lambert
Ecoutez Michel Lambert sur RCF radio à propos de son roman, L'Adaptation, sélectionné pour le Renaudot.
L'Adaptation de Michel Lambert
Ecoutez Michel Lambert, invité de Sophie Creuz pour la chronique littéraire sur RTBF Auvio à propos de son roman, L'Adaptation, sélectionné pour le Renaudot.
L'Adaptation de Michel Lambert
Découvrez l'article de Sophie Creuz paru sur www.lecho.be à propos de L'Adaptation, roman de Michel Lambert, sélectionné pour le Renaudot.
Sélection du Prix Renaudot du roman 2018
L'Adaptation de Michel Lambert est sélectionné pour le Prix Renaudot du roman 2018.
Comprendre Sade
Quentin Debray aime enfourcher sa machine à remonter le temps. Écrire un roman sur le monde contemporain ne lui sied pas. Non, il préfère voler vers d’autres époques, faire un tour vers la Vienne de Freud (L’Impatiente de Freud), s’acoquiner avec le Paris jazzy des années cinquante (Le Moment magique), virevolter au XIXe siècle au temps de Delacroix (La Bataille de Nancy) ou de Corot (Le Pont d’Auguste). Le voici maintenant à l’époque de Sade, au XVIIIe siècle, avec L’Enfant Sade. Un pari risqué mais Quentin Debray connaît son affaire. Ancien professeur de psychiatrie honoraire de l'Université Paris V, il s’est intéressé à la psychologie cognitive et comportementale et a écrit plusieurs ouvrages sur les comportements déviants de l’être humain. Le marquis de Sade, c’est alors une façon d’autopsier le personnage d’une façon romanesque et d’en révéler des contours inaperçus.
Certes, Sade est sujet à controverse. On peut aimer ou pas l’individu sulfureux qu’il fut et ses célèbres et non moins sulfureux romans. On peut même voir dans la célébration de ceux-ci par Roland Barthes, Michel Foucault ou Georges Bataille, une apologie du mythe libertaire en matière sexuelle. Même en philosophie, Dany-Robert Dufour (Le Divin marché) explique que le libéralisme associe subtilement Adam Smith et Sade, pour rendre compte de la dérégulation des mœurs actuelles. Sans oublier la polémique qui fait toujours rage : le divin marquis fait-il l’apologie de la perversion ou en livre-t-il au contraire une critique impitoyable ?...
Sade a écrit Aline et Valcour, roman philosophique et épistolaire publié en 1793 mais écrit dans les années 1780 alors qu’il était embastillé. Il est surtout l’auteur de La Philosophie dans le boudoir (1795), ouvrage détaillant le registre des perversions. Sade fait plusieurs fois l'apologie de la pédophilie à travers les discours d’un personnage, Dolmancé (Troisième dialogue), mais aussi celles du viol, de l'inceste et du meurtre (Cinquième dialogue). Acclame-t-il ou dénonce-t-il ? Le problème est que si l’on transpose de telles scènes d’une façon cinématographique, elles seraient nettement tendancieuses. Pourquoi ne pas avoir fait mieux sortir la limite avec une intrigue qui, sans être soulignée et moraliste, aurait mieux fait sentir cette perspective ? C’est toute cette dialectique du mal qu’un romancier doit faire émerger, pour faire sentir le diable en nous, et en même temps, le résorber narrativement. Selon nous, Sade n’était cependant pas Choderlos de Laclos, auteur des remarquables Les Liaisons dangereuses.
Comme on sait, Sade a fauté, ce qui jette une ombre sur son œuvre. Il aurait abusé en 1768 d’une veuve de 36 ans, Rose Keller. Il l’aurait attachée sur un lit, flagellée, enduit ses blessures de cire brûlante avant d’atteindre l'orgasme. L’affaire fut un scandale et Sade fit six mois de détention. Un autre scandale vint pimenter la vie du marquis en juin 1772 avec l’affaire de Marseille : il aurait proposé à quatre filles des pastilles à la cantharide. Arrêté le 13 février 1777, il fut incarcéré au château de Vincennes par lettre de cachet.
Le roman de Quentin Debray ne parle pas de ces épisodes sans doute trop connus. Le périple dure sur plus de 350 pages, le romancier se concentrant principalement sur l’enfance et l’adolescence de Sade, des épisodes peu relatés. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs s’il s'attarde sur l’enfance de Sade : le roman d’éducation était l’un des genres les plus prisés au XVIIIe siècle. L’auteur décrit avec sensualité l’enfance du petit Donatien dans le château de Saumane où l’abbé Jacques de Sade, érudit et libertin, s’occupe de l’éducation de son neveu de l’âge de quatre ans à dix ans. C’est l’occasion pour le jeune marquis de découvrir des scènes égrillardes, la beauté de la nature et les cuisines où l’on dépèce les animaux, un objet de fascination pour lui. Saveurs, odeurs et senteurs parfument ce roman d’essences capiteuses. Tout ceci avant que son père, Jean-Baptiste de Sade, ne l’envoie à Paris pour parfaire son éducation. Le jeune homme entre alors au collège Louis-le-Grand où il va être marqué par les pères jésuites. Il fait la connaissance de prostituées avant de rencontrer plus tard deux jeunes femmes, Pernelle de l’Aunaie et sa cousine Olinde dans le château de Longueville où la famille va chaque année en villégiature… N'en disons pas trop...
Le roman de Quentin Debray est remarquablement écrit. Phrases longues et rythmées, exaltantes et sensuelles, rubans narratifs virevoltants et ensorcelants, riches en détails concrets faisant tourner la tête comme un bon vin. Et la peinture aussi d'une époque particulière, fruit sans doute d’une recherche livresque captivante. Le roman met l’accent sur le portrait d’un jeune homme dont l’enfance fut perturbée alors qu’il avait tout pour mener une savoureuse existence, certes privilégiée. Pour comprendre – comprendre, pas excuser – les comportements pervers que l'on sait. Comprendre pour ne pas condamner non plus d’une manière moraliste et lapidaire. Le roman de Debray ausculte cette ombre ayant terni une existence qui avait tout pour être ensoleillée.
YANNICK ROLANDEAU
L'Enfant Sade, de Quentin Debray (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
20e Salon Culture & Jeux Mathématiques
Eric Jeux animera une conférence "Du jeu vidéo au monde virtuel" au 20e Salon Culture & Jeux Mathématiques du 23 au 26 mai.
Quand surgit l'inattendu
Si le premier ministre du tsar Pierre Stolypine n'avait pas été assassiné le 14 septembre 1911, la révolution soviétique aurait-elle eu lieu ? La face du monde n'en aurait-elle pas éte changée ? Même s'il est vain de prétendre réécrire l'histoire avec des si, la question que se pose l'historien Dominique Venner dans ce livre très richement documenté n'est pas absurde. Loin de penser que l'Histoire est un processus fatal déterminé à l'avance, l'auteur montre a travers 13 meurtres ou tentatives de meurtre, notamment ceux de Trotski par Ramon Mercader, de Darlan par Fernand Bonnier de la Chapelle ou d'Hitler par le comte Stauffenberg, ou encore celui d'AIdo Moro en 1978, à quel point le hasard ou la passion d'un individu ou d'un groupe d'activistes peuvent créer l'inéluctable et engendrer une situation politique inédite. Les hommes font donc bel et bien l'histoire, s'ils ne savent pas toujours l'histoire qu'ils font.
PAUL FRANCOIS PAOLI
L'imprévu dans l'Histoire, de Dominique Venner (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Treize nouvelles policières
Elles racontent autant de meurtres politiques ayant parfois changé la face du monde. Parmi les plus célèbres, ceux de Trotski, de l'amiral Darlan ou de John Kennedy. Ont-ils été les plus décisifs ? Ce n'est pas certain. Un exemple parmi les moins connus : celui du ministre imperial Piotr Stolypine. Apres les émeutes de 1905, il avait sorti la Russie des bouleversements de sa première révolution, restructuré les services de maintien de l'ordre et découragé les organisateurs de la contestation idéologique, Trotski exilé aux Etats-Unis ou Lénine errant de ville en ville.
Les principales oppositions, parlementaire et sociale-démocrate, laissaient alors place à celles de l'impératrice et de la noblesse. Mais l'assassinat de Stolypine, en 1911, double de celui de Raspoutine, en 1916, déstabilise le pouvoir des Romanov et, comme le rappelle Venner, ouvre la voie à la future prise de pouvoir par les bolchéviques, en 1917. Le sort du monde a ete modifié par la mort d'un seul homme.
Autre exemple décisif de ces petits cailloux qui devient le torrent de l'histoire : l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, a Sarajevo, le 28 juin 1914. Voilà qui déclenche un conflit austro-serbe puis, par un incroyable enchaînement de circonstances et d'alliances, un confit austro-russe, une réponse allemande a la Russie et, à la réponse allemande, une réplique française à laquelle se rallie le Royaume-Uni.
La Grande Guerre commence. Quatre longues années de conflit, huit millions de morts, autant de blessés, un destin européen bascule et donc celui de la planète entière. Le devenir des peuples n'est jamais sûr. Des evenements inopinés, dont la portée pourrait sembler
limitée, occasionnent parfois ces sortes de cataclysmes.
Telle est la richesse des treize récits proposés par Dominique Venner,
apologues de ces moments où, pour l'imaginaire ultérieur, le cours
de l'histoire semble trembler, ou chanceler, ou chavirer, suspendu a
un échec ou à une réussite mineurs. Claus von Stauffenberg aurait pu
tuer Hitler le 20 juillet 1944. La forte épaisseur du bois d'une table protégea le Fuhrer et fut un autre instrument du destin, pour quelques
mois encore.
ll y a aussi des crimes aux conséquences paradoxales, qui se retournent contre leurs auteurs. A Rome, en mars 1978, l'enlèvement
d'AIdo Moro, leader historique de la Démocratie chrétienne, semble
consacrer l'invincibilité du pouvoir terroriste des organisations liées aux
Brigades rouges. Mais le contraire apparaît progressivement au grand
jour : c'est après l'assassinat de Moro, en mai, que la réorganisation des services de police améliore la lutte antiterroriste dans le nord de l'Italie et décime, en quatre ans, ('essentiel des organisations brigadistes.
Pour Venner, le récit qui donne à comprendre l'inattendu est plus fertile en enseignements que les concepts qui théorisent sans fin l'histoire en devenir. Marx avait prédit que les riches sociétés industrielles connaîtraient toutes une révolution définitive qui, dans les faits, n'a atteint que temporairement des pays agricoles et pauvres. Autant dire que l'art politique est moins celui des systemes de pensée que celui des circonstances, des ruses que certains déploient pour transformer les vicissitudes du moment en leviers de l'action. La vieille leçon de l'Odyssée d'Homère, la célébration du règne de l'inattendu qu'apprecie tant Venner, est de nos jours trop négligée. L'épreuve d'histoire a disparu a Sciences-Po et celle d'athlétisme n'existe pas à l'ENA. Autant dire que ceux qui demain feront l'histoire viendront d'ailleurs.
JEAN-FRANCOIS GAUTIER
L'imprévu dans l'Histoire, de Dominique Venner (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Dominique Venner invité spécial sur Radio Courtoisie le 2 avril
Henri de Lesquen recevra Dominique Venner sur Radio Courtoisie le 2 avril de 19h30 à 21h pour évoquer les meurtres "exemplaires" dans l'Histoire.
L'imprévu dans l'Histoire. Treize meurtres exemplaires, de Dominique Venner (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Dominisue Venner sur Radio Courtoisie le 17 avril
Dominique Paoli recevra Dominique Venner sur Radio Courtoisie de 10h30 à 11h le 17 avril prochain à propos de L'imprévu dans l'Histoire.
L'imprévu dans l'Histoire. Treize meurtres exemplaires, de Dominique Venner (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Meurtres et Histoire
Dans son essai précédent, le Choc de l'Histoire,l'auteur avait présenté sa philosophie de l'Histoire. En voici l'expérimentation : à travers treize meurtres politiques du XXe siècle surgit l'inattendu.
Celui-ci bouscule tout sens de l'Histoire, emporte un ordre établi, ou au contraire le consolide, élimine un concurrent, avertit d'une intention, dévoile un adversaire, révèle une fragilité.Parfois ces meurtres ont des conséquences, souvent involontaires, qui sont apocalyptiques comme l'assassinat cle l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo. Parfois, ils présentent un phénomène historique du temps, le terrorisme avec l'enlèvement et la mort d'Aldo Moro, ou la passion idéologique avec la fin de Walter Rathenau. Exemplaires, ces meurtres le sont par la personnalité des victimes et des assassins, par les mobiles qui les ont inspirés et par les circonstances qui les entourent. Des leçons ? Elles abondent. La plus importante est peut-être celle-ci : l'Histoire nous surprend toujours.
FREDERIC VALLOIRE
L'imprévu dans l'Histoire. Treize meurtres exemplaires, de Dominique Venner (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Entretien avec Dominique Venner
La Nouvelle Revue d'Histoire: Vous publiez un nouveau livre, L'imprévu dans l'Histoire, aux éditions Pierre Guillaume de Roux. Avec une écriture vivante et charpentée que connaissent vos lecteurs, vous réunissez une succession d'épisodes décisifs et dramatiques du XXe siècle : treize meurtres exemplaires, annoncés par le sous-titre. Mais votre livre, comme son titre l'indique, propose une réflexion d'ensemble sur le caractère imprévisible de l'histoire. N'aviez-vous pas abordé ce sujet autrement dans le passé?
Dominique Venner: Parmi mes travaux sur le XXe siècle, j'ai eu l'occasion de relater plusieurs de ces épisodes. Il est vrai qu'au XXe siècle on a l'embarras du choix. Et les événements soudains que je décris continuent souvent de peser sur l'époque actuelle. Je les reprends ici sous une forme neuve. Et surtout, je les replace dans une réflexion qui s'est peu à peu imposée à moi : l'histoire nous surprend toujours. Elle est largement soumise à l'imprévu.
NRH : Cette interprétation de l'histoire n'est-elle pas aux antipodes de celle du marxisme ou du libéralisme pour qui l'histoire était vue comme une voie rectiligne conduisant obligatoirement à l'uniformisation de l'humanité sous le signe de la Raison?
DV: Exact. Marxisme et libéralisme partageaient la même utopie d'une marche universelle de l'humanité vers son Salut et la fin de l'Histoire, sous l’action du développement économique et scientifique. Le dernier en date des utopistes célèbres fut l'universitaire américain Fukuyama. C'était en 1989, époque de l'implosion du communisme. La puissance américaine était devenue hégémonique en tout. La mondialisation du système américain semblait inéluctable. Fukuyama affirmait péremptoirement que l'on entrait dans la «fin de l'Histoire», conséquence du triomphe universel de l'économie de marché ". Depuis, il a déchanté, reconnaissant qu'il s'était trompé. Karl Marx n'a pas eu cette lucidité. Il est mort en 1883, enfermé dans ses illusions. Le fondateur du marxisme en appelait souvent à l'Histoire avec une majuscule, mais, à l'imitation des théologiens du Moyen Âge avec la philosophie antique, il en faisait l'esclave de ses préjugés. Il ne voyait pas ce qu'elle montrait. Il ne voulait voir que ce qui lui servait.
NRH : Cela signifie-t-il que l'on ne peut jamais anticiper l'avenir et que les leçons du passé sont inutiles?
DV: Anticiper l'avenir est un exercice risque. Pourtant, il existe des constantes dont les hommes d'État feraient bien de s'aviser : la géographie, la démographie, la culture des peuples, leurs traditions historiques, leur tempérament, leurs croyances... Ce sont là des réalités durables mais elles ne sont pas figées. Quant aux leçons historiques, elles devraient être observées et enseignées sans préjugés idéologiques à l'usage des futurs dirigeants politiques, diplomatiques ou économiques. C'est rarement le cas en Europe aujourd'hui, « en dormition », placée sous la suzeraineté des États-Unis qui imposent de façon plus ou moins douce leur idéologie et le discours de leurs intérêts. Chacun est contraint de sacrifier au culte de la «sainte démocratie», qui n'est que le masque de la corruption et des oligarchies. La liberté de penser règne, mais un peu comme dans la publicité de la marque Citroën à la fin des années 1930: « Vous pouvez choisir la couleur de votre voiture, à condition qu’elle soit noire... »
NRH : Parmi les «treize meurtres exemplaires» dont vous décrivez les causes, le déroulement et les conséquences, quel fut le plus inattendu et le plus stupéfiant par ses effets?
DV: Sarajevo, naturellement. L'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, l'héritier des Habsbourg, le 28 juin 1914, entraîna de façon imprévue, comme par une fatalité terrifiante, la Première Guerre mondiale et la fin de l'ancien de l'ancien monde européen. Le plus extraordinaire dans cet attentat est qu'il fut perpétré, à la suite de hasards incroyables que je retrace, par un petit groupe de jeunes terroristes balkaniques qui n'imaginaient pas du tout les conséquences de leurs actes. Ils voulaient seulement se venger des Habsbourg qu'ils détestaient. Là s'arrêtait leur horizon. Cet attentat illustre la thèse du battement d'aile d'un papillon en mer de Chine provoquant un typhon à quelques dizaines de milliers de kilomètres dans le golfe du Mexique. Dans un contexte historique et politique inflammable, il rappelle qu'un événement mineur peut provoquer des embrasements incalculables.
NRH : Justement, les enchaînements ayant conduit à la guerre en 1914 ne sont- ils pas stupéfiants ?
DV: Ils sont difficilement imaginables pour nous. Pour percevoir ce qu'a été partout en Europe l'embrasement des esprits durant l'été 1914 après l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand, il faut s'en reporter à ce qu'a écrit Stefan Zweig, l'observateur le moins passionné et le moins belliqueux de la vieille Europe. Dans la semaine qui a suivi, écrit-il, «personne ne pensait à la guerre. Ni les banques, ni les maisons de commerce, ni les particuliers ne modifièrent leurs habitudes.[...] L'été était beau comme jamais, ajoute-t-il, et promettait de devenir encore plus beau; tous, nous admirions le monde sans la moindre inquiétude...l2 » Cependant, au fil des semaines, les nouvelles devinrent toujours plus inquiétantes, jusqu'à la soudaine mobilisation de la Russie et de l'Allemagne, puis à la déclaration de guerre des grandes puissances européennes. Relisons encore Stefan Zweig : « Je dois à la vérité d'avouer que dans cette première levée des masses, il y avait quelque chose de grandiose, d'entraînant et même de séduisant, à quoi il était difficile de se soustraire. Et malgré toute ma haine et toute mon horreur de la guerre, je ne voudrais pas être privé dans ma vie du souvenir de ces premiers jours ; ces milliers et ces centaines de milliers d'hommes sentaient comme jamais ce qu'ils auraient dû mieux sentir en temps de paix: à quel point ils étaient solidaires. Une ville de deux millions d'habitants, un pays de près de cinquante millions éprouvaient à cette heure qu'ils participaient à l'histoire universelle, qu'ils vivaient un moment qui ne reviendrait plus jamais et que chacun était appelé à jeter son moi infime dans cette masse ardente pour s'y purifier de tout égoïsme0:. » II en fut ainsi à Berlin comme à Paris ou à Saint-Pétersbourg. En Grande-Bretagne, où la conscription n'existait pas, 300000 hommes s'étaient déjà enrôlés au mois d'août 1914, suivis de 450000 en septembre. Et ce n'était pas fini. Ces chiffres nous donnent le vertige. Nous ne reverrons jamais cela en Europe. En revanche, de telles flambées incontrôlables peuvent se retrouver ailleurs.
NRH : Sur quels critères avez-vous choisi les treize épisodes qui nourrissent votre livre ?
DV : Leur caractère inattendu, d'abord, cela va de soi. Je me suis intéressé aussi à la diversité de leurs conséquences. Elles ont été apocalyptiques dans le cas de Sarajevo, mais au contraire inexistantes à court terme, pour l'assassinat du président Kennedy. Mais, dans ce cas précis, que de questions toujours non résolues - et donc captivantes - sur le ou les véritables assassins, ainsi que sur leurs mobiles ! Mais aussi, que de questions sur la nature réelle de « la plus grande démocratie » du monde, ses relations avec l'argent, le rôle des lobbies, les basses ambitions, et le système à créer des légendes et des stars ! J'ai retenu par ailleurs l'assassinat de Trotski par les sbires de Staline, au Mexique en 1940, en raison de la personnalité de la victime. Par surcroît, il s'agit d'un fascinant roman d'espionnage. Cette histoire permet aussi un plongeon dans le sombre univers de mensonges et de secrets qui fut celui du communisme triomphant. Je me suis bien entendu intéressé à l'enjeu politique et historique souvent ignoré de certains meurtres, comme celui de Pierre Stolypine, Premier ministre de Nicolas II, en 1911. D'autres, comme celui d'Alexandre Ier de Yougoslavie, en visite officielle à Marseille, en en 1934, anticipe sur ce qui sera, plus tard, le terrorisme au Moyen-Orient dans le prolongement du drame palestinien Si on ne le savait pas, on découvre par plusieurs exemples à quel point la violence peut décider de tout ou presque A moins qu'elle ne se renverse contre ses instigateurs, comme on le voit avec l'assassinat d'Aldo Moro en 1978, qui eut pour effet de permettre l'élimination des Brigades rouges Je ne crois pas à l'explication de l'histoire par les complots Cela ne signifie pas que les complots n'existent pas. Mais, comme je le montre par plusieurs exemples, il arrive aussi que l'action se retourne contre ses auteurs comme un boomerang.
NRH : C'est l'idée du paradoxe des conséquences, autrement dit de l'hétérotélie. Parmi les treize épisodes que vous avez retenus, quel en est l'exemple le plus frappant?
DV : L'hétérotelie, du grec heteros (autre) et telos (but), qualifie une action dont les conséquences sont exactement contraires à celles qu'attendaient ses auteurs. L'exemple le plus saisissant que j'en donne est l'assassinat à Paris, le 16 mars 1914 de Gaston Calmette, directeur du Figaro, par Mme Caillaux. Celle-ci voulait mettre fin à une campagne de presse diffamatoire, et protéger son mari, Joseph Caillaux, personnage politique considérable. II était sans doute le seul, en France, qui aurait pu freiner la course à la guerre, trois mois plus tard, après Sarajevo. En fait de le protéger, sa femme a brisé sa carrière, le contraignant à démissionner du gouvernement au moment ou sa présence aurait été indispensable
NRH : Parmi les treize épisodes que vous retracez, il en est deux qui ne sont pas « exemplaires », si l'on s'en rapporte à votre sous-titre. L'attentat du colonel von Stauffenberg contre Hitler, puisque ce fut un échec. Et, concernant François de Grossouvre, l'assassinat n'est pas prouvé. Pourquoi les avoir cependant retenus ?
DV : Parce que l'un et l'autre posent des questions passionnantes en apportant d'intéressantes réponses. Le destin tragique de François de Grossouvre révèle des pans entiers de l'histoire française contemporaine qui sont habituellement occultes. Quant à la tentative héroïque du jeune colonel Claus von Stauffenberg contre Hitler, le 20 juillet 1944, elle éclaire la réalité méconnue du III Reich Jusque vers 1940, comme la majorité de ses compatriotes, Stauffenberg était un admirateur d'Hitler. Jusque-là, le Führer semblait avoir fait des miracles pour l'Allemagne et son peuple. Puis, dans la situation nouvelle créée par la guerre, surtout la guerre à l'Est, contre la Russie, à partir de 1941, la démesure et les dérives catastrophiques du personnage ont commencé d'apparaître. Alors que la Wehrmacht avait été accueillie en libératrice par les populations russes et ukrainiennes, il était criminel d'ordonner de les traiter en ennemies avec la dernière brutalité. Dans sa position d'officier d'état-major a l'Est, Stauffenberg disposait à ce sujet d'informations accablantes. C'est ce qui a fait de lui, et de plusieurs autres anciens admirateurs du Führer, un adversaire résolu à l'éliminer. Pas seulement, comme on le croit, pour sauver l'Allemagne de l'anéantissement. Stauffenberg nourrissait sans doute peu d'illusions sur les intentions des Alliés. En réalité, par son geste et son «manifeste» que je cite, il entendait témoigner de l'existence d'une Allemagne secrète, une Allemagne qui n’était pas plus soumise à Hitler qu'à l'idéologie américaine ou soviétique. II entendait témoigner pour l'avenir. A mes yeux, ce sont des hommes comme lui ou comme Ernst Jünger qui montrent ce que pourrait être pour l'Europe un autre destin vraiment européen.
NRH : C'est précisément le titre de votre essai récent, Ernst Jünger, un autre destin européen(4). Un titre dont le sens n'a peut-être pas toujours été compris ?
DV : II le sera de plus en plus à l'avenir. Nous avons besoin de modèles pour nous construire. Des modèles de «haute chevalerie» moderne, comme disait Jünger, authentifiés par leurs actes •
L’Imprévu dans l’Histoire. Treize meurtres exemplaires, essai de Dominique Venner
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Qui était Dashiell Hammett ?
On dit en anglais « mystery novel » ou « crime fiction». En français, on parle de roman policier ou de polar, genre qui tient une place de choix dans le champ de la littérature réaliste critique américaine du vingtième siècle, communément rassemblée sous l'étiquette « roman noir » On fait généralement remonter sa naissance au Double Assassinat dans la rue morgue, d'Edgar Allan Poe, en avril 1841 C'est un autre écrivain de Baltimore qui lui imprima son évolution la plus significative, égale à une seconde naissance, huit décennies plus tard Au moment où Dashiell Hammett entreprend de se lancer dans la littérature, « pour voir de quoi il était capable », après avoir exercé divers emplois alimentaires, notamment au sein de la célèbre agence de détectives privés Pinkerton, le genre policier est une littérature de second rang Publiée dans des magazines bon marché, que l'on surnomme « pulp magazines » à cause de la faible qualité du papier sur lequel on les imprime, produite à la chaîne par des auteurs rémunérés à la ligne, la littérature policière est symbolisée dans les années vingt par l'oeuvre de Willard Huntington Wright, homme de lettres distingué qui choisit de publier ses histoires policières sous le
pseudonyme de S S Van Dîne « Le détective qu 'il mettait en scène, Philo Vance, était un amateur ampoule dont le savoir encyclopédique tendait à se diluer en gloses interminables sur des sujets futiles Philo Vance f ut le modèle du détective à cette époque », résume Richard Layman, dans la biographie qu'il a consacrée à Dashiell Hammett, « l'insaisissable »
En 1926, Wright résumait à lui tout seul ce que les histoires de détectives tentaient d'accomplir aux yeux de la majorité des lecteurs et des écrivains Ces histoires visaient une chose l'intrigue », et elles étaient peuplées de détectives capables de résoudre des énigmes incroyablement élaborées à l'aide de leur «prodigieux intellect », de « la seule force prodigieuse de leur méthode analytique » Hammett y substitua un réalisme strict, une écriture épurée, et introduisit le personnage du détective privé « hardboiled » dur, par nécessité, doté d'un code d'action personnel Selon la célèbre formule de Raymond Chandler, l'un des admirateurs et des héritiers littéraires de Hammett, ce dernier sortit « le crime du vase vénitien où il était, pour le jeter dans la rue » Dans le même mouvement, il sortit également la littérature policière des quais de gare pour la jeter sur les rayons des bibliothèques et bientôt même sur les plateaux de cinéma. Dans son recueil de portraits, Vladimir Pozner se souvient de sa rencontre avec l'auteur américain « II avait une belle tête, un regard attentif, bienveillant, facilement amusé, et, dans sa dêmarche et sa façon de s'habiller, une sorte de nonchalante élégance. II habitait la campagne new-yorkaise, près d'un petit lac poissonneux où il restait des journées entières à pêcher. À l'époque - c'était pendant la guerre - il n 'écrivait plus. Ses amis espéraient qu 'il s'était momentanément interrompu. Cela lui était déjà arrivé». Hammett n'écrira pourtant plus rien. II avait garanti la postérité à son oeuvre et au genre qu'elle avait initié en seulement six années et cinq romans. Auteur à succès, appelé à Hollywood pour adapter ses oeuvres, engagé volontaire pendant la Seconde Guerre mondiale, flambeur invétéré, son engagement politique pour l'extrême-gauche lui valut l'attention du FBI, puis des chasseurs de communistes. Emprisonné, ruiné par le fisc, privé de ses droits d'auteur et placé sur la liste noire, Hammett mourut dans le dénuement en 1961, à 67 ans.
Dans cette oeuvre fulgurante, un titre a acquis une notoriété éminente, assurée en bonne partie par l'adaptation cinématographique qu'en donna John Huston, pour son coup d'essai derrière la caméra, en 1941, onze ans après la première publication du roman en feuilletons dans le magazine Black Mask le Faucon maltais. C'est un des sommets de la littérature policière moderne, au même titre que le roman qui le suit dans la bibliographie de Hammett, la Clé de verre Richard Layman s'attarde particulièrement sur ces deux oeuvres qui sont les plus grandes réussites de Hammett, avec son roman inaugural, Moisson rouge, et qui le placent à égalité (au-dessus9) de Ring Lardner, Fitzgerald, Hemingway, Dos Passes Lom de la légende - plaisante - entretenue par Lilian Hellman, l'auteur dramatique qui fut la compagne et l'amie de Hammett, Layman ne garde, des frasques et de l'engagement politique de ce dernier, que ce qui permet de comprendre sa démarche littéraire et son silence par la suite, confirmant ainsi l'analyse proposée par Jean-Patrick Manchette, dans ses Chroniques « Le roman noir américain, c'est-à-dire d'abord Hammett, a achevé son développement longtemps a vant la mort de son fondateur II a porté un jugement négatif sur la littérature et l'ensemble de la société de son temps ( ) Quiconque lit maintenant Dashiell Hammett avec un simple plaisir de distraction devrait plutôt s'épouvanter»
SEBASTIEN BANSE
L'Insaisissable : la vie de Dashiell Hammett, biographie de Richard Layman (trad. de l'anglais par Philippe Mikriammos)
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Richard Layman au Festival de Cognac
Richard Layman sera l'invité d'honneur du Festival du Polar de Cognac du 14 au 16 octobre prochain.
Pour en savoir plus : http://www.ville-cognac.fr/Polar-le-Festival-14-16-octobre-2011.html
La rhétorique du détective
Autodidacte,sansbagage littéraire, mais ambitieux et soucieux de véracité, l'inventeur du détective Sam Spade revit sous la plume de son biographe Richard Layman.
Le lecteur de romans policiers habitué aux intrigues en ficelées, aux rebondissements inattendus, risque d'être déçu par les romans de Dashiell Hammett ( 1894-1961 ). Il le sera par les romans de Raymond Chandler ( 1888-1959) pour des raisons identiques. Chandler a travaillé dans une société pétrolière avant de publier ses premiers textes à 45 ans. Doté d'un solide bagage littéraire, il se veut un écrivain à part entière. Il restitue dans ses romans la Californie des années 1930 et 1940 comme personne avant lui, au détriment quelquefois d'une intrigue tirée par les cheveux.
Dashiell Hammett est d'un autre camp. Détective privé durant sept ans à l'agence Pinkerton, 0 sait de quoi il parle. C'est un autodidacte sans grand bagage littéraire, néanmoins ambitieux comme le montre la biographie de Richard Layman dans une nouvelle édition revue et corrigée. Hammett publie ses premières nouvelles à l'âge de 30 ans avant de se lancer dans la rédaction de ses cinq romans. Il introduit de la vraisemblance dans ses histoires de détective, se fondant sur les faits et non sur des impressions. Son détective fétiche, Sam Spade, est un enquêteur discret, imprévisible, un type dur et retors qui s'en sort toujours tout seul. Les dialogues sont plus incisifs, la langue populaire. Pour Hammett, intéressé plus par le caractère de ses personnages que par l'action, la question est de montrer les faits sans se perdre en explications oiseuses.
Loyal, Sam Spade évolue dans un monde qui n'est que désordre. Ce qui le motive, ce n'est pas la loi, c'est l'ordre, son ordre à lui. Il a perdu ses illusions, n'est pas tenté par l'argent, n'a pas de pulsions sexuelles. Le caractère de Hammett, ses réactions tout au long de sa vie que détaille Richard Layman, son irrespect, ses emportements ont quelque chose qui le rapproche du caractère d'un Céline. Son enquêteur n'est pas l'otage de la peur ; la mort ne l'effraie pas. Il ne cherche pas à "nettoyer" une ville sous prétexte que ce serait son devoir ; il agit tout bêtement parce que c'est son métier. Il ne croit pas à la chance, il croit au hasard. Ce qui fascinait André Gide et André Malraux lisant le Faucon de Malte, Sang maudit, la Clé de verre, c'est la vitesse de l'écriture de Hammett, sa simplicité, sa clarté, la netteté de ce qu'il expose, ses arguments, sa fraîcheur, le concert de ses histoires. Son éthique :«Comme la charité, la démocratie bien ordonnée commence par soi-même. » II est le représentant typique de l'Américain de son temps. D. H. Lawrence écrit à ce sujet : «L’essentiel de l’âme américaine, c'est du concret, du solitaire, du désintéressement, du stoïcisme et du meurtre. » Le détective hammettien est un homme désintéressé, sous tension en permanence. Plus que dans ses nouvelles, le meilleur de son œuvre est dans ses romans.
La nouvelle traduction de Natalie Beunat et Pierre Bondil est au plus près de ce langage populaire, de ce langage oral des gens ordinaires. Hammett a su donner le sentiment que ses scènes n'ont jamais été écrites auparavant. À relire ses romans, on s'aperçoit à quel point le dialogue est un art difficile. Il doit être convaincant, restituer la bonne tonalité d'un interlocuteur. En deux mots, rendre le personnage crédible.
ALFRED EIBEL
L’insaisissable : la vie de Dashiell Hammett, biographie de Richard Layman
Traduit de l’anglais par Philippe Mikriammos
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Hammett retrouvé
Les fervents d'Hammett(l894-1961) connaissent sans doute cette bio traduite sous un titre un peu différent il y a des lustres. La revoilà, revue et augmentée par Richard Layman, qui aime les «faits » et connaît l'oeuvre de « Dash » comme sa poche. Travail essentiel, mêlant la vie à l'écriture, puis narrant une vie sans livres, mais avec les scénarios à Hollywood, la lecture, le marxisme, la famille, la maladie..Amateur d'alcool et de filles, Dash entre en 1915 à l'agence de détectives Pinkerton.
La « distance affective », « l’équilibre émotionnel » requis par ce job exercé pendant sept ans ont affûté son « réalisme pur », en germe dans ses premiers textes, parus en 1922 dans des magazines. En 1934, après cinq romans et une soixantaine de nouvelles, il cesse de publier. Le cinéma (Le Faucon maltais, de Huston ; La Clef de verre, de Heisler), les adaptations à la radio et en livre de poche vont créer un mythe. Basé pendant la guerre au large de ‘l’Alaska, il choque l'armée en intégrant deux Noirs au journal qu'il dirige. En 1951, interrogé sur ses activités procommunistes, il énerve la cour, qui l'envoie en taule pour silence et outrage.
Usé par la tuberculose, l'alcool, la parano maccarthyste, il n'achèvera pas son ultime roman. Le mêtier de détective lui a appris à voir. La vie lui a conseillé de se taire.
JEAN-MARC PARISIS
L’insaisissable : la vie de Dashiell Hammett, biographie de Richard Layman
Traduit de l’anglais par Philippe Mikriammos
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
La Pologne et la mémoire de Gérard Leclerc
Découvrez "La Pologne et la mémoire", article de Gérard Leclerc sur www.France-Catholique.fr consacré à L'Intarissable source de Cyprian Norwid.
L'Islamo-business, vivier du terrorisme de Jean-Paul Gourévitch
Découvrez l'article consacré à L'Islamo-business, vivier du terrorisme de Jean-Paul Gourévitch sur Boulevard Voltaire.
2- L'Islamo-business, vivier du terrorisme de Jean-Paul Gourévitch
Retrouvez Sophie Jabès au Salon du Livre de Trouville du 11 novembre
Sophie Jabès signera La Duchesse de Singapour au Salon du Livre de Trouville le 11 novembre.
Pour en savoir plus : http://www.trouvillesurmer.org/images/catalogue2011def.pdf
La Duchesse de Singapour, roman de Sophie Jabès
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
L’ombre de la Duchesse
Sophie Jabès publie La Duchesse de Singapour aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Dans ce roman tout en ambiance, en moiteur et en langueur, Eva, suivant son mari, rejoint la petite communauté des Occidentaux vivant a Singapour. Tandis que leurs époux travaillent, les femmes s'ennuient et perdent leur temps en médisances, mesquineries et superficialités. Mais l'ombre de I une d'elles, surnommée « la duchesse de Singapour », plane au- dessus des autres Elle est libre, heureuse, elle n'a peur de rien, pas même des amours interdites entre gens de classes différentes Elle se confiera à Eva, la narratrice, et préférera se perdre plutôt que de se trahir.
JEAN-LUC AUBARDIER
La Duchesse de Singapour, roman de Sophie Jabès (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Assumer son désir
Sophie Jabès, a aimé la ville de Singapour où elle a vécu il y a 15 ans. Elle l’a choisie pour en faire le cadre réaliste de son cinquième roman, à moins que ce ne soit la ville qui l’ait choisie. Un roman très différent de ses précédents qui tenaient plus du conte et de l’absurde. Un premier livre commencé à cette même époque. « Ce roman m’a accompagnée pendant 15 ans. Je n’arrivais pas à le lâcher. Je modifiais l’histoire, les mots. Il y avait un va et vient avec le texte. » Un roman qui évoque une femme qui assume son désir et va jusqu’au bout.
L’héroïne, Eva débarque à Singapour. Une amie lui a dit à Paris qu’elle doit rencontrer une femme fascinante, la Duchesse. Engluée dans la routine des thés organisés par ces dames expatriées et pathétiques, elle n’a de cesse que de trouver cette autre femme. Un jour, elle la reconnait sans qu’on la lui présente. A partir de ce moment, une amitié, des secrets de femmes, des désirs pour un homme, la passion assumée de la duchesse pour cet homme, vont les lier. Eva va apprendre de la vie de cette femme, des choses sur elle-même et l’amener à assumer sa propre vie.
Sophie Jabès commence à écrire ce roman alors que, comme l’héroïne, Eva, elle suit son mari à Singapour et fait une croix sur son métier de productrice de télévision. Elle découvre la vie dorée de « femme de ». « On n’est plus qu’une mère ou une épouse, on n’existe plus en tant que personne. » Si elle l’histoire de passion de la duchesse de Singapour est totalement inventée, la critique sociale des expatriés est nourrie de son expérience personnelle.
Ses livres précédents, (« Alice la saucisse »), tenaient plus du conte, de l’absurde, de sa volonté d’explorer les tabous. Celui-ci est plus personnel et plus proche. Le cadre est réaliste, l’histoire est fantasmée.
« La vie d’expat’ est très dure pour les femmes, malgré les conditions de confort exceptionnelles. Le mari est surtout très absent. Il voyage dans toute l’Asie. Pour les femmes actives, c’est une plongée dans le vide. C’est atroce et violent. Ou les femmes boivent, dépriment, deviennent maman puissance 20 000 ou elles essayent de retrouver une activité ». Sophie Jabès a monté sa société. Elle s’est occupée de la promotion de son frère en Asie, le joaillier Jérôme Jabès, avant de devenir correspondante de Marianne.
Dans le livre, la ville de Singapour, son ambiance très anglo-saxonne, le creuset constitué d’européens, de chinois, de malais et d’indiens, son climat équatorial, moite, pesant, sont très présents. Eva, son personnage « a besoin d’extraordinaire, elle ne peut pas se contenter de l’ordinaire. » Le personnage de la Duchesse est pour Eva comme une construction mentale. « C’est une amitié en miroir mais aussi en abîme. Elle voit vivre cette femme qui assume son désir, ses plaisirs. Tout au long du livre, elle apprend, elle devient adulte. » Grâce à la duchesse qui va jusqu’au bout, assumer ses désirs.
« Cette femme que j’ai inventée est une croisée de plusieurs personnes que j’ai rencontrées. Une ou deux personnes qui m’ont fascinée. Elles avaient beaucoup de charme mais en même temps elles étaient assez ordinaires. J’ai voulu décrire cette fascination pour une personne qui prend du pouvoir sur l’autre. »
Eléments autobiographiques et histoire fantasmée se mélangent dans cet ouvrage. La maison qu’elle décrit comme résidence d’Eva était la sienne. Un mot revient périodiquement sous la plume de Sophie Jabès : « Rosacée » : « Il décrit le jardin, mais aussi l’amour à partir d’une couleur. Il exprime une sensation, rose, rouge, la sensualité par l’intermédiaire de la fleur. Il est un peu le symbole de la sensualité. Je me souviens, j’avais de très belles fleurs qu’on ramassait le matin. Je regardais souvent ces roses. Eva, aussi. Elle comprend le monde par la contemplation. »
Même si Sophie Jabès a commencé l’écriture d’un nouveau roman, elle est encore emplie de son texte. « S’il doit être réédité, je sais ce que je changerai. Au moins, un mot. » Décidément, l’auteur ne peut laisser aller son bébé. Peut-être parce qu’Eva, femme fascinée par une autre femme qui assume ses désirs, ressemble beaucoup à Sophie Jabès. Dans la bouche de l’écrivain revient souvent le mot « assumer » qu’elle parle de ses personnages ou d’elle-même. En écrivant ce roman, elle a commencé à assumer ses désirs artistiques. Etudiante, après Sciences-Po, elle a la possibilité d’aller suivre des cours d’écriture à l’université de Californie, mais elle finit par tourner autour de son désir d’écriture sans l’assumer vraiment. Productrice de télévision, elle participe au développement de scénarios mais ne prend pas la casquette de scénariste à part entière. Elle ne se l’ autorise pas vraiment.
Aujourd’hui elle a envie de mettre en scène sa seconde pièce, un sujet sur Camille Claudel. « Je ne me suis jamais autorisé à le faire mais là j’aimerais bien. » Encore un effort et Sophie Jabès s’autorisera tous ses désirs d’adulte.
VERONIQUE GUICHARD
http://www.toutpourlesfemmes.com/conseil/Sophie-Jabes-la-Duchesse-de.html
La duchesse de Singapour, roman de Sophie Jabès
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Mystère et langueur de la Duchesse de Singapour
À Singapour, se retrouvent Eva et son mari Pierre ; Pierre ne cesse d’arpenter les capitales : ses affaires d’abord. Il laisse sa femme seule s’enfoncer lentement dans un État où les dames seules restent forcloses dans la chaleur vacante, le désoeuvrement et un semblant d’activité donnant l’impression d’être inséparables. Sophie Jabès rend cela dans ses infinis chatoiements. Le ciel est tiède, l’air conditionné, les rites immuables, le sourire de rigueur. La retenue est essentielle : le monde pourrait s’effondrer au moindre écart. Les Françaises résidentes passent leurs journées à arrondir les angles dans le paradis des angles arrondis ; de riches Chinoises minaudent ou font leur mijaurée ; à quoi il faut arrimer de mystérieuses rencontres. C’est le cas de la Duchesse, dont la réputation est telle qu’elle ne peut se résumer, étant indéfinissable, en dépit de commentaires insidieux, dans un monde en apesanteur. Apathie rime avec torpeur, tiédeur avec saveur, moiteur avec mollesse. Eva va découvrir que la Duchesse a sa morale, « glauque et collante ». Avec cet À la recherche du temps perdu asiatique, Sophie Jabès nous promène avec un beau talent dans une société qui ne cesse de se lisser, d’embaumer les mi nutes, de distiller des remarques saugrenues, d’arracher des soupirs aux femmes tout en les étourdissant de parfums lourds.
ALFRED EIBEL
La Duchesse de Singapour, de Sophie Jabès
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Version In the mood for love
Une atmosphère délétère règne sur la petite communauté cosmopolite de Singapour. Les relations entre expatriées oisives semblent placées sous le signe de la futilité et de l’ennui. Du moins avant que n’arrive Eva, l’héroïne du dernier roman de Sophie Jabès, « La Duchesse de Singapour ».
Nostalgique de sa vie de Parisienne active, Eva promène son mal-être entre soirées mondaines et thés moites, plaçant tous ses espoirs dans une rencontre avec une mystérieuse duchesse censée détenir les clefs de la vie singapourienne. Lorsqu’elle découvre enfin cette femme magnétique, le coup de foudre vire rapidement en une lente descente aux enfers, sur fond d’amours interdites, de secrets et de barrières sociales.
Sophie Jabès, auteur notamment d’« Alice la Saucisse », de « Caroline assassine » et de « Clitomotrice », trois petits bijoux de provocation, signe ici son cinquième ouvrage. Cette dernière parution est en réalité son premier roman, écrit après un séjour… à Singapour.
La Duchesse de Singapour, de Sophie Jabès (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Rendez-vous au Publicisdrugstore le 16 juin
La librairie du Publicisdrugstore
et les éditions Pierre-Guillaume de Roux
vous invitent à rencontrer
SOPHIE JABÈS
pour la signature de son livre
La Duchesse de Singapour
Jeudi 16 juin de 13h à 14h à la librairie
du Drugstore - 133, av Champs-Elysées - Paris 8ème.
Interview réalisée par Isabelle Rabineau.
Publicisdrugstore 133, av Champs-Elysées - Paris 8ème - Métro : Charles de Gaulle Etoile / Georges V - www.publicisdrugstore.com
La Duchesse de Singapour : un voyage à ne pas manquer
À lire
Le Petit Futé Singapour le tout nouveau guide consacré a « la ville confetti » écrit par Manon Zipfel résidente à Singapour et animatrice de l'émission « Sinosphère » sur France O.
La Duchesse de Singapour, roman de Sophie Jabès (éditions Pierre Guillaume de Roux) : le parcours drolatique d une Française dans le Singapour effervescent des expatriés.
La France de Jean Yanne de Dominique de Roux
Découvrez l'article de Sébastien Le Fol paru dans Le Point à propos de La France de Jean Yanne de Dominique de Roux
La France de Jean Yanne de Dominique de Roux
Découvrez l'article de Matthieu Giroux sur La France de Jean Yanne de Dominique de Roux ( préface Richard Millet) paru dans Philitt.
La Guerre civile qui vient d'Ivan Rioufol
Lire l'article d'Ivan Rioufol, auteur de La Guerre civile qui vient sur Atlantico.fr
Signature autour d'Ivan Rioufol le 8 avril
Xavier de Marchis vous invite vendredi 8 avril à compter de 18 heures à la signature d'Ivan Rioufol qui se tiendra à la librairie Contretemps -41 rue Cler - 75007 Paris.
La Guerre civile qui vient d'Ivan Rioufol
Découvrez le face à face Ivan Rioufol Laurent Joffrin dans l'émission de Ruth Elkrief sur BFMTV à propos de son dernier ouvrage : La Guerre civile qui vient.
La Guerre civile qui vient d'Ivan Rioufol
Découvrez la vidéo de lancement de La Guerre civile qui vient d'Ivan Rioufol à paraître le 3 mars
De de Gaulle à Johnny
La « pensée Johnny » eût été mieux dire, comme on disait la pensée Mao : celle qui, en un demi-siècle, a fait passer la France de l’Histoire de France, telle que la concluait le général de Gaulle, aux limbes où elle flotte aujourd’hui. De Gaulle s’était ému que l’on parlât des « jeunes », comme s’ils constituaient une catégorie à part, autonome et définitive : il avait le bon sens pour lui mais non l’évolution de l’espèce, laquelle allait faire apparaître ce mutant : « le jeune » intemporel - nous en sommes à la troisième génération - dont Johnny sera consacré « l’Idole ». La France est sortie de l’Histoire, les « jeunes » aussi, et Johnny, très logiquement, « est toujours là » : « Johnny n’est ni plus ni moins ringard qu’un autre, il a seulement inauguré une ère de ringardise que nous vivons aujourd’hui et que nous approuvons massivement. (…) En se confisant dans sa ringardise de vieil adolescent, il fait montre d’un certain courage moral », et justifie cet essai aussi léger que profond.
La pensée de Johnny. Une révolution française, de Fiona Levis
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Portrait de Johnny en philosophe
A première vue, on croit à un canular. Un livre intitulé La Pensée de Johnny (I), rock star désormais associée à sa caricature des Guignols ou à son célèbre «Ah que, coucou », pouvait-il avoir une autre raison d'être ? Sauf que, Fiona Levis - qui s'était déjà attelée à un monument avec Yves Saint Laurent (2) -, faisant de l'art de fabriquer du sérieux avec du léger sa spécialité, nous embarque avec humour et habileté dans cette tournée un peu particulière.
Sa méthode a de quoi faire oublier les a priori. Partant du postulat que toute interview « hallydayenne » est soit complaisante soit au vitriol, donc biaisée, la journaliste a limité son objet d'étude au répertoire (immense) de Johnny. Et quand elle écrit : « sa discographie est une autobiographie cohérente », Fiona Levis n'a pas tort. En intégrant les titres et les paroles de ses chansons à son texte, elle prouve qu'il n'est pas nécessaire d'ouvrir le moindre magazine people pour retracer l'itinéraire et cerner l'identité de Johnny.
Le succès de l'entreprise a même quelque chose d'effrayant : pendant cinquante ans de carrière, le chanteur s'est mis à nu sur scène. Tentative de suicide, passion américaine, ruptures et passions amoureuses nombreuses - Fiona Levis va jusqu'à le qualifier de « grand gynécologue » -, tout a été exposé au public qui n'a cessé d'en redemander. «Johnny n'est pas à proprement parler un caméléon, c'est, comme toutes les vedettes qui ont duré - Hergé, Le Pen, Chirac -, une éponge qui boit son public et le régurgite dans son oeuvre. Il sert à son public la soupe qu'ils aiment tous deux. » Gloups.
Entre surexposition et surmédiatisation - plus de 2 100 couvertures de magazines lui ont été consacrées -, la vie de Johnny donne le tournis. Et si l'auteur n'hésite pas à avouer qu'elle n'aurait pas pu écrire sur
John Lennon («J'aime Johnny pas John »), on se réjouit de son ton ironique et grinçant, notamment quand elle intitule un chapitre « Ainsi parlait Johnnythoustra ». A un concert de Johnny, Fiona Levis serait peut-être au premier rang, mais elle ne lèverait pas forcément le briquet.
LISA VIGNOLI
La pensée de Johnny, de Fiona Levis (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
La Révolution buissonnière de François Jonquères
Découvrez l'article de Thomas Morales sur La Révolution buissonnière, premier roman de François Jonquères.
La Rumba à Beethoven de Gemma Salem
Les mille et unes vies de Gemma Salem par François Miclo :
http://www.tak.fr/les-mille-vies-gemma-salem/
La Taverne des ratés de l'aventure de Bertrand Lacarelle
Ecoutez Bertrand Lacarelle sur France Culture au sujet de son dernier livre : La Taverne des ratés de l'aventure
François Mauriac au désert
Il faut du culot pour dire de François Mauriac qu'il est « le plus érotique de nos écrivains.» ll faut une belle sensibilité pour le démontrer. François-Georges Maugarlone vient de signer un très joli petit livre dans lequel il se donne pour tâche de suivre François Mauriac au désert, désert qui ne peut être bien sûr, chez le châtelain de Malagar, que « le désert de /'amour » - non pas un espace géographique qui nous serait extérieur, mais celui que nous découvrons au cœur de nous-mêmes.
Sans aucun pédantisme, sans notes au bas des pages, Maugarlone cherche à pénétrer le secret de son modèle. ll y a toujours quelque chose d'inachevé dans un roman de Mauriac. ll nous fait entrevoir l'horreur, mais l'établit en une ligne et passe à autre chose. ll nous fait espérer le salut, mais, ardent janséniste, se refuse à le déclarer « à portée de main ». On devine enfin, chez Mauriac - et c'est une des raisons pour lesquelles on aime à le lire -, une puissance qui ne s'est jamais livrée tout entière, il y a dans ses livres comme une réserve qui laisse deviner l'indicible, cet « infracassable noyau de nuit » que l'écrivain racinien, fils naturel trop tard venu de Phèdre et de Saint-Cyran, n'a jamais fini de scruter au fond de notre cœur de chair.
C'est devant cette fenêtre ouverte sur notre tourbillon intérieur qu'il faut lire les pages que Maugarlone consacre à l'engagement politique de Mauriac. ll évoque avec lyrisme l'homme de De Gaulle - Mauriac sous De Gaulle, comme disait un peu trop dédaigneusement Jacques Laurent. ll évoque celui que « Le Canard enchaîné » appellera Saint François des Assises, le chrétien s'élevant contre les excès sanglants de l'épuration et faisant tout pour obtenir la grâce du journaliste Robert Brasillach. Un livre à lire. Plus que celui d'un critique parmi tant d'autres, celui d'un guide plein d'humanité qui a conscience du fait que lire - lire Sartre ou Mauriac - c'est toujours un peu se mettre en péril.
JOEL PRIEUR
La traversée du désert de Mauriac, essai de François-George Maugarlone
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Laissez-moi vous aimer d'Angelo Rinaldi
Découvrez "Rinaldi, immortel impénitent", l'article de Paulina Dalmayer paru dans Causeur à propos de Laissez-moi vous aimer.
Richard Millet invité d'Alain Finkielkraut sur France Culture
Alain Finlkielkraut recevait Richard Millet dans son émission Répliques du samedi 17 novembre sur France Culture avec Michel Crépu pour un débat : A quoi rime l'éloge littéraire d'Anders Breivik ?
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la langue suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik de Richard Millet.
Faut-il sauver le soldat Millet
L’écrivain Richard Millet, auteur du pamphlet Langue fantôme et Eloge littéraire d’Anders Breivik, n’en finit pas de subir l’ire du petit monde des bien-pensants. Il faut dire qu’il leur a porté une belle estocade dans Langue fantôme en montrant l’indigence de la production littéraire actuelle. Aussi, les attaques sur ses écrits sur Breivik sont en fait un leurre pour mieux occulter la pertinence de son pamphlet.
En effet, suite à la parution de son livre, de nombreux écrivains, dont Le Clézio, Tahar Ben Jelloul et même Bernard-Henri Lévy, se sont fendus d’articles dans la presse pour dénoncer l’infamie de l’auteur. Bien que Richard Millet affirme dès le début de cet essai qu’il n’approuve en aucun cas l’acte de Breivik, il lui est ouvertement reproché d’en faire un héros littéraire et de cautionner en quelque sorte l’acte du meurtrier. Si l’honnêteté intellectuelle était la chose la mieux partagée au monde, ce débat aurait pu ne jamais quitter les salons littéraires pour simplement ne faire que l’objet de joutes verbales, par exemple, en comparant Breivik au Raskolnikov de Crime et Châtiment de Dostoïevski.
Ce ne fut pas malheureusement le cas. Non seulement, tous ces intellectuels rivalisent d’indignation dans la presse mais en plus ils exercent des pressions afin de lui porter atteinte dans ses intérêts vitaux, notamment auprès de la maison d’édition Gallimard à laquelle collabore notre écrivain insolent. Millet passe par une réflexion sur la langue française afin de mettre à jour la décrépitude de notre littérature. Largement influencée par la littérature de masse américaine, les romans se caractérisent par une pauvreté linguistique. Notre langue, selon l’auteur, se tiers-mondialise car elle n’est en aucun cas défendue et intéresse peu la pléthore de faux écrivains. Leurs écrits correspondent à une époque où le culturel a supplanté la culture et où l’immigration massive contraint à baisser le niveau d’enseignement de la langue. De plus, la littérature se plie aux canons du roman international, à savoir un type de roman apatride, déraciné et sans style, qui ne se mesure plus qu’à sa valeur d’échange et aux prix littéraires plus insignifiants les uns que les autres.
La critique de Millet est acerbe et admirablement argumentée. Peut-on reprocher à un écrivain de défendre l’idée de hiérarchie et de transcendance dans la culture française à l’heure du « tout se vaut » ? Alors que les romans inondent les rayons de librairie, les notions de Sacré, du Bien et du Mal, qui jalonnent la littérature depuis des siècles, sont souvent évincées au profit d’intrigues psychologisantes avec peu de contenu éthique et politique. Peut-on reprocher tout simplement à un écrivain français d’aimer son pays, sa langue et sa culture ?
On comprend aisément que cet essai n’a pas eu l’heur de plaire aux bien-pensants multi culturalistes mais il s’agit d’un pamphlet salutaire qui, en quelque sorte, fait œuvre de résistance en cette veille de conflits internationaux.
RACHID NEDJAR
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Pour l'honneur de la littérature
Au moment où Richard Millet se voit contraint de quitter le comité de lecture des éditions Gallimard pour une apologie du crime raciste qu’il n’a jamais écrite, j’entends en tant qu’éditeur de Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature, suivi d’Eloge littéraire d’Anders Breivik, défendre la valeur de ce texte tout à fait singulier pour mieux rappeler la seule et véritable vocation qui s’impose à toute maison d’édition qui se respecte : ouvrir au public la plus grande diversité possible de lectures.
C’est avec un égal élan que j’ai, en vingt-sept ans d’édition, publié entre autres, tour à tour, Ivan Bounine, Pierre Boutang, Jean-Pierre Millecam, Boris Pahor, Jean-Pierre Martinet, Ernst Wiechert, Serge Koster, Janos Szekely, Alexandre Tisma ou Petru Dumitriu.
N’existait-il pas pour chacun de ces auteurs une lecture à chaque fois différente, particulière, du monde ? Les douleurs des uns avaient-elles toujours un lien avec celles des autres, quant à leurs joies, n’étaient-elles pas plus contradictoires encore : à la fois universelles, éclatantes et cependant intimes?
Jusqu’à quel point descend-on encore dans la profondeur du texte ? C’était la question qu’avait posée Richard Millet dans la première partie du livre, Langue fantôme, sans laquelle on ne pouvait comprendre L’éloge littéraire qui suivait. Et chose remarquable, le phénomène de délitement qu’il y décrivait s’est produit, pour ainsi dire, à la lettre au cours de la polémique qui accueillit cette publication : déformation systématique de sa pensée, citations isolées, coupées de leur contexte, reprise mimétique des mêmes raccourcis à travers toute la Toile. Peu encore, même parmi ceux qui commencent à pressentir la force inhabituelle de ce texte, ont compris que L’éloge littéraire d’Anders Breivik consacrait avant tout la faillite terrifiante d’une lecture-écriture qui n’a plus lieu, bref de la littérature.
Peu ont passé la porte du sous-titre - qu’il ne fallait en aucun cas prendre au premier degré, parce qu’il était d’abord « littéraire ». Parce qu’il résonnait à l’envers, comme le négatif d’un événement à redouter : comme l’éloge funèbre d’une littérature coupée d’elle-même, transposée dans le spectaculaire, collée à l’écran des futures dépêches intermittentes. Richard Millet déconstruisait la grande tragédie du massacre survenu à Utoya sans aucune complaisance, sans jamais sortir du registre de l’analyse sûre et froide. Il considérait avec une tristesse indicible le fusil d’assaut de Breivik, devinant qu’il avait cru tenir là la réponse absolue : la seule « perfection d’écriture » que permette une époque vouée à la technicité toujours plus aigüe, devancière, vertigineuse. Loin de mettre en accusation le style de Richard Millet, il eût fallu au contraire apprendre à en recevoir le choc comme l’oracle dont il s’accompagnait. Il fallait une audace peu commune pour en arriver à dévisager, les yeux secs, la scène de ce qui n’est avant tout qu’un pressentiment mais si précis, si « voyant » qu’il ne peut que frapper les esprits les plus tendres : celle d’une société devenue plus utopique que toutes les fictions.
C’était l’opinion de Richard Millet. Elle lui appartenait en propre. On y adhérait ou pas, elle valait en tout cas la peine d’être posée comme une énigme, comme un problème. Surtout il me semblait que Richard Millet remplissait soudain à merveille ce rôle difficile qu’attribue Fernando Pessoa à tout grand écrivain : il suscitait l’intranquillité. Il devenait le grand Inquiéteur et en payait le prix plus lourdement que jamais. Et le fait est que son texte, en faisant éclater « le scandale de la vérité », s’est révélé extraordinairement cathartique.
On en aura oublié le magnifique Intérieur avec deux femmes paru au même moment. Pire, on a cherché à rabaisser Richard Millet comme écrivain en le traitant parfois d’ « auteur obscur », « insignifIant », « peu connu du grand public » (comme si un grand écrivain se reconnaissait à son apparition sur la liste des best-sellers…) et j’en passe. Intérieur avec deux femmes, un voyage entre ombre et lumière, en Hollande, contenait tout l’amour de l’art et aussi, il faut bien le dire, l’art de l’amour. A sa guerre, à sa connaissance si tragique de la guerre, Richard Millet opposait une voix, un appel à tout ce qu’il aimait le plus profondément : la peinture de Rembrandt, la musique sacrée, le paysage, les visages et les cœurs, et c’est encore au nom de cette voix, à la fois âpre et ardente, qu’on cherche aujourd’hui à étouffer que j’entends moi-même honorer mon propre rôle de passeur.
On avait donc saccagé l’œuvre, le nom et l’honneur de Richard Millet en refusant de le lire en profondeur. Une exécution sommaire qu’il avait également anticipée dans l’autre essai publié concomitamment : De l’antiracisme comme terreur littéraire où il tentait enfin de tordre le cou aux mauvais procès et aux idées toutes faites. En vain… Dans ces conditions, que devenait un autre art bien français : celui de la conversation, de l’échange d’idées, du vrai et authentique débat ? Il nous aura été interdit depuis le début. Faut-il en conclure que les mots n’ont plus le même sens pour les uns et pour les autres ? Que nous ne parlons plus la même langue ?
Mais prenons garde : faire table rase de la conversation qui rapproche les points de vues les plus opposés, c’est prendre le risque de l’incivilité. De la discorde.
Faute de lecture, on nous propose de nouvelles méthodes : l’anathème, la mise au ban et la condamnation à la mort sociale par voie de pétition. Que deviendra à ce compte la liberté d’éditer ? Quelle cécité a conduit tant d’auteurs, ceux-là même qui se disent écrivains et se considèrent comme des esprits libres, à mettre à terre l’un d’eux ? L’un des plus grands.
PIERRE-GUILLAUME DE ROUX
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature, suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Pourquoi me tuez-vous ?
En rien L'Express ne partage les thèses de Richard Millet, l'écrivain qui fait scandale en cette rentrée avec son Eloge littéraire d'Anders Breivik. Mais les cris additionnés, sincères chacun, tout comme les pétitions, forment, ensemble, une lapidation. Tous contre un, ce n'est plus un débat, ni même une polémique. Face à certains textes, l'indignation est un devoir, mais la défense est un droit. Elle a, ici, la parole.
Christophe Barbier
--------------------------------------------------------------------------------------------------
Le 22 août 2012 ont paru aux Editions Pierre-Guillaume de Roux trois livres qu'un article, une semaine plus tôt, a prétendus abjects, nul ne les ayant lus, malgré leur brièveté respective.
Le premier livre, Intérieur avec deux femmes, est un récit dans lequel mon double narratif, Pascal Bugeaud, rapporte un certain nombre de choses vues, éprouvées, pensées lors d'un voyage à Amsterdam, il y a une dizaine d'années, avec des plongées dans ma mémoire la plus profonde, notamment amoureuse.
Dans le deuxième, Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature, je poursuis une réflexion entamée vingt-cinq ans auparavant avec Le Sentiment de la langue, et qui m'a valu une forme d'opprobre, pour reprendre le titre d'un livre paru en 2008 et dans lequel, répondant à mes accusateurs, je tentais de montrer comment on refusait de me lire au seul nom de l'idéologie antiraciste, moi qui ai grandi dans la langue arabe et dans un grand mélange de langues, de religions et d'ethnies. A Langue fantôme, j'ai ajouté un bref essai, Eloge littéraire d'Anders Breivik, qui en constitue la fibule et sur lequel je reviendrai, puisque c'est à cause de lui que la meute s'est lâchée. Avec le troisième, De l'antiracisme comme terreur littéraire, je m'insurgeais contre l'éternelle accusation de "racisme" qui prévaut dans le milieu médiatico-littéraire dès lors qu'on s'interroge sur l'identité nationale : "raciste" a remplacé "facho" et "réac" dans les bouches vertueuses, ou qui se veulent telles, de la même façon que ce vocabulaire s'était substitué à "hérétique". J'espérais en finir avec les invectives et la diffamation. Je me trompais.
Trois livres, donc, soit une donne, comme on dit aux cartes, et néanmoins, d'emblée, une interdiction de jeu, non seulement parce qu'aucun de ces livres n'a été lu, mais qu'on ne le fera pas davantage depuis qu'a éclaté ce qu'il faut bien appeler une de ces "affaires" dont Paris s'est fait une spécialité et qui, cette affaire, perturbe la rentrée littéraire - à supposer que cette affaire, qu'on m'accuse bien sûr d'avoir organisée, avec mon éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, par goût du scandale, ou masochisme ou suicide, à supposer que cette affaire, donc, ne soit pas un élément quasi "naturel" de ce spectaculaire qui régit le monde intellectuel occidental, particulièrement en France, où l'ennui et l'insignifiance croissent à proportion de la prétention qu'a ce pays à se croire encore une nation littéraire.
Cette affaire ne serait donc rien si l'on ne déversait sur mon nom toutes sortes d'à-peu-près, d'erreurs et de mensonges, et si l'on ne cherchait à me chasser de la maison d'édition dont je ne suis pourtant qu'un modeste employé. Demander ma tête à Antoine Gallimard, c'était une atteinte à mon intégrité professionnelle, sinon à ma vie personnelle, moi qui ai toujours fait la distinction entre mon activité d'écrivain et celle d'éditeur, au point que je refuse de parler de mes livres et de mes idées avec les auteurs dont j'ai la charge, lesquels ont des parcours, des styles et des idées parfois à l'opposé des miens. C'était oublier, enfin, que la maison Gallimard a d'emblée su exister par une extraordinaire diversité de courants, qui ont mis en regard Gide et Claudel, Drieu la Rochelle et Malraux, Céline et Aragon, Breton et Caillois, Camus et Sartre, pour ne parler que de figures historiques.
En refusant de considérer le geste littéraire que constituent les trois livres que je viens de publier et qui, à de rares exceptions près, je le redis, n'ont toujours pas été lus, ni séparément ni ensemble, c'est donc la littérature qu'on cherche à atteindre à travers moi, qui, contrairement à ce qu'on dit, ne suis lancé dans aucune croisade et ne me prends ni pour Bloy ni pour Bernanos ; il est déjà si difficile d'être soi-même dans l'adversité et le souci de ne pas se trahir en se plagiant qu'on admettra que le souci de perturber la "rentrée littéraire" n'a pu me venir à l'esprit.
Je voudrais néanmoins rappeler qu'une grande partie de ma réflexion vise à comprendre la concomitance du déclin de la littérature et la modification en profondeur de la population de la France et de l'Europe tout entière par une immigration extra-européenne massive et continue, avec pour éléments intimidants les bras armés du salafisme et du politiquement correct au sein d'un capitalisme mondialisé, c'est-à-dire le risque d'une destruction de l'Europe de culture humaniste, ou chrétienne, au nom même de l'"humanisme" dans sa version "multiculturelle". Refusant la politique du fait accompli ou je ne sais quel fatalisme historique auquel le "choc des civilisations" donnerait une justification par défaut, je ne pouvais que m'insurger contre un état de choses que le parti médiatico-littéraire (qu'on peut aussi appeler la Propagande, le Culturel, le Spectacle, le Bien, etc.) présente quotidiennement comme l'assomption extatique de l'humain dans l'"Humanité", et dont le compromis civilisationnel est la sous-culture américaine - ce que le capitalisme américain a inventé sous le nom de "mondialisation" (lequel désigne principalement la soumission au Veau d'or du Marché). Aux nations qui résistent encore et que l'Empire décrète vieilles (avec ce que ce mot a d'infâmant aujourd'hui dans un monde pourtant soucieux de ne rien stigmatiser) le multiculturalisme idéologique et son bras armé, le Droit, font savoir que l'esprit national, le génie des peuples, l'Histoire, la culture, le catholicisme, le silence, le retrait, la pensée, même, ne sont plus que de vieilles lunes : ainsi le multiculturalisme n'est-il qu'une des formes de la décomposition culturelle, spirituelle et sociale de l'Europe, première étape d'une émigration dans le "genre humain" de l'indigène bientôt indifférencié, donc interchangeable, voire déshumanisé.
S'agissant de moi, la haine tient donc ici lieu de lecture - une haine qui est en réalité moins celle de ma personne que celle de la littérature et montre bien la sournoiserie de l'ennemi.
Mes ennemis ? Des fonctionnaires du système médiatico-littéraire, journalistes, échotiers, écrivains parvenus, indigents essayistes : j'ai écrit, ailleurs, qu'ils ne sont que des rôles, donc interchangeables, c'est-à-dire insignifiants, surtout les écrivains, dont l'oeuvre, nombreuse, primée, encensée sans avoir été lue, s'oublie à mesure qu'elle se publie. Ils s'"expriment" à mon sujet sans m'avoir lu, mais en s'indignant à proportion de leur ignorance et condamnant d'autant mieux. N'est-il pas frappant qu'on me dépêche des journalistes qui n'ont pas lu mes livres, qui ignoraient même mon existence quelques jours plus tôt, et que ceux qu'on charge de faire mon portrait soient incapables de se faire une opinion par eux-mêmes ? On va quérir les douteux souvenirs de gens que je croyais morts ou d'ennemis depuis longtemps déclarés ; on cherche l'origine du mal ; on enquête plus qu'on ne peint, l'enquête et l'inquisition allant souvent de pair dans ce monde ludico-vertueux.
Ainsi, la haine qu'on me voue est devenue une chasse à l'homme, tout à l'opposé de la réflexion que j'espérais provoquer afin de susciter non pas un de ces "débats" constitutifs du mensonge politico-littéraire, mais une émotion personnelle qui s'exprimerait autrement que par l'invective et la condamnation, les jeux étant faits d'avance et le but, selon l'impeccable logique girardienne, étant l'expulsion de celui qui se montre hostile à la pornographique prolifération du Même sous le nom pieusement révéré de l'Autre, dont le narcissisme occidental vomit secrètement l'altérité.
Conscient que c'est la littérature qu'on vise à travers ma propre personne, je me vois contraint de revenir sur le fait que les trois livres qui ont paru fin août doivent être lus ensemble et qu'on ne s'attache qu'aux 18 pages que j'ai consacrées à Anders Breivik que pour ne pas lire le reste, sinon les trois livres, du moins l'essai qui précède le texte sur Breivik, lequel vient le clore - et non le clôturer, comme disent les folliculaires amateurs de barbelés et praticiens du stalinisme citationnel : Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature, dans lequel je tente de montrer que la perte du style est aussi celle de la langue, donc de la littérature, et que l'affadissement croissant de la littérature conduit à la violence multiculturelle comme au soft totalitarisme mondialisé sous l'espèce de la démocratie américaine autant que de l'islamisme capitalistique, dont le Qatar est le modèle le plus pernicieux.
Dissocier le texte sur Breivik de Langue fantôme est, pour moi, aussi violent que le reproche d'avoir écrit l'apologie d'un tueur. Je peux reconnaître que le titre, dont l'ironie, pourtant démontrée, espérais-je, par l'épithète littéraire, n'a pas été perçue, ou est passée sous silence, ce titre n'est pas heureux ; et, si j'avais quoi que ce soit à regretter, ce serait donc que, tombant sous le coup du grand sérieux idéologique, cette ironie et certaines de mes formules aient pu blesser des lecteurs soucieux de vérité, surtout en Norvège. Pour le reste, ma condamnation des crimes commis par Breivik est sans ambiguïté. S'il y a quelque chose de dérisoirement littéraire dans le cas de Breivik, c'est non seulement qu'il s'est lui-même présenté comme écrivain à son procès, mais surtout ce que son cas révèle de la décadence intellectuelle, politique et spirituelle de l'Europe, dont la littérature était le lien le plus communément admis : Breivik est un écrivain par défaut, ai-je dit ; il est le symptôme démoniaque de ce que produisent nos sociétés, non seulement Breivik, mais aussi, en France, Merah et, probablement, hélas, leurs futurs émules - seuls les imbéciles et les Propagandistes pouvant croire que ces cas "isolés" ne soient pas appelés à constituer un archipel au sein de ce qui se révèle être de plus en plus, pour paraphraser Carl Schmitt, une guerre civile dont les fantômes se matérialisent de façon monstrueuse.
Ces fantômes, est-il interdit aux écrivains de les évoquer ? Reproche-t-on à Dostoïevski ses Démons, à Truman Capote les deux tueurs de De sang-froid, à Genet son goût pour les kamikazes palestiniens, à Bret Easton Ellis le psychopathe personnage d'American Psycho, à Koltès la fascination qu'exerçait sur lui le tueur en série Roberto Zucco, à qui il a consacré une pièce, ou à Emmanuel Carrère son évocation du monstrueuxJean-Claude Romand ? Y aurait-il de bons criminels et d'autres qui ne le seraient pas ?
On me reproche aussi de sembler fasciné par la dimension esthétique du mal et d'avoir loué la perfection formelle des actes de Breivik. Je n'ai rien loué, encore moins approuvé, me contentant de trouver terrifiante l'aisance technique du criminel et la perfection matérielle que peut prendre le Mal. Dois-je rappeler ici que le compositeur Karlheinz Stockhausen avait suscité un scandale pour avoir vu dans les attentats du 11 septembre 2001, dont la perfection formelle, c'est-à-dire technique, reste aussi dans tous les esprits, la "plus grande oeuvre d'art qu'il y ait jamais eue dans le cosmos" - phrase qu'il a en vain reniée par la suite ?
Quant au fait que la Norvège ait "mérité" Breivik, c'est une façon sans doute trop ironique, donc excessive, de suggérer qu'à force de ne pouvoir parler de rien dans une Europe régie par l'irénisme politiquement correct on s'expose à des explosions terrifiantes. En outre, que Breivik n'ait été condamné qu'à vingt et un ans de prison en vertu de l'irénique programme réhabilitationniste de ce pays, voilà qui n'est pas moins monstrueux, chaque victime ne valant au tueur qu'une peine 3,27 mois, ce qui nous fait entrer dans l'impardonnable. Enfin, comment comprendre un récent propos de l'écrivain norvégien Erik Fosnes Hansen, selon qui la Norvège a perdu son innocence ? Etait-ce donc un pays si exceptionnel qu'on pût le dire à ce point innocent?
Mon point de vue est celui d'un écrivain et non, comme on voudrait que je le fusse, celui d'un activiste d'extrême droite. J'entretiens avec les divisions politiques qui rongent la France une distance qui m'a toujours isolé. Je ne suis nulle part - ce qui est mon vrai lieu, faut-il le rappeler à ceux qui pensent qu'un écrivain est un animateur littéraire. Je n'ai pourtant, je le redis, aucun goût du scandale et ne suis animé d'aucune haine, surtout pas contre l'islam, dont j'aime, comme le très chrétien Massignon, les mystiques chiites, et n'ayant pas déclaré, comme Houellebecq, que c'était la religion la plus con. Si je reste hostile au surgissement innombrable de mosquées en terre chrétienne, je suis le premier à m'indigner de la destruction d'édifices religieux dans le nord du Mali - destructions qui ne semblent d'ailleurs avoir guère ému les protestataires professionnels.
"Ce n'est pas vous qui êtes extrême, c'est la réalité", m'écrit ces jours-ci un grand philosophe français. Et c'est sans doute pour avoir touché du doigt l'alliance entre l'insignifiance culturelle de l'Occident et le multiculturalisme idéologique que je suscite une telle haine. On me rapporte qu'un folliculaire suggère que je milite pour l'attribution du prix Goncourt des lycéens à Breivik. Qu'on me permette de suggérer la création d'un prix Breivik qui serait décerné à ce genre d'accusateurs pour la qualité de leur haine, leur ignorance volontaire et la volonté de tuer dont ils font preuve à l'égard des chercheurs de vérité.
Quelques têtes molles se croient tenues de clamer leur indignation, parmi lesquelles un multiculturaliste invertébré, un poète liquide, un francophone mal à l'aise dans la langue française, un pop philosophe reconverti dans le méharisme saoudo-qatari, une romancière extralinguistique, une pasionaria de l'aveuglement postracial, des KGBistes de l'inculture active et tous ceux qui, n'en doutons pas, vont chercher à exister enfin à mes dépens... Pourquoi me tuez-vous ?
RICHARD MILLET
Richard Millet et la France
« Ce qu'on appelle littérature, aujourd'hui, et, plus largement, la culture, n'est que la face hédoniste d'un nihilisme dont l'antiracisme est la branche terroriste.» Ces propos à l'allure provocante, mais non provocatrice car ils expriment la réalité de la pensée de leur auteur, ne tombent pas de la bouche d'un Goebbels contemporain, obscurantiste et autodafeur, mais précisément de la plume de l'un de nos premiers écrivains C'est en quoi il ne faut y lire l'ironie d'un jeu adolescent, ou la pose dépressive d'un suicidaire de pacotille à la Cioran, mais en comprendre la sourde tristesse qui forme le masque artistique de la mélancolie qui atteint la France. La France, Richard Millet ne parle que de cela. Il n'en parle pourtant pas comme un sociologue ou un historien, mais avec la magie de ses dons littéraires tout entiers déployés dans trois petits ouvrages qui forment ensemble comme un Shamrock où se résumerait notre agonie contemporaine - insupportable miroir de celui qui servit à saint Patrick à révéler la Trinité.
Avant d'ouvrir ces livres, il se pourrait bien que le lecteur soit pris d'un long vertige à l'idée de se trouver, une fois nouvelle, une fois encore confronté à la complainte de l'anti- anti-racisme qui depuis une petite décennie a été fredonnée par quelques auteurs, comme le dernier refrain de la chute. Mais il se pourrait aussi que, s'il se donne la peine de les lire tous les trois dans le même temps, il réchappe, en quelque sorte émerveillé de ce saut, de la nuit obscure qu'il redoutait. Certes, Finkielkraut, Camus, Zemmour et encore quelques autres ont frappé déjà le boucher protecteur devant les flèches de l'antiracisme de la gauche folle. Millet va plus loin : il bâtit une œuvre, dans le sens le plus profond qu'a presque oublié notre légèreté, et comme le surent des Stendhal ou des Balzac, qui n'est pas simple miroir de ce temps, mais dont le temps à force devient soi-même une production. Son Intérieur avec deux femmes (récit) charroie un narrateur, double presque parfait de l'écrivain, de la Gare du Nord à Amsterdam, où RER et Thalys se répondent dans un dialogue bestial pour décrire l'horreur de la condition du Français contemporain, là perdu dans un cercle infernal où il devient le dernier immigré à force d'être le seul à ne plus l'être, ici ridiculisé par son refus d'adhérer à la glaciation technique. Un narrateur amoureux déçu qui, censé conférer dans un centre culturel quelconque sur la langue française, croît se consoler de la présence des obsédantes mosquées flambant neuves du pays de Rembrandt en contemplant ses toiles au musée, comme le dernier vestige de ce que fut l'Europe humaniste et chrétienne, mais que rentré a Paris, les « incivilités » du RER comme dit la nov- langue, où il voit des «jeunes noirs » harceler une « jeune fille blonde », ramènent à sa déréliction première, qui est finalement autant la sienne propre que, selon lui, celle d'un continent complètement submergé par une absurde invasion.
Qu'on ne s'y méprenne pas, il n'y a nulle intention raciste chez Millet, comme il le raconte dans De l'antiracisme comme terreur seulement le besoin de décrire, quand bien même cela serait inutile parce qu'aucun lecteur ne se présenterait plus pour en prendre connaissance, la déroute d'une civilisation, rongée par les deux bouts, celui des petits-bourgeois héritiers des soixante-huitards qui se dissimulant derrière leurs artefacts « culturels » se révèlent entièrement dépourvus de science de quelque ordre que ce soit, et celui des immigrés-importés, jetés là, et dont l'incompréhension du monde qu'ils hantent en précipite la chute.
Dans Langue fantôme, Millet tisse sa chronique du désastre par la chaîne de la langue, en traitant la France, pays littéraire par excellence naguère, de « république bananiers de la littérature ». Les répugnants soixante-huitards une fois encore sont convoqués dans ce qui n'est pas un tribunal mais un constat final, pour leur entreprise victorieuse en démolition de la langue et de la littérature qui a été réduite à n'être plus que roman, ce genre indéterminé idéal pour l'univers métisse que construit la modernité
Dans cette trinité livresque donc éclate le génie de Millet pour ceci que, derrière les apparences, niant qu'on puisse encore créer une œuvre littéraire aujourd'hui, il en bâtit, pour lui, une entièrement réelle, et certainement grâce aux détours buissonniers qu'il emprunte, et aussi que son chant funèbre est, comme finalement toute prosodie de ce type, dans son essence même un ferment de vie nouvelle - d'une vie non encore visible, mais dissimulée là, sous la terre de France qui n'attend que le signal de l'aurore pour entamer sa germination.
http://www.lanef.net/t_article/richard-millet-et-la-france-jacques-de-guillebon-25653.asp
JACQUES DE GUILLEBON
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature, suivi d’Eloge littéraire d’Anders Breivik, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Richard Millet invité dans Ce soir ou jamais
Ecoutez et regardez à nouveau Richard Millet répondre à Frédéric Taddéi dans l'émission de rentrée de Ce soir ou jamais sur France 3 du 4 septembre 2012.
L'Affaire Millet : un débat faussé
Jérôme Garcin, ici même, a dit ce qu’il pensait du texte de Richard Millet sur le tueur norvégien. Un texte qui fait l’éloge d’un tueur aussi répugnant que Breivik, en n’accordant aucune attention à ses victimes, un tel texte est abject. C’est ce qui doit être affirmé avant toute autre considération. Depuis, on s’est beaucoup agité là-dessus, la question principale devenant, finalement: Gallimard doit-il virer Millet? Autrement dit, encore une fois, on a réussi à mener un débat complètement faussé.
1- Faussé parce qu’il faut lire les textes avant d’en parler. Le titre de Millet, Eloge littéraire d’Anders Breivik, est assez trompeur, et volontairement provocateur. Millet considère Breivik comme un symptôme, un pauvre type sans repères, désespéré par une Europe qui a perdu son identité et sa culture. L’immigration extra-européenne est présentée comme l’une des causes de cette perte d’identité. La thèse est discutable, c’est le moins qu’on puisse dire. On peut aussi considérer que Millet avance masqué, joue de l’équivoque, etc. traitons-le de réac, de crypto-fasciste, allons-y. Pour autant, il n’y a pas dans le texte d’éloge à proprement parler. Ce qui est véritablement inadmissible, encore une fois, c’est de faire aussi peu de cas des victimes.
2- Faussé parce qu’on donne à ce texte un écho excessif. Depuis plusieurs années, Richard Millet recherche très consciemment le scandale. Cela fait partie de sa stratégie d’auto-victimisation. Il n’aime rien tant que se poser en paria, en réprouvé sur lequel s’acharnent les tenants de la «pensée unique». La seule vraie réponse à apporter à son texte serait le silence. Il faut refuser ce piège, cet automatisme de la machine à victimisation. Les vraies victimes sont celles de Breivik.
3- Faussé parce que l’«affaire Millet» est révélatrice du désir de scandale qui est la véritable motivation à la fois de l’auteur et des bonnes âmes qui s’en prennent à lui. Ah, comme on le sent bien, dans certains papiers bien insinuants, bien patelins, ce parfum de gibier débusqué, de scandale recherché pour le scandale. Comme toutes ces bonnes consciences sont au fond reconnaissantes à Richard Millet de jouer le rôle du méchant qui permet de s’assurer d’être du côté du bien. L’article de Raphaëlle Rérolle dans Le Monde du 28 août joue la dramatisation, et, après le cliché obligatoire sur le «milieu feutré» de l’édition, parle de «désarroi palpable» chez Jean-Marie Laclavetine, collègue de Millet au comité de lecture de Gallimard. Désarroi purement imaginaire, comme a pu le constater, chers lecteurs, votre chroniqueur bien-aimé, qui était présent aux côtés de Jean-Marie Laclavetine pendant le coup de téléphone du Monde, et qui n’était pas du tout désemparé, croyez-moi, mais il faut bien faire monter la sauce dramatique, que voulez-vous.
4- Faussé parce qu’il tourne à la chasse à l’homme. Répondre à des mots par des mots reste une attitude au moins légitime. Mais c’est autre chose qui est en train de se passer actuellement. Les chiens sont lâchés. Annie Ernaux demande que les auteurs Gallimard se mobilisent. Dans quel but? Faire exclure Richard Millet de la maison Gallimard? C’était l’idée. Les flics habituels, les Bourmeau et les Kaprièlian, l’ont agitée. Comment, une maison comme Gallimard, garder un salopard de cette espèce! Inimaginable! Mobilisez-vous, braves gens, pour que l’affreux Millet soit à la fois interdit de publication et chômeur. Etrange comme les bonnes consciences de gauche aiment, depuis quelque temps, la censure, le renvoi, le licenciement et l’interdiction. On l’a déjà observé à propos de Renaud Camus et d’Eric Bénier-Bürckel. Autrefois, c’était l’Etat qui interdisait, qui faisait condamner les livres mauvais, dangereux, criminels. Maintenant ce sont les intellectuels progressistes. La liberté d’expression ne serait donc plus une valeur de gauche, alors? C’est au nom de l’humanisme qu’il faut virer et interdire?
5- Faussé par détournement d’objet. Tout tourne autour de la maison Gallimard, où Millet fait un travail d’éditeur unanimement reconnu. On ne parle pratiquement pas de la maison de Roux, qui a publié son texte. Pourquoi les Ernaux, Kapriélian, Bourmeau n’appellent-ils pas, au nom du Bien, du Bon et du Vrai, comme au joli temps du Second Empire, à boycotter, voire à fermer les éditions de Roux? A faire condamner l’éditeur? A mettre son catalogue à l’index?
6- Faussé parce qu’il laisse entier le problème posé précisément par Millet dès le début de son texte, et qui n’a jamais été réellement discuté. Si l’on comprend le sens profond de toute cette agitation, la littérature doit être du côté du Bien. Le Mal n’est pas son affaire, ni l’éloge du mal. Mais alors c’est toute la modernité, globalement, qu’il faut envoyer dans les poubelles de l’histoire, avec Richard Millet. Désormais, la littérature sera morale, comme sous Louis XIV, circulez. Comiquement, en face du papier de Mme Rérolle dans Le Monde, figurait une page sur Bataille, et sur ses illustrateurs«mettant en scène l’innocence noire de cruels jeux d’enfants où tout est permis. Corps accouplés, désarticulés, mutilés, l’indicible bataillien».
Moi, si j’étais Annie Ernaux, je demanderais une mobilisation des auteurs Gallimard pour faire interdire Bataille. Et n’oublions pas que l’entrée de l’abominable Sade dans le corpus des grands auteurs est un des jalons de la modernité. Sans parler de Huysmans, Hamsun, Léon Daudet, Céline, Maurice Sachs, sans parler des écrivains symbolistes, tel Laurent Tailhade, qui se réjouissaient des morts suscités par les attentats anarchistes, sans parler des surréalistes. Millet rappelle que Breton recommandait, comme geste surréaliste, celui qui consiste à «tirer au hasard, tant qu’on peut, dans la foule». Qu’attendons-nous pour nous mobiliser contre tous ces salauds? Que fait la police, notamment la police de la pensée, que fait le commissaire Bourmeau? Il est urgent de censurer tout ça.
Finalement, l’affaire Millet permet d’observer une amusante inversion des rôles: ceux qui se réclament du progrès, comme Bourmeau, pour qui tout ce qui n’est pas moderne est condamnable, nient la modernité littéraire et se réclament d’une conception archaïque des relations entre littérature et morale. Du coup, c’est l’affreux réactionnaire Millet qui se retrouve du côté de la modernité. De la tragédie norvégienne, le milieu littéraire français a réussi l’exploit de tirer une farce.
PIERRE JOURDE
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la langue, suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Une critique stupide et infondée contre Eloge littéraire
Contacté par ActuaLitté, alors que depuis une dizaine de jours, le ciel lui tombe sur la tête, Richard Millet déplore le manque de professionnalisme de la part de la critique et des médias en général. Son Éloge littéraire d'Anders Breivik, publié aux éditions Pierre Guillaume le Roux depuis le 22 août, nourrit en effet depuis une dizaine de jours la polémique. De concert avec le dirigeant de Gallimard, troisième groupe de l'édition française à ce jour, il regrette le vieil idéal de liberté d'expression, tout en qualifiant la critique de « stupide ».
« J'espère au moins que toutes les souffrances que j'ai endurées ces dix derniers jours, ainsi que les désagréments subis par mon éditeur, auront servi à desserrer l'étau en matière de liberté d'expression. » C'est que l'auteur a essuyé de nombreuses attaques verbales et autres tentatives d'intimidations. D'aucuns diront c'est chose commune, le tarif normal pour de tels propos, mais ce qui affole surtout Richard Millet, c'est la stupidité de l'opinion publique et précisément des journalistes encore trop superficiels, quand bien même cela les arrangerait.
"Rien de condamnable... dans mes trois ouvrages"
En effet, si l'ouvrage n'a pas encore éveillé la colère des dieux, il l'a frôlée avec ces 18 pages (voir notre actualitté). C'est que l'auteur et éditeur ne mâche pas ses mots, au-delà de ces quelques lignes abrasives. Le livre heurte de plein fouet le discours traditionnellement policé, où rien ne doit choquer. Et à ce titre, a connu un véritable engouement médiatique - et subi ses assauts.
« Je défie quiconque de trouver une expression condamnable en justice dans mes trois ouvrages, et je regrette que les colporteurs de la critique se soient tous passé le mot sans avoir lu mes trois livres ». Dans l'Éloge, les « métis violacés » sont pourtant logés à la même enseigne que les « blancs cadavériques ».
"Une croisade anti-multiculturalisme"
En outre et d'après l'AFP, Antoine Gallimard a simultanément tranché la question, au nom de la liberté d'expression de son auteur et éditeur. Selon lui les convictions socio-politiques de Millet ne gênent en rien son propre travail « Richard Millet a toujours été un lecteur et un éditeur de qualité, attentif, il n'a jamais failli à son professionnalisme, ni fait jouer ses convictions idéologiques dans ses recommandations littéraires. Les propos tenus dans sont Éloge littéraire d'Anders Breivik, que je ne partage absolument pas, relèvent davantage d'un bric-à-brac intellectuel et d'une volonté de partir dans une croisade anti-multiculturalisme. Il a le droit de les exprimer ».
Et d'ajouter : « Absent de Paris, j'ai été informé du scandale déclenché par la publication du pamphlet de Richard Millet. Je suis choqué par les idées qu'il exprime : utiliser cette effroyable tragédie pour illustrer la fin de notre civilisation occidentale est particulièrement déplacé », précise le PDG à l'AFP.
Des propos conformes à la déclaration de Richard Millet « J'ai toujours entretenu une relation de confiance avec mon éditeur, il n'y a entre lui et moi aucune ambiguïté. » Millet n'avait pour sa part rien à dire sur le jugement d'Antoine Gallimard, qui perçoit néanmoins dans ses convictions politiques un « bric-à-brac intellectuel ». « Que voulez-vous que j'ajoute à cela ? Il a le droit d'être choqué, et j'ai le droit de m'exprimer », ajoute-t-il, comme pour rappeler que les frontières entre la liberté d'expression d'un auteur, les devoirs d'un éditeur et enfin les droits d'un citoyen, sont justement perçues.
L'éditeur indépendant de l'auteur
Et Antoine Gallimard d'ajouter « Son statut d'éditeur deviendrait incompatible avec ses opinions s'il faisait de la maison le champ de propagande de ses convictions personnelles ». Délivrance ! L'avenir nous dira s'il est légitime de crier victoire pour l'auteur. Antoine Gallimard doit d'ailleurs s'entretenir avec Richard Millet le 3 septembre, comme nous le confirme l'écrivain ; rencontre au somment, évidemment.
Pendant ce temps, comme une musique qui voudrait adoucir les mœurs, Richard Millet a remis un nouveau roman à son éditeur. Un texte qui interroge cette fois les rapports amoureux, et le gouffre que peuvent parfois créer les sentiments. Il n'en a pas encore indiqué le titre, mais précise que le narrateur porte un regard ironique sur les sentiments. L'ouvrage devrait paraître en janvier 2013. En attendant, c'est du fond d'un autre gouffre que Richard Millet tente de s'échapper, le piège des mots.
Pour l'heure, la situation chez Gallimard reste sereine, le patron promettant : « Je lui réitère toutefois la confiance que son activité d'éditeur m'inspire, et espère qu'il saura préserver celle que les auteurs avec qui il travaille lui accordent. » Mais du côté de Richard Millet, aucune raison de revenir sur quoi que ce soit : « J'estime que je n'ai pas à me justifier tant la critique a été stupide et infondée. »
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature, suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Peut-être suis-je "insoutenables" ?
L'éditeur Richard Millet s'explique après le scandale provoqué par son Eloge littéraire d'Anders Breivik, le tueur d'Utoya.
Richard Millet, en intitulant l'un des trois livres que vous publiez simultanément Eloge littéraire d'Anders Breivik, vous deviez bien vous douter qu'il susciterait une polémique?
Absolument pas. Je m'attendais à ce que mes ennemis habituels aboient, mais je n'imaginais pas des réactions d'une telle ampleur. Contrairement à ce que certains insinuent, je n'ai pas recherché ce scandale. J'ai tout simplement accompli ma tâche d'écrivain. Mon titre se voulait naturellement ironique -il va de soi que je n'approuve pas les actes commis par Anders Breivik-, mais il semblerait que cette ironie ne soit pas perçue. Je m'interroge : peut-être ai-je été maladroit dans ma formulation ?
Dans votre pamphlet, vous évoquez néanmoins la "perfection formelle" des actes d'Anders Breivik...
C'est une observation technique, non un jugement de valeur. Il a réussi son coup, hélas. Je l'entends au sens où le musicienKarlheinz Stockhausen avait pu attribuer une "beauté luciférienne" aux attentats du 11 septembre (ce qui lui avait valu à lui aussi une violente polémique). Je n'admire pas Breivik, mais la question du Mal me fascine. Pourquoi n'aurais-je pas le droit d'invoquer Breivik, alors que les polars scandinaves ou Bret Easton Ellis auraient le droit de mettre en scène des serial killers?
Breivik n'est pas un héros de papier, il est l'assassin de jeunes gens que vous qualifiez de "petit-bourgeois métissés, mondialisés, incultes, sociaux-démocrates"...
Pour moi, un écrivain est quelqu'un qui voit, qui regarde, sans oeillères le monde réel. Une "écrivaine" m'a reproché un jour d'oser regarder la peau des Français. Eh bien oui, en effet, je pense qu'un écrivain a le droit de regarder la peau et la couleur des Français.
A ce propos, vous observez à plusieurs reprises dans vos livres que vous êtes souvent le seul "Blanc" dans le RER. En quoi cela vous gêne-t-il ?
Je ne me sens pas menacé, mais cela me met mal à l'aise historiquement. Et m'amène à m'interroger : qui suis-je, moi, né voilà bientôt soixante ans dans un pays où tous les gens autour de moi étaient blancs ? J'ai grandi au Liban, au milieu de dix-sept communautés et la question de l'origine me passionne. J'aime les romans des origines et la manière dont ils s'articulent avec le roman collectif. Je rejette évidemment les accusations de racisme qui sont portées contre moi. J'aime les races, les peuples, les frontières, la diversité du monde. En revanche, je ne crois pas qu'une immigration massive de gens qui sont éloignés de nous culturellement et religieusement soit viable. Mais dire cela, c'est déjà s'exposer aux attaques.
Certains vous qualifient d'auteur d' "extrême-droite". Pourriez-vous appeler à voter Marine le Pen?
Non ! Je n'ai jamais voté de ma vie, ni même été inscrit sur les listes électorales. Mon isoloir, c'est le bureau où j'écris. Je ne suis nulle part, politiquement. J'ai par exemple refusé d'être décoré par Nicolas Sarkozy.
A l'exception de Renaud Camus, qui vous a défendu sur le fond tout en regrettant la référence à Anders Breivik, aucun écrivain ou intellectuel ne vous a soutenu. Comment l'interprétez-vous?
J'ai tout de même reçu des coups de téléphone et des messages de soutien privé. Mais peut-être suis-je insoutenable ? Alain Finkielkraut avait été violemment attaqué, l'an dernier, pour avoir osé m'inviter à son émission de France-Culture. Plus généralement, il me semble qu'un climat de repentance pèse sur la France et empêche que l'on débatte librement : selon les censeurs et les propagandistes, nous devrions encore expier les Croisades, la colonisation, Vichy, etc. Ma prise de conscience de ce phénomène date de l'époque où j'étais encore professeur : au tournant des années 90, j'ai compris que l'on ne pouvait plus raconter "notre" histoire en employant le "nous" devant certains élèves, qui manifestaient un refus d'assimilation. Je m'interroge : quelle citoyenneté pour ces gens-là ?
A vous lire, on a parfois le sentiment que la France serait entrée dans une guerre civile sans le dire...
Vous savez, les touristes sont très étonnés de voir des militaires avec des mitraillettes autour du Louvre ! S'ils sont là, c'est bien en raison du risque d'attentats islamistes, non ? Je crois qu'il existe en effet des zones de conflits sur notre territoire, que le Qatar et l'Arabie Saoudite investissent massivement dans notre pays et que la délinquance des banlieues peut s'articuler avec le terrorisme, comme on l'a vu avec l'affaire Merah. Je crois qu'il y a d'autres Merah et d'autres Breivik en puissance dans notre pays.
Plusieurs auteurs - Tahar Ben Jelloun, Annie Ernaux- ont demandé votre départ de Gallimard, où vous exercez la profession d'éditeur. Où en est-on?
Pour l'instant, je n'ai pas eu l'occasion d'évoquer la situation avec Antoine Gallimard, le patron de la maison. Nous verrons bien. Ma situation est très simple : le matin, j'écris chez moi, et l'après-midi, je travaille chez Gallimard, où j'édite et défends des livres qui, d'ailleurs, sont parfois éloignés de moi littérairement ou idéologiquement. J'ai également publié une quinzaine d'ouvrages , essais, fragments ou romans, dans cette maison. Certains, commeDésenchantement de la littérature et L'Opprobre, m'ont valu des attaques. Mais, contrairement à ce qui a été écrit, jamais Antoine Gallimard ne m'a déclaré ne plus vouloir éditer mes essais. Si j'ai publié mes derniers pamphlets chez Pierre-Guillaume de Roux, c'est parce que je pense que pour certains livres particuliers, un petit éditeur est plus efficace qu'un grand éditeur. Il y a toujours eu chez Gallimard une tradition de grande tolérance : Gide y a publié son Retour d'U.R.S.S, un ouvrage très violent, Aragon son Traité du style, Drieu la Rochelle y côtoyait Malraux, Sartre et Céline étaient publiés simultanément. Les temps auraient-ils changé ?
PROPOS RECUEILLIS PAR JEROME DUPUIS
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature, suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik de Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Millet coeur de sniper
En deux pamphlets, l'agent provocateur des lettres françaises vitupère le métissage et la société décadente. Mais, le temps d'un récit, il garde toute sa fraîcheur pour les jeunes femmes.
Ca y est, on le tient, chef ! Le voilà, le méchant, le nazi,le pestiféré des lettres. Nom : Millet Prénom : Richard. Profil : 59 ans, catholique, hétérosexuel, ancien combattant aux côtés des chrétiens au Liban. Délit : publie simultanément trois ouvrages en cette rentrée, un récit et deux brefs pamphlets (dont l'un sous titre, non sans provocation, Eloge littéraire d'Anders Breivik, du nom du jeune Norvégien coupable du massacre d'Utoya), dans lesquels il dénonce sans pincettes le métissage et l'emprise croissante de l’islam sur la société française. Signe particulier : est en même temps éditeur chez Gallimard, maison favorablement connue de nos services, où il a notamment couveéJonathan Littell et Alexis Jenni, tous deux Prix Goncourt
Le RER comme métaphore de notre décadence
On le voit, il y a un cas Millet Lui même enjoué, d'ailleurs « Ainsi, constatant que je suis le seul Blanc, dans la station de RER Châtelet Les Halles, à six heures du soir, ou déclarant que je ne supporte pas de voir s'élever des mosquées en terres chrétiennes, ou encore trouver que prénommer, à la troisième génération, ses enfants Mohammed ou Rachida relève d'un refus de s'assimiler, c'est a dire de participer a l'essence française, tout cela ferait de moî un raciste », note-t-il dans De l'antiracisme comme terreur littéraire. Pour Millet, la station RER de la gare du Nord, avec ses«métis violacés», ses«Tamouls verdâtres » et ses « Blancs cadavériques », serait la métaphore obsédante d'une société décadente, que le « politiquement correct » nous sommerait de célébrer
Mais son propos n'est pas seulement idéologique. Le « prêt-à-porter » littéraire aurait sa part de responsabilité dans cette dissolution généralisée des esprits. Le triomphe du gros best seller américain annoncerait la mort de notre civilisation (Mais, pourrait-on objecter, dans le passé, n'avait-on pas déjà Delly ET Gide, Pearl Buck ET Kafka?) On le sait, pas de bon pamphlet sans noms. Ainsi, après s’en être pris au très « rasoir » Umberto Eco, Millet fustige le discours de réception de Vargas Llosa au Nobel,«tissu de lieux communs politiquement correct» Plus courageux, il ose s'en prendre à l’intouchable icône Le Clezio. «Son style est aussi bête que naïve sa vision manichéenne du monde et ses romans dépourvus de ressort narratif. » Avouons-le, c'est un jugement qui se murmure par fois dans l'entre-soi des cocktails de Saint Germain-des-Prés, mais que l'on a peu l'occasion de lire noir sur blanc ?
Alors courageux ou kamikaze ? Notons au passage que Llosa et Le Clézio sont deux auteurs historiques de son « employeur » Gallimard. Si Millet peut compter sur la neutralité bienveillante des éditeurs de la maison - Sollers, Laclavetine - et sans doute de la direction administrative - rien ne vaut un Goncourt pour renflouer les caisses -, en revanche, certains auteurs Gallimard, comme Annie Ernaux ou Tahar Ben Jelloun, ne cachent pas leur hostilité à son égard. MaIs, après tout, on est là dans une vieille tradition familiale. Malraux et Drieu la Rochelle ne se croisaient ils pas dans les bureaux de la NRF en 1943 ?
Après ces deux pamphlets, on attendait évidemment notre sniper des lettres au tournant. Alors, que vaut son court récit autobiographique, Intérieur avec deux femmes ? Cet aller-retour Paris Amsterdam sur fond de crise amoureuse sorte de Sylvie nervalien où le Thalys aurait remplacé le fiacre, est porté par une tension sourde et une belle langue. Millet s'y montre à la fois « peu sympathique » et touchant, guettant fébrilement, tel un adolescent, le SMS d'une « très jeune femme» qui s'éloigne. II y développe aussi nombre de théories réjouissantes et parfaitement réfutables : que la peau des femmes de plus de 40 ans a la «consistance d'une poire mûre », que tous les lecteurs de L'Equipe sont des débiles mentaux , ou qu'il existe une corrélation entre le degré d'embourgeoisement et le niveau d'épilation du pubis des femmes. On est loin de ses pamphlets ? Pas vraiment… Après avoir aperçu du tram la gigantesque mosquée honnie de Rotterdam, Millet arrive à Paris, gare du Nord. Et plonge dans le RER. Et tout peut recommencer •
JERÔME DUPUIS
Langue fantôme, suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik,
De l'antiracisme comme terreur littéraire
Intérieur avec deux femmes, par Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Les déclarations de guerre de Richard Millet
Richard Millet est tout sauf un écrivain insignifiant. L’adjectif est choisi à dessein : c’est celui qui revient le plus souvent sous sa plume pour désigner indistinctement l’essentiel de ce qui se publie dans l’ordre de la littérature et la plupart des écrivains contemporains. Insignifiant, il ne l’est ni par son œuvre de fiction, ni par ses essais, ni par son engagement et, partant, par la position qu’il se donne sur la scène littéraire et politique, eut-il dénoncé l’inanité même du spectacle qu’elle produit. L’exclure du débat d’idées en le traitant de fou, de réac, de fascistoïde ou de raciste revient à en faire un martyr sacrifié sur l’autel de la Littérature, mort au champ d’honneur dans la défense de la langue et donc de l’âme perdues de la France, ostracisme qui ne serait pas pour lui déplaire mais ne présente aucun intérêt. Il faut le lire et le discuter parce que ce qu’il met en jeu n’est précisément pas insignifiant. Il vient de publier d’un même élan trois brefs livres qui peuvent s’appréhender d’un même regard une fois déployés tels un triptyque de Francis Bacon. La tyrannie de l’actualité a focalisé l’attention sur l’un d’eux aux dépens des autres ; encore n’est-il que l’appendice du texte-amiral : Eloge littéraire d’Anders Breivik paraît à la suite de Langue fantôme (120 pages, 16 euros, Pierre-Guillaume de Roux). C’est cet éloge, long d’une quinzaine de pages à peine, qui fait scandale aujourd’hui.
Qu’y lit-on ? Que, tout en n’approuvant pas l’assassinat de 77 jeunes norvégiens l’an dernier sur l’île d’Utoya (encore heureux), allant même jusqu’à le condamner (que de précautions) tout en lui conférant la noblesse d’un acte politique (ce qu’il est effectivement), Richard Millet est frappé par sa « perfection formelle » comme s'il s'agissait d'une installation néo-surréaliste : il y voit une dimension littéraire dans sa relation avec le Mal, dont la "beauté" le fascine. Un souci esthétique pour un geste artistique que l'on jugera obscène ou abject, ou à tout le moins aussi indécent que le texte dans lequel Salim Bachi se mettait dans la tête de Mohamed Merah au lendemain du massacre de Toulouse. Se flattant d’avoir lu les 1500 pages du délirant manifeste que Breivik avait mis en ligne sur son site (ce qui est effectivement un exploit), il veut voir en lui un patriote à la dérive, un nationaliste à la boussole déréglée par la perte de sens, pris de vertige devant l’abime identitaire qui s’ouvre sous les pieds de tous ceux qui ne reconnaissent plus leur
Occident, désespéré par la fin annoncée de la civilisation en laquelle il avait cru si fort. En lisant donc attentivement le compendiun du tueur en série, Richard Millet a trouvé « des analyses pertinentes de la perte de l’identité nationale ». Il est vrai qu’elles aboutissent à une conclusion qui ressemblent fort à celles d’un certain Richard Millet dont on ne sache pas que les essais soient traduits en norvégien : pour avoir renoncé à défendre ses racines chrétiennes, la France est actuellement en proie à une guerre civile sans nom qui a commencé en 1789 ; la littérature est sa première victime car, telle que l’entend l’écrivain, elle est l’ennemie du nombre, du multiculturalisme, de l’horizontalité, de la perte du sens… In fine, il s’indigne de ce que l’on traite de fasciste tout individu qui ose s’interroger sur la pureté, l’identité, l’origine. Voilà brièvement rappelé l’essentiel de ce texte- et que ni l’auteur ni l’éditeur ne viennent nous dire que le texte n’a pas été lu et qu’ils font l’objet d’une curée ou d’une quelconque campagne. Qui expose s’expose. Tant Richard Millet que Pierre-Guillaume de Roux qui le publie, font preuve d’un certain courage. Mais s’ils n’ont pas conscience de la charge provocatrice de la chose en question, alors qu’ils changent de métier ; et s’ils en ont conscience, comme je le crois, qu’ils en acceptent les conséquences dans toute leur violence.
En fait, cet Eloge littéraire d’Anders Breivik n’a d’intérêt que parce qu’il s’inscrit dans le combat personnel d’un écrivain exigeant, qui se fait une très haute idée de la littérature, sanctuarise la langue dans l’espace de la loi et l’écriture dans celle du sacré. Une véritable guerre. C’est elle qu’il cherche et non les coups ou la bagarre et surtout pas le duel à fleurets mouchetés. Ancien compagnon de route des Phalanges chrétiennes au Liban (1975-1976), ce qui le place au moins dans le camp peu fréquenté des écrivains qui mettent leurs actes en accord avec leurs idées (si toutefois cet engagement passé n'est pas de l'ordre du fantasme), il est de ceux qui s’enivrent de l’odeur de la poudre. Comme pour prouver l’unité du tout, c’est dans son pamphlet De l’antiracisme comme terreur littéraire (90 pages, 14,90 euros, même éditeur) que l’on trouve une justification indirecte du geste d’Andres Breivik : « Le goût des armes ne me quitte pas. Qui ne s’est jamais battu à l’arme automatique ignore tout du chant de la kalachnikov ou du M16 et de la danse qu’ils suscitent, dans laquelle le fait de tuer peut donner, hors toute cruauté, au cœur de l’action, une jubilation singulière ».
De même que dans son essai Langue fantôme ou dans son récit Intérieur avec deux femmes (140 pages, 16,90 euros, même éditeur), Richard Millet enfonce un clou, un seul, le même depuis un certain temps, avec une constance remarquable au risque de se répéter et de lasser (en quoi il fait penser à Philippe Muray qui, inlassablement de livres en articles, enfonça le clou de la dénonciation de l’homo festivus ). Cette fois, il prend Umberto Eco comme paradigme de la décadence de la littérature au motif qu’il a retouché le Nom de la rose pour les jeunes (bof…), de sa dégradation en prêt-à-porter romanesque international rebaptisé « postlittérature », le roman ayant laissé place à la « narratique ». Il est à ses yeux un acteur-clé de cette paupérisation, les coupables étant mai 68, la démocratie, le multiculturalisme et son « cloaque ethnique », le tiers-mondisme culturel, le terrorisme de l’antiracisme, l’abandon de la chronologie, le renoncement aux racines gréco-latines et chrétiennes de la langue, la haine du savoir, de la pureté, de la grandeur. Voilà comment une grande nation littéraire comme la France est devenue la République bananière des Lettres. En chemin, on glane une belle définition du classique (« Emet des signes longtemps après sa mort »), une juste reconnaissance de Sebald pour avoir perpétué la littérature sans recourir au roman et dans un style d’emblée reconnaissable, et un scoop (les néo-écrivains travaillent le plus souvent en équipe).
Millet, qui n’en est pas à un excès près (mais n’est-ce pas la loi du genre pamphlétaire ?) ne fait pas de différence entre l’architecture de l’Opéra-Bastille et celle d’un centre de Sécurité sociale. Pire : il homogénéise ses cibles pour les besoins de sa démonstration. Ainsi les romanciers francophones sont-ils rejetés en bloc, de même que les écrivains français (« vulgarité quasi générale »), les belles âmes et les grands têtes molles (suit une rafle emportant Murakami, Garcia Marquez, Lessing et surtout Le Clézio), les « cadavres dansants » de la médiocrité littéraire (Sagan, Gary, Nemirovsky), les blogs « ces champs d’épandage ». Il y a dans cette apocalypse annoncée une dimension crépusculaire et testamentaire qui fait froid dans le dos car Richard Millet, qui place le style au plus haut, est aussi l’auteur de grands livres (La Gloire des Pythre, Lauve le Pur,
Ma vie parmi les ombres, L’Orient désert, Le Sentiment de la langue…) et qu’il possède les armes pour toucher et émouvoir tout en évitant le pire du pathos. Même si, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire, il n’est pas la réincarnation du grand Bernanos ou de Léon Bloy. Il se voit soldat perdu d’une cause qui l’est tout autant, franc-tireur dans le champ de ruines moral et intellectuel d’une Europe dévastée, objet de la haine unanime de ses contemporains, éternel exclu des médias (ce qui est faux), ne disposant plus que du bouclier Lévi-Strauss pour se protéger de l’accusation de racisme. Dans sa dérive paranoïaque, le proscrit autoproclamé se campe seul, esseulé, solitaire. Minoritaire au sein d’une minorité. En retrait comme Blanchot en sa place des Pensées. Plus et mieux : un écrivain maudit. Suicidé de la société, il s'imagine en ultime héraut de la pureté dans un champ d’ordures – à ceci près qu’Artaud, lui, ne siégeait pas au comité de lecture de Gallimard mais à l’asile de Rodez. Non seulement il veut se placer sur le terrain de Thomas Bernhard par un processus assez naïf d’identification, mais il veut être le seul à le défendre de l’accusation de nihilisme et le seul à avoir relevé sa puissance comique (désolé mais non, d’autres l’ont fait). Sur bien des terrains (défense de la langue ou d’une certaine idée de l’éducation et de l’enseignement, dénonciation de la doxa politiquement correcte), il y rejoint pourtant Renaud Camus, Alain Finkielkraut, Pierre Guyotat, Pierre Bergougnioux, Pierre Michon et d’autres. Mais effrayé par le monde qui s’annonce, il voudrait être le dernier des Mohicans.
Si c’était une pièce de théâtre, un seul décor suffirait, issu des dernières pages de Intérieur avec deux femmes : un wagon de RER entre Paris et Arcueil la nuit, dans lequel Richard Millet serait le seul Français de souche de race blanche hétérosexuel et catholique, entouré d’immigrés, noirs, maghrébins et musulmans, prêts à lui tomber dessus après avoir violé une passagère. Il faut un certain courage pour exprimer ses angoisses, ses fantasmes, ses névroses, ses cauchemars et ses peurs.
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature, suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Richard Millet répond à la polémique
Richard Millet répond à la polémique déclenchée par la publication de Langue fantôme, essais sur la paupérisation de la langue, suivi d'Eloge littéraire (Pierre-Guillaume de Roux), sur le plateau d'I-Télé.
Richard Millet crée la polémique avec un éloge de Breivik
L'essayiste et romancier français, Richard Millet suscite une nouvelle polémique avec son "Éloge littéraire d'Anders Breivik".
"Même les maîtres à penser de l’extrême-droite ne sont guère aventurés à commenter les massacres perpétrés en Norvège". L’un des enfants terribles de la littérature française, l'écrivain Richard Millet, est de nouveau au centre d'une polémique en France. En cause, son "Éloge littéraire d'Anders Breivik", publié aux éditions Pierre Guillaume de Roux.
Anders Breivik est l'extrémiste de droite norvégien qui, le 22 juillet 2011, avait fait exploser une bombe près du siège du gouvernement à Oslo, faisant huit morts et une trentaine de blessés, puis avait tué 69 autres personnes, des adolescents pour la plupart, en ouvrant le feu sur un rassemblement de la Jeunesse travailliste sur l'île d'Utoeya.
Il a été condamné, vendredi 24 août, à 21 ans de prison avec possibilité de prolongation, la peine maximale. Lors de son procès, Anders Breivik a dit avoir commis ces actes "atroces mais nécessaires" pour préserver la Norvège du multiculturalisme.
Dans son "Éloge", qui fait partie du recueil "Langue fantôme", Richard Millet, essayiste polémique, défenseur de l’identité chrétienne, commence par préciser, rapporte l'Express : "Je n’approuve pas les actes commis par Breivik le 22 juillet 2011. C’est pourtant sur ces actes que je me pencherai, frappé par leur perfection formelle, donc, d’une certaine façon, par leur dimension littéraire, la perfection, comme le Mal, ayant toujours peu ou prou à voir avec la littérature".
"Une habile précaution oratoire", selon l'hebdomadaire français, qui qualifie l’Éloge de "déplaisant".
Puis Millet écrit, selon des passages de son "Éloge" rapportés par Le Point, que Breivik est "sans doute ce que méritait la Norvège et ce qui attend nos sociétés qui ne cessent de s’aveugler". Sur quoi ? "Les ravages du multiculturalisme", "l’islamisation de l’Europe" et son renoncement à
http://www.lorientlejour.com/news/print.php?id=775280 Page 1 sur 2L'Orient-Le Jour | Richard Millet crée la polémique avec un éloge de Breivik 28/08/12 17:16
l’"affirmation de ses racines chrétiennes". Que Breivik, enfin, "est tout à la fois bourreau et victime, symptôme et impossible remède".
"Au fil d’un texte vindicatif, Millet définit Breivik comme un +produit exemplaire de la décadence occidentale+, un +enfant de la fracture idéologico-raciale que l’immigration extra-européenne a introduite en Europe +", note L'Express. "Son crime s’expliquerait ainsi par la perte d’espoir et d’identité nationale en Occident", poursuit l’hebdomadaire.
Pour Millet, l’acte d’Anders Breivik ne doit pas être réduit à un accès de folie. "Le déclarer fou, c’est l’occasion de ne surtout pas ouvrir les vrais débats, sur la présence islamique, par exemple. De se voiler la face". Breivik n’est pas fou, continue Millet, il est le signe "désespéré et désespérant, de la sous-estimation par l’Europe des ravages du multiculturalisme". Ses actes sont "au mieux une manifestation dérisoire de l’instinct de survie civilisationnel".
Le Point critique vertement l’écrivain qui fait partie du comité de lecture de Gallimard. "On ne fera pas mieux aimer la littérature, ni même le génie du christianisme en accordant sa compréhension, sinon son absolution, à un tueur d’adolescents. Quand bien même, sans que l’on comprenne vraiment le rapport, ce tueur, comme l’écrit Millet, aurait pu être écrivain".
Pour le quotidien Le Monde, Richard Millet "déroule avec rage la litanie des haines qu’il a déjà déversées dans d’autres écrits, notamment Opprobre, paru chez Gallimard en 2008. Inscrit dans une pensée d’extrême-droite qui n’hésite pas à esthétiser la violence, Millet n’en est pas à ses débuts, en matière d’anathème". "Même les maîtres à penser de l’extrême-droite ne se sont guère aventurés à commenter les massacres perpétrés en Norvège", poursuit Le Monde.
Et le journal de souligner que la gêne se fait sentir chez Gallimard. "Que faire d’un salarié particulièrement efficace faiseurs de prix littéraires, mais dont la dérive idéologique s’aggrave de livre en livre ? s’interroge Le Monde. D’autant qu’en mai 2012 les éditions Fata Morgana ont publié un pamphlet (Printemps syrien) dans lequel Richard Millet, fidèle à ses engagements passés auprès des phalangistes libanais, apporte un vigoureux soutien à Bachar el-Assad".
Richard Millet a une histoire particulière avec le Liban où il a vécu entre 6 et 14 ans et où il est revenu pour combattre avec les chrétiens pendant la guerre civile. Il est l'auteur, entre autres, de "La fiancée libanaise" et de "La Confession négative", tous deux publiés chez Gallimard.
Dans le magazine ActuaLitté, l'éditeur de l'"Éloge", Pierre Guillaume Roux, exprime sa colère face aux critiques. "C'est évident, ils n'ont pas lu ce livre. (...) Ils veulent le tuer, le calomnier de toutes les manières. Ce sont des attaques avec la volonté de détruire".
Dans le même magazine, Richard Millet répond aux critiques en affirmant que "c’est le jeu institué, il faut +penser bien+, c’est-à-dire ne pas dire autre chose que ce qui est attendu. Un écrivain doit regarder ce qui se passe et dire ce qu’il voit. Mais pas en France".
http://www.lorientlejour.com/category/�+La+Une+(Slideshow)/article/775280/Richard+Millet+cr.html
Pour mémoire, dans L'Orient Littéraire
Richard Millet : l’adieu au roman Millet, promeneur en chambres, La confession d'un innocent
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature, suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Richard Millet au journal d'Arte
Le 28 août, une équipe d'Arte a interviewé Richard Millet dans nos bureaux de la rue de Richelieu.
Un sujet complet a été consacré à Eloge littéraire d'Anders Breivik dans le journal d'Arte de 19h45.
La polémique se poursuit.
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature, suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivk de Richard Millet
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Richard Millet au coeur d'une violente polémique
L'écrivain est accusé par les médias de racisme et d'apologie du crime. La poémique fait suite entres autres, à la publication de son essai Éloge littéraire d'Anders Breivik, le meurtrier norvégien condamné à 21 ans de prison.

Romancier reconnu, essayiste couronné par l'Académie française, éditeur (chez Gallimard), Richard Millet a fait l'objet ces derniers jours d'attaques particulièrement violentes et pernicieuses venant à la fois de la presse écrite et d'écrivains, y compris de sa propre maison d'édition. Le motif de cette vindicte unanime: la publication simultanée de deux textes: un pamphlet intitulé De l'antiracisme considéré comme terreur littéraire, et d'un essai, Langue fantômesuivi d'Éloge littéraire d'Anders Breivik, le meurtrier norvégien condamné à 21 ans de prison à l'issue de son procès à Oslo.
«Richard Millet ‘perd la tête'»?
Ses détracteurs lui reprochent son racisme supposé, sa dénonciation des «ravages du multiculturalisme» et la défense de l'assassin d'Utoya. Avant même la sortie en librairie des textes en question (le 22 août), Le Nouvel Observateur a parlé de «livre abject». Le Monde, dans ses éditions en date du 28 août a donné la parole à plusieurs auteurs, dont l'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun qui estime que Richard Millet «perd la tête» et le romancier éditeur (lui aussi chez Gallimard) Jean-Marie Laclavetine qui précise que «ce n'est pas la première fois qu'il publie des choses inacceptables». Entre-temps Le Point s'est déclaré «triste pour cet homme qui avait du style et le gâche dans des propos suicidaires».
«C'est ignoble. Cette polémique est de très bas niveau»
Pour son éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, contacté mardi dans l'après-midi, «il s'agit d'une véritable curée à laquelle se livrent les éternels donneurs de leçon qui ne se sont même pas donné la peine de lire les ouvrages incriminés. Millet est pourtant clair dans ses 18 pages sur Breivik: jamais il n'y porte l'assassin aux nues! C'est ignoble. Cette polémique est de très bas niveau. Il n'y a là aucun débat, sinon l'opprobre généralisé, l'anathème aveugle. C'est le rôle de la littérature, et Richard Millet est un immense écrivain, d'être à l'écart, de susciter l'intranquillité, de déranger.Aujourd'hui, les soi-disant chantres de la liberté veulent fermer la bouche de Millet.»
Les textes en question sont-ils coupables aux yeux de la justice? Pour l'heure, aucune action n'a été engagée… La polémique enfle et continuera d'enfler aux cours des prochains jours, largement relayée par les médias.
THIERRY CLERMONT
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
French Essayist Blames Multiculturalism for Breivik’s Killing Spree
Richard Millet is an accomplished figure in French literature. His book Le Sentiment du Langue (The Feeling of Language) won the Académie Française’s 1994 essay award. His work as an editor for celebrated publisher Gallimard, meanwhile, helped produce two recent Prix Goncourt winners — including the 2006 novel Les Bienveillantes (The Kindly Ones) by American author Jonathan Littell. Now, however, Millet is getting attention of an entirely different kind with a new work attacking immigration and multiculturalism, and describing the acts of convicted Norwegian mass murderer Anders Behring Breivik as “formal perfection … in their literary dimension.”
That bookish qualifier, says newsweekly L’Express in its critique of Millet’s new essay, “Éloge Littéraire d’Anders Breivik” (Literary Elegy of Anders Breivik), is a “gratuitous facade” for an otherwise “vindictive text” and thesis. Indeed, though Millet states he does not approve of Breivik’s murderous actions on July 22, 2011 that left 77 people dead, he does write the slaughter was “without doubt what Norway deserved.” The reason? Norway, Millet contends, allowed immigration, multiculturalism and the domination of foreign customs, language and religion to become such dominant influences that a self-designated defender of traditional society felt compelled to take decisive action.
(MORE: When Slogans Beget Slaughter)
“Multiculturalism, as it has been imported from the United States, is the worst thing possible for Europe … and creates a mosaic of ghettoes in which the [host] nation no longer exists,” Millet told France Info radio on Aug. 27. “Breivik, I believe, perceived that and responded to that question with the most monstrous reply.”
Little wonder that such views — published just as Breivik was being sentenced Aug. 24 — have sparked controversy in France. As word of Millet’s writing spreads, so too may the objections it has inspired.
(PHOTOS: Explosion and Shooting Rock Norway)
If so, that may only serve to reinforce Millet’s accusations that most of Europe — and indeed the West — is dominated by the same attitudes that motivated Breivik’s attack. Breivik, Millet writes, is “an exemplary product of Western decadence” and a “child of the ideologico-racial fracture that extra-European immigration has introduced in Europe.” Because he sees the resulting “loss of national identity” and “Islamization of Europe” decaying “Christian roots” everywhere, Millet appears to believe acts similar to Breivik’s may be replicated outside Norway as well.
“Within this decadence, Breivik is without doubt what Norway deserved, and what awaits our societies that won’t stop blinding themselves in denial,” Millet writes in “Éloge Littéraire d’Anders Breivik,” one of three essays published under the collective title Langue Fantôme (Ghost Language) on Aug. 24 by publisher Éditions Pierre-Guillaume de Roux. “European nations are dissolving socially at the same time as they’re losing their Christian essence in favor of general relativism.”
(MORE: Why Norway Is Satisfied with Breivik’s Sentence)
After the disclaimer in which he insists he does “not approve of the acts committed by Breivik,” Millet admits being “struck by their ‘formal perfection’ and ‘literary dimension.’” But unimpressed critics contend Millet’s artistic conceit and florid prose rationalizing Breivik’s acts are little more than an apology advancing extreme-right doctrine. In its Aug. 27 review, the daily Le Monde points to his accompanying essay, “De l’Antiracisme Comme Terreur Littéraire” (Antiracism as Literary Terror) as reflecting Millet and his conservative worldview:
The man hates a lot, and [does so] in a refined style that’s sometimes obscure. But it’s sufficiently clear for the objects of his malice to distinctly appear: social democracy (and democracy, full stop), extra-European immigration, the remainders of Marxism and their supposed corollaries of ignorance, political correctness and the weakening of language. All of that is leading to the crumbling of Europe — a decomposing continent where “a civil war is under way.”
Though such views are regularly championed by the extreme right, their association with Breivik’s massacre is something leaders like Marine Le Pen of France’s National Front party have assiduously avoided. Indeed, Le Pen has attacked efforts to explain or justify Breivik’s killing spree as a consequence of extreme-right views put into action. Given the enduring taboo of seeking to explain Breivik’s acts as anything short of madness, Millet’s essay may not only lead Le Pen to deny any ties to the author or his work — but may also force the venerable Gallimard to do likewise.
(PHOTOS: Inside the World’s Most Humane Prison)
Though the famous Paris publisher has no involvement with or responsibility for Millet’s controversial essays, it’s nevertheless coming under pressure to sever its relationship with a man airing such controversial views. On Monday, francophone Moroccan author Tahar Ben Jelloun called Millet’s essay a “ridiculous, useless and, above all, disgusting provocation.” Ben Jelloun told France Info that Gallimard, publisher of Ben Jelloun’s books, had to realize Millet “can’t be part of this organization and, elsewhere, propose such horrible things.”
Author Annie Ernaux agreed, telling Le Monde on Monday that Millet’s writing represents “a dangerous political act” by a Gallimard employee that “engages the responsibility of the company.” She said “a collective reaction from all Gallimard writers” to force action on Millet’s case is now under consideration.
But even as he echoed the “indignation over such cretinous and notorious statements,” Gallimard author Jean-Marie Laclavetine nevertheless told France Info that people protesting Millet’s essays must “be careful about [becoming] thought police”
“Everyone has the right to think as he wishes and write what he wants,” Laclavetine said. “I think it would be very bad for Gallimard to fire him. I too wish Richard didn’t think what he thinks and wrote what he wrote, but that’s his right.”
(MORE: Have We Turned a Blind Eye to Domestic Terrorism?)
Neither the controversy surrounding his essays nor calls for his ouster from Gallimard seem to bother Millet. Indeed, the man who described Breivik’s 77 victims as “mixed-raced, globalized, uncultivated, social-democrat petit bourgeois,” appears to take a certain pride in the anger and consternation his essays have provoked.
“I’m one of the most hated French authors,” he told France Info on Monday. “It’s an interesting position that makes me an exceptional being.”
Given his previous accomplishments as an editor, Millet could have made that literary boast before publishing his essays. Now that they’re out, he can add peerless polemicist — and possibly leading ideologue — of Europe’s extreme right to that list of distinctions.
MORE: Anders Behring Breivik, the Extremist Behind Norway’s Tragedy
Read more: http://world.time.com/2012/08/28/french-essayist-blames-multi-culturalism-for-breiviks-norwegian-massacre/#ixzz25QpS8jR1
Richard Millet : "L'Europe meurt d'insignifiance et de consensus"
Exclusif ActuaLitté : C'est actuellement le livre qu'il faut abattre, signé par un auteur-éditeur, Richard Millet, dont certains journaux veulent la peau. Auxditions Pierre Guillaume de Roux, qui publient ses trois ouvrages, on nous répond d'ailleurs avec une pointe d'agacement. « Vous appelez pour Richard Millet ? » La messe est dite. Faut reconnaître que depuis plusieurs semaines, tout le monde s'est passé le mot, et le dernier billet en date de Jérôme Garcin ne fait qu'enfoncer le clou. « Oui, tout le monde en parle, mais en diffusant une vaste désinformation sur le livre », regrette la maison
Richard Millet, c'est un éditeur installé aux éditions Gallimard. Et depuis quelques années, « il dérape. Pour ne pas dire qu'il vrille complètement », souligne un collaborateur de la maison. « C'est un bon écrivain, très classique, mais cela fait un moment qu'il se lâche dans ses déclarations. » Ah, oui, il sera reproché à ce courageux anonyme de conserver le silence sur son nom. Mais l'omerta, n'est-ce pas.
Licence to Kill
L'éditeur, Pierre Guillaume de Roux ne décolère pas, devant les réactions et critiques de la presse. « C'est évident, ils n'ont pas lu ce livre. Le magazine qui se prétend littéraire parle même d'un 'roman', comme pour prouver qu'ils ne l'ont pas ouvert. Ils veulent le tuer, le calomnier de toutes les manières. Ce sont des attaques avec la volonté de le détruire, sans même s'être penché sur le livre. » Et si on évoque de la part de Richard Millet des dérapages, comme cette émission de juin 2011, face à Finkielkraut, l'éditeur nous rétorque : « C'est un homme qui observe, en écrivain, une civilisation qui passe son temps à se dénigrer. Mais avec des propos que l'on ne peut tenir. Il défend une culture à laquelle il est viscéralement attaché, refuse le communautarisme : sont-ce là des choses qui sont répréhensibles ? »
Et l'auteur, pour sa part, ne tient pas un autre discours, dénonçant une presse qui ne s'est intéressée qu'à « 25 pages d'un appendice, quand je publie trois livres. C'est un procédé connu depuis Staline : déconstruire, extraire des citations, les détourner ».
Ne sachant pas s'il faut y voir des attaques contre son poste d'éditeur chez Gallimard, ni des remugles de l'article que Nicole Caligaris avait publié dans Le Monde, Richard Millet répond sans détour : « C'est le jeu institué, il faut “penser bien”, c'est-à-dire ne pas dire autre chose que ce qui est attendu. Un écrivain, doit regarder ce qui se passe et dire ce qu'il voit. Mais pas en France. Cette histoire est ridicule : je suis dans le métro, et je vois une personne... de couleur ? Est-ce comme cela qu'il faut dire ? Quelle circonlocution ! Bien, et j'éprouve un sentiment de solitude, de... Caucasien ? Faut-il employer ce terme pour me définir. Tout ce cirque pour dire que je suis un blanc, seul, dans un RER, entouré de noirs ? Bien sûr, cette situation me pose des questions, et je l'exprime simplement. Oui, je regarde les gens, et je regarde leur peau, mais enfin, je ne m'arrête pas à cela : je pose des questions. Ces reproches sont aberrants. »
Focus sur l'affaire Breivik
Alors ce petit livre, qui débute par un exergue de Drieu La Rochelle -- réminiscence d'une relecture du Feu follet, qui a inspiré le film Oslo 31 août - mérite-t-il les attaques subies ? L'affaire Breivik souffre-t-elle qu'on lui consacre un Éloge littéraire ? « Cette formulation est évidemment ironique. Breivik, c'est un cas qui devrait nous questionner tous, en cette ère post-ittéraire, alors qu'il est l'illustration autant que le symbole de la ruine de l'Europe. D'ailleurs, au cours du procès, Breivik s'est lui-même présenté comme un écrivain, c'est aussi qui m'a interpellé. »
Le livre débute ainsi :
Au moment d'entreprendre ce qui pourrait être un Éloge littéraire d'Anders Behring Breivik, je voudrais qu'on garde à l'esprit que je n'approuve pas les actes commis par Breivik, le 22 juillet 2011, en Norvège. C'est pourtant sur ces actes que je me pencherai, frappé par leur perfection formelle, donc, d'une certaine façon, et si tant est qu'on puisse les détacher de leur contexte politique, voire criminel, par leur dimension littéraire, la perfection, comme le Mal, ayant toujours peu ou prou à voir avec la littérature.
Le dernier en date des détracteurs, ce fut Jérôme Garcin, pour le Nouvel Observateur. « Mais tout le monde a oublié quelle fut la couverture de l'Obs au moment des faits, l'an passé ! C'était, à s'y méprendre, ressemblant à une couverture de Millenium. En changeant le visage de Breivik, par celui d'un acteur comme Brad Pitt ou Tom Cruise, on aurait eu une affiche de film. Simplement parce que les médias ne se sont pas interrogés sur ce qui s'était tramé. Ne pas chercher plus loin que la folie pour comprendre cet acte. Alors que ses motivations sont tout aussi claires que nombreuses. Et qu'à la différence de tous les actes de criminalité de ce genre, Breivik n'a pas retourné son arme contre lui - ainsi qu'il faut dire avec la plus grande retenue - mais il s'est rendu à la police. En faire un film ne fera pas assez vendre ; on aura besoin de rafistoler le scénario, pour un film. »
Où chercher alors ? « Dans cette rupture culturelle, dans cette identité qui est malmenée, perdue, et qu'on voudrait défendre pourtant. Quand un groupe islamiste réclamen cette année à la Norvège de pouvoir profiter d'un territoire indépendant, pour avoir le droit d'appliquer la charia, ne peut-on pas considérer que l'identité d'un pays est menacée ? Est-il simplement interdit de poser la question ? » (voir l'information) « Et que Breivik inspire, ou suscite des vocations, au point que, dernièrement, en République tchèque, un jeune a été arrêté alors qu'il s'apprêtait à commettre les mêmes crimes, prétendant protéger les mêmes valeurs. Or, il se revendiquait de Breivik ; un symbole supplémentaire, une marque de cette perte globale d'identité, face aux manifestations communautaires, de plus en plus
fortes. »
La "perfection formelle" ou "la plus grande oeuvre d'art réalisée" (Libération)
Le petit livre contient donc 25 pages qui interrogent : comment, en Europe, dans l'héritage des Lumières, peut-on provoquer l'apparition d'un Breivik ? « C'est un immense mensonge médiatique de ne pas voir que cette question se pose au plus haut point. De croire - et faire accroire - que, dans le rêve d'une immigration idéalisée, il serait possible qu'un homme venu de Syrie, puisse se fondre dans la population aussi simplement qu'un autre venu de Belgique. L'immigration musulmane dans les pays nordiques pose un problème, comme dans d'autres endroits. Cela, il faut le taire. Et pourquoi ? Ne serait-il pas préférable de s'interroger ouvertement ? » C'est en cela que le cas Breivik est intéressant, pour ce qu'il tente d'exprimer quelque chose, un combat, complètement perdu dans une volonté de préserver un certain idéal, une vision. Dans le texte, l'auteur ajoute :
Je ne cherche pas à faire de la socio-psychologie politique ; je ne suis pas un « expert », et nullement proche de Breivik dont, je le répète, je condamne les actes ; je constate que la dérive de Breivik s'inscrit dans la
grande perte d'innocence et d'espoir caractérisant l'Occident, et qui sont les autres noms de la ruine de la valeur et du sens.
« Aujourd'hui, des auteurs comme Stephen King maîtrisent les trames de l'horreur. Et tout un chacun admire son ingéniosité, tout comme celle des romanciers nordiques, prompts à découvrir des complots nazis qui s'abîment dans des histoires sordides. Et l'on salue l'ingéniosité avec une grande fascination. Alors, oui, Breivik montre abominablement que tout cel est possible dans la réalité. Il en devient fascinant, mais dans l'horreur de son acte. Fascinant de découvrir la méthode avec laquelle il s'est équipé en arme, a posé son geste, méticuleusement, la manière dont il s'est rendu - pas assez spectaculaire pour que l'on en fasse toutefois un film. Mais ce que je décris comme une “perfection formelle” ne signifie nullement que je l'approuve. »
Une folie plus confortable
À plusieurs reprises, dans le livre, Millet marque sa désapprobation, condamne les actes de Breivik. Mais il n'oublie surtout pas de dénoncer le jugement qui sera rendu demain ; le tribunal proposera la folie, et ce sera l'internement à vie, plutôt qu'une peine de 20 années, au terme desquelles Breivik sortairait âgé de 52 ans. « Mais le déclarer fou, c'est l'occasion de ne surtout pas ouvrir les vrais débats, sur la présence islamique, par exemple. De se voiler la face. Et je ne suis hostile à rien du tout ; je ne crois simplement pas à un mélange à haute dose, contrairement à ce que le capitalisme et les médias tentent de nous faire avaler. L'Europe n'est pas l'Amérique, qui n'est elle-même pas un melting-pot, mais une mosaïque de communautés qui s'observent et prônent chacune pour leur communautarisme. Mais cela, on préfère ne pas le dire. De même qu'il serait déplacé de dire qu'au Brésil, être blanc signifie être proche du pouvoir. La France, elle, refuse qu'un écrivain puisse exister, ou ouvrir des dossiers autrement qu'à la manière dont les autres l'ont sagement fait. »
Nous y sommes : le domaine du politiquement correct et de son vernis frappeur. « Notre insignifiance et le consensus ambiant auraient tué Marcel Aymé, qui combattait le confort intellectuel, déjà. Cette chère, si précieuse liberté d'expression, il nous faut l'employer, mais à condition de ne rien dire, sinon ce vague discours droitdelhommesque. Mais même sur ces points, la France n'est pas exceptionnelle : c'est ainsi pour toute l'Europe qui meurt d'insignifiance et de consensus. »
Alors, ce traité, cet éloge littéraire à Breivik, comment s'arrêter au seuil, et le condamner, si hâtivement ? « On reproche aux auteurs nordiques de polars, de n'avoir pas prévu Breivik. Et puis, on va puiser dans quelques textes anciens, dans les épopées, de quoi retrouver des origines violentes, chez les peuples scandinaves. On bricole une archéologie fantaisiste, et l'on en arrive à rendre la littérature responsable de ces meurtres. Je le souligne : Breivik n'est que le marqueur d'une ruine familiale, dans un contexte où le nombre de divorces est en permanente augmentation, autant que de la fracture idéologico--raciale ambiante. »
Les limites de l'esprit
Avant de conclure : « Il faudrait revoir cet incroyable film, La chute du Faucon noir, et comprendre différemment ce passage où un noir dit à un blanc : “Vous autres, Américains, vous vivez tellement vieux, que vous vous ennuyez.” N'est-ce pas une incroyable assertion et une triste réalité que de voir cet Occident qui s'ennuie et s'affaisse ? » Et
de rappeller, nécessairement, que Breivik « a agi seul, et non en accord avec un programme terroriste, ses actes étant au mieux une manifestation dérisoire de l'instinct de survie civilisationnel ». Les critiques - lapidaires ou justifiées, c'est selon - auront alors dévoilé ce qu'il fallait comprendre : chacun apporte les réponses qui lui viennent aux interrogations posées. Et l'on ne trouve finalement que ce que l'on est en mesure d'y apporter.
Il n'est jamais question d'apporter de la reconnaissance, mais bien de reconnaître, c'est-à-dire d'identifier, de discerner. Si l'on est dans l'abject, c'est que l'assassinat de 77 personnes est monstrueux. Et pas plus de suicide dans ces propos que de lucidité dans l'impérieuse nécessité de questionner - d'aiguillonner, se prenant pour le poisson-torpille que les contemporains d'un certain Socrate haïssaient en leur temps.
Les temps changent, dites-vous ?
A lire (tant c'est rapidement expédié)
NICOLAS GARY
http://www.actualitte.com/societe/richard-millet-l-europe-meurt-d-insignifiance-et-de-consensus-36200.htm
Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Richard Millet sur France Inter
Ecoutez Richard Millet sur France Inter au sujet de Langue fantôme, essai sur la paupérisation de la littérature suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik et de De l'antiracisme comme terreur littéraire (Pierre-Guillaume de Roux, 2012) qui fait la polémique de cette rentrée de septembre.
Le démon de l'écriture
S'il est un écrivain à qui pourrait s'appliquer le très galvaudé qualificatif d'«inclassable», c'est bien Fabrice Pataut. Cet éminent philosophe des mathématiques, élève de Jean-Toussaint Desanti, charge de recherches au CNRS, traducteur de John Stuart Mill (De la liberté), de Michael Dummett (Philosophie de la logique) et par ailleurs de Paul Bowles, cet homme habillé et chaussé sur mesure cache sous son élégance un démon qui s'éveille la nuit, et pas n'importe quel démon : le démon de l'écriture.
Fabrice Pataut a publié quatre romans Aloysius, paru en 2001 chez Buchet-Chastel, a été réédité en 2009 dans la collection « Motifs » avec une préface d'Alberto Manguel, qui semble avoir tout compris des intentions de l'auteur puisqu'elle est intitulée « Le travail du diable » . « Le monde de Pataut est un monde de prodiges, les garçons adolescents conservent leur jeunesse tout en mûrissant infiniment Les chats parlent la langue des humains tout au long de leurs vies quasi éternelles Les femmes sont victimes des horreurs les plus indicibles, mais se révèlent capables de les transcender, telle la Marguerite de Goethe .. ».
Dès ce premier roman, l'étendue de son registre est aussi évidente que son érudition Qui mieux que lui pouvait s'intéresser au poète Aloysius Nelson-Sintes, dont l'unique recueil, Spanish Ardour, publie en 1852, ne serait jamais sorti d'un oubli programme sans sa curiosité et son élégante traduction de deux poèmes qui évoquèrent pour quelques lecteurs les Cartes postales d'Henry J.- M. Levet chères à ses amis Léon-Paul Fargue et Valery Larbaud ?
Suivirent trois autres romans, Tennis, socquettes et abandon (2003), En haut des marches (2007) et Reconquêtes (20 ll), dont la sagesse des titres cache à peine la singularité, le « gai venin » ; et, à intervalles réguliers, des poèmes, des essais et surtout des récits, parfaite introduction aux diverses facettes du talent de leur auteur, qui en rassembla quelques-uns, autrefois disperses au hasard de leur publication, parfois illustrés par son complice Gilles Chez, dans un premier recueil, As os/ras e outros contas (« les huîtres et autres contes »), publié en 2000 en traduction portugaise. Certains seront repris dans leur langue originale dans Trouvé dans une poche (Buchet-Chastel) D'une perversité malicieuse et d'une écriture raffinée, ce petit livre lui valut quelques admirations enthousiastes, dont celle d'Hector Bianciotti, et en 2005 le prix de la nouvelle de l'Académie française On n'en était encore qu'au début des surprises, qu'il sort de son chapeau comme en se jouant. Ainsi l'histoire de cette huître qui va jusqu'au bout de son rêve : être servie chez Maxim's.
Aujourd'hui, ce sont quarante-six nouvelles au ton chaque fois différent et de longueurs très inégales, de la demi-page pour une « fable » comme « Les chiens » à la vingtaine de pages pour « Le banquet », terrifiant jeu de massacre, ou « Vidéos », purement « désagréable », que Pataud réunit sous le titre d'une des plus mélancoliques, « Le cas Perenfeld », histoire d'un homme « qui a plus d'un tour dans son sac », fait des métiers bizarres - comme dompteur de lions dans un
cirque - et finira comme un traître, exécuté.
Autre énigme • « Monsieur Loiseleur ». Merveille de concision et d'étrangeté. En trente lignes, dont la première est tout un programme . « Sous un nom ordinaire, un homme extraordinaire». On n'ose imaginer ce que ce monsieur collectionne dans le secret des cages de son amère-boutique de la rue Durantin, mais on peut s'attendre à ce que cela relève du « prodige » - fortement teinté de cauchemar - évoqué par Manguel. Pourtant n'étant pas tout à fait sans bagage littéraire, on est en droit de penser que Pataut a lu bon nombre des auteurs qu'André Breton fait figurer dans son Anthologie de l'humour noir, Carroll, Villiers, Lautréamont, Allais, Jarry, Kafka, Leonora Carrington et sa Débutante,
Jean Ferry et son Tigre mondain et d'autres encore . Marcel Schwob et ses figures de cauchemar, Borges et ses labyrinthes, Mandiargues pour les créatures de son Musée noir, Queneau et son Cheval troyen, Gombrowicz, rien que de
la très bonne compagnie.
On se gardera surtout d'oublier Saki, dont il a tenu à ressusciter l'extraordinaire chat détective doué de parole, Tobermory, « dont il a appris la mort à grand regret » Hitchcock l'adorait, nous fait savoir Pataut, qui partage aussi avec le cinéaste de Rich and strange et de Psycho le goût très britannique des situations troubles, des notations macabres et du grand guignol, ainsi qu'une prédilection pour l'humour glacial et les plus indécentes mystifications. D'un autre récit bien déjanté, « Invitation à un remontage », surgit comme par enchantement une phrase hallucinante « Je repartis dans un tel état de contentement que j'en oubliais mon bras gauche dans son sac », qui fait d'autant
plus froid dans le dos qu'elle est à prendre au pied de la lettre. Car Pataut ne cesse de relever des défis C'est pour de telles phrases et l'affolante logique qui aboutit à leur écriture qu'on ne se lasse pas de se perdre dans les drôles d'histoires d'un écrivain qui déconcerte sans cesse un lecteur ne sachant jamais sur quel pied danser et passant d'une page à l'autre de l'horreur à la jubilation Un écrivain capable des pires abominations, de celles qui font se dresser les cheveux sur la tête, comme d'en arriver à des bonheurs secrets d'une pure délicatesse Cela passe par une grande maîtrise d'écriture, une habileté diabolique. Mais on sait que le diable est un vieil ami de l'auteur d'Aloysius, qui a choisi comme épigraphe de son Cas Perenfeld cette citation de Pasolini: « Seule la nostalgie du péché me réchauffe »
DOMINIQUE RABOURDIN
Le cas Perenfeld, nouvelles de Fabrice Pataut (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Le brio de Fabrice Pataut
Des nouvelles dans un style clair qui nous font passer de l'ordinaire à l'extraordinaire.
Proposer des nouvelles à un éditeur, c'est offrir un steak cuit au gaz de schiste à un écologiste végétarien II a été si souvent répété que les Français n'aiment pas les nouvelles qu'ils ont fini par le croire en oubliant que dans le genre, nous avons un Georges-Olivier Châteaureynaud et une Annie Saumon II est cependant quelques romanciers qui s'y risquent II en est même qui trouvent un éditeur Ainsi de Fabrice Pataut qui nous offre de faire la connaissance de Pascal que Dieu rappelle a Lui parce qu'il lui préfère les crapauds, de Dolores et de Ricardo liés par ce curieux objet qu'on appelle un livre, d'Ali, d'Ahmed, d'Azab qui marchent côte à côte et dont nous ne saurons jamais s'ils sont nobles ou chasseurs, dans leur univers fait « du vent et du sable et la route jaunie par le soleil » on est l'un ou l'autre, et rien de plus, de Perenfeld, qui offre une glace à Gianfranco, un gamin de cinq ans qui le retrouvera en diverses circonstances, de pays en pays, tantôt dompteur, tantôt homme d'affaires, rencontres inexorables qui font de lui un cas, mais lequel…? En un récit de vingt pages, ou quatre, ou une, Pataut brosse êtres, lieux et situations dans un style toujours clair pour des mises en scène ou l'irréalité, voire le fantastique, s'inscrivent dans le quotidien le plus banal Quoi de plus normal que de penser à acheter un « rasoir électrique et de la mousse mentholée » Mais quand cet achat est le fait d'un vampire qui en perd le goût du sang, de l'ordinaire on passe à l'extraordinaire, ce que Pataut fait avec brio et, parfois, en prime et non dite, une morale comme d'une fable Cependant, autre facette du talent du nouvelliste, il y a aussi des moments de simplicité émouvants comme cette vie de fourreurs vue par les yeux d'un enfant Dans l'ordre ou le désordre, allez de l'une à l'autre de ces séquences de vie rêvées ou non, vous ne regretterez pas le voyage.
PIERRE-ROBERT LECLERCQ
Le cas Perenfeld, nouvelles de Fabrice Pataut (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Un talent démoniaque
L'auteur a un talent démoniaque comme ces démons des hérésies
gnostiques qui créent le monde et le conservent à l'insu de Dieu, du moins le croient-ils ; ses nouvelles ont toutes cette étrangereté familière, d'autant plus étranges qu'elles coïncident plus exactement avec la réalité commune, sa banalité rassurante, qui tout à coup se révèle comme le plus inquiétant des leurres, aussi le plus énigmatique. Dans Le cas Perenfeld, qui donne son titre au recueil, c'est un résumé de l'histoire du dernier siècle qui nous est proposé en quelques personnages : à quatre reprises, toutes banales, toutes drolatiques aussi, le narrateur croise son protecteur inconnu ; et quand tout devient explicable, tout se dissipe dans une fausse évidence qui nous ecorche l'âme comme le ricanement du démon manipulateur, qui ne veut pas admettre qu'il est dépassé et s'imagine reprendre la main.
PHILIPPE BARTHELET
Le cas Perenfeld, nouvelles de Fabrice Pataut (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Signature autour de Fabrice Pataut le 15 mai
Fabrice Pataut signera son recueil de nouvelles Le Cas Perenfeld (Pierre-Guillaume de Roux, 2014) à la librairie Delamain le jeudi 15 mai 2014 à partir de 19h. Librairie Delamain : 155, rue Saint-Honoré, 75001 PARIS.
Le fantastique de Fabrice Pataut
Publié en mars 2014 chez Pierre-Guillaume de Roux, ce recueil de Fabrice Pataut regroupe quarante-six nouvelles, certaines totalement inédites, d’autres parues dans le cadre de divers projets ou de plusieurs revues littéraires, certaines enfin publiées initialement dans… leur traduction portugaise au sein du recueil "As ostras e outros contos" ("Les huîtres et autres contes", 2000).
Voici donc une belle occasion de retrouver (ou de découvrir) le fantastique rampant et les subtiles interrogations sur la construction a posteriori de la mémoire, avec ses ambivalences et ses mensonges, qui hantaient l’excellent "Aloysius" (2001), le léger onirisme contrebalancé par d’audacieuses affirmations réalistes à contrepoint qui charmaient le lecteur de "Reconquêtes" (2011), ou encore, dans une étonnante version alternative et compacte, l’inquiétude et le profond sentiment que "quelque chose cloche" sans pouvoir immédiatement mettre le doigt dessus qui déstabilisaient si habilement au contact de "Vidéos" (2003).
On retiendra tout particulièrement "Mademoiselle Salinas", reliée à plusieurs autres textes (dont le superbe "Cinq portraits de Lol") pour engendrer une petite saga à elle seule, toute irriguée de poésie hispanisante, "Machines", qui lorgne si joliment vers du Jules Verne domestique ou du steampunk gérontophile, "Le Rhin", somptueuse et authentiquement inquiétante comme du Mélanie Fazi, "Le banquet", qui lui fait comme un écho où traces et indices s’efforcent de nous dire une vraisemblable horreur, "Monsieur Loiseleur", l’une des plus courtes, dense et intense comme un petit poème en prose, l’horrible et incisive "Derme, épiderme, pachyderme" et sa poisseuse odeur coloniale, "Ulan Bator" et son piège logico-onirique, ou encore "L’herbier, d’abord, puis le bateau", qui porte comme une étrange saveur de Christopher Priest (à moins que ce ne soit parce que j’y suis davantage sensible, étant en train de lire ou relire l’œuvre du machiavélique Britannique).
Fabrice Pataut nous offre de plus une précieuse postface donnant la genèse détaillée des différentes nouvelles et leurs éventuelles correspondances entre elles, ainsi qu’un remarquable "tableau périodique" de leurs éléments constitutifs, officialisant ainsi les thèmes qui les parcourent : amour, Angleterre, cannibalisme, douce France, échec, exil, frères, lâcheté, mères et fils, mode, musique, Orient, Paris, perte de temps, prostitution, rituels, vérité, yiddishkeit.
"En bas, Antoine était déjà perché sur une pile d’annuaires. Il avait ordonné le silence. Mamie serrait très fort la main de Béatrice. Je me suis installée sur l’accoudoir à l’autre bout du canapé. Antoine a imité le son du cor de chasse puis, toujours sans postillonner, le roulement du tambour. Enfin, il s’est retourné vers nous, s’est penché pour faire sa révérence et a brutalement relevé le drap.
Celle-là était beaucoup plus grande que les précédentes. C’était une énorme machine faite de vieilles ferrailles, avec toutes sortes de poulies et de rouages dentés. Nous avons applaudi toutes les trois très fort. Antoine pivotait de droite à gauche sur ses talons comme s’il faisait face à une rangée de fauteuils d’orchestre et a continué à s’incliner. Puis il est monté sur un escabeau en bois placé sur le côté, a enfourché la selle et s’est mis à pédaler.
Nous nous sommes vite rendu compte que la machine était disproportionnée par rapport à son corps, qu’elle était beaucoup trop grande pour son âge et que sa construction avait dû nécessiter de longues heures d’assemblage. Tout cela – taille, nombre des pièces, complexité – lui conférait une puissance monstrueuse. Les jambes d’Antoine étaient semblent-ils bien faibles pour l’actionner. Jamais il n’avait construit quelque chose d’aussi gigantesque. Mamie poussait Béatrice du coude pour qu’elle aille l’aider, mais Antoine a levé le bras pour faire signe que non. Il était tout rouge et pédalait de plus en plus vite. Puis toute la machine s’est mise à vibrer de haut en bas et à faire des bruits métalliques. Les petits moyeux sous les pédales poussaient un essieu qui faisait tourner des roues à pneus lisses de différentes tailles. Il y avait des pistons qui montaient et descendaient, des cordes qui se tendaient." ("Machines").
"Ce n’est qu’aujourd’hui que je me décide à rapporter un rêve qui date de… mon Dieu… exactement dix ans à quelques jours près. Je ne suis pas certain qu’il s’agisse bien d’un rêve et il est possible que vous finissiez par en douter vous-même après avoir lu cette confession. C’est néanmoins dans un état de somnolence que j’ai donné mon avis en toute franchise sur les doctrines incompatibles de la consubstantiation et de la transsubstantiation. Je faisais face à deux contradicteurs agités. Nous étions installés dans le salon de thé situé à l’angle de la 57e rue côté nord et de la 8e avenue côté ouest, à quelques pas seulement du kiosque de Gory, le marchand de journaux. Monsieur Consubstantiation Numéro Un portait un costume gris et monsieur Consubstantiation Numéro Deux un costume bleu. J’avais quant à moi mis mon complet clair. Tous deux firent preuve d’une grande érudition. Je fis étalage d’une ignorance crasse doublée d’une maîtrise pénétrante des règles du syllogisme. Il faisait chaud. J’entrecoupai mes réfutations approximatives de bâillements ostentatoires." ("Coupelle").
"Il était trois heures de l’après-midi lorsque nous arrivâmes à Ulan Bator. Frédéric voulut partir tout de suite à la recherche de la fumerie. Nous eûmes tout juste le temps de déposer nos bagages et nous le suivîmes à travers un dédale de rues semblables et anonymes. Nous tenions à rester habillés à l’européenne, mais il insista pour que nous rentrions chez un fripier et en ressortit le premier en costume mongol.
L’odeur de la rue était un mélange de soufre et d’épices rances, une odeur de vieille boutique qui évoquait quelque lieu sombre et secret, quoique en plein jour et sous un ciel parfaitement dégagé. À chacune de nos étapes, les marchands nous indiquaient le chemin de la fumerie. Elle se trouvait au fond d’une allée noire, derrière une porte qui l’obstruait comme un couloir d’appartement. Derrière, il y avait une autre porte. Puis encore d’autres couloirs ; une dernière tenture, enfin. La fumée y était si épaisse qu’elle formait une sorte de bloc solide et mouvant au travers duquel les habitués ne se déplaçaient qu’avec une lenteur extrême.
Frédéric nous invita à nous asseoir et demanda qu’on l’excuse. Il disparut derrière un panneau coulissant et revint quelque temps après accompagné d’un vieillard qu’il nous présenta comme le propriétaire de l’endroit. Nous restâmes jusque tard dans la nuit et je n’ai toujours pas la moindre idée de la manière dont nous réussîmes à regagner notre hôtel. Quelqu’un avait dû nous y faire transporter car il nous aurait été impossible de retrouver notre chemin à pied et sans guide. Le préposé de la réception resta muet sur ce chapitre.
Ce n’est que le lendemain matin que nous nous rendîmes compte que Frédéric n’était pas avec nous." ("Ulan Bator").
Le cas Perenfeld, de Fabrice Pataut (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
De Borgès à Pataut
On entre dans un recueil de nouvelles comme on entre dans un labyrinthe,
On les déchiffre comme les pièces d'un rébus, on y cherche du sens comme dans une énigme.
Ce recueil alterne entre nouvelles réalistes et fantastiques, récits de quelques pages à d'autres très courts. Du récit de la disparition d'un enfant à celui d'un homme qui veut construire un château en sucre.
Habitué à être dans un seul registre, le lecteur est un peu déstabilisé.Se pose la question du titre. Le Cas Perenfeld est l'une des nouvelles .En quoi est-elle porteuse du sens général du recueil ?
Même si l'on est sans repère au début du livre, il ne faut pas lâcher car le lien du livre s'installe, imprègne le lecteur et l'enroule dans l'écriture au fur et à mesure qu’il avance.
C'est ce tangage entre réalité et étrangeté qui fait le mouvement de ce livre. C'est ce que l'on retrouve dans la nouvelle éponyme : Perenfeld est pour le narrateur comme une présence tutélaire immortelle jusqu'à que celui-ci soit rattrapé par la fatale réalité.
Une fois ce sens saisi, on se retrouve dans un univers qui mêle celui de Borgès et de Maupassant, l’étrange cruauté du quotidien.
Et si l'on se demande encore comment des récits aussi variés peuvent cohabiter dans un même corpus, il faut relire la nouvelle Dans Cinq portraits de Lol :
" Combien de volumes aurait-il fallu ajouter aux oeuvres de Don Isidro pour qu'un lecteur pût en voir la clé ? »
Ce recueil exprime les facettes d'une réalité dont personnes n’à vraiment les clés.
Il y a de l'étrange jusque dans le familier, l'intime.
Fabrice Pataut nous offre une réalité explorée, déformée.
Et le lecteur de fermer le livre avec cette phase en tête.
" et la réalité est bien moins amère que l’on se l'imagine"
AURORE AMOUROUX
Le cas Perenfeld, de Fabrice Pataut (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Fabrice Pataut invité de Jean-Claude Caillette sur Paris Plurielle
Fabrice Pataut s'entretiendra avec Jean-Claude Caillette de son recueil de nouvelles Le Cas Perenfeld (Pierre-Guillaume de Roux, 2014) dans l'émission "Le lire et le dire" sur Radio Fréquence Paris Plurielle, FPP 106.3, le vendredi 18 avril, de 15 heures à 15 heures 30. L'émission sera rediffusée le mardi 22 avril de 9 heures à 9 heures 30.
http://parisplurielle.radio.fr/#senderinformation.jsf
La galerie des jeux
Trouvé dans une poche (Buchet-Chastel, 2005), le premier recueil des histoires étranges de Fabrice Pataut, avait valu à son auteur de recevoir le prix de la Nouvelle ' de l'Académie française.
Le cas Perenfeld, à paraître chez Pierre-Guillaume de Roux, élargit encore sa palette et son univers pour le moins singulier. Les nouvelles de l'écrivain sont des sprints, des 400 mètres haies ou des semi-marathons d'une égale maîtrise narrative On y suit à Kipling, en Irlande, les conversations du planton O Shea, du fils du pharmacien Delahuney, du sergent Purdue et du révérend Fairbanks. On y assiste à la démonstration du jeune Antoine qui construit de drôles de machines avec tourelles, pistons et tuyaux On y participe au souper donne par Emma, banquet vraiment peu banal. On s'y baigne dans le Rhin avec Marie.
Ne pas rater l'apparition de Dolores Salinas dont le cou est un miracle d'élégance. Ou celle de Ricardo qui lit sans plaisir, vend ses «fesses merveilleuses », collectionne des magazines de sport et ne méprise nullement « la possibilité de l'amour méditatif» Sans parler de Perenfeld, avec son chapeau mou et ses lunettes rondes • « un homme lunaire, un être de solitude et d'introspection » qui a incarné bien des personnages
Eclectique et volontiers farceur Fabrice Pataut ouvre ses pages aux chiens et aux faux vampires. ll s'autorise également un clin d'œil à Saki, un détour par l'empire du Milieu ou par ou par Naples au XVIIIe siècle. L’auteur d’Aloysius (Buchet-Chastel, 2001), repris au Rocher, en «Motifs») propose ici un voyage ludique et toujours surprenant.
Entrez sans tarder dans son labyrinthe vertigineux, le spectacle va commencer !
ALEXANDRE FILLON
Le cas Perenfeld, de Fabrice Pataut (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Le Cas Pérenfled sélectionné par la Société Française du Livre
Le Cas Perenfeld de Fabrice Pataut (Pierre-Guillaume de Roux, 2014) est un recueil de 46 nouvelles. Le Rhin fait référence à l’Anneau des Nibelungen ; Kipling la nuit rend hommage au cinéma muet américain ; Mademoiselle Salinas brosse le portrait d’une lectrice. Il y a comme un art de la cérémonie dans ces récits précis, aux mises en scène tirées au cordeau, terriblement ordonnées mais sur lesquelles plane un mystère insondable. Outre ses romans, l’auteur a publié un recueil de nouvelles, Trouvé dans une poche (Buchet Chastel), prix de la Nouvelle de l’Académie française 2005. 200 pages, 24,90 €, 13/3/14, EAN 978236371085
Le Christianisme n'est pas un humanisme de Laurent Fourquet
Découvrez l'article d'Elisabeth Bart à propos de l'ouvrage de Laurent Fourquet sur le blog de Juan Asensio.
Le Christianisme n'est pas un humanisme de Laurent Fourquet
Découvrez la tribune de Laurent Fourquet sur www.aleteia.org à propos de son ouvrage Le Christianisme n'est pas un humanisme.
Le Ciel de Cambridge - Rupert Brooke, la mort et la poésie de Philippe Barthelet
Découvrez l'article de Juan Asensio sur Le Ciel de Cambridge - Rupert Brooke, la mort et la poésie de Philippe Barthelet
Quand Césaire était stalinien
En politique, le grand poète martiniquais avait célébré Thorez et assisté aux obsèques de Staline, avant de quitter le Parti avec fracas en 1956. Pour le centenaire de sa naissance, un livre éclaire ces années méconnues
Quel jour faut-il célébrer le centenaire de la naissance d'Aimé Césaire? Le registre d'état civil de Basse-Pointe l'a enregistrée le 26 juin 1913. Mais c'est la date du 25 qui figure dans le «questionnaire biographique» que le poète remplit lui-même, le 7 décembre 1945, pour adhérer au Parti communiste français. David Alliot, qui a consulté ce document pittoresque place du Colonel-Fabien (cote n° 2916, fiche W12660), explique cette bizarrerie en notant qu'il «n'était pas rare en Martinique, à cette époque, de déclarer le nouveau-né à la mairie le lendemain de sa naissance». Sans doute. On peut pourtant y voir le signe d'un autre décalage, et qui n'est pas seulement calendaire.
L'histoire communiste de Césaire est celle d'un mariage raté. On la connaît peu. On préfère se souvenir d'un autre Césaire, ce qui se conçoit aisément. Car il n'y a pas qu'Arthur H aujourd'hui pour le psalmodier sur un disque envoûtant («l'Or noir», Naïve). Dans le monde entier, on lit, traduit, glose, imite, médite, récite le «Cahier d'un retour au pays natal», en se disant que le plus génial des surréalistes, c'était peut-être finalement lui. Son terrible «Discours sur le colonialisme» est un classique des études post-coloniales. On joue son théâtre. Et sa disparition en 2008 lui a valu des obsèques nationales en Martinique, où se sont pressés le président Sarkozy mais aussi Hollande, Jospin, Villepin ou Fabius. Ségolène Royal et Christine Albanel ont même demandé qu'on le mette au Panthéon. Le Panthéon a dû se contenter d'une fresque sur sa vie; sa tombe est restée sous le soleil de ses Antilles, non loin de l'aéroport Aimé-Césaire. En revanche, en 2017, c'est officiel, le poète de «Cadastre» rejoindra Voltaire et Victor Hugo dans le club, très sélect, des écrivains qui ont une station du métro parisien à leur nom. Ce sera sur la ligne 12, la verte, à Aubervilliers. Aux grands auteurs la RATP reconnaissante.
«Un Grand Poète noir»
Nul n'est plus censé ignorer la formidable légende Césaire: celle du deuxième enfant d'un contrôleur des impôts qui en aura sept; celle de l'arrière-petit-fils d'esclave reçu deuxième à l'ENS de la rue d' Ulm en 1935; celle du co-inventeur, avec Senghor et Damas, du concept de «négritude»; celle du «Grand Poète noir» adoubé par Breton, Péret et Sartre; celle du champion de la longévité démocratique, qui fut maire de Fort-de-France de 1945 à 2001, député de 1945 à 1993, et obtint de l'Assemblée, en 1946, qu'elle reconnaisse enfin la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane comme des départements français.
Mais on ne devient pas une telle icône sans certains détours. Celui de Césaire par le PCF coïncide avec son entrée en politique. Il a duré onze ans. Tout l'intérêt de la riche enquête que publie David Alliot, avec de nombreux témoignages et documents souvent inédits, est de jeter un peu de lumière sur ces années-là. Elle nous ramène dans un âge de fer où les écrivains ont l'engagement dans le sang; où «l'Humanité» tire à 500.000 exemplaires; où un prix Staline couronne les plumitifs communistes les plus méritants; où des bibliobus répandent, jusque dans les coins les plus perdus, les livres publiés par les maisons du Parti. Elle nous plonge aussi dans une Martinique exsangue: sous Vichy, un gouverneur maréchaliste y a nommé les maires et dissous les organisations politiques, on a favorisé les Blancs à l'école, on a eu faim.
«Grandeur» de Staline
C'est dans ce contexte qu'à la Libération Césaire triomphe sur la liste de la Fédération communiste de Martinique. Il a «le sentiment que dans l'état actuel [lui] seul pouvai[t] résister [aux vieux politiciens], sans quoi - et après quoi - le déluge [...] du petit gangstérisme». En 1948, il est au Congrès mondial pour la Paix de Wroclaw, en Pologne, dans la foulée duquel Pierre Daix lui fait très probablement visiter Auschwitz en compagnie d'Eluard et de Picasso. En 1953, il est en URSS, en même temps qu'une délégation conduite par Jacques Duclos, pour assister aux funérailles de Staline. Un texte signé de sa main paraît alors dans la «Literatournaïa Gazeta», l'équivalent russe des «Lettres françaises». Il y dit avoir «vu un grand peuple blessé au coeur [...], un grand peuple amoureux de l'art, de la science, de la culture, un grand peuple occupé par le travail, par la gigantesque édification de la paix». Il y proclame «la grandeur du leader défunt» avec une empathie de thuriféraire convaincu pour longtemps: La mémoire de Staline [...], c'est aussi une inébranlable détermination qui marque tous les visages, la détermination de protéger l'oeuvre grandiose de Staline de toutes les atteintes.» Trois ans plus tard, coup de théâtre: Césaire claque la porte du PCF, puis fonde le Parti progressiste martiniquais en 1958.
Textes «reniés»
A-t-il vraiment écrit ce texte qui n'a jamais été traduit en français? En connaissait-il l'existence? Cette période reste assez floue. C'est un peu la faute à Césaire, suggère Alliot. Il n'en a pas beaucoup parlé. Il n'insistait plus, comme dans son «questionnaire biographique» de 1945, sur son adhésion dès 1935 à la cellule des Jeunesses communistes de l'ENS. Il laissait entendre qu'on lui avait «forcé la main» pour se lancer dans la politique, à une époque où, «homme de gauche», il serait volontiers resté ce charismatique prof de lettres en cravate verte que venait consulter le jeune Frantz Fanon au lycée Schoelcher. Il a, surtout, complètement oublié d'intégrer à ses oeuvres complètes une demi-douzaine de poèmes parus dans la presse communiste, comme cet hommage à un «gréviste assassiné» en 1948: «André Jacques couché mort et la terre est plus sèche que les yeux d'un préfet.» Ces textes «reniés», comme dit Alliot, sont au coeur de son livre. Césaire y met son ésotérisme au service d'un discours plus limpide. Il interpelle le préfet de Martinique: «Préfet bâtonnet de virus [...], on voit trembler tes mains de sang.» Il témoigne dans «Varsovie» de sa découverte horrifiée d'un pays détruit par le nazisme:
Ici la brique est le ricanement du mal
briques sur les rues dispersées
briques sur les juifs massacrés
briques briques briques.»
Il dit ailleurs:
La guerre qu'ils veulent nous faire, c'est la guerre au printemps [...].
Quand Mister Churchill sourit aux anges
Je vois brûler Hiroshima.»
Le dernier texte, lui, est composé pour les 50 ans du grand manitou du PCF:
Voix de Maurice THOREZ le contrepoison aux poisons
du mensonge la raison claire contre les possédés [...]
LE COMMUNISME EST A L'ORDRE DU JOUR
le communisme est l'ordre même des jours
sang des martyrs - pollen leur lumière - Révolution leur bel été
et pour tous du pain et des roses.»
On est en 1950, et assez loin des fulgurantes sauvageries du «Cahier d'un retour»:
Parce que nous vous haïssons vous et votre raison, nous nous réclamons de la démence précoce de la folie flambante du cannibalisme tenace.»
Trois ans plus tôt, Césaire en a dédicacé un exemplaire au même Thorez, ce «magnifique conducteur/ du prolétariat». Il paraît que le conducteur l'a apprécié. Ca ne l'empêche pas d'avoir Césaire à l'oeil. La même année, sortant d'une réunion avec Aragon et quelques autres, il note: «Césaire, qui dédie ses poèmes à Breton et Péret (trotskistes).» Breton, qui avait eu le nez creux en évoquant l'élection de son ami à l'Assemblée fin 1945: «Je me fais une trop haute idée de sa vocation poétique pour craindre qu'elle puisse en subir un dommage.»
Le danger était bien là: allez donc faire du surréalisme en étant d'un parti qui, suivant les théories de Jdanov, préconise «une littérature optimiste, tournée vers l'avenir» en appelant «les intellectuels désorientés» à «se détourner des faux problèmes de l'individualisme, du pessimisme, de l'esthétisme décadent». Cela aussi a-t-il fini par peser sur Césaire, tandis qu'Aragon prônait un retour à des métriques bien calibrées au nom d'une «sorte de galvanisation de l'esprit national»? En 1956, «l'ordre du jour» change brusquement. Le 25 octobre, à quelques jours de l'entrée des chars russes dans Budapest, c'est une autre «lettre à Maurice Thorez» que fait paraître Césaire dans «France-Observateur»: il quitte le PCF. Scandale. Foucault, Edgar Morin et d'autres l'ont quitté aussi, mais d'habitude, c'est le Parti qui exclut les intellectuels dissidents.
«Stupeur, douleur et honte»
La presse communiste le traite de «renégat», des élus parlent d'une «attitude inqualifiable», Thorez dénonce une «agression brutale et publique». Même son ancien ami Roger Garaudy s'y met, dans «l'Huma», avec des mots choisis pour faire mal: Tu te préparais à nous poignarder dans le dos pour la plus grande joie de tous les négriers du monde.» Garaudy n'a rien compris, Thorez non plus. Le réquisitoire de Césaire est accablant: contre les crimes de Staline que vient d'énumérer le rapport Khrouchtchev et qui l'ont «plongé dans un abîme de stupeur, de douleur et de honte»; contre le PCF et sa «persévérance dans le mensonge»; contre, enfin, et peut-être surtout, une institution aveugle à la singularité de «la question coloniale» et à des «hommes de couleur» dont la «situation dans le monde ne se confond avec nulle autre». Ceux qui croyaient avoir affaire à un diable rouge s'étaient fourré le doigt dans l'oeil. Il était resté noir. Pis, nègre. Et libre, fidèle à la promesse du «Cahier»: Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n'ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s'affaissent au cachot du désespoir.»
GREGOIRE LEMENAGER
Le Communisme est à l'ordre du jour - Aimé Césaire et le PCF, de David Alliot, (Pierre-Guillaume de Roux, 2013).
Césaire l'insoumis
Qu'a fait Aimé Césaire au Parti communiste ? D'une plongée de cinq
années dans les archives du PCF, en Seine-Saint-Denis, David Alliot revient avec un gros livre passionnant, "Le communisme est à l'ordre du
jour", une biographie intellectuelle et politique qui pèse son poids de révélations. Après sa mpture et sa fracassante Lettre à Maurice Thorez (1956), l'intéressé, mort à 94 ans en 2008, s'est lu-imême peu exprimé sur le sujet, trop occupé peut-être à sculpter sa propre statue « II n 'en a pratiquement pas parlé, et personne ne l'a interrogé là-dessus », indique Alliot Le livre révèle d'abord que si l'adhésion formelle du
poète martiniquais remonte à 1945, un compagnonnage avait existé dix ans plus tôt, du temps que Césaire était élève a l'Ecole normale supérieure de Paris II n'y avait alors que le PCF pour s'élever contre l'Exposition coloniale (1931) Alliot exhume notamment le questionnaire auquel le poète accepte de répondre Questionnaire
qui intimait « Expliquez- vous clairement, sans phrases inutiles maîs sans omettre le moindre détail qui puisse éclairer le Parti auquel vous ne devez rien cacher»
Ode au Premier secrétaire
Elu député de Martinique en 1945, Césaire se comporte apparemment en bon stalinien jusqu'en 1954 Pour le cinquantième anniversaire du Premier secrétaire Maurice Thorez, il commet même une ode oubliable, écartée de son oeuvre complète « Voix de Maurice Thorez le contrepoison aux poisons /du mensonge la raison claire contre les possédés / la raison-tonnerre dans le ciel capitaliste tout terne / de la barbarie des seigneurs de la guerre ( ) »
David Alliot émet une hypothèse Thorez était peut-être le protecteur de
au PCF, car lorsque le dirigeant communiste part se faire soigner à Moscou de 1950 à 1953, le poète « disparaît des écrans radar Son nom
n 'apparaît plus dans la presse communiste » Car Césaire demeure
suspect aux yeux d'Aragon, le grand ordonnateur de la politique culturelle du PCF II n'a pas renié ses amitiés surréalistes (André Breton,
Benjamin Péret) et récuse le réalisme socialiste qui impose le retour à la rime et au sentimentalisme poétique L'éruptif poète de Soleil cou coupé ne se soumet pas.
Poétique, le contentieux avec le PCF est avant tout politique il y a le rapport Khrouchtchev, la répression en Hongrie, les pleins pouvoirs votés à Guy Mollet pour faire la guerre en Algérie Pierre Daix a écrit, à propos d'un grand peintre « Le Parti a besoin de Picasso, Picasso n 'a pas besoin du Parti » Sentence qui, note Alliot, s'applique parfaitement
à Aimé Césaire En 1956, Césaire envoie promener le PCF et crée le Parti progressiste martiniquais Du PCF, il ne parlera plus.
CC.
David Alliot, "Le communisme est à l'ordre du jour".
Aimé Césaire et le PCF. Éditions Pierre-Guillaume de Roux. 383 pages. 26,90 €.
Aimé Césaire a-t-il cédé à la tentation de Moscou ?
Mars 1953. Le généralissime Staline meurt. Parmi la délégation de communistes français venus assister à ses obsèques, à Moscou, Aimé Césaire (1913-2008). Le chantre de la négritude y va de son hommage, célébrant "l'oeuvre grandiose de l'un des plus grands bâtisseurs de l'Histoire". Trois ans plus tard, dans les colonnes de L'Humanité, le même Césaire dédiait un poème à Maurice Thorez, tout-puissant chef du Parti : "Le communisme est à l'ordre du jour", y proclamait le poète martiniquais dans son ode au "fils du peuple", célébré ailleurs en "magnifique conducteur du prolétariat".
On le voit, le "dossier" Césaire-PCF semble assez lourd pour l'auteur de Cahier d'un retour au pays natal. Au point que sept poèmes de sa période communiste seront opportunément "oubliés" dans ses oeuvres complètes. Pourtant, les choses sont un peu plus compliquées que cela, comme le montre l'enquête complète et subtile menée par David Alliot, qui a exhumé nombre d'archives inédites du Parti. Sympathisant depuis son entrée Rue d'Ulm, en 1935, Césaire adhère au PCF une dizaine d'années plus tard, au moment où il est élu député de Fort-de-France. On a le sentiment qu'il s'agit là plus d'un choix tactique que d'un engagement idéologique. Adepte d'une sorte de "communisme des îles", plutôt soft, Césaire ne sera jamais un "stal", malgré son ode au dictateur soviétique...
Il y a aussi que le Martiniquais nourrira toujours des relations polaires avec le poète officiel du Parti, Louis Aragon. Comme à beaucoup, le rapport Khrouchtchev lui ouvrira définitivement les yeux. Sa lettre de démission à Maurice Thorez est d'une violence inouïe, dénonçant les "pontifes séniles" du Parti. La négritude, oui, la "stalinitude", non !
JEROME DUPUIS
David Alliot sur France Ô
Découvrez l'interview filmée de David Alliot sur France Ô à propos de son ouvrage Le communisme est à l'ordre du jour - Aimé Césaire et le PCF (Pierre-Guillaume de Roux, 2013).
Rendez à Césaire ce qui est à Césaire
À l’occasion du centième anniversaire de la naissance du nègre universel, Aimé Césaire (1913-2008), il semble venu le temps opportun de relire l’œuvre lyrique et flamboyante du condisciple de Léopold Sédar Senghor à l’École Normale Supérieure. L’homme est désormais un mythe, le symbole de l’intégration du poétique et du politique. Son poème Cahier d’un retour au pays natal, écrit en 1938, paraît en 1947 avec une préface d’André Breton. Celui-ci salue en lui « un grand poète noir » entamant le chant profond de la liberté et devenant, après un long destin, le héros du réveil de l’Afrique à la cause des Noirs.
Maire de Fort-de-France depuis 1945, et député de la Martinique, Césaire fut en un premier temps apparenté au groupe communiste, puis il rompit avec ce dernier en 1956, analysant ses options sur l’indépendance des colonies africaines. Ensuite, Césaire finit par fonder le parti progressiste martiniquais.
L’ensemble de l’œuvre poétique d’Aimé Césaire se veut une symphonie glorieuse des peuples noirs. Les experts de la négritude estimaient, un peu naïvement, parfaitement connaître de son destin, et dans les moindres recoins du labyrinthe !
La récente parution d’un livre de près de 400 pages de David Alliot (*) nous prouve le contraire avec précision et sérieux. Ce volume d’historien et de passionné, en s’interrogeant sur le sens caché du fameux poème de Césaire Le communisme est à l’ordre du jour (1950) qui rend hommage avec enthousiasme à Maurice Thorez, l’énergique Secrétaire Général du PCF, est quasiment le point de départ des recherches entreprises par David Alliot et de ses synthèses audacieusement établies. On ne peut plus oublier en effet qu’Aimé Césaire, après l’euphorie « rouge », démissionna du PCF à la suite des révélations, en 1956, des crimes indéniables de Staline.
L’étude de David Alliot se lit d’une seule traite. Même le non-historien y trouve grand intérêt et précieux renseignements. La haute stature d’Aimé Césaire, orateur hors pair, homme de couleur d’origine modeste, anticolonialiste militant, au charisme inouï, y gagne en véracité humaine. Alliot, sans vouloir en partisan défendre telle ou telle grille de lecture, ouvre les archives officielles du Parti, ce qui a été rendu possible à partir de l’an 2000. Cela, comme le note l’éditeur en quatrième de couverture, « permet de lever d’importantes zones d’ombre dans le parcours du camarade Césaire ». Alors fusent les interrogations essentielles : pourquoi Césaire prit-il la carte du PCF ? Sur la base de quelles convictions marxistes ? Quels furent le sens profond et les secrets de sa querelle sévère avec Louis Aragon sur le rôle de la poésie au cœur de la politique ? Quels furent ses liens personnels et humains avec Maurice Thorez ? Et tout à l’avenant.
Parmi les témoignages inédits que contient le beau travail de recherches de David Alliot, j’ai été particulièrement ému par celui du quasi centenaire Georges Pelorson (dit Georges Belmont, pour effacer probablement son rôle joué sous le Maréchal Pétain). En effet, ironie complexe de l’Histoire de France, Georges Belmont fut le premier éditeur d’Aimé Césaire…
J’ai été également captivé par les correspondances proposées, notamment une lettre inédite de Césaire à Pierre Mabille, où le poète explique en toutes lettres que le mobile essentiel de son engagement au PCF était (je cite) : « le désir de barrer la route aux vieux politiciens qui impudiquement revenaient, le désir de faire quelque chose pour sauver les jeunes de ce pays… ».
Pour conclure cette chronique qui voudrait avant tout donner envie de lire cet essai surprenant, je tiens à souligner qu’Alliot n’hésite pas à suggérer que toute adhésion, toujours, est nimbée de mystère, toute démission aussi. N’est-ce pas le fou d’Elsa, après tout, qui chantait : « Je me sentais libre sur mon fil d’acier /Quand tout équilibre vient du balancier » ?
Jean-Luc Maxence
* David Alliot, Le communisme est à l’ordre du jour, Aimé Césaire et le PCF (Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 26,90 €).
Aimé et le PCF, une relation complexe
« Je crois en avoir assez dit pour faire comprendre que ce n’est ni le marxisme le communisme que je renie, que c’est l’usage que certains ont fait du marxisme et du communisme que je réprouve. (…) Je dis qu’il n’y aura jamais de variante africaine ou malgache, ou antillaise du communisme, parce que le communisme français trouve plus commode de nous imposer la sienne. (…) L’anticolonialisme même des communistes français porte encore les stigmates de ce colonialisme qu’il combat » (Aimé Césaire, Lettre à Maurice Thorez).
En octobre 1956, Césaire, alors député de la Martinique et membre du groupe communiste à l’Assemblée nationale, envoie sa lettre de démission du parti à Maurice Thorez, le secrétaire général du PCF. Son texte, qui sera publié par la presse, fait l’effet d’une petite bombe dans les milieux intellectuels et politiques de l’Hexagone et des Antilles. En novembre, l’écrivain est exclu de la Fédération communiste de Martinique, avant de créer plus tard le Parti progressiste martiniquais (PPM).
Qu’est ce qui explique un divorce aussi brutal avec un parti et un dirigeant qu’Aimé Césaire a par ailleurs encensés dans certains de ses écrits, un Césaire envoyé dans l’ex-URSS en mars 1953, juste après les funérailles de Staline, dont il chantera la gloire ?
C’est ce qu’essaie de comprendre l’écrivain et éditeur David Alliot, auteur de "« Le communisme est à l’ordre du jour », Aimé Césaire et le PCF", qui reconstitue avec précision l’itinéraire politique et littéraire du fondateur de la négritude, ses rapports avec le communisme, le surréalisme et les différents mouvements culturels dans le bouillonnement intellectuel qui caractérisait l’après-guerre.
L’ouvrage, très bien documenté, comporte des textes méconnus de l’écrivain martiniquais ainsi que des annexes provenant pour la plupart des archives du PCF. Cela permet de mieux appréhender toute la complexité du parcours communiste de Césaire, celui « d’un marginal et d’un humaniste ».
« Tiraillé entre son appartenance au parti de Maurice Thorez et ses amitiés surréalistes ; entre la liberté de création et le caporalisme imposé qui sévissait dans les fédérations ; entre les cultures nègres et européennes qui vivaient en lui, le député-maire de Fort-de-France n’a jamais réussi à concilier ses aspirations fondamentales » conclut David Alliot.
PHILIPPE TRIAY
Le communisme est à l'ordre du jour - Aimé Césaire et le PCF de David Alliot (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Le Corps politique de Gérard Depardieu
Ecoutez Richard Millet sur France Info dans l'émission Le Livre du jour de Philippe Vallet :
http://www.franceinfo.fr/emission/le-livre-du-jour/2014-2015/richard-millet-le-corps-politique-de-ge...
Signature à la librairie Contretemps le 9 octobre dès 18h30
Rendez-vous autour de Richard Millet
et de son dernier essai paru aux éditions Pierre-Guillaume de Roux
Le Corps politique de Gérard Depardieu
à la librairie Contretemps dirigée par Xavier de Marchis
le 9 octobre de 18h30 à 20h30
au 41, rue Cler - 75007 Paris.
tel : 01 45 55 66 05.
.
Le Corps de l'Etat-nation
Depardieu incarnant la France à travers son corps « éructant, pétant, huùant, vomissant, et riant aux éclats » ? C’est la thèse de Richard Millet qui, après son controversé « Eloge littérire d’Anders Breivik », rend hommage au « Corps poliitique de Gérard Depardieu ». Pour l’écrivain, le très rabelaisien acteur d’ «Astérix » reste, en dépit d’une récente naturalisation russe, éminemment français, l’un des derniers résistants à une américanisation généralisée. « Le corps de >Depardieu est (…) un argument de poids en faveur de l’Etat-nation, mais sur un mode ironique ou désespéré, pour ne pas dire dérisoire. »
THOMAS MAHLER
Le Corps politique de Gérard Depardieu, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Richard Millet sous le soleil de Depardieu
Voilà encore un livre dont ils ne sauront pas que faire. « Ils », entendez les critiques, les medias, l’opinion. Il est vrai que depuis « l’affaire », ils se repassent les pamphlets de Richard Millet comme une patate chaude, en se disant qu’il faudra bien en parler si d’autres en parlent sur le mode incorrect, voire scandaleux, car il sent toujours le souffre, mais qu’en attendant il serait plus prudent de s’en abstenir. D’autant qu’il enfonce le clou avec Le corps politique de Gérard Depardieu (120 pages, 17,90 euros, Pierre-Guillaume de Roux).
De quoi s’agit-il ? De la France et des Français, ce qui n’est pas rien. De la décadence dans laquelle ils s’avachissent. De la veulerie nationale. De leur médiocre renoncement au génie de la langue française. De leur lâche résignation face au tout-culturel, au multiculturalisme, au communautarisme, à la haine de soi nationale, au laïcisme ludique, au droit du sol, au reniement, à l’universalisme, au métissage général, à l’apologie démocratique du Bien, au culte de la jeunesse, au droitdel’hommisme, à la doxa de la sous-culture américaine envahissants, à la disneylandisation de l’héritage chrétien par les lieux de mémoire. Air connu. Sauf que Millet est un écrivain, un vrai, avec ce qu’il faut de mégalomanie et de paranoïa, mais un peu plus que les autres, un qui croit encore en la littérature. Cet air désormais familier, il le joue cette fois sur un mode moins excessif, moins violent, moins apocalyptique, donc plus crédible que dans ses précédents livres, ce qui ne le rendra pas plus audible de ce ceux qui ne veulent pas entendre, car il n’est pas moins radical. Il ne renonce pas à ses excès non dans l’expression, plus mesurée, mais dans l’hypertrophie des évocations. Tout sous sa plume conduit à constater la décadence de nos sociétés. Même le physique de François Hollande, son « insigne laideur, son insignifiance politique, son inculture littéraire » (il semble que le président ne soit pas son cousin). Les auteurs cités en épigraphe donnent le la : le prophète Isaïe qui dénonça le relâchement des mœurs de ses contemporains, le Céline du Voyage et Léon Bloy en son Journal. Il a le goût des formules :
« Le culturel comme la maladie sénile de la petite-bourgeoisie ». Ou bien : « La Vie d’Adèle, pieuse réalisation d’un tâcheron tunisien ».
Son constat est amer : la France littéraire est morte. L’art contemporain, plus spectaculaire et plus marchand, a pris sa place. Mais comment passe-t-il de ce constat de décès à la grandeur et illustration de Gérard Depardieu ? Par le surnaturel chrétien. Certes, l’acteur a bien lu Saint-Augustin à haute voix en différentes chaires, il en a même parlé avec le Saint-Père, et il fut un inoubliable abbé Donissan dans le grand film de Pialat d’après Bernanos Sous le soleil de Satan, certes, mais la transition ne serait-elle pas abrupte ?Depardieu, c’est la France. Sa plus parfaite incarnation dans toutes ses imperfections. Pas plus français que le meilleur acteur de ce pays. Mais là on s’attend à ce qui le compare à Gabin, il trace une analogie avec Michel Simon dans la catégorie culcute « Monstres sacrés », bien que l’un ait réussi son Boudu que l’autre a raté. Ce qui est plutôt bien vu. Il en fait la métaphore de la France qui résiste :« Le seul Français non réductible au devenir yankee du monde, à l’indifférenciation générale, à l’anonyme douleur de l’individu ».
Pas plus politique que Depardieu. Il n’est pas jusqu’au fameux pétomane qu’il ne glorifie en lui, flattant ses flatulences comme un permanent pied-de-nez à l’establishment, l’ogre rabelaisien lui pétant à la gueule « en barytonant ». Toute sa filmographie est passée au peigne fin, analysée, examinée, soupesée, l’auteur faisant grand cas de la dimension subversive, radicale même des films de Bertrand Blier, à commencer bien sûr par Les Valseuses mais sans négliger Buffet froid, Préparez vos mouchoirs, Tenue de soirée, Trop belle pour toi.
On doute qu’il ait jamais rencontré Depardieu. Son analyse du bonhomme phénoménal est juste, bien vue et on imagine que l’intéressé, malin comme il n’est pas permis, s’en délectera car il se sentira pour une fois compris. Mais outre sa haine viscérale de la bourgeoisie, sur laquelle il aurait dû insister, il y a le paradoxe sur le comédien. Inutile de se croire son Diderot pour s’y essayer. Il tient à ce détail que je n’ai pas trouvé dans ce livre : d’un côté vous avez un homme de cinéma qui depuis des années est incapable d’apprendre son texte, qui a l’esprit tellement confus, embrouillé, enivré, embrumé, qu’il faut lui montrer chacune de ses répliques inscrites sur des post-it collés sous l’objectif de la caméra, doublé d’un homme de théâtre (qui n’y « excelle » vraiment pas, non, désolé, il est loin le temps de Duras et de Régy), qui se fait souffler dialogues et mouvements dans une oreillette par une assistante qui le dirige depuis les cintres ; de l’autre, le même personnage qui, s’invitant sur des répétitions de Tous les matins du monde, regarde Daniel Auteuil enperruqué et habillé d’époque s’escrimer laborieusement à coups d’archet, et lui, en blouson de cuir et jeans, s’asseoir d’office à sa place, se saisir de la viole de gambe et improviser le rôle avec un génie et une grâce inégalés qui le désignaient dans l’instant pour être Marin Marais.
Quand tant d’autres acteurs ne se content que d’être une gueule ou un corps, Depardieu, c’est aussi et avant tout une présence et une voix, qu’il soit Cyrano ou Danton, le colonel Chabert ou Maheu le mineur, Vatel ou Vidocq. Et si l’on veut savoir ce que Millet entend par « romancier postlittéraire », expression qui revient souvent dans son essai mais de manière énigmatique, il faut en passer à nouveau par Depardieu, et pourquoi pas ! Précisément par le beau film de Xavier Giannoli Quand j’étais chanteur :
« C’est un mec qui écrit des livres en chantant les thèmes des autres et qui publie dans le vide, avec l’espoir de durer dans une langue à l’agonie ».
Vraiment, belle métaphore que celle du corps Depardieu (toutes sortes de rois peuvent avoir deux corps, et Depardieu a trouvé là son Kantorowicz). Elle n’a rien d’artificielle, jusque dans sa sauvagerie de pauvre dans sa relation à l’argent. Message reçu : misère d’une nation sans Dieu. Les jeunes Français ne sont pas plus mal traités que les jeunes européens, à l’unisson même : « regards vides, corps flottants, langue décomposée, mémoire erratique ». On ne peut que lui souhaiter de changer de contemporains, ou de retourner en exil intérieur en Limousin, mais très loin dans les terres sous peine de verser dans une déprime suicidaire. Je le dis sans ironie car ce pamphlet sombre et brillant est aussi dérangeant, c’est sa vertu, qu’il peut être parfois touchant.
La France est un fantôme ; le spectre de la transhumance hante l’Europe. Sont appelés à la rescousse le philosophe pascalien Pierre Magnard, Simone Weil, René Guénon, Bloy bien sûr, auquel on l’imagine bien s’identifier, et surtout Baudrillard. Cette déploration prend tout son relief, qui lui évite de sombrer dans l’ordinaire déclinisme, quand Richard Millet, véritablement habité par ses convictions, sincère et indépendant, jusqu’à ne pouvoir imaginer de Français autre que chrétien, trouve une voie spirituelle, une grâce même, dans son combat pour la pureté de la langue, ce qu’il appelle « la vérité de la syntaxe française », celle-ci abritant en son sein tout le génie d’un peuple et toute sa mélancolie face au désastre. Mais que cela ne nous dispense pas de voir derrière la recherche de cette pureté de la langue la quête illusoire d’une introuvable pureté de la race.
(« Sous le soleil de Satan », Mammouth », « Les Valseuses »)
PIERRE ASSOULINE
Le Corps politique de Gérard Depardieu de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Sur le blog de Bernard Morlino
Depardieu est un autodidacte flamboyant. Avec le temps, il a un physique d’ogre comme Orson Welles, Marlon Brando et Henri Langlois. Depuis la mort de son fils, il est l’incarnation de la phrase de Calet: “Ne me secouez pas, je suis plein de larmes".
Alain Delon dit souvent que son univers n’est plus qu’un cimetière : Melville, Visconti et Clément ne sont plus de ce monde. Gérard Depardieu pourrait dire la même chose : Truffaut, Resnais, Ferreri, Berri, Pialat et Sautet, sont aux boulevards des allongés. Y a-t-il d’autres grands talents ? Je vous laisse juge. Certain que non, lucide sur l’état du cinéma français actuel, Depardieu continue de faire fructifier son nom qui est devenu une marque. L’art ce n’est plus l’essentiel. Il a tourné quelques films qui resteront.
Richard Millet a écrit sur Depardieu pour une fois de plus combattre le monde contemporain gangréné par l’apparence, la superficialité qui rime avec médiocrité. Depardieu est la face visible de l’iceberg des acteurs. D’autres sont excellents mais on ne les connait pas, à part les passionnés de théâtre : je pense à Philippe Clévenot, hélas ! mort. Clévenot était le plus grand comédien de son temps. Voix, présence, il avait tout. Personne n’en parle. Ne vaudrait-il pas mieux écrire un livre sur Clévenot pour saluer son œuvre oubliée de tous car les comédiens ont une œuvre ? Qu’elle soit éphémère ne l’efface pas. En publiant un livre sur Depardieu, Richard Millet participe aussi au star-system même si c’est pour le condamner, le star-system s’entend. Millet ne cite que les gens dont on parle. Pour les actrices, il nomme Adjani, Deneuve, Seyrig, Riva, Moreau et Ardant. Il pourrait parler de Nada Strancar, Anne Alvaro, Dominique Valadié, Jany Gastaldi ou des disparues Denise Gence et Madeleine Marion. Belle assemblée de reines du théâtre. Il faut ouvrir ses fenêtres en grand pour voir tout le paysage. Dans cette France qui a un président de la République d’une incroyable banalité, il existe des géants remarquables. J’en connais plein. Ils sont électriciens, maçons, épiciers ou docteurs. Le peuple silencieux est du ciment armé. Il regarde les marionnettes publiques avec grande sévérité, seulement ils n’ont pas la parole.
Faisons une distinction entre comédien et acteur. Quand il travaillait avec Claude Régy, Depardieu était comédien. Depuis qu’il fait du cinéma, il est acteur. Delon se considère acteur parce qu’il vient de la vie, en bon instinctif. Belmondo, lui, issu du Conservatoire, est donc un comédien. Accordons à Depardieu, d’être un comédien formé par Jean-Laurent Cochet – absent du livre- qui est devenu acteur. Le talent de Depardieu est indiscutable, du fait de sa présence. J’estime qu’il reste comédien même quand il fait l’acteur.
Aujourd’hui, on le connait plus pour son aspect people que pour sa carrière artistique même si parfois, il fait des lecteurs haut de gamme, transformant celles de Lucchini en simple show pour « KerDruc ». (M. Drucker en verlan). Les médias parlent de Depardieu non pas pour sa lecture de saint Augustin mais pour ses unes avec Fanny Ardant ou d’autres moins talentueuses, son restaurant Place Gaillon, ses histoires de pipi dans un avion, ses « ménages » avec des gens peu recommandables, ses déclarations favorables à Sarkozy, sa descente en flammes de Juliette Binoche, ses accidents de scooter, l’occupation de l’un des appartements par les intermittents du talent (!), l’intérieur d’un autre appartement qu’il a mis en vente, les matchs d’Auxerre du temps de Guy Roux, ses enfants, la tragique destinée de son fils Guillaume, autant de cartes postales qui en font un Guignol de l’info. C’est la loi du milieu. Depuis Malraux on sait que tout ce qui n’est pas légendaire n’existe pas. On le voit partout quand on ne voit jamais Gérard Desarthe, à part sur scène ou sur la pellicule On le sait tous, nous sommes passés de NRF de Gide à C+ là où il se montrer, tout comme sur France 2, coincé chez un chauffeur de salle en attendant d’être interrogé entre un politique et un chanteur. Depuis qu’on a demandé à Michel Rocard si « sucer c’était trompé » on peut s’attendre à tout. Louis Jouvet a consacré sa vie à l’art dramatique, Il n’avait pas de temps à perdre à faire de la vinasse ! Aujourd’hui c’est la confusion des genres. Si quelqu’un sort de l’actualité, il revient en coulisses. L’ex ministre R. Bachelot est animatrice télé comme on est démonstratrice d’épluche légumes devant les grands-magasins; l’ancienne patronne du MEDEF cachetonne sur la radio, et l’ex icône de 68, Danny le Rouge devenu vert en fait autant. Imagine-t-on Che Guevara présenter un télé achat ? Les pères de famille hésite pour leur filles : HEC ou Secret Story ? En 2014, Hitler deviendrait consultant télé au moment de sa chute. 200 personnes se partagent le gâteau du PAF. C’est l’ère du cumul : tous pour moi, rien pour les autres.
Depardieu n’est dupe de rien. Il sait très bien ce qui est important ou pas. Il ne confond pas Peter Handke avec les états d’âme d’une mal baisée. Il ne faut pas confondre circus, culture et art. On voit beaucoup de gens faire le gugusse, on entend parler beaucoup de culture mais l’art est absent, sauf sur Arte qui porte très bien son nom, j’allais écrire son NON. Personne n’est obligé de regarder TF1 ou D8. Si vous regarder Arte, cela vous enrichira spirituellement. Dans le magma de tout ce que fait Depardieu, il y a des choses remarquables : par exemple coproduire les derniers films de l’immense Satyajit Ray. Richard Millet le signale mais il oublie de citer Daniel Toscan du Plantier, associé à Depardieu dans cette aventure. Il convient d’être précis et de saluer du producteur de Losey, Fellini, Bresson et Pialat, excusez du peu ! Depardieu a aussi rendu possible la diffusion des films de John Cassavetes en France. Cassavetes, autre génie du cinéma. C’est très bien signaler par Richard Millet.
Le show business règne tellement que l’on dit : « Un film DE Depardieu » au lieu de dire : un film AVEC Depardieu. C’est le résultat du culte de la personnalité. Millet le fait bien comprendre : les scénaristes n’étant plus du niveau de Prévert ou Audiard, on vend plus Depardieu que le film dans lequel il joue, et du coup il en devient l’auteur par défaut. On peut remarquer qu’à la télévision, on dit : « Le journal d’untel » et non plus « les informations du jour ». Bien sûr, Millet est un homme de goût. Bienvenu chez les Chtis ! très peu pour lui. Le livre de Millet ne fait pas l’apologie de Depardieu. Le pamphlétaire n’omet pas de signaler les « médiocres » films tournés par l’acteur. Série en cours. En France, on l’a vu, il peut difficilement œuvrer pour des lumières du 7e Art.
Qui reste-il en 2014 ? Alain Cavalier, Bertrand Blier et puis qui ? Dans le grand public de haut parage reste Rappeneau. Corneau est déjà parti. Millet n’est pas tendre avec Francis Veber, Claude Zidi et Jean-Marie Poiré. Prenons le cas de Francis Veber. C’est loin d’’être un sans talent. L’Emmerdeur ou Le Diner de Cons entretiennent la tradition de l’esprit français. L’intelligentsia tient à distance ce qui est populaire. Ils préféreront toujours Libération au Parisien. J’aime autant Fernando Pessoa qu’un débordement de Cristiano Ronaldo, pour ne pas citer un joueur mort (Garrincha) ou à la retraite (Loubet). Veber ce n’est pas n’importe quoi. On peut aimer Charles Dullin et Toto. Nina Simone et Maria Callas. On a le droit de rire autant avec un bon dialogue de Veber qu’avec l’humour de Tati basé sur l’observation. Depardieu, lui-même, passe de Duras à Obélix !
La colère de Richard Millet fait plaisir à entendre, à lire. Les pamphlétaires n’ont plus le droit d’exister. Les pamphlétaires sont toujours détestés par ceux qui ont pignon sur rue. Millet constate que l’on utilise encore le visage de Delon jeune dans les publicités de 2014. Y-a-t-il plus beau? Non ! Aujourd’hui, on ne fait plus aucune différence entre comédienne et mannequin. Delon lui est un acteur, et il le reste. Les mises au point de Millet donnent à réfléchir. Aucun pouvoir n’a réussi à le faire taire. Depardieu n’a pas eu d’Oscar à Hollywood lors de Green Card car la presse américaine a fait barrage en sortant ses frasques d’adolescence : à les écouter notre « Gégé » n’était qu’un ancien violeur en culote courte ! Refuse-t-il d’être américanisé ? Il fut en fait victime du protectionnisme américain. Manque dans le livre, la présence de Jacky Merveille qui fut à Depardieu ce que Jacques Vaché fut à André Breton. Jacky Merveille, voici un nom et un prénom plus beaux que le meilleur des pseudonymes. Jacky Merveille, Jacques Vaché deux météores qui n’ont pas eu le temps de faire carrière. Merveille encore moins que Vaché. Merveille, un James Dean inconnu. Gérard Depardieu était le meilleur ami de Jacky Merveille, son double. Depardieu doit vivre sans Dewaere, sans Merveille, sans Guillaume. Malgré sa dimension d’hommes d’affaires, Depardieu n’a pas tué sa poésie en lui. « J’ai été obligé d’acheter la maison en face de chez moi pour voir enfin où j’habite », l’ai-je entendu dire. Seul un poète peut dire cela.
BERNARD MORLINO
Le corps politique de Gérard Depardieu, de Richard Millet (Pierre Guillaume de Roux,2014)
Depardieu le corps du délit
L'écrivain Richard Millet publie "Le corps politique de Gérard Depardieu" (éd. Pierre-Guillaume de Roux), vibrant hommage à l'acteur. Extrait.
"Ce qu'est politiquement Depardieu ne m'intéresse pas plus que sa biographie officielle, laquelle, avec les années, tend à accroître, jusqu'à l'indifférenciation, la confusion entre l'être social et un corps qui s'est extraordinairement épaissi, comme ceux d'Orson Welles, de Marlon Brando ou, même, celui de Sade à l'asile de Charenton, cette confusion subvertissant le narcissisme contemporain par l'autoparodie dont Depardieu joue superbement : ceci est le corps politique de Gérard Depardieu, son corps véritable, et comme tel voué au sacrifice.
De cette biographie j'évoquerai cependant quelques faits qui donnent son épaisseur au corps politique, ou romanesque, c'est la même chose, de Depardieu : une grand-mère berrichonne qui savait la sorcellerie de ce pays d'étangs et de brumes ; un père analphabète qui, le dimanche, pour ne pas être en reste, ouvrait L'Humanité, quelquefois à l'envers ; la campagne de diabolisation dont il a été l'objet aux Etats-Unis, en 1991, à propos de viols auxquels il aurait participé, adolescent, à Châteauroux, ce qui a mis fin à sa "carrière américaine" et qui est symboliquement remarquable pour un acteur de cette dimension, et qui, comme Delon, Belmondo ou Mastroianni, a refusé de se soumettre à la loi hollywoodienne, de devenir un Charles Boyer, un Louis Jourdan - le "Frenchie" de service ; le rapport rabelaisien avec le pet : Depardieu, célèbre pour ses flatulences, impose le pet, que j'ai beaucoup entendu dans mon enfance limousine, comme une liberté hors norme, une subversion de la société, le propre d'un homme qui peut tout faire. "Tu es une idole bourgeoise et racée ; je suis un fils de paysans aux mains fortes, avec toute sa santé", écrit-il à Deneuve, en faisant de son origine la justification d'une liberté qu'il ira surtout chercher du côté de la grâce chrétienne : "La grâce, c'est un moment d'extrême liberté. C'est aussi un moment de visionnaire", dit-il dans une lettre posthume à Pialat.
Il faudrait risquer ici un éloge politique de la flatulence. Infiniment vulgaire, le pet est ce que lâche Depardieu à l'establishment : un scandale répété, le brouillon de la gifle qu'il lance à la figure de la France en étendant son champ d'action à la Russie et au monde entier. La bouche d'en bas parle avec plus d'éloquence que la vertu sociale-démocrate ou que les techniciens de surface du culturel. Seul Depardieu est capable de péter en barytonnant, comme dit Rabelais. Cela aussi est remarquable dans un monde qui ne supporte le corps qu'hygiéniquement érotisé.
Qu'il ait soutenu, en 1981, la candidature de Mitterrand à la présidence de la République ne doit pas être compris comme le soutien apporté par un fils de gens pauvres à un candidat barrésien ayant choisi la gauche par opportunisme ; c'est plutôt une manière de pet, un effet d'excitation durassienne, un jeu avec les puissants, plus sûrement quelque chose d'ironique, de décalé, une foucade, tout comme sa conversion à l'islam, ses séjours chez Fidel Castro, ses frasques politico-financières, son "exil fiscal", son acquisition de la nationalité russe. Abel Ferrara ne dit-il pas que Depardieu est un animal sauvage, irréductible à un pays ? (...).
Un de ses plus grands rôles : être devenu russe par la grâce de Vladimir Poutine, une des détestations obligées de la "scène" politique mondiale, voilà qui achève par une sorte de grand écart le décalé dont il joue depuis toujours. Masque ou marque, le décalage social, qui plus est national, est une arme politique, et la véritable place de Depardieu, dans l'insituable où triomphe sa voix, dans l'empan d'un phrasé capable de tout, et non pas du meilleur comme du pire, mais incluant le pire dans son mode d'existence."
RICHARD MILLET
"Le corps politique de Gérard Depardieu", de Richard Millet (Ed. Pierre-Guillaume de Roux, 110 p., 17,90 euros). A paraître le 25 septembre.
Depardieu vu par Richard Millet
Deux ans après la controverse dont il fut l'objet, l'écrivain et éditeur annonce la sortie de trois ouvrages, dont un qui porte sur l'acteur français devenu citoyen russe.
Le Corps politique de Gérard Depardieu: tel est le titre du prochain opus de Richard Millet, à paraître aux éditions Pierre-Guillaume de Roux le 25 septembre. L'auteur de La Voix d'altos'est penché sur ce «corps français, éructant, pétant, humant, vomissant et riant aux éclats, comme on le fait dans la province française, où le rire est devenu un viatique». Selon son éditeur, «Depardieu sait “jouer” la France, c'est pour en ouvrir les entrailles sans concession et nous forcer à regarder en face la vérité des régressions et des pertes». Dans la foulée, il publiera un essai sur le compositeur Sibelius, sous-titré Les cygnes et le silence(Gallimard) et, chez Fata Morgana, un bref récit: Sous la nuée.
THIERRY CLERMONT
Le Corps politique de Gérard Depardieu de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Richard Millet dans la peau de Depardieu
C'est un curieux ouvrage que publie, le 25 septembre, le sulfureux écrivain Richard Millet aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. Sous le titre Le Corps politique de Gérard Depardieu, il y analyse l'évolution du célèbre
comédien, incarnation d'une certaine France.
JEROME DUPUIS
Richard Millet l'intempestif
Richard Millet bouscule à nouveau la vie intellectuelle léthargique et la fadeur de la littérature parisienne avec… une transfiguration de Gérard Depardieu, façon Léon Bloy. Détonnant !
Richard Millet est scandaleux, et il n’a pas décidé de cesser de l’être. À vrai dire, il n’a jamais cherché à l’être spécialement non plus. Ce malentendu, avec d’autres, participe à l’image faussée que les médias et les jalousies littéraires donnent de cet écrivain qui, accessoirement, est l’un de nos meilleurs stylistes. Millet n’a pas les réflexes que l’époque attend de lui, il n’est pas un vulgaire agitateur qui donnerait dans le spectaculaire et la provocation pour faire parler de lui. Simplement, il a décidé, au lieu de faire du tapage, de prendre très sérieusement son époque à la gorge, avec beaucoup d’énergie, et de ne plus la lâcher. Ce qui, au fond, peut se concevoir comme l’une des missions canoniques d’un écrivain ou d’un intellectuel. Hélas, pensant ouvrir des débats, quitte à irriter, il a récolté un lynchage. Alors que la question, s’agissant de la réception d’un livre, n’est pas de savoir si on adhère ou non à ses thèses, mais s’il pousse à la réflexion, s’il la provoque ; or, ce n’est que dans cette perspective que Richard Millet s’est présenté comme un provocateur. Las ! Dans le pays de la démocratie et des Droits de l’homme, le débat n’est plus possible sur aucun sujet fondamental. Millet, émigré de l’intérieur C’est du moins ce qu’aura prouvé le désormais fameux Éloge littéraire d’Anders Breivik, texte dont n’a été lu que le titre – et encore, sans l’épithète (« littéraire »…) –, ainsi que quelques citations extraites de leur contexte, donc sans l’ironie cruelle au sein de quoi elles prenaient sens. On l’ignore souvent, mais l’Eloge n’a pas reçu à l’étranger le même accueil qu’en France. Tandis que chez nous, il a conféré à Millet la réputation d’un nostalgique du IIIe Reich, ailleurs, il a surtout donné l’impression que Paris était devenue la capitale d’une nouvelle Union soviétique… Les Parisiens, qui ne regardent que leur nombril, ne s’en sont pas aperçu mais, au moment où Saint-Germain-des-Prés mettait le gêneur en quarantaine, des universitaires américains l’invitaient à débattre, des critiques tunisiens, libanais ou québécois, s’essayaient à l’exégèse, et des journaux colombiens, italiens ou allemands s’étonnaient de l’état du débat public en France. Avec Le Corps politique de Gérard Depardieu qu’il publie aujourd’hui, Millet prouve qu’il assume son nouveau statut d’émigré de l’intérieur, et continue avec une féroce ténacité sa réflexion sur le déclin de la France, cet ancien « État-Nation littéraire » où désormais l’État est amorphe, la nation décomposée et la littérature exclue. Ce déclin, il le raconte avec des accents et des moyens qui font songer à Léon Bloy, génial intempestif cité en exergue ; et, à la manière du « mendiant ingrat », il procède en hissant une figure jusqu’à des dimensions métaphysiques, la figure d’un autre génial intempestif : Gérard Depardieu. Corps rabelaisien C’est ainsi que le corps rabelaisien de Depardieu devient le corps du sacrifice, où le génie français est immolé dans l’hygiénisme physique et mental du « culturel » contemporain. A partir de la filmographie de l’acteur, Millet diagnostique tous les symptômes du déclin français, comment il est dit ou comment il se maquille, Depardieu donnant comme acteur son corps à la comédie et, presque à la manière d’un intercesseur, donnant aussi son corps à tout un pays en faillite. « Chacun peut se reconnaître dans ce corps aujourd’hui monstrueux, nourri de tous nos excès et de nos désillusions ; mais cette reconnaissance est non dialectique ; la gloire cinématographique, plus que la gloire littéraire, suppose une dimension sacrificielle, et celle de Depardieu, par son omniprésence, réalise l’identification négative de tout un peuple : il est le grand miroir de notre déchéance, de notre absence au monde et à nous-mêmes. » Des Valseuses à Welcome to New-York en passant par Tenue de Soirée, Sous le Soleil de Satan, Mammuth, Cyrano ou Astérix, Depardieu aura tout incarné du récent destin français. Et Millet de relier ces films dans un vaste champ où chacun fait signe : Les Valseuses où se mêlent la légèreté et la gueule de bois de 68, Tenue de soirée où se lit la fin de tout (de l’amour, du couple ou de l’espérance…), jusqu’au gigantesque succès populaire de Cyrano, que Millet interprète comme la marque de la muséification culturelle française – le pays, au tournant des années 1990, se dissimulant sa déchéance en s’abritant sous le stuc parodique de son passé. La voix de Depardieu Dans ce dévalement, pourtant, la voix de Depardieu, sa puissance, sa tessiture émotionnelle, continuent d’exprimer une présence française, et une présence liée au littéraire. L’une des dernières voix, remarque Millet, à exprimer la nature de l’amour masculin hors des écueils de l’hygiénisme sexuel et du pur sentimentalisme. C’est ainsi que l’auteur de Ma Vie parmi les ombres propose, à partir d’un thème apparemment secondaire ou anecdotique, un véritable morceau de bravoure littéraire, rejoignant de sa voix, sur son plan, les qualités qu’il prête à celle de son sujet : une voix pleine d’ampleur, de vitalité, de coffre, de défi ; une voix qui résonne dans tout l’espace des questions fondamentales, allant jusqu’à oser revendiquer – scandale suprême – le « surnaturel chrétien »… Bref, Millet n’a pas l’intention de se réconcilier avec ses ennemis. Mais il a avec lui Saint Augustin, Bloy, Pialat. Il reste dans l’ostracisme. Depardieu est russe. On peut s’en désoler ou, au contraire, préférer s’émouvoir avec des acteurs de l’acabit de Romain Duris, et lire une énième confession névrotique en tentant de se préserver de tout ce qui est trop fort, trop violent, trop dur – trop véritablement « dérangeant ».
ROMARIC SANGARS
Le Corps politique de Gérard Depardieu, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2014).
Richard Millet publie également ces jours-ci Sibelius, les cygnes et le silence (Gallimard) et un envoûtant récit, Sous la nuée (Fata Morgana).
Le Grand remplacement, réalité ou intox ? de Jean-Paul Gourévitch
Christophe Bourseiller reçoit Jean-Paul Gourévitch sur France Inter : écoutez l'émission.
Le Jeune homme à la mule de Michel Orcel
Ces pierres qui montent
Gérard Pfister brasse en une patiente reliance un bon millénaire d’Histoire, aux sources de la philosophie allemande, et nous livre un « roman de l’intégrité intellectuelle » d’une grande force visionnaire, nourrie d’une immense culture encyclopédique nouée brin après brin, sur les traces d’une mystérieuse « Communauté du Haut-Pays » qui s’est constituée en Alsace à partir du 15 mars 1349 autour de Timothée l’Agnelet (1311-1377).
Dans ce premier roman brûlant écrit sur une décennie, on rencontre, dans une plaine d’Alsace décimée par les massacres et les épidémies, entre puissants du jour et gens de peu, Gauthier d’Andlau, Maître Eckhart (dont la « pensée libératrice », occultée par les puissants du moment puis portée par Nicolas de Cues, a été l’un des sommets de la civilisation occidentale) et bien des papes, Jean de Bietenheim, le banquier Merswin, l’empereur Louis de Bavière, Wolfram d’Aspach – et, d’une catastrophe à l’autre, des profiteurs de « crise » devenus de nouveaux maîtres dans le sillon d’un autre siècle de bruit et de fureur qui finit si mal pour une grande partie de l’espèce... L’Histoire serait-elle vraiment « un éternel recommencement » ?
Carnets de « résistance intérieure »…
Pendant l’Occupation, un jeune professeur de philosophie à Strasbourg, Serge Bermont, se penche sur les documents laissés sur cette utopie vécue en ces Hautes-Terres. Mais l’étau se resserre sur lui et il meurt le 15 septembre 1942 entre les mains de la Gestapo de Strasbourg, après avoir subi interrogatoires « musclés » et tortures – pour avouer quoi ?
Il a eu toutefois le temps de dissimuler le fruit de ses recherches dans la maison familiale de Hohrod et de mettre son épouse Jeanne à l’abri – bien plus tard, elle répondra aux questions de l’universitaire Bruno Keller, venu comprendre voire poursuivre la quête du jeune supplicié et trouver un antidote à cette peste qui toujours saisit le monde et nous vole notre temps, nos vies...
En quoi l’existence d’une modeste communauté d’ermites au Moyen Age serait-elle de nature à contrarier les desseins des maîtres du IIIe Reich, ordonnateurs d’une religion nouvelle ?
Si Serge Bermont (quoique réfractaire aux « conventions académiques ») consent à donner des signes extérieurs d’allégeance aux nazis, il n’en pratique pas moins une manière de « résistance intérieure » inspirée par ces hommes d’autrefois qui ont choisi la voie de la dépossession et du dépouillement – de la vie la plus humble vécue en son plus bel éclat dans la ferveur, au-delà de l’interrogation passionnée du minéral et des saisons sur terre...
Dans ses « carnets secrets », il écrit le 2 novembre 1941 : « Il m’est venu ce matin cette idée que, même si la puissance militaire et l’Etat nazis sont balayés, la victoire de la liberté et de la démocratie ne sera pas complète tant que n’auront pas été identifiés et éliminés les poisons qui ont pu amener la culture occidentale à une telle aberration. Car l’idéologie nazie préexistait dans les consciences à l’arrivée d’Adolf Hitler à la chancellerie et survivra pareillement à sa chute si nous ne faisons pas l’effort de mettre à jour comment elle a pu caractériser les éléments les plus nobles de notre culture et de les dégrader jusqu’à la dictature et la barbarie ».
Après tout, « ces gens-là gênaient tout le monde, les tribuns des corporations et les gens de finance apparus à la fin du Moyen Age comme les vieilles hiérarchies nobiliaires et ecclésiastiques, accrochées à leur puissance vacillante ».
Le malheur du monde
A la veille de la guerre, Serge Bermont avait lu le livre d’Otto Rauschning (1887-1982),Hitler m’a dit : « Il avait été épouvanté d’y trouver la confirmation de ce qu’il avait pressenti à la fréquentation des Heidegger, Wolf et Dollinger : c’est dans la philosophie et la culture que se menait le combat ultime contre l’humanisme et la démocratie. C’est sur ce front-là que la guerre serait perdue ou gagnée, et toutes les batailles décisives pourraient avoir été remportées sur le terrain militaire, tant que cette guerre-là ne serait pas terminée, le danger du nazisme, sous ses différents avatars, n’aurait pas été définitivement écarté. Serge savait que ce qu’il avait découvert sapait à la base tout un pan de l’idéologie nationale-socialiste ».
La figure du jeune résistant Marcel Weinum se superpose à celles de ces ermites d’autrefois, retirés « en ces repaires de solitude et de splendeur » pour fuir les hécatombes de la Plaine - ils avaient nom Timothée l’Agnelet, Abraham Elifas, Bernard de Hatstatt ou Yussuf Hamdani et un autre livre, une infinité d’autres livres s’ouvrent dans le calme de la montagne, sur le secret du monde ou sur une offrande à ce qui n’a pas de nom dans le monde…
Longtemps, la communauté a souffert de la « conspiration du silence », quand bien même des brochures signées de « l’Ami de Dieu » connurent une certaine vogue durant la seconde moitié du XIVe siècle – mais elles pourraient avoir été l’œuvre de Rulman Merschwin, selon de doctes études parues bien plus tard sous le règne de l’empereur Guillaume Ier : « l’épisode de la communauté des Hautes-Terres, même censuré et faussé par des générations de scribes, continuait de faire tache dans le panorama historique soigneusement élaboré par des savants philologues et idéologues de la nouvelle puissance allemande ».
Serge Bermont est-il mort pour une mince épaisseur de vieux papiers moisis, dispersés par les vents mauvais de l’Histoire – ou pour quelques instants d’ardente clarté entrevue ? Et puis, cette communauté a-t-elle vraiment existé ? Après tout, le merveilleux n’a-t-il pas le droit d’exister ? « Qui de nous n’a senti qu’il n’était de ce lieu-là, de ce rêve ? Qui de nous ne s’est reconnu dans cette vive lumière, dans cet endroit désert ? Serge Bermont a vécu certains matins dans cette pure clarté, et pour toujours y a fait sa résidence ».
Le roman vrai de Gérard Pfister se veut tout d’abord la réparation d’une « falsification de l’Histoire » - et tout y est exact, assure-t-il, jusqu’à la mission des deux ermites auprès du pape à Rome : ces hommes des Hautes-Terres ont vraiment ouvert, du bord rocailleux de leur Arche, un chemin d’éveil… En somme, « ça ne s’invente pas » : le rôle du romancier n’est-il pas de donner juste de la présence physique et de l’épaisseur psychologique aux personnages – puis de les laisser vivre leur vie dans l’inconscient collectif ?
La lumière du monde
Pour les sages retirés sur les hauteurs, il était évident que « le monde ne savait produire que son propre malheur » et que « de toute urgence il fallait regarder ailleurs », comme nous y invite ce maître-livre nourri de riches références historiques et porté autant par son art du montage que par le souffle du poète habité qui soulève la prose du monde - pour nous inviter à changer notre relation au monde à partir de ce qui, dans le blanc des mots, jamais ne s’épuise ni ne ment …
Après la mort de Timothée l’Agnelet (1377), la petite communauté se défait puis se dissout (1380) – et sa trace s’efface… Mais au fil des siècles, les pistes se croisent pour d’inlassables chercheurs de vérité - ou s’embrouille à souhait selon les intérêts ( ?) des faiseurs du moment.
La main du poète visionnaire devenu romancier va loin – jusqu’à l’envol de ce qu’on regarde s’éloigner du grain de la page, du haut de la montagne, pour faire son chemin dans un monde redevenu le bien de tous, sans excédent de mots, par la grâce d’une très haute solitude rendue à une réalité plus forte et d’une parole jamais perdue par les hommes de bonne foi.
Des pages d’éternité à tourner pour un souffle à retrouver, un grand silence à embrasser ? Dans un monde redevenu un bateau ivre sans pilote ni boussole ou cartes de navigation, un livre pour savoir où l’on va, pour retrouver un chemin sous ses pas – ou un miracle à honorer entre les pages histoire de conjurer un autre âge des ténèbres ?
MICHEL LOETSCHER
Gérard Pfister, Le Livre des sources, éditions Pierre Guillaume de Roux, août 2013, 426 p., 24,90€
Un roman exceptionnel
A l’heure où la question primordiale des journalistes littéraires semble de savoir si Yann Moix gagnera le Renaudot ou le Goncourt avec son roman-fleuve Naissance (1), à moins qu’Etienne de Montéty, avec La Route du salut (2)…, nous préférons vanter cet insolite roman de Gérard Pfister de plus de 400 pages, exceptionnel, mystique, apocalyptique et inspiré, Le Livre des sources (3) qui est à nos yeux la bonne surprise de l’automne !
Le poète Gérard Pfister, qui a créé et dirige les éditions ARFUYEN depuis belle lurette, réussit ici son « œuvre au rouge ». Son roman historique, bien architecturé, impeccablement écrit, « ressuscite » avec brio cette énigmatique « Communauté du Haut-Pays » et interroge alors la haute spiritualité de Maître Eckhart quand il affirme : « Pourquoi chercher Dieu au ciel ou je ne sais où ? Il est en vous ! » la confrontant étrangement avec la doctrine d’Adolf Hitler s’exclamant : « Nous voulons des hommes libres, qui savent et qui sentent que Dieu est en eux ».
Il vaut la peine de lire ce copieux roman partant de l’énigme d’un assassinat de 1942 : celui d’un certain Serge Bermont, jeune enseignant de philosophie, tué par la Gestapo de Strasbourg, après avoir subi des tortures durant sa détention. On reste passionné de bout en bout par la réponse scrupuleusement échafaudée. Gérard Pfister, en spécialiste passionné par la mystique rhénane, tente de démêler le vrai du faux, la mystification volontaire et la réalité historique. Son regard est perçant comme celui d’un éternel quêteur de vérité, il ose les rapprochements spirituels les plus audacieux, le décryptage scrupuleux. Il a la précision de l’historien et l’imagination du romancier. Il cède à la fascination des anciens manuscrits qui dorment et attendent encore au fond des bibliothèques, « tout prêts à donner enfin la solution de l’énigme ».
On ne « résume » point Le Livre des Sources, on subit son emprise, son magnétisme même. Et c’est encore l’élan vital du poète épris d’absolu qui emporte l’adhésion, au final. « Il y a des matins, il y a des soirs. Il y a des grands désirs, il y a des désespoirs. Il y a des lieux, il y a des époques. Une génération se lève et recommence le monde. Tout est neuf, tout est soif, tout est source. L’étincelle est au cœur, et on ne sait pas pourquoi il y a cette lumière, cette force, cet élan » lance Pfister (p.418).
Avec lui, en effet, d’un chapitre à l’autre, d’un siècle à l’autre « les destins s’entretissent comme si en réalité ils n’étaient qu’un ». Les hommes des Hautes-Terres revivent. Serge Bermont y compose toujours ses Carnets secrets. Le Moyen Âge semble à nos portes. Le banquier Roland Merswin ment toujours avec autant de minutie. Maître Eckhart transmet à Sœur Catherine de Strasbourg son audace spirituelle, et le discernement demeure la chose du monde la moins partagée !
JEAN-LUC MAXENCE
Le Livre des sources, de Gérard Pfister (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Un Moyen Age si contemporain
LE PASSÉ MÉDIÉVAL persiste dans l'imaginaire littéraire des modernes, si habités par la « haine du passé » qu'on les dise. Comment expliquer que le goût pour cette époque ne se démente pas ? La beauté des gravures de Gustave Doré illustrant l'Histoire des croisades, de Joseph-François Michaud (1767-1839), est pourtant bien lointaine ! A l'instar de l'Orient des écrivains au XIXe siècle, ces temps dits « obscurs » permettent de projeter, sur une scène éloignée, une esthétique très contemporaine de la violence et du sang (c'est bien le cas de La Quête, de Robert Lyndon). Comme l'Orient mythique de Delacroix ou de Flaubert, le Moyen Age constitue paradoxalement le support mythique à une utopie rétrospective de liberté sexuelle absolue.
Tout aussi paradoxalement, et sous l'invocation de Maître Eckhart (1260-1328), père de la mystique rhénane, le Moyen Age peut servir d'envers métaphorique du nazisme. Il en va ainsi dans Le Livre des sources (Pierre-Guillaume de Roux, 426 p., 24,90 €), curieux roman du fondateur des éditions Arfuyen, Gérard Pfister. Celui-ci adopte la forme romanesque pour purifier grâce à la fiction l'enseignement du dominicain, selon lui confisqué par les hitlériens. Mais peut-être est-ce ce monde d'avant la nation, globalisé à sa manière, qui fascine dans le Moyen Age. Un monde qui nous ressemble.
NICOLAS WEILL
Le Livre des sources, de Gérard Pfister (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Une voix dans la montagne
Éditeur et poète, Gérard Pfister avait jusqu'alors délaissé la fiction. Avec Le Livre des sources, premier et vertigineux roman, la voix des mystiques rhénans résonne par-delà les siècles.
On ne sait que peu de choses à leur sujet. Qu'ils n'étaient qu'une poignée, qu'ils aspiraient à vivre une autre forme de spiritualité, plus haute et plus sincère, en ce milieu du XIV6 siècle tourmenté par les guerres, la peste et les pogroms. Et pour parvenir à cette quiétude où la nature réconcilie l'âme avec Dieu, ils fixèrent leur ermitage loin de leurs tumultueux contemporains et d'une Église qui ne répondait plus à leur attente. Quelque part dans la montagne, peut-être les Alpes à l'approche de Bâle, plus probablement les Vosges, en un endroit si isolé que jamais on ne trouva ceux qui prirent pour nom les Amis de Dieu du Haut-Pays. Cette communauté de vie et de destin, qui résista durant plus de quatre décennies aux vicissitudes de son époque, en devint mythique. Une dizaine de textes de belle ethaute facture lui fut attribuée, qui participa à son rayonnement et la situe dans l'exact sillage des grands mystiques rhénans, de Maître Eckhart et de Jean Tauler.
L'authenticité de ces écrits fut cependant mise en doute à la fin du XIXe siècle et la question demeure ouverte. Gérard Pfister se garde bien de trancher. « II n'empêche, s'il s'agit d'une fiction, quelle fiction ! », s'exclame-t-il, une admiration enthousiaste qui l'a amené à se confronter à cette histoire et, pour lui donner corps, à s'engager dans le territoire du roman, jusque-là délaissé dans son œuvre littéraire dominé par la poésie. Le fondateur des éditions Arfuyen, qui se partage entre Paris et Strasbourg, tout en se ressourçant régulièrement au Lac Noir où il dispose d'un petit chalet, signe un récit marqué par ce rapport charnel à la nature, aux paysages des Vosges dont l'émerveillement ne s'est jamais éteint. Mais son Livre des sources est aussi un cheminement, extrêmement documenté, à travers le temps, les époques, les pensées et leurs manipulations. Le XIV6 siècle y tisse des liens inattendus avec l'Allemagne des années trente. Et suscite des questions. Comment Maître Eckhart a-t-il pu servir de caution à Alfred Rosenberg, l'idéologue du parti nazi ? Et le bûcher dans lequel périrent des centaines de juifs strasbourgeois, en 1349, ne jette-t-il pas ses lugubres lueurs sur d'autres exterminations à venir?
À travers la figure de Martin Heidegger, la responsabilité des intellectuels est mise en cause, mais aussi plus généralement celle des élites. De leur opportunisme et de leur cécité propice à toutes les catastrophes. Multipliant les entrées, les correspondances, Le Livre des sources, porté par une écriture sensible, à tonalités multiples selon les époques investies, interroge une implacable permanence du temps, dépouillée des oripeaux de l'anecdote. De ce matériau palpitant de l'histoire des hommes et des idées, Gérard Pfister fait émerger une certaine vision de notre fragile et versatile humanité. Paradoxalement, ce regard n'apparaît en rien désenchanté même si une agréable mélancolie parcourt un roman, à tous égards, très buissonnier. Et ce n'est pas le moindre de ses mérites que de faire entendre la voix de la communauté des Hautes-Terres, celles aussi d'Eckhart et de Tauler, et de percevoir ce qu'elles conservent d'attachant et de pertinent. •
SERGE HARTMANN
Le Livre des sources, de Gérard Pfister (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Le Making of d'Ariel Denis
Découvrez l'article de Jérôme Dupuis dans L'Express.
Le Manifeste du PC aux yeux de l'Histoire d'André Senik
Quand Michel Lambert s'amuse
Né en 1947 à Aïcha - ancien Congo Belge - Michel Lambert, tour à tour journaliste, romancier, nouvelliste est rédacteur en chef de la revue Le Carnet et les Instants et conseiller littéraire aux Éditions du Grand Miroir. Parallèlement, il anime régulièrement des ateliers d’écriture en centres culturels, en prison et souvent dans des centres de santé mentale. A compter de son entrée en littérature en 1987, les parutions se sont enchaînées : quatre romans, notamment Une vie d’oiseau (Espace Nord), Prix Victor Rossel 1988, et La Maison de David (Le Rocher), Prix triennal du roman 2006, ainsi que sept recueils de nouvelles parmi lesquels Une touche de désastre (Le Rocher) distingué par le Grand Prix de la nouvelle de la Société des Gens De Lettres 2006. Ses deux derniers ouvrages (Edition Pierre-Guillaume du Roux 2011 et 2012) sont consacrés à la nouvelle, genre dans lequel il excelle. Il s’agit de Dieu s’amuse et Le Métier de la neige.
La vie quotidienne est au cœur de l’écriture de Michel Lambert, à travers des personnages en questionnement, en crise, parfois désespérés, maladroits et cyniques. En évoquant son dernier recueil, Le Métier de la neige, Michel Lambert précise que «tout l’art de la nouvelle consiste à creuser, approfondir ce moment de basculement.» Une écriture sobre avec une pointe de dérision et de tragique dans un monde où règnent l’incompréhension, l’endurance, la solitude, la fragilité. L’auteur rencontrera les élèves du Lycée Raymond Naves de Toulouse le jeudi 27 mars et signera ses livres à l’issue de la remise des prix au théâtre municipal à 20 heures.
Le Métier de la neige, nouvelles de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Le Métier de la neige de Michel Lambert
De recueil en recueil, Michel Lambert poursuit son travail exigeant d'écrivain nouvelliste. Après Une touche de désastre (2006), Le jour où le ciel a disparu (2008) et Dieu s'amuse (2011), pour ne citer que les récents, l'auteur revient vers nous avec neuf nouveaux textes où nous retrouvons cette façon très particulière de lier le présent au passé, ce talent très personnel pour évoquer le mal-être de ses personnages, leurs fêlures, leurs douleurs, cette écriture précise et sensible pour exprimer la difficulté de communiquer vraiment, au-delà des mots échangés qui n'osent pas ou ne peuvent pas dire l'essentiel.
Et il songea à l'époque où il avait un travail intéressant, de l'argent. Une femme, une fille qu'il adorait. Tout était parti en fumée, tout ce à quoi il tenait. Va savoir comment, va savoir pourquoi. Par une sorte de négligence peut-être, ou plutôt d'enchaînement fatal, comme maintenant, et comme maintenant, il était trop tard.
Michel Lambert est un subtil portraitiste. Chaque nouvelle est centré sur un narrateur qu'on va suivre dans ses errances, ses rencontres, ses conversations et dont on perçoit peu à peu ce qui remonte du passé pour troubler le présent.
On suit ainsi un père dévasté par le mystère d'une fille partie du jour au lendemain sans explication ; un autre qui a négligé son fils au profit de celui d'un ami ; un homme qu'une erreur d'aujourd'hui renvoie à une erreur d'autrefois, un mauvais choix sur lequel il est trop tard pour revenir ; un autre que les pourquoi d'aujourd'hui renvoient aux questions d'autrefois et qui prend conscience que sa blessure ancienne était peut-être plus forte que l'actuelle ; des narrateurs qui rencontrent ou suivent des femmes qui leur en rappellent d'autres, qu'ils n'ont pas su aimer ou protéger…
Parfois, l'auteur s'aventure dans les faubourgs du fantastique. On suit ainsi un médecin dans une ville où une frontière quasi invisible séparait les quartiers sans reproche des quartiers coupables. Le risque est grand pour celui qui s'égare, la moindre distraction peut avoir de dramatiques conséquences. Dans une autre nouvelle, c'est la lisière entre la réalité et la fiction qui est ténue, entre une ville de cinéma et une ville réelle. Le narrateur suit une actrice qui se déplace un perroquet perché sur l'épaule. La communication s'avère difficile mais il ne peut s'empêcher de la suivre, poussé par ce besoin de prendre des revanches sur le passé ou sur le regard affligé qu'on porte sur lui. Ah, s'ils pouvaient être là, les techniciens de l'Eldorado, la petite fille et son père, sa propre fille à lui, la femme qu'il avait aimée puis détestée, Pierrot, les clients du Clair de Moon ! Une salle remplie, et si le film était bon, s'il jouait bien son rôle, en héros, peut-être à la fin de la séance le regarderaient-ils tel qu'il était vraiment, non pas le timoré de service mais l'homme qu'il avait été autrefois, avant que les choses ne tournent mal, un véritable acrobate de la vie.
La nouvelle qui donne son titre au recueil est une autre occasion de voir cette manière de Michel Lambert de jouer avec les mots, de s'interroger sans cesse sur le langage. Ici c'est le thème de la chute qui est exploré. La neige qui tombe, l'ami tombé dans l'alcoolisme et tombé professionnellement, la femme tombée malade, et le narrateur qui se sent lui aussi en chute libre. La neige tombait puis elle cessait de tomber, on croyait en être débarrassé et elle revenait. Elle revenait toujours. C'était son métier en quelque sorte. Pour la neige, c'est normal de tomber, mais pas pour les hommes. L'homme qui tombe ne se relève pas toujours et lorsqu'il se relève, le souvenir de la chute est toujours là, plus ou moins enfoui, et un rien, parfois, suffit à le réactiver. C'est cela le métier de Michel Lambert, nous montrer le moment où un geste, une parole, une image ranime le souvenir enfoui de la chute, de l'erreur, de la perte, du drame, souvenir dont le temps parvient seulement à adoucir les contours comme la neige sur un paysage.
Un très beau recueil, des nouvelles fortes dont on conserve longtemps les traces, une écriture maîtrisée au service d'une émotion sans pathos, un livre tendre sur des sujets durs… Neuf textes, neuf rencontres, et bien plus de raisons encore de lire Michel Lambert.
SERGE CABROL
Le métier de la neige, nouvelles de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
L'art de la nouvelle
Nouvelle” est en français un mot très précieux, soit à peu près le contraire de ce qu’il voudrait dire en anglais ; a novel est un roman, tandis qu’une nouvelle est un absolu de roman, si l’on nous passe ce mot d’alchimiste. Rien n’est plus conforme à l’esprit du français, qui répugne à tous les développements oiseux. Les météores sont nos vrais maîtres et les anciens Chinois enseignaient qu’il fallait écrire comme le temps qu’il fait. Le métier de la neige, l’auteur l’a fait sien ; on se surprend à penser à Tchekhov, mais non comme à une référence ou à une imitation : comme à une présence fraternelle. Tout est offert, avec l’évidence énigmatique de la vie, le rêve, la réalité et par-dessus tout leur fatale confluence : « Combien de temps passa ? Il n’aurait su le dire lorsque […] il se rendit compte que le ciel était désormais nu et apaisé, et le quai désert, et toutes les lumières éteintes ».
PHILIPPE BARTHELET
Le métier de la neige, de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Bonnes nouvelles de Michel Lambert
«Ce qui relie mes personnages, c’est qu’ils ont eu un moment de souffrance, qu’ils recherchent la douleur délicieuse, l’endroit exact de la fracture en la touchant du doigt. En même temps ça fait très mal mais on sait qu’on va pouvoir soigner cette souffrance…» L’écrivain belge (et prix Rossel 1988) Michel Lambert se complaît dans la nouvelle! Un style littéraire qu’il apprécie particulièrement et auquel il consacre un nouveau volume, Le métier de la neige, nom d’un des neuf récits qu’il propose. «J’ai choisi ce nom suite à une réflexion. Dans la vie il y a des hommes et des femmes qui tombent, certains se relèvent tandis que la neige, elle, tombe sans état d’âme. C’est son métier… Les êtres humains, eux, ont un destin. Et puis la neige, c’est en même temps ce ciel sombre et quelque chose de merveilleux, d’enfantin. Une force contradictoire.»
Neuf tranches de vie et autant de paysages urbains dans lesquels Michel Lambert emmène aussi son lecteur. «Il y a Paris, une ville que j’adore, fascinante, habitée mentalement par de grands écrivains. Mon rêve serait d’y avoir un pied-à-terre mais bon restons raisonnables!» Mais il y a Bruxelles aussi, Anvers ou encore Moscou. «J’y suis allé deux fois à 17 ans d’intervalle. Le cimetière dont je parle, je l’ai visité. Sur cette image s’est greffée l’histoire d’une amie soignée par un charlatan. Le tout a donné naissance à une nouvelle. Comme si mon inconscient rapprochait ainsi plusieurs sujets…»
Chez Michel Lambert, on pourrait quasiment affirmer que la nouvelle est naturelle. N’est-il pas le président du prix franco-belge Renaissance de la nouvelle… «C’est un style, un registre qui me plaît particulièrement. Il y a un resserrement verbal. L’ambiguïté est plus forte, le lecteur peut boucher les trous, devenir un écrivain passif qui imagine ce que l’auteur ne dit pas. Il est invité à faire la moitié du chemin.» Mais c’est aussi un style qui a ses contraintes. « C’est vrai que le style est vraiment primordial, une digression de trop ou une virgule mal placée et rien ne va plus.» Enfin, comme le fait remarquer l’écrivain, c’est aussi un style qui a évolué. « La nouvelle contemporaine se base sur un événement, un moment qui cristallise tout, le passé et l’avenir. Au XIXe siècle, une nouvelle comportait nettement plus de personnages.»
Style qui reste marginal en littérature française, la nouvelle est plus exploitée dans le monde anglo-saxon. «C’est vrai mais tout est relatif, le marché de la nouvelle est toujours plus difficile que celui du roman, partout. Mais c’est vrai qu’il existe une plus grande tradition aux États-Unis. Je devrais normalement y être prochainement publié, on me traduit actuellement.»
En attendant, Michel Lambert est déjà plongé dans de nouvelles… nouvelles. Mais ne renonce cependant pas au roman. «Après peut-être!»
Michel Lambert, «Le métier de la neige», Pierre Guillaume de Roux, 190 p.
Interview de Michel Lambert sur RTBF Musiq 3
Ecoutez l'interview de Michel Lambert à 7h30 le 30/05/2013 sur Musiq 3 (RTBF) en vous rendant au lien suivant :
http://www.rtbf.be/musiq3/podcast
Le métier de la neige, de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Interview de Michel Lambert à la RTBF
Ecoutez l'interview de Michel Lambert à la RTBF à propos de son dernier recueil de nouvelles Le métier de la neige (Pierre-Guillaume de Roux, 2013) en vous rendant au lien suivant :
http://www.rtbf.be/culture/article/detail_michel-lambert-publie-le-metier-de-la-neige-chez-pierre-guillaume-de-roux?id=7994798
Tombent la neige, et les hommes
Le métier de la neige. Quel beau titre, subtil, mystérieux, insolite. Et signifiant. Le boulot de la neige, c’est de tomber, comme chantait Adamo. Sa trajectoire, c’est la chute. Souvent, les êtres humains sont pris dans le filet des mêmes lois de la pesanteur : ils défaillent, capitulent, s’écroulent. Ils sont pris dans un mouvement de chute générale. Pour la neige, c’est sans espoir de se relever. Pour les hommes et les femmes, l’espoir demeure de pouvoir resurgir et poursuivre son chemin, la résilience existe. Parfois. Rarement. C’est cette précipitation quasi inéluctable que Michel Lambert illustre en neuf nouvelles superbes. Neuf tranches de vie, courtes mais intenses, doulouereuses mais parsemées d’éclats de rires, moroses mais pas totalement désespérées. L’auteur nous emmène dans une géographie mélancolique, aux indigènes perdus, velléitaires, qui aimeraient bien émerger du goudron qui les colle au sol mais n’osent pas vraiment s’en extirper. L’espoir subsiste. La volonté, elle, manque. Ou les possibilités, ou les circonstances, ou l’occasion. Enfin quelque chose ne fonctionne pas. Alors, on erre, on s’accroche à l’un ou l’autre, qu’on entraîne parfois dans sa chute. Les zombies s’accumulent, comme la neige recouvre le territoire. Cristaux épars qui forment une masse immaculée, qui est tout sauf un symbole de pureté.
Les étoiles
La pureté pourtant, c’est-à-dire la résurgence, le renouveau, la résurrection, ces êtres tombés que sont les zombies la cherchent, tâtonnants, maladroits, pathétiques. Cet homme du « Petit jeune homme » qui tente d’approcher un gars qui ne dit que « Papa », ce mot qu’il a envie d’entendre, avec ne fût-ce qu’un peu d’amour, dans labouche de sa propre fille. Les « Larmes froides » de Tony qui, mené près de chez eux par le flot des circonstances, revoit un couple de vieux amis qui n’ont qu’une seule envie, qu’ils n’osent évidemment pas mettre en mots : qu’il déguerpisse. Et ce Ferrier, qui déteste les volatiles et qui, dans « La vraie ville », suit une jolie femme qui promène un perroquet sur l’épaule lui murmurant incessamment « mon amour, mon amour ». Ce narrateur de « La tentation des tours » qui tente de suivre une autre femme, aperçue à la caisse de Carrefour, parce qu’elle ressemble à l’héroïne d’une nouvelle de Henri Thomas, ou à sa sœur, ou à une jeune femme assise dans le parc, ou à sa mère en fin de compte. Ou celui de « Complices », fasciné par cette femme qui s’assied, chaque jour, à sa table de la terrasse de l’Ile bleue.
Avant que la neige ne s’étale, cependant, elle tombe « en milliards de petites lumières, en signe d’allégresse, pour vous chuchoter que la vie est magique ». Les pauvres héros de Michel Lambert s’accrochent à ces étoiles éphémères, avec héroïsme et avec peine, dans un univers indifférent. Michel Lambert espère que certains s’y illumineront.
JEAN-CLAUDE VANTROYEN
Le métier de la neige, de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Neuf variations autour de la chute
Tout comme Bruegel en a donné une émouvante interprétation dans son tableau La chute d’Icare, Michel Lambert met en scène dans Le métier de la neige, son dernier recueil de nouvelles, plusieurs de ces aléas de l’existence où le sol se dérobe sous nos pieds, où la vie se vide de toute substance, où nous sommes entraines dans une chute, parfois brutale, parfois lente et insidieuse.
A l’image d’une certaine modernité, nous perdons dans ces moments de crise tout repère, ce qui explique peut-être que Michel Lambert situe ses neufs nouvelles dans des milieux urbains, univers souvent déshumanisés où, malgré la promiscuité, beaucoup sont renvoyés à leur solitude. Boulevards, cafés, gares, hôtels (de passe), tours et taxis servent de décors récurrents aux rencontres fortuites que l’écrivain belge met en scène. De sorte que la nature y apparait peu et que les protagonistes se tournent des lors vers le ciel pour y trouver un miroir à leurs états d’âme. L’aspect visuel, proche de Hopper, prime dans les nouvelles de Lambert et on ne s’étonne pas que peintres et cinéastes apparaissent régulièrement dans ses histoires, celles-ci mais aussi celles de ses livres précédents. Toute sa palette se déploie pour peindre ces cieux, à tel point que l’on pourrait leur consacrer une étude plus complète, sans compter que ces descriptions reflètent la tonalité de la nouvelle, les enjeux qui se nouent entre les personnages.
Quelques exemples pris parmi d’autres : ≪ un ciel d’un bleu si intense et en même temps si lointain que le guettait déjà une sorte d’effacement blanchâtre ≫ ; ≪ le ciel restait d’un bleu lisse, il n’avait pas pris une ride, ni d’avoir souri, ni de s’être tracassé ≫ ; ≪ un ciel de grande fatigue avec sa peau grise, ses cernes noirâtres sous lesquelles disparaissait le clignotement d’un avion ≫ ; ≪ le ciel était désormais nu et apaisé, et le quai désert, et toutes les lumières éteintes ≫… Ces extraits montrent aussi la beauté de la langue, la force de l’écriture et le soin apporté à la construction de la phrase, ainsi qu’au choix des mots.
Les personnages de Michel Lambert, sous ces ciels immenses et dans ces villes souvent froides, sont souvent des solitaires, perdus dans la foule et, quand ils sont accompagnés, le sont souvent mal, avec le sentiment d’usurper leur place, d’être porteurs ou complices d’une faute. Comme dans ≪ Le petit jeune homme ≫, ou le narrateur déambule sur les quais de la Seine, marqué par l’angoisse, la culpabilité et la honte d’un passé dont le deuil est encore à faire. Au gré de leurs errances, ces personnages croisent souvent des anonymes, des êtres qui apparaissent comme les révélateurs d’un tourment intérieur. ≪ A chaque homme, un témoin de sa vie, de son malheur. ≫ Ici, il s’agira d’un jeune homme au comportement extravagant, qui répète sempiternellement : Papa, papa, papa. Un appel qui va provoquer d’étranges échos chez le narrateur, réveiller en lui des sentiments troubles, sans que son drame intime n’éclate au grand jour, tant il est vrai qu’il n’est de littérature que du secret.
≪ Larmes froides ≫ décrit, dans ≪ une ville ou partout sévissait la folie immobilière ≫, la dérive d’un médecin qui débarque à l’improviste chez un couple d’anciens amis, impuissants face à son désarroi. ≪ Il avait commis une erreur, il le savait bien. Et il savait aussi que c’était une ville qui ne pardonnait pas les erreurs. ≫ De sorte qu’il repartira avec le poids de sa ≪ douleur exquise ≫. Inconsolé. Le métier de la neige met en scène un trio a Moscou. Trois fantômes pris dans une tempête. ≪ Eux aussi, en un sens, faisaient partie d’une génération perdue. On leur avait promis monts et merveilles, ils étaient tombés de haut. Tomber. Comme si désormais il n’y avait plus que ce mot, plus que cette façon de vivre. ≫ De sorte que la neige devient une métaphore de leurs vies.
Il en va ainsi des autres récits ou les protagonistes, cette humanité de perdants, d’exclus, bavards ou mutiques, fils imposteur ou fils déchu, cabotins certifiés, couples improbables, confrontés à la dureté des temps, à l’injustice du sort, aux rebuffades et aux moqueries, ≪ ceux pour qui le métier de vivre est devenu trop dur ≫, courent vainement derrière ≪ l’innocence d’un monde nouveau≫, dans l’espoir de retrouver la légèreté et la fantaisie avec laquelle voltigent, comme des flocons de neige, ≪ certaines choses, qu’on les appelle amour, souvenir ou du nom qu’on veut ≫.
MICHEL TORREKENS
Michel LAMBERT, Le métier de la neige, Paris,
Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2013, 172 p.,
18,90 €
Signature autour de Michel Lambert chez Delamain
Séance de DEDICACES autour de MICHEL LAMBERT, le mardi 9 AVRIL à partir de 19h30 à la librairie DELAMAIN - 155 rue Saint-Honoré - 75002 Paris.
Nous aurons le grand plaisir d'écouter l'auteur lire lui-même une de ses nouvelles, dont le choix bien entendu ne saurait être divulgué avant l'heure.
Cet excellent orateur répondra aussi à toutes vos questions....
Une fois les dédicaces écrites, nous porterons un toast en l'honneur du grand nouvelliste belge.
Nous vous attendons tous ! Faites circuler l'information...
Le métier de la neige, de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Aller aux nouvelles
Alain Kewes, Ce n’est pas mon visage, éd. Le Bruit des autres, 2011, 112 p., 12 €
Michel Lambert, Le Métier de la neige, éd. Pierre-Guillaume de Roux, mars 2013, 200 p., 18,90 €
Prenons les deux recueils dans l’ordre chronologique de leur publication, et commençons par celui d’Alain Kewes, intitulé Ce n’est pas mon visage. Étrange assertion, en clin d’œil ironique, car si l’œuvre d’un auteur dessine, comme on le dit parfois, son visage, nous en avons ici une espèce de démonstration avérée et détournée. Et sous le mot « visage », cherchons plutôt le mot « personne ».
De la personne d’Alain Kewes émane une élégance rare, pétrie de modestie, qui se retrouve dans ses textes, et dans son écriture. La première nouvelle de son recueil est encombrée de cadavres, le narrateur bute littéralement sur des corps, un par jour, dans l’escalier de son immeuble. Un homme, une femme, dont il fouille les poches ou le sac. Ces cadavres-là n’entrent pas dans la vie du narrateur par hasard. Comment parler de l’angoisse de la mort ? Avec tact, suivant les figures de la métaphore ou de l’allégorie. Figure. Visage. « Ce n’est pas mon visage », mais la figure rhétorique que je choisis me dévoile, n’est-ce pas ? A quoi bon écrire si ce n’est pour détourner-retourner-tournebouler les évidences de nos vies communes ?
Il y a, dans l’art discret et difficile de la nouvelle, parfois, une exigence indispensable d’éloignement de soi et de dévoilement. Alain Kewes le montre sans le démontrer. L’élégance, c’est ça, au fond. Kewes s’inscrit, avec ce recueil dont chaque phrase est un petit bijou, dans la belle lignée des grands nouvellistes français contemporains, Georges-Olivier Châteaureynaud, Pierre Autin-Grenier, Daniel Boulanger, Claude Pujade-Renaud, Christiane Baroche…, la liste est longue, il faut aller lire les textes de ces écrivains.
La Mort en marche est le texte inaugural du recueil d’Alain Kewes. Il en donne le ton, et incite, ô combien, à poursuivre sa lecture.
Michel Lambert est, lui aussi, d’une élégance rare. Son dernier recueil en date, superbement intitulé Le Métier de la neige, creuse au plus profond de nos émotions et de nos réactions face aux coups. Oh, pas les coups physiques, la violence n’est pas de mise ici. Il s’agit plutôt de coups feutrés, martelés non par des poings mais par la vie même. Les coups de l’émotion, cette foutue émotion qui nous meut, tous, même si nous nous en défions, même si nous ne voulons pas la nommer. La neige, celle du titre, elle « tombe ». C’est son « métier ». Les personnages de la nouvelle éponyme sont déjà tombés, ou sont en train de le faire. On est passé par la dépression, on comprend que la femme que l’on aime est en train de s’éloigner, il neige sur Moscou, et voilà, on est là, on regarde le lent délitement des choses.
Les personnages de Michel Lambert dévoilent les propres failles des lecteurs, en osmose et empathie. Dans la nouvelle Le Petit Jeune Homme, on revisite les métiers de père, et de fils. Dans un autre texte, sur fond de fausses retrouvailles ou de retrouvailles faussées, on insiste sur la « douleur exquise », celle qui « fait mal, parce que c’est exquis, et parce que enfin on comprend tout ». Les personnages de Michel Lambert ne sont pas des écorchés vifs. Ils n’ont rien d’exceptionnel, de pathologique, d’hystérique. Ils sont là, comme nous sommes là nous-mêmes, à la fois acteurs et spectateurs d’un déroulé – appelons cela « la vie », faute de mieux – sur lequel nous avons bien peu de prise. Élégance, là encore, dans ce constat en rien geignard, en rien égocentré. Dans les textes de Michel Lambert, on change de décor, on passe de ville en ville, de paysage en paysage, mais au fond, rien ne change. Parce que notre fond, universellement et pathétiquement humain, est à peu près commun. Le paysage urbain évoqué, de Moscou à Bruxelles, Paris ou Anvers, ou ailleurs, souligne le caractère immuable de nos pauvres (?) réactions humaines.
Nous n’en dirons pas plus sur les textes de ces recueils. Il faut aller les lire. Et les savourer. Tout l’art de la nouvelle s’y trouve condensé, sans démonstration pesante, sans didactisme, sans faux-semblant. On s’étonne, à la lecture de ces miniatures ciselées, du peu de cas que l’on fait, en France, de la nouvelle. Nulle part ailleurs ce genre exigeant n’est à ce point dédaigné, ignoré, par les critiques – et les lecteurs. Il faut croire que l’on a incité le public potentiel à préférer une histoire plus ou moins longue, et plus ou moins insignifiante – basée sur la lombalgie, le malheur d’un amour non partagé, un rendez-vous manqué au fin fond de Los Angeles, que sais-je, enfin, ce genre de « trucs » – à deshistoires, que l’on peut apprécier et savourer le temps d’un trajet en métro, d’une pause au bistrot, et sur lesquelles on revient, auxquelles on repense, que l’on partage. Dans un recueil, il y a un certain nombre d’« histoires », mais il y a une voix unique, chaque fois unique, comme l’est celle de Kewes ou celle de Lambert, qui ouvre sur des gouffres familiers. Une voix qui se donne, qui s’entend, dans l’élégance de l’écriture. La nouvelle ne souffre pas l’à-peu-près. Il faut que chaque phrase ait été pensée, travaillée. Il ne suffit pas de raconter des histoires, il faut les « écrire ». C’est pascalien, la nouvelle. Ce cher Pascal, qui s’excusait de « n’avoir pas eu le temps de faire court ». L’art du court, l’art du bref, c’est la pierre de touche de l’écrivain. Qui, en France, en a conscience ? Allez-y, allez-y voir, allez-y lire, vous verrez, vous lirez, cette différence. Allez aux nouvelles. Vous n’en reviendrez pas.
Extraits
« Mais si je cultive un anonymat de bon aloi dans cet immeuble bien comme il faut où les locataires ne manquent jamais de se saluer quand ils se croisent devant la rangée des boîtes à lettres, sans pousser l’indiscrétion jusqu’à s’enquérir de leur état de santé, ne se hasardant dans le débat d’opinion que s’il promet de n’être pas trop polémique, sur le beau temps qu’il fait, par exemple, ou les vacances qui approchent (ou s’éloignent, c’est selon), je confesse une curiosité que trop peu de péripéties me permettent habituellement de nourrir ». Alain Kewes.
« A ce moment, je n’aurais su dire en quoi elles se ressemblaient. Ni si elles se ressemblaient vraiment. Encore moins pourquoi je l’avais décrété. Son air négligé, sa pâleur, ses cernes bleuâtres, ses traits d’étudiante mal nourrie ? Peut-être. Mais surtout cette expression de la bouche qui semblait traduire un tel désenchantement que je n’ai pu m’empêcher de le convertir aussitôt en désespoir, d’une manière aussi absurde que littéraire ». Michel Lambert.
Christine Bini
Entretien avec Michel Lambert
Auteur ottintois de romans et de recueils de nouvelles, Michel Lambert a reçu le prix Rossel en 1988 pour "Une vie d’oiseau" (de Fallois / L’Âge d’Homme). Ecrivain passionné, il aime partager son art en animant des ateliers d’écriture en librairies, centres culturels et hôpitaux de jour. Son récent recueil de nouvelles, "Le métier de la neige", rassemble neuf histoires à la fois sombres et lumineuses où des personnages en proie à la solitude recherchent la "douleur exquise", le basculement. Dans une atmosphère étrange, entre fantasmes et réalité, le doute s’empare du lecteur avec délice.
Pourquoi avez-vous choisi le genre de la nouvelle ?
Il y a certaines situations qui méritent d’être traitées par la nouvelle. C’est le sujet qui commande le traitement narratif. Cela me permet de multiplier les angles d’attaque car c’est un genre en pleine transformation, qui se réinvente. Sans définition, j’ai une plus grande liberté.
Les personnages sont souvent solitaires et puis, il y a un basculement…
Une nouvelle se construit souvent par l’antagonisme de deux pôles : le négatif et le positif, cela donne toute sa tension à l’histoire. La neige, par exemple, scintille toujours et apporte de la lumière même si le décor est sombre. Pour les personnages solitaires, une lumière leur apporte la rédemption, ils ne sont pas les mêmes entre le début et la fin de la nouvelle.
On a l’impression qu’il s’agit de la réalité mais il y a toujours quelque chose d’étrange. Pourquoi ?
C’est une impression que la réalité est parfois rêvée, on n’est pas loin du réalisme magique. En littérature, on peut raconter des faits peu vraisemblables mais l’écriture doit sembler vraie tout en semant le doute. Il ne faut pas expliquer. L’important, pour le lecteur, n’est pas de comprendre mais de ressentir. L’émotion prime.
Qu’est-ce que la douleur exquise ?
Quand on met le doigt à l’endroit exact d’une fracture C’est à la fois extrêmement douloureux et libératoire puisqu’on va pouvoir réduire cette fracture. La douleur exquise c’est aussi une métaphore de la vie, les fractures de l’existence, on ne sait pas toujours où elles sont mais, quand on les trouve, on peut réduire la douleur. Il y a donc toujours de la lumière, c’est comme une renaissance.
PROPOS RECUEILLIS PAR CAMILLE DE MARCY
Le métier de la neige, de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Un espoir noir transparent
Michel Lambert aligne neuf variations sur le thème de la chute.
"Le Métier de la neige". Voilà le titre un peu interpellant du dernier recueil de nouvelles que vient de publier l’écrivain ottintois, Michel Lambert aux éditions Pierre Guillaume de Roux. Un auteur qui explique que le lien entre les nouvelles et le titre du recueil se trouve dans la chute. "Ces nouvelles sont autant de variations sur le thème de la chute, indique l’auteur, qui a reçu le prix Rossel pour "Une vie d’oiseau" et qui anime des ateliers d’écriture dans des centres de santé mentale. "Ces nouvelles mettent en scène des hommes et des femmes qui tombent et se relèvent ou pas. La neige tombe sans état d’âme, contrairement à mes personnages, qui se révoltent et poussent des cris."
Une nouvelle fois, l’échec, qu’il soit professionnel ou personnel, est très présent dans le recueil de neuf nouvelles. De quoi qualifier les personnages de "ratés" ? "Je ne me permettrais pas" , sourit l’auteur, qui reconnaît être très attiré par des personnages "dont on pourrait croire qu’ils sont des ratés" . "Néanmoins, l’important n’est pas de les juger, mais de les comprendre", poursuit Michel Lambert, qui se sent proche d’auteurs qui ont traité le thème de l’échec, comme Francis Scott Fitzgerald ("La Fêlure" ), ou Simenon, "dont les petites gens ont fait entrer ces thématiques dans la littérature grand public". L’écrivain français méconnu Henri Thomas, prix Médicis en 1960, a aussi inspiré la nouvelle "La tentation des Tours".
La musique de l’auteur
Mais ses sources d’inspiration, Michel Lambert les trouve dans les rues qu’il parcourt souvent : "Ce qui m’intéresse dans l’univers citadin, c’est son côté électrique", précise-t-il, mais aussi dans les cafés, au départ d’un élément qui suscite une émotion particulière. "Tout le travail de l’écrivain est de rendre le son juste. Dans l’écriture, la chose la plus autobiographique, c’est la musique de l’auteur, finalement."
Si ce recueil est influencé par le contexte de crise actuel - ce que l’auteur se défend d’avoir voulu faire sciemment -, il comporte tout de même des notes d’espoir, que Michel Lambert dépeint comme du "noir transparent".
LAURENCE DUMONCEAU
Le métier de la neige, de Michel Lambert (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Un Livre un jour
Ecoutez l'émission d'Olivier Barrot Un Livre un jour consacrée au roman Le Meurtre de Jacques Sommer (Pierre-Guillaume de Roux, 2013) sur France 3.
Le Moment populiste d'Alain de Benoist
"Emmanuel Macron : tout le contraire d'un populiste" déclare Alain de Benoist dans un entretien avec Nicolas Gauthier pour la revue Item.
Le Moment populiste d'Alain de Benoist
Ecoutez Alain de Benoist, invité d'Hervé Gardette dans son émission Du grain à moudre sur France Culture.
Le Monde (imaginaire) d'Antoine Blondin d'Alain Cresciucci
Découvrez l'article de Pierre Assouline conscré au Monde (imaginaire) d'Antoine Blondin d'Alain Cresciucci.
Le Monde de Tim de Pierre Grand-Dufay
"Le Monde de Tim" de Pierre Grand-Dufay en cinq mots
Découvrez "Le Monde de Tim" de Pierre Grand-Dufay en cinq mots, video disponible sur le site www.nouvellespublications.com.
Le Mur de l'Ouest n'est pas tombé d'Hervé Juvin
Conférence le 16 mars à l'Ecole militaire de 18h30 à 21h30 avec Hervé Juvin
20 ans après l'effondrement du communisme
En quoi ces textes de l'Estonienne Vivi Luik, publiés entre 1989 et 1999 dans des revues de son pays, mais aussi finlandaises et suisses, nous parlent-ils toujours autant ? A partir du cas de la petite Estonie, tour à tour tourmentée par les nazis et les Soviétiques, l'auteur s'y livre a une réflexion des plus profondes sur le totalitarisme.
Vingt ans après l'effondrement du communisme, cette réflexion garde toute son acuité. Les conflits, les agressions, les entreprises militaires et autres déplacements de populations, explique Viivi Luik, ont à ce point appauvri le langage que les groupes humains sont devenus manipulables et reçoivent le mensonge comme une vérité absolue Soulignant qu'un peuple qui baisse les bras n'a pas d'avenir, elle en appelle au courage, a l'énergie, a l'opiniâtreté, y compris sous les décombres. Montherlant rapporte cette pensée de l'écrivain polonais Henryk Sienkiewicz (1846-1916) •« Celui qui a su vivre doit savoir mourir. » Viivi Luik rejoint Werner Bergengruen (1892-1964) et reprend à son compte ce que l'écrivain allemand considérait comme l'antagonisme des grands principes ; le pouvoir et la morale ; la justice et la force.
ALFRED EIBEL
Le petit Placard de l’homme, de Viivi Luik (trad. De l’estonien par Katrina Kalda) Editions Pierre-Guillaume de Roux,
168 pages 23,90 €
Une langue semblable à la forêt et au ciel
« Une langue semblable à la forêt et au ciel» : cette langue, l'estonien, s'offre à nous comme un horizon ignoré de l'Europe. «À quelle distance se trouve l'Estonie ?» À quelle distance se trouve-t-elle de la vérité historique, elle qui ne sortit de la prison des peuples qu'à l'orée des années 1990 ? Ce recueil d'essais, traduits et préfacés par Katrina Kalda, fait étrangement écho à nos propres questions. Le nom de l'auteur ressemble au chant d'un oiseau inconnu. Quelle meilleure recommandation pour un poète...
PHILIPPE BARTHELET
Le petit Placard de l’homme, de Viivi Luik (traduit de l’estonien par Katrina Kalda, Pierre-Guillaume de Roux 2013)
Le Prince d'Aquitaine de Christopher Gérard
Découvrez "D'étranges pères. Quand le mal est à l'origine...", l'article de Michel Bouvier sur Le Prince d'Aquitaine de Christopher Gérard paru dans Politique Magazine.
Le détenu de Londres
Au lendemain du désastre d'Azincourt, Charles d'Orléans part en captivité aà Londres, où il va passer vingt-cinq longues années. Durant ce temps d exil et d'ennui, le fringuant guerrier se mue en poète mélancolique. Et c'est paradoxalement le désastre de sa vie politique qui assurera sa postérité littéraire. Jeanne Champion imagine avec verve cette interminable vie de prisonnier, où le prince reste hanté par de mauvais rêves et la vision de la bataille perdue. C'est un livre inclassable qui tient a la fois du roman historique et du poème en prose. Si les citations de vers sont authentiques, il faut noter toutefois que les lettres rédigées dans un pseudo style médiéval sonnent un peu bizarrement. L.V.
Le Prince de la Mélancolie, roman de Jeanne Champion (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
La voix féminine de Charles d'Orléans
Charles d'Orléans, petit-fils de roi, père de roi, le. plus célèbre otage de son siècle et l'un des premiers poètes de son pays, attendait depuis Stevenson, qui le traita d'une plume si incompréhensive, qu'un écrivain lui rendît justice à la mode fabuleuse, celle des poètes : il y fallait sans doute une voix française, peut-être une voix de femme, ayant connu et tenu en respect cette "mélancolie" que Charles apprit à conjurer par ses vers. Voici donc, par la plume qu'elle lui prête, les tablettes de ce prince poète doublement exilé, à la Tour de Londres tout d'abord, où les Anglais retiendront vingt-cinq ans leur plus illustre prisonnier d'Azincourt, et dans ce sentiment encore inconnu que ses vers devaient apprivoiser : « J'aime tant les mots qu'à cet amour-là je ne peux rien refuser... Ils sont pour moi ce que Dieu m'a donné de meilleur. »
PHILIPPE BARTHELET
Le Prince de la mélancolie, roman de Jeanne Champion
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Le Siècle Balfour de Philippe Simonnot
Lisez "L'antisionisme n'est pas un antisémitisme" de Philippe Simonnot, article paru dans Contrepoints.
Le Soldat impossible de Robert Redeker
Découvrez l'interview de Robert Redeker, auteur du Soldat impossible sur www.lefigaro.fr.
Le Soldat impossible de Robert Redeker
Découvrez l'interview de Robert Redeker, auteur du Soldat impossible sur www.lefigaro.fr.
Robert Redeker invité de Philippe Vallet sur France Info
Ecoutez l'entretien de Robert Redeker avec Philippe Vallet sur France Info au sujet du Soldat impossible (Pierre-Guillaume de Roux, 2014).
Si vis pacem para bellum
EN Centrafrique, au Mali ou en Afghanistan, de jeunes hommes ont récemment perdu la vie sous l'uniforme français. Quel écho rencontrent ces morts survenues dans le cadre militaire ? Dans la société, il est faible. En dépit du caractère populaire que conserve le défilé du 14 Juillet, un fossé se creuse, aujourd'hui entre l’armée et la nation. Non pas en raison d'un antimilitarisme de principe, comme lors des années post 68 , pas plus en raison de la suppression du service militaire qui, dans l'hypothèse où il serait rétabli, ne changerait rien à la configuration dont résulte ce divorce rien n'empêche que chronologiquement, géographiquement et mentalement, la guerre s'éloigne des Européens, au point que le soldat devient une figure impensée et donc « impossible », selon la formule de Robert Redeker « L’Européen contemporain, observe ce dernier, ne peut se représenter lui-même en uniforme et en armes mourant dans des tranchées, agonisant au feu en rase campagne, au coin d'une rue, au nom de sa patrie. Ni au nom d'aucun autre idéal. Ce sentiment et ce sacrifice lui sont devenus étrangers »
Agrégé de philosophie, auteur de nombreux essais et par ailleurs victime d’une quasi-fatwa, en 2006, à la suite d’une tribune à caractère polémique sur l’islam parue dans Le Figaro, menace qui lui vaut toujours de vivre sous protection policière et dans une semi-clandestinité, Redeker rappelle la place et le rôle de la guerre depuis les origines de l'humanité, et s'interroge pour savoir pourquoi la France et les autres nations d'Europe ont expulsé le combattant de leur imaginaire. Le traumatisme des deux guerres mondiales, la survalorisation de la construction européenne et son corollaire, le dénigrement de l'Etat national fournissent l'essentiel de l'explication. Mais pas sa totalité. En philosophe, l’auteur désigne d’autres influences la sensibilité victimiste, la disparition de l'altérité, la manie de la repentance. « Profondément ancrée dans la structure de l’humain, souligne Redeker, la guerre n'est pas inhumaine. • elle est humaine, trop humaine. » Manière de rappeler que nous n'en serons jamais débarrassés, hélas ! et que le meilleur moyen de servir la paix reste de savoir faire la guerre
JEAN SEVILLIA
Le Soldat impossible, de Robert Redeker (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Robert Redeker, l'appel au soldat
En cet après-midi de janvier, une averse passe dans la rue de Richelieu où se trouve le petit bureau de l'éditeur Pierre-Guillaume de Roux. Dans un immeuble où vécut jadis Diderot, se tient un homme rondouillet, un appareil de photo à la main. Il pourrait être un badaud de passage. Il a fait la route depuis Toulouse pour cet entretien, avant de repartir incognito dans les profondeurs du Sud-Ouest, vers une adresse inconnue. Il est accueilli avec un air de conspirateur par son éditeur, qui s'est fait une spécialité des écrivains étiquetés parfois très à droite, sulfureux si possible. Ici, on cultive une atmosphère de résistance contre les procureurs qui clouent au pilori les mauvais coucheurs, invectiveurs, trouble-fête bannis des banquets de la République des Lettres. On publie et on défend comme un martyr de la cause Richard Millet, auteur d'un texte provocateur intitulé Eloge littéraire d'Anders Breivik. Ici, on aimerait aussi publier le talentueux Renaud Camus, mais cet autre flamboyant paria, qui s'autoédite depuis qu'il a annoncé en 2012 qu'il voterait Marine Le Pen, est au-dessus des moyens de «PGDR».
Pour le moment. Ce jour-là, c'est un autre réprouvé qui est arrivé des environs de Toulouse. Sur le trottoir d'en face, deux agents de la DST veillent dans une voiture de police banalisée. Robert Redeker a publié en 2006 une tribune dans les colonnes du Figaro qui lui a valu d'être menacé de mort par un djihadiste fou, décédé depuis dans une opération kamikaze contre la CIA en Afghanistan. Depuis, il vit en semi-clandestin. Même s'il ne s'agissait pas techniquement d'une fatwa, même si celui qui avait réclamé sa mort n'est plus de ce monde, Redeker est toujours protégé comme si un illuminé pouvait se jeter sur lui à tout moment. Sorte de Salman Rushdie d'Occitanie, la renommée internationale en moins, le prof de philo donne des cours par correspondance, fait quelques conférences ici et là, et médite sur le déclin de l'Occident. Il a appris à vivre avec ses gardes du corps, en vacances, au restaurant, dans l'avion. Il a été remercié par l'École nationale d'aviation civile où il était professeur : « Ils m'ont dit que c'était trop dangereux pour le personnel, note-t-il, on comprend mieux ce qu'a été la collaboration», ajoute-t-il sur un ton presque chuchoté. Car Robert Redeker, le boulimique des tribunes et des polémiques, n'a pas l'air d'un foudre de guerre. Avec sa bouille ronde et son regard doux, il n'a rien d'un Godefroy de Bouillon flamberge au vent, prêt à pourfendre les fous d'Allah. Mais il faut se méfier de l'apparence placide : elle cache parfois des bouillonnements inattendus.
À presque 60 ans, cet homme aux cheveux grisonnants, chaussé de lunettes ovales, fait aujourd'hui l'apologie des guerres d'antan. Quand tous les responsables politiques aujourd'hui célèbrent la paix que connaît l'Europe depuis 1945, le propos a de quoi surprendre.
Il publie cette semaine Le Soldat impossible, une ode au guerrier qui gît tapi dans l'âme profonde du monde. Nous avons oublié la vérité de toute chose, nous dit Redeker : l'univers est en lutte cyclique et continuelle. L'appel au « rêve millénariste d'une paix perpétuelle » n'est qu'un endormissement trompeur avant des réveils difficiles, prédit-il. « La guerre surprendra l'Europe, comme un voleur dans la nuit », écrit-il, en citant le péril climatique ou la démographie africaine. Et de fait, il ne croit pas au projet d'une armée européenne : la guerre se mène « avec le cœur », il y faut pour cela une histoire nationale en fusion, pas les injonctions d'un sous-ministre letton aux Affaires étrangères. Redeker admire les nations combattantes qui s'identifient par toutes leurs fibres à leur armée, d'Israël aux États-Unis, de l'Iran à... la Suisse. Il regrette aussi un « 14 Juillet dépolitisé, comédie vintage avec lequel notre peuple trompe sa posthistoricité ». Un point sur lequel son pessimisme paraît surjoué : le 14 Juillet reste pour les Français un rendez-vous non négociable comme on l'a vu quand Eva Joly avait proposé de supprimer le défilé militaire.
On comprend mieux son côté « fanamili » en l'écoutant raconter l'histoire de sa famille : son grand-père allemand francophile a fait Verdun et refusé le nazisme, son père fut versé en 1942 dans l’Afrikakorps et fait prisonnier par les Alliés. Après 1945, toute la famille s'est installée dans la région toulousaine et le « petit Allemand » fut envoyé faire ses études chez les bonnes sœurs. Avec le centenaire de 1914, le livre de Redeker ouvre le bal des nostalgiques du temps où les hommes allaient chercher la liberté dans le sang et la boue.
« Le soldat qui a la mort pour seul avenir ne s'appartient plus. Il est libéré de lui-même, de son moi, il accède à une liberté plus haute », chante Redeker en citant de beaux textes de Teilhard de Chardin ou Ernst Jünger qui ont connu ce « dépucelage de l'horreur » qu'est le baptême du feu, comme dit Céline. Un comme dit Céline. Un autre livre passionnant, Sous le feu, du colonel Michel Goya (Éditions Tallandier), étudie lui aussi, en multipliant les exemples, comment le combat change la psychologie des hommes. Pour Redeker, l'expérience combattante est un trésor qu'on dilapide. « Le soldat a subi un sort semblable au prêtre catholique et au professeur », se lamente-t-il. Il écrit de belles pages sur la nécessité de l'uniforme, sur « (à chair nationale», et son éloge sonne juste à sa façon parfois boursouflée, parfois aveuglée de sa propre poésie. Oui, la guerre est toujours là, et ceux qui voudraient l'oublier commettent la pire des fautes.
Pourtant, elle n'est pas toujours nécessaire. « Je me suis trompé en 2003 en soutenant l'intervention américaine », avoue cet ami d'Israël et des États-Unis.
Néanmoins, Redeker ne fait pas de politique active. Il s'y refuse après une expérience en 2002 comme responsable de la campagne présidentielle de Jean-Pierre Chevènement en Haute-Garonne.
Mais la politique, souvent, le rattrape. Il a signé récemment une pétition contre les Jeux olympiques de Sotchi en Russie. « Olivier Besancenot et Poutou ont retiré leur nom en voyant le mien, ils ne voulaient pas se retrouver aux côtés de ce "réactionnaire raciste et homophobe".» Et Dieudonné ? Au nom de la liberté d'expression, Redeker défend-il les spectacles de l'humoriste ? « Il y a eu une gestion maladroite qui a fait d'un saltimbanque l’ennemi public numéro un. Mais une sanction était légitime. Car son cas est différent du mien. Dans Le Figaro, j'avais dit des généralités sur l'islam. Dieudonné en revanche a suggéré d'envoyer un homme dans les chambres à gaz, et c'est abject. Et puis nier la vérité
En cet après-midi de janvier, une averse passe dans la rue de Richelieu où se trouve le petit bureau de l'éditeur Pierre-Guillaume de Roux. Dans un immeuble où vécut jadis Diderot, se tient un homme rondouillet, un appareil de photo à la main. Il pourrait être un badaud de passage. Il a fait la route depuis Toulouse pour cet entretien, avant de repartir incognito dans les profondeurs du Sud-Ouest, vers une adresse inconnue. Il est accueilli avec un air de conspirateur par son éditeur, qui s'est fait une spécialité des écrivains étiquetés parfois très à droite, sulfureux si possible. Ici, on cultive une atmosphère de résistance contre les procureurs qui clouent au pilori les mauvais coucheurs, invectiveurs, trouble-fête bannis des banquets de la République des Lettres. On publie et on défend comme un martyr de la cause Richard Millet, auteur d'un texte provocateur intitulé Eloge littéraire d'Anders Breivik. Ici, on aimerait aussi publier le talentueux Renaud Camus, mais cet autre flamboyant paria, qui s'autoédite depuis qu'il a annoncé en 2012 qu'il voterait Marine Le Pen, est au-dessus des moyens de «PGDR».
Pour le moment. Ce jour-là, c'est un autre réprouvé qui est arrivé des environs de Toulouse. Sur le trottoir d'en face, deux agents de la DST veillent dans une voiture de police banalisée. Robert Redeker a publié en 2006 une tribune dans les colonnes du Figaro qui lui a valu d'être menacé de mort par un djihadiste fou, décédé depuis dans une opération kamikaze contre la CIA en Afghanistan. Depuis, il vit en semi-clandestin. Même s'il ne s'agissait pas techniquement d'une fatwa, même si celui qui avait réclamé sa mort n'est plus de ce monde, Redeker est toujours protégé comme si un illuminé pouvait se jeter sur lui à tout moment. Sorte de Salman Rushdie d'Occitanie, la renommée internationale en moins, le prof de philo donne des cours par correspondance, fait quelques conférences ici et là, et médite sur le déclin de l'Occident. Il a appris à vivre avec ses gardes du corps, en vacances, au restaurant, dans l'avion. Il a été remercié par l'École nationale d'aviation civile où il était professeur : « Ils m'ont dit que c'était trop dangereux pour le personnel, note-t-il, on comprend mieux ce qu'a été la collaboration», ajoute-t-il sur un ton presque chuchoté. Car Robert Redeker, le boulimique des tribunes et des polémiques, n'a pas l'air d'un foudre de guerre. Avec sa bouille ronde et son regard doux, il n'a rien d'un Godefroy de Bouillon flamberge au vent, prêt à pourfendre les fous d'Allah. Mais il faut se méfier de l'apparence placide : elle cache parfois des bouillonnements inattendus.
À presque 60 ans, cet homme aux cheveux grisonnants, chaussé de lunettes ovales, fait aujourd'hui l'apologie des guerres d'antan. Quand tous les responsables politiques aujourd'hui célèbrent la paix que connaît l'Europe depuis 1945, le propos a de quoi surprendre.
Il publie cette semaine Le Soldat impossible, une ode au guerrier qui gît tapi dans l'âme profonde du monde. Nous avons oublié la vérité de toute chose, nous dit Redeker : l'univers est en lutte cyclique et continuelle. L'appel au « rêve millénariste d'une paix perpétuelle » n'est qu'un endormissement trompeur avant des réveils difficiles, prédit-il. « La guerre surprendra l'Europe, comme un voleur dans la nuit », écrit-il, en citant le péril climatique ou la démographie africaine. Et de fait, il ne croit pas au projet d'une armée européenne : la guerre se mène « avec le cœur », il y faut pour cela une histoire nationale en fusion, pas les injonctions d'un sous-ministre letton aux Affaires étrangères. Redeker admire les nations combattantes qui s'identifient par toutes leurs fibres à leur armée, d'Israël aux États-Unis, de l'Iran à... la Suisse. Il regrette aussi un « 14 Juillet dépolitisé, comédie vintage avec lequel notre peuple trompe sa posthistoricité ». Un point sur lequel son pessimisme paraît surjoué : le 14 Juillet reste pour les Français un rendez-vous non négociable comme on l'a vu quand Eva Joly avait proposé de supprimer le défilé militaire.
On comprend mieux son côté « fanamili » en l'écoutant raconter l'histoire de sa famille : son grand-père allemand francophile a fait Verdun et refusé le nazisme, son père fut versé en 1942 dans l’Afrikakorps et fait prisonnier par les Alliés. Après 1945, toute la famille s'est installée dans la région toulousaine et le « petit Allemand » fut envoyé faire ses études chez les bonnes sœurs. Avec le centenaire de 1914, le livre de Redeker ouvre le bal des nostalgiques du temps où les hommes allaient chercher la liberté dans le sang et la boue.
« Le soldat qui a la mort pour seul avenir ne s'appartient plus. Il est libéré de lui-même, de son moi, il accède à une liberté plus haute », chante Redeker en citant de beaux textes de Teilhard de Chardin ou Ernst Jünger qui ont connu ce « dépucelage de l'horreur » qu'est le baptême du feu, comme dit Céline. Un comme dit Céline. Un autre livre passionnant, Sous le feu, du colonel Michel Goya (Éditions Tallandier), étudie lui aussi, en multipliant les exemples, comment le combat change la psychologie des hommes. Pour Redeker, l'expérience combattante est un trésor qu'on dilapide. « Le soldat a subi un sort semblable au prêtre catholique et au professeur », se lamente-t-il. Il écrit de belles pages sur la nécessité de l'uniforme, sur « (à chair nationale», et son éloge sonne juste à sa façon parfois boursouflée, parfois aveuglée de sa propre poésie. Oui, la guerre est toujours là, et ceux qui voudraient l'oublier commettent la pire des fautes. Pourtant, elle n'est pas toujours nécessaire. « Je me suis trompé en 2003 en soutenant l'intervention américaine », avoue cet ami d'Israël et des États-Unis.
Néanmoins, Redeker ne fait pas de politique active. Il s'y refuse après une expérience en 2002 comme responsable de la campagne présidentielle de Jean-Pierre Chevènement en Haute-Garonne. Mais la politique, souvent, le rattrape. Il a signé récemment une pétition contre les Jeux olympiques de Sotchi en Russie. « Olivier Besancenot et Poutou ont retiré leur nom en voyant le mien, ils ne voulaient pas se retrouver aux côtés de ce "réactionnaire raciste et homophobe".» Et Dieudonné ? Au nom de la liberté d'expression, Redeker défend-il les spectacles de l'humoriste ? « Il y a eu une gestion maladroite qui a fait d'un saltimbanque l’ennemi public numéro un. Mais une sanction était légitime. Car son cas est différent du mien. Dans Le Figaro, j'avais dit des généralités sur l'islam. Dieudonné en revanche a suggéré d'envoyer un homme dans les chambres à gaz, et c'est abject. Et puis nier la vérité historique, c'est quand même embêtant, il le fait sur le mode de l'humour, mais c'est une façon de faire de la politique, et ça n'est pas possible. »
CHARLES JAIGU
Le Soldat impossible, de Robert Redeker (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Le Verbe dans le sang de Leonardo Castellani
Découvrez l'entretien de Philitt avec Erick Audouard, traducteur et préfacier du Verbe dans le sang de Leonardo Castellani.
Le Verbe dans le sang de Leonardo Castellani
Découvrez l'article que Juan Asensio consacre sur son blog à l'oeuvre de Leonardo Castellani : Le Verbe dans le sang.
Le Verbe dans le sang de Leonardo Castellani
Découvrez l'article que Juan Asensio consacre sur son blog à l'oeuvre de Leonardo Castellani : Le Verbe dans le sang.
Les Années Foch
Ecoutez Jean-Pierre Montal, auteur des Années Foch et invité de Frédéric Taddéi dans son émission "Europe 1 social club".
à la 51e minute.
Les Années Foch de Jean-Pierre Montal
Les Années Foch, premier roman de Jean-Pierre Montal figure dans la seconde sélection du Prix de Flore 2015.
Les Années Foch de Jean-Pierre Montal
Découvrez la première sélection du Prix de Flore.
Les Années Foch de Jean-Pierre Montal
Ecoutez le coup de coeur d'Olivia de Lamberterie consacré aux Années Foch, premier roman de Jean-Pierre Montal à la fin de l'émission "Le Masque et la Plume" sur France Inter.
Les Bâtards de Sartre de Benoît Rayski
Découvrez l'entretien avec Benoît Rayski sur Causeur.fr
Les Bâtards de Sartre de Benoît Rayski
Découvrez "Comment naquirent les "bâtards de Sartre", les "lumpen-intellectuels"", bonnes feuilles des Bâtards de Sartre de Benoît Rayski parues sur Atlantico.fr
Signature le 19 juin de 18h à 20h à la librairie Libres Champs
Venez rencontrer Eric Jeux à la librairie Libres Champs - 18, rue le Verrier - 75006 autour d'un verre pour le lancement de son roman Les Chimères de Karl qui inaugure la collection Ados des éditions Pierre-Guillaume de Roux.
Le fantasme du même
ll n'y aurait plus de morale, dit-on. En réalité, il n'y en a jamais eu autant, mais ce n'est plus la même. Dans un essai mordant, le philosophe Alain de Benoist en explore les nouvelles facettes et la nature profonde.
L’enfer postmoderne est pavé de bonnes intentions Dans son dernier essai, les Démons du Bien, Alain de Benoist vient nous rappeler combien ces dernières sont de nos jours hygiénistes, humanitaristes et « multiculturalistes». L'auteur s'est souvenu des livres d'Henry de Montherlant (le Démon du Bien) et de Philippe Muray (l'Empire du Bien), même s'il est aujourd'hui plus proche d'un Zygmunt Bauman, analyste aigu de la nouvelle condition (in)humame des sociétés postmodernes qui ont vu la liquidation des grands récits politico-religieux De la liquidation à la liquéfaction, c'est la transformation même de nos existences que déchiffrent les deux hommes : l'avènement d'un monde fluctuant, instable, soumis à une accélération effrénée. De solide, le voici devenu flottant - maternant, psychologisant et infantilisant. le « tout liquide », non pas seulement l'argent, mais la sociabilité, les identités, les rapports amoureux, jusqu'à la morale, dont Alain de Benoist brosse ici, à grands traits, la généalogie. « La nouvelle morale veut moraliser la sociétésans imposer de règles aux individus. »
Tout l'inverse de l'ancienne. La raison à cela? Naguère, on visait le bien, aujourd'hui le juste, résultat d'un long processus qui a vu le jour à l'aube de l'ère chrétienne, selon l'auteur. « Mundus est immundus», enseignait saint Augustin (le monde est immonde) S'il est immonde, il faut donc le transformer et le rendre plus conforme. Autrement dit, redresser - le plus souvent par la contrainte - « le bots tordu de l'humanité», selon l'expression de Kant. Au risque de la casser. Ce qui ne manque généralement pas d'arriver. Résultat : on croule sous les tabous politiquement corrects. A bien y réfléchir, notre vie ressemble à une addition d'interdits, peut-être même à une addiction à l'interdit. En résumé, tout ce qui n'est pas prohibé est obligatoire, et réciproquement. Dresser la liste noire établie par les ayatollahs du nouvel ordre moral revient à faire un inventaire à la Prévert où le Père Ubu donne la réplique à Franz Kafka Ce à quoi s'efforce avec brio Alain de Benoist. Féminisation, infantilisation, crétinisation, rien n'échappe à sa verve
L'époque est au vertige compassionnel et au triomphe des passions « débilitantes » prophétisées par Tocqueville, mélange d'égoïsme, de confort et d'empathie pour le lointain, laquelle empathie fait l'économie de l'amour du proche et du prochain Rousseau n'avait-il pas déjà épingle ces cosmopolites qui « se vantent d'aimer tout le monde pour avoir droit de n'aimer personne » ? Moyennant quoi, un tsunami de bons sentiments s'est abattu sur le monde. Comme le note Alain de Benoist, il faudrait rédiger une théorie de la niaiserie pour décrire cette « moraline » (Nietzsche). Comment l'appeler d'ailleurs, cette nouvelle religion l'empire du Bien ou l'empire du Rien? Calé dans son fauteuil, Homo Telespectator s'émeut de la misère du monde, tout en s'abandonnant au pouvoir des psychologues et des publicitaires. Ce faisant, Alain de Benoist ne condamne pas la sensibilité, mais la sensiblerie, aussi éloignée l'une de l'autre que la véritable compassion peut l'être du compassionnel. « L'objectif final est de normer, de normaliser, d'imposer partout le Même », précise-t-il dans la seconde partie de son essai consacré à la déconstruction de cette « hénaurmité » qu'est la théorie du genre (et qui aurait donné à Molière l'occasion d'ajouter quelques actes aux Femmes savantes et aux Précieuses ridicules) « Reductio ad unum », comme le prêchait Auguste Comte. Le fantasme de « l'homme nouveau » aurait- il encore de beaux jours devant lui ? C'est à craindre.
FRANCOIS BOUSQUET
Les Fidèles de Frédéric Rouvillois
Les Incandescentes - Simone Weil, Maria Zambrano et Cristina Campo d'Elisabeth Bart
Une oeuvre exigeante
Les Islandais
Véronique Sales est l’un des écrivains contemporains dont on attend avec impatience chaque nouvelle publication, l’auteur d’une œuvre rare et exigeante, qui mériterait d’être plus largement connue. Son dernier roman, Les Islandais, poursuit certaines pistes narratives qui étaient présentes en germe dans des fictions plus anciennes, et qu’elle avait commencé à développer à travers Le Livre de Pacha (que nous avions commenté ici l’année dernière).
L’une de ces pistes, c’est la combinaison de “réalisme“ et de surnaturel. Dans Les Islandais, ils s’entrelacent d’une façon qui semble moins surprenante qu’inévitable, car les personnages sont pour la plupart des spécialistes ou des lecteurs de légendes et d’épopées islandaises, faisant partie de la rédaction de la revue Sagas. La seconde piste, c’est justement le microcosme d’un périodique savant au lectorat minime (comparable à la revue que dirigeait Pavel dans Le Livre de Pacha). Ici, la vie de la rédaction et l’histoire de Sagas permettent à la romancière de se livrer à une satire féroce des intellectuels français - sûrs d’être indispensables et de détenir l’avis le plus juste sur tout sujet, même s’ils fonctionnent en vase clos -, et des faux intellectuels façon Homais, tel Marx, l’emblématique secrétaire de rédaction, éternel contestataire convaincu de sa supériorité sur le patron comme sur les savants qui publient dans la revue. L’optique satirique donne lieu, au fil du récit, à nombre d’aperçus hilarants et de propos rapportés qui dépeignent la bêtise contemporaine, dans la lignée de Bouvard et Pécuchet, avec une efficacité tout sauf courante parmi les romanciers actuels.
L’un des rares personnages à ne pas être traité dans cette optique, c’est Apollinaire Hartog, dont le statut est comparable à celui d’André dans Le Livre de Pacha : ce n’est pas à proprement parler le narrateur, mais toute l’histoire semble vue soit à travers son regard, soit comme une partie de son histoire personnelle. Le roman s’ouvre et se clôt sur lui, d’une façon qui met à distance le microcosme de la revue et les expériences qu’Apollinaire a partagées avec les autres membres de la rédaction. L’ingéniosité de ce procédé est renforcée par le fait qu’avant et après les vicissitudes de Sagas, l’existence d’Apollinaire a été - et restera - presque entièrement contemplative, tissée surtout de lecture et de réflexion. Le contraste entre les intrigues, l’agitation et les bavardages qu’il a traversés, et les jours paisibles qu’il peut couler “dans la forêt finlandaise“ où il s’installe finalement, fait partie des grandes réussites du roman.
En revanche, la construction narrative implique un autre effet de contraste, que je trouve moins réussi : les deux tiers du récit sont menés de façon non-linéaire, comme dans les livres précédents de Véronique Sales ; le dernier tiers, lui, privilégie le récit linéaire, produisant une impression de brusque changement qui correspond, certes, aux événements voués à changer la vie des personnages, mais qui n’en semble pas moins maladroit, sur le plan littéraire.
Pour un lecteur qui ne connaît pas Véronique Sales, Les Islandais peut être une bonne occasiond’entrer dans son univers ; toutefois, si l’on souhaite commencer par son meilleur roman à ce jour, je recommande plutôt Le Livre de Pacha.
AGATHE DE LASTYNS, le 14 octobre 2011
lelitteraire.com - DES LIVRES ET NOUS !
Les Islandais, roman de Véronique Sales (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Marquant
« Il n’y avait rien de vrai que les livres, les incantations des sorciers allumant un feu de branchages qui finira par envelopper toute la terre, et ils restent debout, devant le feu sonore, psalmodiant dans la seule intention d’entraîner les hommes, tous, parce qu’ils sont crédules et menteurs, au fond du fjord. »
Que l’art d’écrire est une magie, l’auteur nous le rappelle par cette chronique dont le héros au nom de poète, Apollinaire, parce qu’il sait lire comme on ne sait plus, redonne aux légendes du Nord une vie où peu à peu disparaît la sienne, où s’efface la frontière ténue entre le visible et l’invisible (« c’était la même chose »), le monde des vivants et celui des morts. Cette magie, l’auteur nous la démontre encore par sa propre écriture, toute de longues phrases ondu leuses qui semblent implorer on ne sait quel pardon, et qui exercent sur le lecteur un charme lent à se dissiper.
PHILIPPE BARTHELET
Les Islandais, roman de Véronique Sales (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Les Jardins suspendus de Jean-Louis Kuffer
Découvrez "Au pays des écrivains, 1968-2018", l'article de Thomas Morales sur Les Jardins suspendus de Jean-Louis Kuffer paru dans Causeur.
Les leçons du hussard Montal
Découvrez "Les leçons du hussard Montal", article de Matthieu Baumier paru dans Causeur.
Les Leçons du Vertige de Jean-Pierre Montal
Découvrez "Une belle traque aux apparences et aux faux-semblants, affûtée et sombre", article d'Isabelle de Laroque (Atlantico)
1- L'homme est-il en voie de disparition ?
Les Premières victimes du transhumanisme de Jean-Marie Le Méné
Découvrez l'entretien de Jean-Marie Le Méné sur le site d'Aletetia à propos de son ouvrage Les Premières victimes du transhumanisme
Les Premières victimes du transhumanisme de Jean-Marie Le Méné
Découvrez l'article d'Henri de Begard paru sur le Rouge & le Noir à propos des Premières victimes du transhumanisme de Jean-Marie Le Méné.
Les Premières victimes du transhumanisme de Jean-Marie Le Méné
Découvrez la vidéo de lancement de l'ouvrage de Jean-Marie Le Méné : Les Premières victimes du transhumanisme à paraître le 11 février.
Les Premières victimes du transhumanisme de Jean-Marie Le Méné
Découvrez la chronique d'Eric Zemmour du Figaro consacré à l'ouvrage de Jean-Marie Le Méné : Les Premières victimes du transhumanisme.
Les Premières victimes du transhumanisme de Jean-Marie Le Méné
Les Traîtres d'Ivan Rioufol
Ecoutez Ivan Rioufol sur Sud Radio !
Richard Millet lourd de colère
La colère a de beaux jours devant elle. Car la haine du « Système » ronge jusqu'au coeur du Système. Voyez Richard Millet, qui publie une Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes (Pierre-Guillaume
de Roux, 96 p., 15,90 €). Curieux titre : dans ce livre, les Norvégiens sont des spectres fugaces et, s'il y a bien une victime, c'est la littérature, étouffée sous les slogans politiques. Le vrai sujet du livre est Millet lui-même, son orgueil d'acier, son ressentiment funèbre. Il est fascinant.
Revenant sur la polémique déclenchée, en 2013, par son « éloge littéraire » d'Anders Breivik, l'écrivain raconte son « bannissement». Livré aux injures des ennemis comme au silence des amis, traqué par le « Système », le voilà condamné à clamer dans le désert sa vérité : la décadence d'un Occident envahi par l'immigration, souillé par le mariage gay, miné par le rock et le protestantisme. Epargnons-nous les citations, qui feraient passer d'autres grands proscrits, Zemmour en tête, pour des humanistes. Mais l'essentiel est moins dans les positions politiques de Millet que dans sa posture de réprouvé. Lui dont les ouvrages ont été si souvent encensés (y compris, récemment encore, dans « Le Monde des livres »), martèle que personne n'a jamais voulu le lire. Lui qui a dû quitter le comité de lecture de Gallimard vit comme une « mise à mort» cet éloignement des élites littéraires : ne plus appartenir à ce comité, dit-il, c'est «n'être plus rien socialement». Et il y croit. Authentiquement blessé, déserté par l'espérance, Richard Millet fustige le monde de l'édition, autrement dit le sien, comme un milieu « maçonnique ». Prenant des accents bernanosîens, il en appelle aux rares amis qui oseront défier les «puissances du Mal ». A le lire, oui, on pense à Bernanos. Et d'abord aux pages où l'auteur de L'Imposture décrit ces hommes qui jouent à cache-cache avec eux-mêmes jusqu'à se laisser dévorer par le dégoût : « Haïr en soi sa propre espèce, n 'est-ce pas l'enfer ? »
JEAN BIRNBAUM
Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Le chant profond de Richard Millet
Aux procureurs du Bien qui l’ont condamné sans procès, aux chiens de garde de l’ordre moral qui l’ont voué aux gémonies, aux haineux « confrères » de la littérature qui ont réclamé et obtenu sa mise au ban de Gallimard, Richard Millet réplique avec les seules armes à sa disposition : sa plume et son talent On aurait voulu que le réprouvé se taise, que le banni cesse d'écrire, que son nom honni ne soit plus cité. D'aucuns, les plus ignobles, ont même souhaité son suicide. Mais voilà que, bien loin de l’avoir réduit au silence, la proscription dont il fut et reste victime semble avoir stimulé en lui la nécessité et l'urgence d'écrire.
Aux trois livres parus simultanément cet automne, un roman, Une artiste du sexe, chez Gallimard, des nouvelles, Trois légendes, et un récit, L’Etre-Bœuf, aux éditions Pierre Guillaume de Roux viennent de s’ajouter, toujours chez ce dernier, un essai, Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, et le livret d’un opéra, Charlotte Salomon
Combien d'écrivains contemporains, à l’exception d'un autre proscrit considérable, Renaud Camus, peuvent se flatter d’une telle effervescence créatrice ? Combien de pestiférés se seraient réfugiés dans le silence ou la plainte, auraient imploré pardon et battu leur coulpe au lieu de se battre avec les moyens du bord ?
Depuis qu'il tut contraint de démissionner du comité de lecture de Gallimard en septembre 2012, l’écrivain, en faveur duquel nulle pétition ne circula, est un homme seul, assigné à résidence, lecteur intermittent de quelques manuscrits de second choix, et qui ne participe à aucune décision éditoriale. Gallimard continuera-t-il à publier ses romans ? Rien n'est moins sûr, tant le courage est une vertu rare dans le petit milieu littéraire. Lui demeure acquise la fidélité d'un jeune éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, qui n'est pas en vain le fils du réfractaire que fut Dominique de Roux, et de quelques journalistes, parmi lesquels, inattendu, Franz-Olivier Giesbert, qui lui a ouvert les colonnes du Point. Sans compter la cohorte de ses lecteurs anciens et les nouveaux, venus à lui dans le sillage du scandale et de la conjuration des "indignés" professionnels.
Son orgueilleux refus de la repentance aggravera la vindicte à son égard. «Échec, opprobre, solitude: j'en ai toujours fait mon sel, écrit l'auteur dans sa Lettre ouverte aux Norvégiens... C'est pourquoi je ne prétends pas plus au martyre qu'à la pitié, non plus qu'à la condescendance moralisante ou psychologisante par laquelle on m'incite parfois à regretter, chez moi, je ne sais quelles dispositions à la provocation, voire au masochisme. »
Revenant sur le réquisitoire prononcé à son encontre par de vertueux censeurs qui, pour la plupart, n'avaient lu que le titre de son essai, Éloge littéraire d'Anders Breivik, par lequel le scandale était advenu, Millet récuse les principaux griefs de ses juges: il n'a jamais fait l'apologie d'un tueur de masse, mais seulement vu en lui le produit
pervers, le choc en retour, d'une politique iréniste ; il n'a pas voulu dire que ses victimes, complices d'un système néfaste, méritaient de mourir, et s'il n'a pas manifesté de compassion pour elles, alors qu'il se sent depuis toujours solidaire de tous les vaincus de l'Histoire, c'est que le silence lui paraissait le seul signe de respect, voire de compassion, qui n'a pas besoin d'être ostentatoire.
Est-il nécessaire de souligner que cette défense orgueilleuse ne convaincra pas plus ses critiques qu'elle ne désarmera la haine à son endroit : car bien loin de se présenter en coupable repentant, nu-pieds sur le chemin de Canossa, Millet ne renie pas ses propos sur les menaces que le multiculturalisme et l'immigration extraeuropéenne font courir à l'identité européenne.
Ni raciste, ni nationaliste, ni fasciste, ni xénophobe, ni provocateur, il se pose en victime émissaire et revendique son « innocence d'écrivain solitaire», refusant le déni de réalité et la décadence de la littérature, et « cherchant dans la langue une voie qui est celle de la vérité». Condamné à l'infamie et à la damnatio memoriae, banni de la scène publique - comme l'a montré, après qu'il ait été accepté et loué,
le soudain refus du livret que Luc Bondy lui avait demandé pour un opéra de Marc-André Dalbavie, Charlotte Salomon —, il sait que les conséquences de "l'affaire Millet" se feront sentir longtemps encore et que seules, peut-être, les générations à venir rendront
justice à son œuvre. «Je suis toujours en guerre, conclut-il. Encore plus étranger au bruit de la foule, aux fausses valeurs, aux mots d'ordre du Bien, je continue à écrire : j'apprends à être seul, j'accouche de moi-même, je tente de me défaire du rapport de moi à soi qui définit le narcissisme littéraire [...]. Et je m'éloigne, cherchant l'absolu d'une rupture qui ne se confonde pas avec le nihilisme...»
Mes écrits témoigneront pour moi, veut croire l'écrivain qui, à dessein, use du futur, sachant qu'il n'a pas été lu, et l'eût-il été, qu'il n'eût pas été compris, ni entendu de bonne foi. À rebours de la foule des tâcherons de la plume pour qui la littérature n'est qu'un divertissement profane et participe de l'échange banal des marchandises, Millet la reconnaît pour ce qu'elle doit être, une aventure spirituelle, un style de vie, un exorcisme des démons, démons personnels et démons du siècle. Une confrontation permanente avec le risque, celui, pour citer Michel Leiris, du contact avec la corne du taureau. En sont l'éclatante démonstration les trois livres publiés à l'automne 2013, qui illustrent à la fois la diversité de sa palette et l'envoûtement qu'exerce la
somptueuse beauté de la langue française, telle qu'un maître sait en jouer et la faire vibrer en musicien virtuose.
Une artiste du sexe conte la relation étrange entre deux exilés, Sébastian, apprenti écrivain américain, originaire du Montana, venu à Paris pour fuir la trivialité matérialiste de son pays, et écrire en français, langue du crépuscule de la littérature, et Rebecca, métisse mi-danoise mi-maorie, pour qui la prodigalité sexuelle est un mode de vie, une fatalité, pour conjurer culpabilité et mal-être, « tuer quelque chose en soi ». Un livre splendide et sombre, leçon de ténèbres qui fait songer à Pierre Jean Jouve plus qu'à Georges Bataille, encore que la "part maudite" et le sacrifice en soient l'enjeu. Mais aussi, un hommage ironique, rendu de la part d'un étranger, aux prestiges désuets de la langue et de la littérature françaises : «Je suis l'hôte de cette langue, moi, l'Américain, né dans une langue terriblement démocratique, si populiste, souvent, qu'elle semble s'oublier elle-même; et je tends naturellement à la respecter, cette langue française, dans ce qu'elle a de beau, c'est-à-dire de précis et de souple, non d'aristocratique ou de démocratique, encore moins de vulgaire, bien sûr, comme tant d'écrivains contemporains y compris les Français, peuple vaincu par lui-même plus que par d'autres peuples, et qui ne rêve plus que d'écrire en anglais... »
Même clair-obscur caravagesque dans Trois légendes, nouvelles qui ramènent le lecteur dans la contrée onirique de Siom, sur ces hauts plateaux limousins, repliés sur leur solitude, leurs sortilèges et leurs malédictions ancestrales, que Richard Millet a élevés à la dignité littéraire du vieux Sud faulknérien. La puissance de l'imaginaire le dispute ici à la maîtrise "La littérature nous quitte si nous n'en sommes plus dignes." de la langue, qu'illustre la nouvelle les Frères Cavalier, où, sur une vingtaine de pages, l'histoire se déroule en uneseule longue phrase, ample et harmonieuse, prodige d'équilibre, que seules scandent les virgules.
Ultime défi à l'ordre végétarien, nouvel impératif moral d'une société exsangue, l'Être-Boeuf, enfin, célèbre la chair, chair de la femme, et chair animale, celle des bovins, animaux sacrificiels depuis l'Antiquité, mais aussi la part d'animalité qui est en nous. Une fascinante ode érotique et cannibale où se croisent souvenirs et mythologie, Virgile et Rembrandt, et qui culmine dans l'évocation du Minotaure, parabole de la condition de l'homme enfermé dans le labyrinthe de l'existence.
« La littérature n'est pas tout à fait morte. Comme l'amour, elle nous quitte si nous n'en sommes plus dignes », fait dire l'auteur à Sébastian dans Une artiste du sexe. Avec la prière et l'amour, la littérature reste l'ultime patrie de Richard Millet, et la seule digne de celui qui, tel Orphée, continue de chanter pour franchir les portes de l'Enfer. •
BRUNO DE CESSOLE
À lire Aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux; 2014 :
Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, 200pages, IS, 90 €;
Charlotte Salomon, précédé d'une lettre à Luc Bondy, 124 pages, 16,50€.;
Trois légendes, 86 pages, 15,50 €;
L'Être-Boeuf, 96 pages, 15,50 €.
De quoi Millet est-il le nom ?
Le dictionnaire de référence de tout littéraire, Le Petit Robert, a raison d’admettre, dans l’édition récemment parue de 2014, le mot « bien-pensance », substantif féminin signifiant « caractère des personnes bien-pensantes ». Celles-ci, apprenons-nous dans le même usuel, sont les personnes « dont les idées sont conformistes, conventionnelles ». Le mot bien-pensance est certes en vogue, mais s’agit-il d’un concept à la mode ou d’une donnée réelle affectant la société ? Si elle est loin d’être insoluble, cette question demeure néanmoins difficile, «le Nouvel ordre moral» étant ce qu’il est aujourd’hui, fort, sûr de ses atouts et de ses moyens, pourvu d’une légion de fanatiques prêts à dégainer au moindre battement de sourcil.
La parution, en octobre dernier, du courageux essai de Muriel de Rengervé, L’Affaire Richard Millet. Critique de la bien-pensance, en dit long sur cet « assassinat » tant littéraire que politique, tant symbolique que réel, dont l’auteur de Langue fantôme suivi de Éloge littéraire d’Anders Breivik a été la victime. Assassinat, permettons-nous d’insister, qui a réduit l’un des plus grands écrivains français d’aujourd’hui, lequel est également un prestigieux éditeur, à quelques dizaines de pages qui n’ont même pas été lues, soit parce qu’elles ont été tout simplement incomprises, soit parce qu’elles ont souffert du poids du qu’en-dira-t-on. Nous employons à bon escient le mot qu’en-dira-t-on car la pétition signée contre Richard Millet par une bonne centaine d’écrivains révèle que la majorité — sinon la plupart, voire tous — n’ont pas lu le texte en question. C’est que les signataires de ladite pétition ont suivi un mouvement de masse tels des moutons qui, cette fois-ci, n’ont pas été conduits à l’abattoir, mais qui se sont vu pousser des crocs et des griffes pour massacrer le vilain petit Millet.
Aussi le qu’en-dira-t-on s’est-il transformé en censure, dans la mesure où les détracteurs de Richard Millet ont à maintes reprises refusé de l’affronter en public, comme pour illustrer la définition ainsi proposée par Bernard Noël : «La censure efficace ne rature pas, elle annule, et il n’y a plus de trace. Dès lors ce qui a disparu n’a jamais existé. On n’écrit pas pour dire quelque chose, mais pour délimiter un lieu dont nul ne pourra décréter qu’il n’a pas eu lieu» (L’Outrage aux mots, 1975). Mais que dire quand on apprend que Bernard Noël, lui-même attaqué en justice, condamné et censuré pour Le Château de Cène, a été trompé et a signé contre un auteur qui, aujourd’hui, en janvier 2014, récidive courageusement en publiant toujours chez son fidèle éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, un texte intitulé Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes.
Au seuil donc de ce nouveau brûlot, une dédicace : « À mes filles», et un «nota bene» qui, pour ainsi dire, ouvre les hostilités : «Les armes dont j’use pour me défendre et convaincre supposent par moments des généralisations excessives; on aurait ainsi tort de penser que je méprise tous les écrivains et tous les journalistes ; parmi ces derniers, certains ont été honnêtes, d’autres fidèles à un idéal de liberté que presque tous ont par ailleurs prostitué ; ils se reconnaîtront, et savent que le fasciste est celui qui ne me lit pas».
Point d’avertissement ou de mise en garde, rien qu’un «nota bene» afin de ne pas d’emblée brusquer ou choquer le lecteur. Il s’agit, nous semble-t-il, d’attirer son attention comme dans la rhétorique classique où la captatio benevolentiae joue le même rôle. Cela dit, Richard Millet ne se fait pas d’illusion, si bien que cette phrase — «le fasciste est celui qui ne me lit pas» — résonne comme un cri de détresse au moment où l’on veut que cela soit à peine l’écho d’une voix prêchant dans le désert. Là encore, nous pensons de nouveau à Bernard Noël qui, condamné en 1973 pour « outrage aux mœurs », forge le concept de «sensure» pour dire «la privation de sens et non la privation de parole », précisément « la sensure, qui agit sur nous à travers les mots (alors que la censure agit à travers nous contre les mots), agit par ailleurs sur les mots avec un effet de sensure : elle oblitère leur signifiant, c’est-à-dire leur matière, leur corps. Ainsi découvre-t-on que l’ordre moral vise à raturer en tout être, en toute chose, sa matérialité».
C’est contre cet ordre moral que mutatis mutandis s’insurge Richard Millet. À l’instar de Bernard Noël, l’auteur de Langue fantôme suivi de Éloge littéraire d’Anders Breivik dénonce avec la même lucidité les mensonges, les machinations, les faux-semblants, en somme le véritable fascisme rampant : «On est bien là dans un autre délire, lequel sert néanmoins le Nouvel ordre mondial : celui qui tend à taxer de fasciste toute interrogation sur la pureté, l’identité, l’origine, et qui, à bout d’arguments, finit par récuser ce que nous sommes : notre culture, par exemple, la Chanson de Roland, bientôt effacée de notre héritage car décrétée politiquement incorrecte et raciste, comme l’Edda des Nordiques, et avec elle ce qui nous permet encore de nommer et que le Nouvel ordre moral est en train d’éradiquer: la littérature».
Ces lignes sont les dernières du fameux « éloge littéraire d’Anders Breivik », texte qui vraisemblablement n’a pas été lu, parce que ni l’ironie qui le caractérise ni le vrai message ou la thèse qu’il défend n’ont été appréciés à leur juste valeur. Lynché, Richard Millet l’a été, et voilà qu’il revient lui-même à la charge dans un nouveau texte pamphlétaire où, non seulement il rend hommage à celles et ceux qui l’ont soutenu, mais encore, dans Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, il dame le pion à la bien-pensance ambiante en s’en prenant à elle frontalement, vaillamment, sauvagement : « Que mes livres n’aient pas été lus ou qu’ils l’aient été peu ou mal, le silence de la presse en témoigne autant que les insultes qu’ils me valent régulièrement. Ce sont eux qui m’ont en quelque sorte conduit à clore la série par un “littéraire” et, bien sûr, ironique éloge de Breivik. » (p. 32)
Avec la colère d’Achille ou la fureur de Roland, Richard Millet ne s’excuse ni ne se justifie. Certes, il n’en a nullement besoin, mais il poursuit sa quête contre vents et marées. Loin de nous l’idée de faire de lui un justicier des temps postmodernes, néanmoins comment se placer devant la bravoure dont il fait preuve quand on lit ce qu’il plaide en faveur de deux écrivains français majeurs, le suicidé Pierre Drieu la Rochelle, et le controversé Renaud Camus, ainsi que le prix Nobel norvégien Knut Hamsun. En les défendant, Millet ne fait pas que se défendre, il défend tout écrivain digne de ce nom, lui qui déclare : «Écrire, c’est donc s’insurger contre les Breivik et leurs alliés objectifs : les maîtres des illusions totalitaires, les dirigeants des pays où la guerre civile sans nom est en cours». (p. 73)
Ayant dédié à ses filles cette Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, Richard Millet a peut-être aussi tenu à répondre à la question que l’on est en droit de se poser à son sujet — de quoi est-il le nom ? Assiégé par une nébuleuse des plus inquiétantes, son nom a été qualifié de tant de maux (« raciste», «fasciste», «réac», «xénophobe», etc.) Mais il n’en est rien. Pour s’en rendre compte, il faut le lire, dialoguer avec lui, le comprendre et, même si on peut ne pas être tout à fait d’accord avec lui, il ne faut jamais jeter le livre et l’écrivain avec, comme certains font expéditivement, le bébé et l’eau du bain.
À ce titre, le nom de Richard Millet évoque pour moi (qu’il me soit permis de m’exprimer ici à la première personne), moi qui le connais personnellement, qui entretiens avec lui une amitié et une correspondance suivies, de dire que, à mes yeux, ce nom haï et presque prohibé rime avec honneur, courage et amitié comme le montrent les dernières lignes de cette superbe Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes : « Je suis en guerre, puisque je refuse l’évacuation du réel et la mort littéraire des langues. Le réel, c’est ma tâche d’écrivain. Ce sont mes livres, et la langue dans laquelle j’écris et dont je me suis fait le seul espace de liberté qui me reste, avec l’amour et la prière. Dans mon bannissement, je veux voir autre chose qu’une défaite, un châtiment, une expiation. Je respire l’odeur de l’aube où je m’approche de vous, mes amis à venir, vous qui savez que le nom que je porte ne saurait se réduire à la construction qu’on a faite à partir de lui et qui m’a souvent donné l’impression qu’il désignait, sous les insultes, quelqu’un d’autre que moi, dans une extériorité aussi spectaculaire que mensongère, la fiction politique définissant une réalité qui n’est pas la mienne. Cette lutte pour le sol réel et la vérité du nom, voilà dans quoi il me reste à advenir, parmi les pauvres ; c’est aussi cela, écrire».
AYMEN HACEN
Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Le plaidoyer de Richard Millet
L'auteur (et l'éditeur) ¬pestiféré revient définitivement sur « l'affaire Millet » provoquée par la parution d'Éloge littéraire d'Anders Breivik en 2012
Un livre peut en cacher un autre. Dans son programme, Pierre-Guillaume de Roux annonçait la parution le 23 janvier d'un essai de ¬Richard Millet sur la littérature finlandaise, argumentaire commercial à l'appui. Il s'agit en fait d'un leurre. Le livre en question n'est pas ¬Finlandia, mais Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes… ¬L'occasion, pour l'auteur (et l'éditeur) ¬pestiféré, de revenir définitivement sur «l'affaire Millet» provoquée par la parution d'Éloge littéraire d'Anders Breivik en 2012. On peut y lire «Dans mon bannissement, je veux voir autre chose qu'une défaite, un châtiment, une expiation.»
THIERRY CLERMONT
Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2014) 200p, 90 €;
Signature le 20 juin à la Nouvelle librairie 11 rue de Médicis 75006 de 18h à 20 H
Venez rencontrer Jacques Bressler en séance de dédicaces le 20 juin à la Nouvelle librairie, 11 rue de Médicis - 75006 autour d'un verre entre 18h et 20h.
Madame Céline a 100 ans
Le 20 juillet prochain, Lucette Almanzor, veuve Destouches, alias Mme Céline, aura cent ans A en croire celles et ceux qui la visitent, elle a toujours bon pied bon oeil. De son passé de danseuse, elle a gardé la souplesse et la finesse. Elle habite toujours la maison où, en 1951, de retour d'un long exil au Danemark, elle s'installa avec son mari, Louis-Ferdinand Céline, qui avait été condamné à l'indignité nationale pour "actes de nature à nuire à la defense de l'Etat" pendant la guerre. Située route des Gardes, à Meudon (Hauts-de-Seine), avec vue imprenable sur Paris, cette maison portait alors deux plaques à l'entrée l'une pour le "Docteur L -F Destouches, docteur en médecine de la Faculté de Paris", et l'autre pour "Lucette Almanzor de l'Opéra-Comique", qui enseignait alors les "danses classique et de caractère, orientales et espagnoles, castagnettes, assouplissements, mouvements au sol, etc "
Après la mort de l'auteur du Voyage au bout de la nuit, en 1961, Lucette Destouches continua longtemps d'y recevoir ses élèves tout en assumant son rôle de veuve et sa fonction d'avant droit. C'est elle qui déchiffra et publia le manuscrit de Rigodon, et qui donna à son avocat, François Gibault, tous les documents grâce auxquels il écrivit, en trois volumes, sa biographie de référence. C'est elle aussi qui s'opposa, et s'oppose toujours, à la réédition des pamphlets antisémites de Céline (ce qui lui valut d'être appelée "la veuve Pilon", par le journal Libération).
Et c'est elle qui, depuis un demi-siècle, n'en finit pas de recevoir, à Meudon, tout ce que les mondes de la littérature, du spectacle et même du sport comptent de céliniens ardents. Elle a vu ainsi défiler, dans son salon et sa salle de gymnastique, des personnalités aussi variées que Michel Simon, Arletty, Marcel Aymé, Moustaki, Mouloudji, Claude Rich, Marc-Edouard Nabe, Fabrice Luchini, Jacques Vergès, Michel Déon, Carla Bruni, Dominique Rocheteau et même les 2 Be 3 !
Pour fêter les cent ans de Mme Céline, David Alliot a demandé leur témoignage à quelques fidèles de Meudon, de François Gibault à l'académicien Frédérc Vitoux, du comédien Christophe Malavoy au danseur Gang Peng. L'ensemble dresse un portrait étonnant de cette femme qui, obstinément, a toujours plaidé la "bonté" de son mari et ignore la violence de ses contempteurs. Une femme incroyablement espiègle et joyeuse, qui n'aimait rien tant que régaler ses invités avec du foie gras, du homard, du champagne, et leur offrir le sauna après leur avoir fait craquer les vertèbres.
Ce livre collectif est aussi le portrait d'une maison haut perchée qui a survécu a deux incendies, a toujours été peuplée d'animaux - chiens, chats, et les fameux perroquets -, a laissé pousser les herbes folles, et dont Mme Céline répète volontiers qu'elle lui ressemble malgré les tempêtes et les menaces, elle est encore debout et toujours accueillante.
Madame Céline Route des Gardes, sous la direction de David
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Céline, la femme
Du haut de la colline de Meudon, le siècle la contemple et jalouse son obstination à vivre, à rire. En juillet prochain, Lucette Almanzor, veuve Destouches, fêtera son centenaire dans la maison où il y a cinquante ans, disparaissait son mari Louis-Ferdinand Céline. Elle continue à l'habiter malgré les deux incendies qui l’ont ravagée, malgré les tempêtes qui s'abattent encore sur l'auteur de L'Ecole des cadavres.
Une maison située 25 ter, route des Gardes tout un symbole pour la gardienne paisible d'une œuvre furibonde. Avec le temps, son opinion n'a jamais varié Céline était un homme d'une « immense bonté» et l’auteur de Rigodon, dont elle exhuma le manuscrit, le plus grand écrivain du XXe siècle. Le reste ne l'atteint pas. Toute sa vie, elle s'est refusée aux Mémoires, aux longues interviews, aux regrets ou aux remords, préférant converser avec ses chats et ses perroquets qu'avec les journalistes. Elle n'est sortie de sa légendaire réserve que pour empêcher la réédition des pamphlets antisémites de Céline.
Les assouplissements, la détente, la respiration, l'équilibre que cette ancienne danseuse de l'Opéra-Comique a enseigné jusque tard dans sa vie elle en a tiré non seulement une méthode, mais aussi une philosophie. Après avoir connu la fuite a Sigmaringen, l'exil au Danemark et partage l’indignité nationale de son mari, elle tient sa propre longévité pour un cadeau du ciel et offre en spectacle sa bonne humeur à tous ceux qui la visitent comme une pythie ou un monument. La liste est longue des habitués de Meudon, qu'elle régalait autrefois au caviar, foie gras et saumon arrosés de champagne. L'étonnante cohorte de pèlerins comptait, d'Arletty à Carla Bruni, de Dubuffet à Rocheteau, d'Audiard à Malavoy, de Mouloudji à Moustaki, d'Aymé à Nabe, sans oublier les 2 Be 3, des as de la plume, du ballon rond du micro, du pinceau ou du barreau.
Certains dont son fidèle avocat, François Gibault, témoignent dans un livre collectif de l'attachement presque filial qu'ils vouent à celle dont Céline disait qu'elle était « Ophélie dans la vie, Jeanne d'Arc dans l'épreuve», à cette voyageuse intérieure qui lui aura été fidèle jusqu'au bout de la nuit.31/05/2012
JÉRÔME GARCIN
Madame Céline Route des Gardes, collectif coordonné par David Alliot
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Ecoutez David Alliot sur France Info
Ecoutez David Alliot; interviewé par Philippe Vallet, sur France Info au sujet de Madame Céline Route des Gardes.
Madame Céline Route des Gardes, sous la direction de David Alliot
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
"Madame Céline", gardienne du temple, aura cent ans en juillet
Voyage au bout d'une sacrée vie : Lucette Destouches, qui fêtera ses cent ans en juillet, a partagé pendant un quart de siècle l'existence tourmentée de Louis-Ferdinand Céline et veille toujours sur sa mémoire et la postérité de son œuvre, depuis leur maison de Meudon.
Pour célébrer l'anniversaire de cette femme à la fidélité hors du commun, une dizaine de familiers du 25 ter Route des Gardes, où l'écrivain vécut de 1951 à sa mort en 1961, lui ont offert un bouquet de textes inédits, rassemblés dans "Madame Céline" (éditions Pierre-Guillaume de Roux).
On y entend les voix de grands spécialistes de l'œuvre de son mari, tels l'académicien Frédéric Vitoux, David Alliot, Marc Laudelout ou encore l'avocat et biographe de Céline, François Gibault, conseil de Lucette depuis 1968, mais aussi le comédien et réalisateur Christophe Malavoy, des danseurs comme Gang Peng ou Maroushka.
Chacun donne un témoignage vivant sur la mystérieuse et discrète Lucette, unique ayant-droit de l'écrivain et dernière gardienne du temple, qu'ils ont côtoyée depuis des années ou plus récemment.
Ainsi, Christophe Malavoy l'a rencontrée pour son projet d'adaptation au cinéma de la "trilogie allemande" de Céline.
"Je suis toujours à la recherche d'un producteur. Le scénario est achevé depuis deux ans. Le film se partage en images réelles et images d'animation", explique-t-il à l'AFP.
A Meudon, "j'ai été très impressionné par la découverte de ce lieu si incarné, je peux même dire hanté par les forces du destin... Lorsque j'ai vu Lucette Destouches, j'avais l'impression d'entrer dans l'Histoire", raconte-t-il.
C'est Céline qui importe, "moi je ne suis rien", dit celle qui a tout traversé avec lui : les coups durs, la fuite en Allemagne, la vie clandestine à Copenhague, l'arrestation, la prison, l'exil. La gloire et l'opprobre. Elle n'a plus voulu voir de caméra depuis la parution posthume de "Rigodon" en 1969.
"Lili"
"Mme Destouches n'était pas au courant de ce livre. Le secret a été bien gardé. Me Gibault lui a apporté un exemplaire dimanche à Meudon. Elle était très surprise et contente. Elle est en train de le lire", confie à l'AFP David Alliot, auteur de "D'un Céline, l'autre" (Robert Laffont 2011), qui a coordonné l'ouvrage et livre aussi son témoignage.
"Beaucoup de gens la connaissent, ou l'ont connue. J'ai fait un choix en fonction du type de relations", explique-t-il. "On a commencé à travailler sur le projet en novembre. Les derniers témoignages sont arrivés fin février".
Née Almanzor, Lucette rencontre Céline en 1936. Elle a 23 ans, lui 41.
Elle est danseuse, jeune et fantasque. Il est écrivain. L'un des plus grands et sulfureux du XXe siècle, dont la puissance de l'œuvre reste entachée par son antisémitisme.
"Lucette Almanzor professeur de danse classique et de caractère" indiquait un écriteau route des Gardes, non loin de la plaque "Dr Destouches".
Céline l'appelait Lili dans ses livres. Il la disait "excessive en tout", compliment qu'il aurait pu se retourner, souligne François Gibault.
Lucette a toujours défendu son mari. Son rempart: empêcher une nouvelle publication des pamphlets antisémites.
Des cheveux blancs encadrent aujourd'hui son visage aux traits épargnés par le temps, comme sa silhouette forgée par la danse arrêtée... à 85 ans. Elle est maintenant forcée à l'immobilité.
Certes, Lucette a vécu dans l'ombre de Céline mais sa personnalité lumineuse s'est imposée à tous ceux qui l'ont approchée : "Ophélie dans la vie, Jeanne d'Arc dans l'épreuve", selon les mots de l'écrivain.
MYRIAM CHAPLAIN-RIOU
Madame Céline Route des Gardes, collectif coordonné par David Alliot
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
La gardienne du temple
"Céline, c'était un perpétuel Niagara. Il n'était, en réalité, pas vivable, perpétuellement dans l'anxiété, ne pensant jamais à lui, ayant pitié des gens, se faisant martyr", déclare Lucette Destouches, l'épouse de Louis-Ferdinand Céline dans un livre, Madame Céline, coordonné par le célinien David Alliot. L'ouvrage qui réunit de nombreux témoignages sur l'auteur du Voyage au bout de la nuit est publié le 15 mai aux éditions Pierre-Guillaume de Roux à l'occasion du centenaire de la veuve, dernière gardienne du temple.
Madame Céline Route des Gardes, collectif coordonné par David Alliot
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
La centenaire de Meudon
On trouvera difficilement vie plus géométriquement découpée : vingt-cinq ans de jeunesse, vingt-cinq ans de mariage avec Louis Ferdinand Céline, cinquante ans de veuvage et, le 20 juillet prochain, 1ooe anniversaire. Lucette Destouches, danseuse gracieuse, héroïne des trois derniers romans de son époux, sous les traits de « Lili », « excessive en tout », comme l'écrivait l'auteur de Voyage au bout de la nuit (qui s'y connaissait), méritait mille fois l'hommage que lui rendent ses amis dans un délicat petit livre, tout simplement intitule Madame Céline. Titre un petit peu réducteur, tant sa personnalité fantasque excède ce simple rôle de gardienne du temple (qu'elle remplit efficacement, avec l'aide de l'avocat François Gibault, interdisant notamment la réédition des pamphlets antisémites de « Ferdine ») Lucette habite toujours la maison hitchcockienne de Meudon, ou Céline vécut les dix dernières années de sa vie, et ou, dans un décor orientalisant, elle accueille « fans » et amis.
Sont notamment venus faire le pèlerinage de la route des Gardes Arletty, Fréderic Vitoux, Marcel Aymé et, plus près de nous Marc-Edouard Mahe, Carla Bruni, le footballeur Dominique Rocheteau, Charles Aznavour. Les souvenirs remontent à la surface ; le perroquet Toto qui s'amusait à crier un tonitruant « Cooorse ' » chaque fois que le critique Angelo Rinaldi prenait la parole, la cérémonie du thé avec la fameuse théière en argent qui avait connu Sigmaringen, et, toujours, le rire joyeux de Lucette « Ophélie dans la vie, Jeanne d'Arc dans l'épreuve », disait encore Céline -, qui s'amuse malicieusement à demander à la caisse des cinémas «On paie encore, quand on a 100 ans? »
JEROME DUPUIS
Madame Céline Route des Gardes, collectif coordonné par David Alliot
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Lucette, ombre et lumière de Céline
Un demi-siècle après la mort de l’écrivain controversé, "Madame Céline" habite toujours Meudon. Fantasque et secrète, elle reste la gardienne des lieux et d’une œuvre… Visite dominicale.
"Qui c’est, celle-là?", lance parfois en riant Lucette lorsqu’elle surprend son reflet dans l’un des innombrables miroirs de sa maison de Meudon, en banlieue parisienne. Elle approche des 100 ans et conserve cette élégance de s’amuser de tout. On n’est pas sérieux quand on a bientôt un siècle. Sur la tombe de Louis-Ferdinand Céline, en 1961, la veuve avait fait graver "Lucette Destouches, 1912-19…". Mais elle a survolé le millénaire avec la légèreté d’une fée. Cinquante ans qu’elle est "Madame Céline". Dans l’ombre du géant, trop discrète pour accepter les ponts d’or offerts et figer sa vie sur papier. Elle préfère le silence : "C’est Céline qui est le plus important. Moi, je ne suis rien."
Ces prochains jours, une poignée d’amis vont lui opposer un joli démenti. Elle n’en sait rien encore, mais David Alliot a rassemblé, dans Madame Céline, route des Gardes*, les témoignages d’une dizaine de proches. Le portrait impressionniste de celle qui, pendant vingt-cinq ans, a partagé l’intimité d’un des plus grands écrivains français du XXème siècle. L’un des plus controversés aussi, tant les pamphlets antisémites de l’auteur de Voyage au bout de la nuit sont sulfureux. De Lucette, il disait : "Ma femme, la meilleure âme du monde, Ophélie dans la vie, Jeanne d’Arc dans l’épreuve, tout en gentillesse, dons, bienveillance, amour."
L’âme de Meudon
Une grille bleue écaillée, un jardin en pente raide égayé de tulipes, sur les hauts de Meudon. La villa Maïtou, un pavillon de style Louis-Philippe, offre au regard une façade grise, hérissée de fissures. Des gouttières de guingois. Derrière, c’est un chaos d’herbes folles et de myosotis. Un univers hitchcockien. Lucette et Céline s’y sont installés en 1951 au retour de six ans d’exil. Jusqu’à sa mort, l’écrivain y a alimenté sa légende, ermite dépenaillé entouré de chiens, de chats et du perroquet Toto. Aujourd’hui, les traces de sa présence s’estompent : des photos intimes, des portraits punaisés aux panneaux de liège…
"Cette maison est comme moi… Elle tient le coup, mais il ne faut plus trop lui en demander!", lance Lucette. De longs cheveux blancs encadrent son visage étonnamment juvénile. Elle se tient à demi allongée, dans le salon du rez-de-chaussée où elle ne descend que pour dîner. Elle a mis du rouge à lèvres. Son pied nu de danseuse s’échappe d’une couverture. Un chat se faufile. Près de la fenêtre, une cage abrite Toto 2, le perroquet. "Elle a une spatule pour le faire taire, mais ne s’en sert jamais", sourit David Alliot, nouveau membre de "la secte dans la secte" : les derniers visiteurs de Meudon. Cette poignée de fidèles la protège encore des vautours rôdant autour du fantôme. Elle les accueille d’un "Raconte, raconte!", gourmande d’une vie dont elle s’est retirée voilà quinze ans.
Sergine, qui a connu Lucette en 1936, gère l’intendance et le planning des trois "anges gardiens" veillant jour et nuit sur elle. Derrière les voilages de sa chambre, au premier, s’étendent la Seine et Paris. "Voilà quinze ans qu’immobile elle assiste au spectacle de sa vie", dit Véronique Robert, son amie depuis les années 1970. Sa mémoire est un oiseau libre de tout butiner et malaxer : passé, présent, vrai, faux, gens, animaux. "Vieillir, ce n’est pas grave, c’est juste changer de vêtements", dit-elle à Véronique. On s’éclipse. Lucette, espiègle : "Il faudra revenir, on fera un boeuf bourguignon!"
La veuve fidèle
Comme elle monte la garde sur la villa Maïtou, Lucette veille sur l’oeuvre de Céline. Il l’a choisie pour cela, pense-t-elle. Elle s’y tient. Très vite après sa mort paraissent deux Cahiers de l’Herne et un inédit, Le Pont de Londres — Guignol’s Band II. "Lucette est une veuve assez exemplaire, qui a toujours défendu son mari et son œuvre", assure François Gibault, son ami et conseil depuis cinquante ans. "Elle parle de Céline au présent, comme s’il allait surgir derrière son épaule", note David Alliot. Années 1960… Présenté à Lucette par l’avocat André Damien, Gibault décrypte avec elle les pattes de mouche du manuscrit de Rigodon. Chaque dimanche à Meudon, Lucette ajoute sa fantaisie à ce travail : dîner au champagne, saumon fumé et foie gras. Mais avant, gymnastique, sauna et bain glacé! En 1969, le roman paraît. Elle accorde des interviews. Depuis, elle n’a plus été filmée.
Elle a, en revanche, ouvert sa porte et sa mémoire aux biographes et céliniens, de Frédéric Vitoux à Henri Godard. "Correspondances, archives… Elle n’a rien de la veuve abusive qui ne laisse rien passer", relève David Alliot. "Certes, elle est protégée par un avocat pénaliste dissuasif! Mais sa seule limite, c’est de ne pas republier les pamphlets." Fidèle à la volonté de Céline, elle a attaqué en justice la tentative de réédition des textes antisémites (Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres, Les Beaux Draps). Ainsi, au début des années 1980, Lucette en fait détruire des éditions italiennes. "Cela lui valut d’être appelée 'la veuve Pilon' par Libération", note l’éditeur Marc Laudelout. Des originaux se vendent chez les bouquinistes. Des éditions clandestines existent. Mais Lucette pose sa vie en rempart : "Tôt ou tard, ils vont ressurgir en toute légalité.Mais je ne serai plus là et ça ne dépendra plus de ma volonté", écrit-elle**.
La danseuse à l’étage
À 85 ans, Lucette a dû accorder un répit à son corps. Jamais, depuis son entrée au Conservatoire de Paris, soixante-dix ans plus tôt, la danseuse n’avait dérogé à la discipline, au geste parfait. C’est grâce à cet art que Céline croise le chemin de Lucette Almanzor. Elle a 23 ans, lui 41. Fasciné par la légèreté des danseuses, il assiste au cours d’Alessandri, à Montmartre. "Elles incarnaient tout ce qu’il désirait : un poème en ondes, face aux hommes si lourds", raconte Christophe Malavoy, qui prépare un film sur lui. Céline la courtise. "Il ne parlait pas, il cherchait ma force", écrit Lucette. Par la suite, des dizaines d’élèves feront le chemin de Meudon pour y suivre la "méthode Almanzor". "Je les redressais, je leur apprenais à respirer, à être dans leur corps", confie-t-elle.
Au deuxième étage, on danse. Finesse du geste. En bas, Céline écrit. Ciselage du texte. Il ne monte jamais. Aux yeux de Lucette, il reste "comme une fleur" dont elle doit "sans cesse tenir la tige droite". Maroushka, future danseuse de Roland Petit, n’a pas 5 ans lorsqu’elle débarque route des Gardes. Lucette lui donne "la subtilité et l’expression" et répète : "Souris, ne montre pas que tu as mal." L’art forge aussi l’esprit. À bientôt 100 ans, Lucette dégage cette alchimie : énergie de chair et de sang, grâce céleste. "Un frisson d’eau sur la mousse", écrit Malavoy, empruntant à Rimbaud. Elle ne pèse pas. C’est pour cela qu’elle a pu vivre avec Céline, pense-t-elle.
L’anticonformiste
Avec l’écrivain et le chat Bébert, Lucette a plongé sans hésiter dans six ans d’exil : une fuite en Allemagne en 1944 avec les derniers pétainistes ; une épopée "hallucinatoire" vers le Danemark ; la clandestinité, la prison ; la vie dans une cabane sur la Baltique… Pour passer ensuite dix ans au côté d’un Céline malade, reclus. Lucette sort "brûlée" de cette vie. Puis sort de sa réserve. François Gibault découvre une femme drôle, une "intelligence à fleur de peau". Avec Bob Westhoff, l’ex-mari de Sagan, ils font tous trois les quatre cents coups. "On allait aux autotamponneuses, voir un match de boxe thaïe à Bangkok." Un jour, leur avion tombe en rade audessus de l’océan Indien. "Avec des requins sous nos pieds!", se souvient Lucette. En safari à Zanzibar, prise d’une envie pressante, elle sort de la voiture et se trouve nez à nez avec un lion. "Il bâillait. Ils n’attaquent pas les hommes, je crois…"
À Meudon, les dimanches, le monde entier vient dîner. Des céliniens fascinés d’approcher Lili, héroïne des romans de son mari, en vrai. Des artistes comme Jean Dubuffet, Marcel Aymé, Moustaki ou Françoise Hardy. Jean-François Stévenin la connait depuis vingt ans. Il lui a encore téléphoné vendredi : "Lucette a toute sa tête, elle est une leçon de vie. Elle illumine chacun de sa joie de vivre. Elle voit la féérie des choses. Pour mes quatre enfants, elle est une sorte de grand-mère magique." Des gens de lettres : les Gallimard, Philippe Sollers ou Marc-Édouard Nabe, qui lui consacre un roman. Des inattendus : Carla Bruni ou Dominique Rocheteau, "ému", qui convie Lucette au Parc des Princes. Un autre jour, Gibault invite une bande de breakdancers qui lui offre un show. Les futurs 2Be3, premier boy’s band français.
"Lucette est une anticonformiste", sourit Véronique Robert. Avec elle, la moindre virée à Dieppe, Saint-Malo ou Paris tourne à l’aventure cocasse. Au BHV, "Madame Céline" s’extasie au rayon cadenas. Au Café de la Mairie, elle épate les clients avec l’un des premiers portables. Chez Habitat, elle part à la renverse dans un canapé. Elles rient comme des gamines. C’était avant. Mais en septembre, elles ont encore inauguré le restaurant de l’Opéra de Paris. L’une de ses dernières sorties. Lucette avoue ne rien faire à moitié. "Heureusement que tu n’as pas connu le bordel!", s’exclamait Céline.
* Textes de Sergine Le Bannier, Serge Perrault, Maroushka, François Gibault, Frédéric Vitoux, Marc Laudelout, Véronique Robert-Chovin, Gang Peng, Christophe Malavoy et David Alliot. Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 144 p., 16,90 euros. En librairies le 15 mai.
** Céline secret, Véronique Robert avec Lucette Destouches (Grasset, 2001).
JULIETTE DEMEY
Voyage au bout de la vie
MA femme, la meilleure âme du monde, Ophélie dans la vie, Jeanne d’Arc dans l’épreuve, tout en gentillesse, dons, bienveillance, amour... » On voit qu’il pouvait arriver à Céline de tremper sa plume dans du miel, surtout lorsqu’il oubliait le « pépiage » de ses ennemis et autres obsessions pour se consacrer à l’ultime femme aimée, celle qui lui a fermé les yeux le premier jour de juillet 1961. « Lili », la danseuse virtuose qui mettait l’Amérique à ses pieds, rencontra Louis-Ferdinand Destouches en 1936, peu après la sortie de Mort à crédit. Le génie du Voyage avait 41 ans, elle seulement 23. Épouse et héroïne littéraire de ses derniers romans, Lucette Almanzor a accompagné Céline dans tous ses périples, du flirt poussé avec Brinon à l’exode vers Sigmaringen puis le Danemark, lorsqu’elle se fit la Pénélope de son Ulysse emprisonné.
Lucette Destouches soufflera ses 100 bougies le 20 juillet, dans le pavillon de Meudon qui fit les très riches heures de ses dernières années passées avec Louis-Ferdinand. À cette occasion, les éditions Pierre-Guillaume de Roux publient, sous la direction de David Alliot, un ouvrage collégial célébrant la femme d’exception qui s’est longtemps cachée derrière l’illustre écrivain. Madame Céline. Route des gardes, reprend l’adresse de la dernière demeure de Céline. À l’aube de son centenaire, Lucette vit en effet toujours à Meudon, dans cette « maison bourgeoise, dans un quartier bourgeois, mais où la révolution est permanente parce que rien ne s’y passe comme ailleurs », comme la dépeint François Gibault, l’éternel ami et avocat de Lucette, devenu biographe de référence de Céline.Depuis une quinzaine d’années, l’ancienne danseuse ne sort pratiquement plus de chez elle, sinon pour assister à des ballets, ses os érodés ne lui laissant plus que le loisir d’« assiste(r) au spectacle de sa vie », selon la formule de son ancienne élève, Véronique Robert-Chovin. Dans Céline secret1, paru en 2001, cette dernière a consigné les dits et pensées de la femme de l’ombre qui avouait n’avoir jamais aimé que sa mère volage, Céline et les animaux.
Absent, Céline hante le pavillon de Meudon, empli des souvenirs impérissables des deux époux et peuplé par la cohorte de ceux qui s’y pressaient : Sartre venant piteusement quémander sa médiation pour faire jouer Les Mouches, en 1940, Gen Paul et Le Vigan faisant de vaines avances à l’épouse modèle qu’était Lucette, celle-ci acceptant par ailleurs les incartades conjugales de son mari pour le garder auprès d’elle, sachant que nulle maîtresse ne pouvait menacer leur osmose sentimentale. Jusque dans les plus petits détails (l’entretien d’une ménagerie domestique, l’achat du perroquet « Toto II », exact sosie du Toto de Céline),
Lucette aura aménagé la peine de perpétuité sans son écrivain que le destin lui infligea, il y a déjà plus d’un demi-siècle, et dont seuls quelques voyages rompirent la monotonie. « Je suis comme une voiture qui n’a plus de moteur, confiait-elle, il y a plus de dix ans, à Véronique Robert-Chovin. Il ne reste que la carcasse ; je ne pensais pas que c’était si long de mourir. » Elle qui dit aujourd’hui ne plus être « qu’une pauvre chose dont la vie s’égoutte peu à peu », est à la fois la flamme fragile qu’un petit cercle de fidèles du soir entretient en la protégeant des vents contraires et une apparition sortie des décombres fumants du ténébreux XXe siècle.
Comme la Jeanne Moreau de Jules et Jim, Lucette Almanzor était une jeune fille sombre et mélancolique avant de croiser son homme et son destin : « Quand j’ai rencontré Louis, je voulais mourir, je trouvais la vie si triste. Je n’avais pas d’amis, je ne parlais pas, j’étais entièrement tournée sur moi-même et la danse. » Malgré leur vingt ans d’écart, Lucette et Louis- Ferdinand, enfants terribles du XXe siècle, ont arpenté les mêmes lieux de jeunesse, avant de fuir les hommes et leur médiocrité pour se perdre dans l’abîme. Chez Céline, le dépit né de cette vaine quête d’absolu engendra l’ignominie des pamphlets. En refusant de laisser publier les pages teintées du plus âcre antisémitisme de L’École des cadavres, des Beaux draps et de Bagatelles pour un massacre, Lucette entend éviter que leur « pouvoir maléfique » ne tombe « entre de mauvaises mains ». La postérité célinienne lui saura gré d’avoir enterré ce cortège de dépouilles putrides et, à l’inverse, d’avoir exhumé Rigodon, ultime et posthume volet de la trilogie de l’Exode.
Plutôt que de censure, il s’agit du sauvetage d’une oeuvre de Céline, irréductible à ces brûlots pacifistes des années 1930, lorsque l’admirateur de Zola voulait à tout prix éviter la guerre dont il accusait les Juifs d’être responsables. Ce n’est pas tant la charge vénéneuse des pamphlets que l’on pouvait craindre que la menace qu’ils font peser sur une oeuvre qui ne se résume pas plus aux points de suspension qu’à la haine rabique du peuple d’Israël. Si Lucette a choisi de condamner le pamphlétaire Céline au silence, c’est sans doute pour faire reluire l’éclat du romancier, à l’abri de toute récupération politique. L’Histoire y perd ce que l’Art y gagne.
DAOUD BOUGHEZALA
Madame Céline Route des Gardes, sous la direction de David Alliot
(Pierre-Guillaume de Roux, 2012)
Pour avoir les crocs
Mal de dents. Rares sont ceux qui peuvent se vanter d’y avoir échappé. Mais l’épopée racontée ici va au-delà du supportable. Les protagonistes : trente-deux éclats d’ivoire absolument odieux qui n’en font qu’à leur tête, ont leur vie propre et conduisent leur propriétaire au bord de la folie. Le lieu : une bouche, celle de la narratrice. Et toute l’existence de cette malheureuse tourne autour de ce mal chronique. Elle est mâchouillée, bouffée, croquée, dévorée, jour et nuit, par les abcès douloureux et les infections à répétition. La journée se passe à pourchasser rageusement le dentiste idéal, le prothésiste parfait, celui qui la débarrassera enfin de cette malédiction. Les nuits sont dentesques, grignotées de cauchemars, rongées par des visions d’inlay-cores, de céramiques, de couronnes, de bridges, de pivots, et la grande angoisse omniprésente, est-ce que tout ça va tenir ? Et quand est-ce que tout ça va finir ? Les radios, les interventions, les rendez-vous, les extractions s’enchaînent au rythme d’une course contre la montre. « Mes dents s’usent à des combats irrationnels et mélancoliques, elles ne mâchent ni ne mastiquent, elles serrent sur des chagrins et se rebellent, elles enserrent du vide ». L’humour se mêle à la technique, les gestes et les sensations sont rapportés avec une précision chirurgicale, moulinés à la fraise dentaire. Au point que le lecteur, pris d’une soudaine panique, ne peut s’empêcher de vérifier l’état de sa propre mâchoire. Mais au-delà du récit surréaliste, mené à fond de train, c’est la silhouette édentée de la mort qui se dresse en filigrane. Et cette menace diffuse confère une dimension dramatique à ce livre singulier, à offrir à tous les dentistes, et qui, une fois terminé, laisse son empreinte, comme une morsure.
YOLAINE DESTREMAU
* Ecrivain, dernier ouvrage paru : « White Noise » chez Pascal Galodé
Mal dedans, roman de Catherine Soullard (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Dent pour dent
Ce livre nous laisse sur les dents. Et pour cause, en 220 pages, Catherine Soullard, inclassable auteure, entre autres, du flamboyant Johnny (éditions du Rocher), entraîne le lecteur dnas un marathon frénétique autour de la cavité buccale de son héroïne. Nous ne connaîtrons jamais son prénom. Ce récit stomatologique est écrit à la première personne. Est-ce pour autant une épopée autobiographique que celle de cette femme armée jusqu'aux dents d'une soif de comprendre pourquoi ses molaires, ses incisives, ses gencives, ses canines, ses maxillaires, sa bouche entière ne sont plus qu'un lieu de souffrance ? Possible, et après tout, peu en chaut au lecteur. Nous nous laissons emporter effarés et intrigués dans une histoire qu'à priori nous aurions évitée. Mais impossible de ne pas tenir mordicus à connaître le fin mot de l'affaire.
Pourquoi cette malheureuse est-elle affublée de maux récurrents si violents ? Que se cache-t-il donc derrière ce tourbillon de sang, de chicots, de salive, de roulettes, d'insensibilisation, d'opérations à répétition, de rapports tendus avec les chirurgiens, de réclamations pour abus de pouvoir de la part de praticiens véreux ? Quel refoulé provoque donc de telles somatisations au point que l'héroïne en vient à entretenir des relations très particulières avec chacune de ses dents comme on le fait des membres d'une même famille ? De famille, bien sûr, il est question. Un accident où la nounou ne peut cacher à l'enfant la vision du maxiliaire fracassé d'un vieillard mourant sur le coup. Les dents du père aussi, puis celles de la mère, refaites pour complaire à son fiancé et se reconvertissant en dentier avec l'âge. La petite fille qui se détourne de la nourriture, qu'une vie mordue à pleines dents ne tente plus. Et si, justement, il s'agissait de ne plus rien ingérer ? Une bouche édentée pour garder la vie à distance ? Pourtant l'héroïne n'en démord pas, quelles que soient ses souffrances, elle aura des dents que ses hantises ne lui arracheront plus.
COLETTE MAINGUY
Mal dedans, roman de Catherine Soullard
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Signature à la librairie Gallimard le 21 septembre à 19 heures
La librairie Gallimard et les Editions Pierre Guillaume De Roux
vous invitent à rencontrer Catherine Soullard qui présentera son
nouveau roman "Mal dedans",
le mercredi 21 septembre à 19 heures.
Ce sera l'occasion de boire un verre entre amis !
http://www.librairie-gallimard.com/index.php
Mal dedans de Catherine Soullard
Prendre son mal de dents en patience. Catherine Soullard en fait la démonstration, n'oublie aucune étape de l'archéologie buccale. Le patient souffre. Il s'abandonne aux mains expertes de celui qui fouille les bouches ravagées. Bien sûr, le dentiste n'a plus rien à voir avec ces barbiers-chirurgiens qui ont longtemps fait office d'arracheurs de dents. Aujourd'hui, le dentiste explique ce qui va se passer, suite à un examen attentif du terrain, seconde par une jeune femme, petit soldat prêt à servir le maître sur un claquement de doigts. Le dentiste explique a quoi doit s'attendre le patient. Rendez-vous échelonnés sur des semaines. Conclusion : votre dentition n'est qu'une ligne Maginot en déconfiture.Chaque page de ce roman hallucinant remet en question la guérison dont le patient crédule espère une fin rapide alors que le dentiste explique qu'on est loin d'être sorti du tunnel. Les radios se multiplient. On se croirait à l'heure du carbone 14. Un premier bilan s'impose après une série d'interventions. Calculer le nombre de séances à venir, tenir compte du détartrage, de la réfection, de l'extraction, de l'appareil dentaire, du curetage, du bridge, des implants à 1000 euros l'unité. Le porte-monnaie en prend un sacré coup mais, comme disent les dentistes revenus bronzés de vacances, sauver sa vie c'est d'abord sauver sa bouche. Entre le sérieux et l'envie de rire à gorge déployée à chaque nouvel épisode, l'humour de Catherine Soullard marque des points. Cette odyssée dentaire devrait conquérir un large public. Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la stomatologie.
ALFRED EIBEL
Mal dedans, roman de Catherine Soullard ( Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Un roman qui arrache
On a tendance à dire du mal de dents (qu'un cliché associe assez bêtement au mal d'amour), ce que Freud énonçait à propos du rhume de cerveau, à savoir que l'un comme l'autre sont " propres à remettre toute métaphysique sur ses pieds. "
C'est à la démonstration inverse que se livre ici Catherine SOULLARD : sa narratrice, en proie à des douleurs et accidents de bouche au-delà de l'imaginable, court de station en station et d'un sauveur à l'autre, elle louvoie entre doutes et foi à la recherche d'une sagesse que les précisions de la technique et du sanguinolent les plus triviales ne peuvent empêcher de situer à la fois très haut et, comme l'indique la belle trouvaille homophonique du titre, DEDANS, tout près des racines du Mal.
Extrait de ce roman qui arrache :
Dimanche 22 juillet 2007, 15h58, Vérignon
"Dans un très vieux dictionnaire déniché aux Puces provençales, je lis Les dents sont le symbole de la vitalité, de la procréation, de la puissance et du sperme. Je file me planter devant le miroir de la salle de bains, j’ouvre la bouche, écarte les lèvres, mes dents sont là, bien enchâssées dans mes gencives. Certains dentistes disent pouvoir connaître les blessures et les carences affectives de leur patient en regardant leur bouche. Je ne vois que des bouts de cristaux blancs, je caresse mes deux canines, la 33 et la 43, qui guérissent, je l’espère. Les dents de l’endurance et de la résistance. Je crois."
Mal Dedans, roman de Catherine Soullard
(Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Lectures cinéphiles : de Maurice Ronet à Paul Gégauff
Les amoureux du cinéma français des années 60 et 70 (ou de Claude Chabrol) connaissent probablement Maurice Ronet et Paul Gégauff. Deux livres à la frontière de la biographie, édités par Pierre-Guillaume de Roux, leurs sont justement consacrés... et sont à lire de toute urgence!
Maurice Ronet est probablement le plus connu des deux. Inoubliable dans Le Feu Follet et Ascenseur pour l'échafaud (tous deux signés Louis Malle) ou Plein soleil (René Clément), il a également promené son regard séducteur et angoissé ou son sourire insolent chez Claude Chabrol (La femme infidèle). Durant sa carrière, il a alterné le meilleur (nous pourrions ajouter à la liste Rendez-vous de juillet, Raphaël ou le débauché et quelques autres) avec le pire ( que nous préférons taire... même s'il y a l'embarras du choix!), le tout avec un certain goût du risque comme en témoigne sa courte carrière de metteur en scène (de l'inadaptable Bartelby, d'après Herman Melville à ses documentaires sur les dragons de Komodo ou sur la guerre de décolonisation tardive au Mozambique).
De son côté, Paul Gégauff, peut-être moins connu du grand public, est probablement associé par tous les cinéphiles à Claude Chabrol, pour qui il a écrit quelques scénarios exemplaires (Les cousins, Le scandale, Les biches, Que la bête meure... pour ne citer qu'eux). Cette association ne doit cependant pas faire oublier qu'il a collaboré avec d'autres cinéastes majeurs (Rohmer, Duvivier, Schroeder, mais également Vadim ou Godard, chez qui il a fait des apparitions!) et qu'il fut également l'auteur de quatre romans publiés aux éditions de Minuit.
Les deux hommes se connaissaient, s'appréciaient, sont morts la même année... et font maintenant l'objet de deux biographies qui n'en sont pas vraiment.
Le premier livre, le plus proche de la biographie traditionnelle, est consacré à l'acteur (Maurice Ronet. Les vies du feu follet, par Jean-Pierre Montal, disponible au Québec début octobre 2013).
L'auteur nous y propose une sorte de portrait-enquête en s'appuyant sur ses entretiens avec ceux qui ont côtoyé Ronet (Anouk Aimée, Jean-Charles Tacchella, Alexandre Astruc, Rémo Forlani, parmi tant d'autres), complété par un "panthéon subjectif" qui confirme le caractère non objectif de l'ouvrage. Sur les 96 films interprétés par Maurice Ronet, Jean-Pierre Montal en a retenu dix-sept qu'il commente brièvement de manière aussi personnelle que pertinente. Le résultat, grâce à une écriture rigoureuse et à une admiration assumée pour Maurice Ronet, prend moins des allures de biographie classique que de vrai hommage à la mémoire de l'acteur... mais il s'acquitte parfaitement de cette tâche!
Le second, encore plus inclassable (à la fois fausse biographie, journal intime d'un auteur fasciné par son sujet et bel exercice littéraire) est consacré au scénariste (Une âme damnée. Paul Gégauff, par Arnaud Le Guern, déjà disponible). La personnalité de Gégauff, son mode de vie (amateur de vie nocturne et de parties fines) et sa fin tragique (tué d'un coup de couteau par sa jeune épouse un soir de Noël) auraient pu permettre à Arnaud Le Guern de remplir son ouvrage d'anecdotes croustillantes. Ce n'est fort heureusement pas le cas et l'auteur a préféré inclure dans son livre des passages plus intimes pour le transformer en voyage mental et personnel en Gégauffie. Le résultat, d'une qualité exemplaire, se laisse dévorer avec un plaisir constant jusqu'à ces derniers mots: "Dolce vita, définitivement, pas morte."
Les deux livres nous sont proposés par le même éditeur, Pierre-Guillaume de Roux. Leurs qualités respectives nous donnent envie d'espérer qu'il aura la bonne idée de continuer de nous proposer ce genre de biographies... qui n'en sont pas vraiment, mais qui sont grandement appréciables!
JEAN-MARIE LANLO
Les vies du feu follet. Maurice Ronet; Jean-Pierre Montal; éditions Pierre-Guillaume de Roux; 176 pages; disponible au Québec début Octobre.
L'homme de l'ombre
Dimanche, Plein Soleil sur Arte
Devant la caméra de René Clément,
deux apollons Alain Delon,
Maurice Ronet Le premier,
qui lui a volé le rôle phare, va tuer
l'autre « Deux trous du cul ' », commentera
après le tournage Marie Laforêt
On ne se méfie jamais assez des filles aux
yeux d'or En 1969, les deux sphinx se retrouvent
dans La Piscine de Jacques Deray,
aux côtés de Romy Schneider et de
Jane Birkin Ronet coule encore II meurt
en 1983 Trente ans plus tard, deux biographies
le font revivre l'une, sentimentale,
raconte Les Vies du feufollet (i), film
de Louis Malle qui lui va comme une balle
à un revolver , l'autre dresse le portrait
d'un « splendide désenchanté » (2) dont le
regard annonce une nuit blanche
A l'image de ces acteurs citoyens qui
voudraient nous faire croire qu'ils vivent
comme tout le monde, Ronet n'a jamais
voulu ressembler à quiconque II détestait
l'ordinaire les touristes, les marxistes,
les hommes en short II préférait faire
tourner la tête des filles Et pas
n'importe lesquelles Anouk Aimé, Anna
Karina , peut-être même Ava Gardner,
croisée, si on l'en croit, dans une suite du
Ritz à Madrid
II n'était pas vraiment de gauche , ça
nous change II fréquentait Nimier, Blondin,
assista en 1972 à une messe en mémoire
de Robert Le Vigan Sa consommation
d'alcool dépassait le niveau autorisé ,
sa vitesse aussi II pilotait une Jaguar, une
Lancia, une Lamborghini II donnait
l'impression d'être poursuivi, ce n'était
que par lui-même On ne sème jamais
son ombre Avec le temps, celle-ci prit de
plus en plus d'importance II déserta les
plateaux On le vit derrière la caméra Sa
dernière aventure, bien réelle, le conduisit
jusqu'au Mozambique En le voyant si
élégant au milieu d'une guerre dont l’in
dépendance ne compromit pas la sienne,
son compagnon d'épopée, Dominique de
Roux, crut qu'il sortait de chez Castel.
BERNARD DE SAINT VINCENT
Maurice Ronet – Les vies du feu follet, de Jean-Pierre Montal (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Maurice Ronet, comédien épris d'absolu
Disparu il y a trente ans, Maurice Ronet fut un acteur (et un réalisateur) rare, séduisant, tourmenté, mystique et tragique.Deux ouvrages saluent la mémoire de ce feu follet qui a pris trop tôt l'ascenseur pour l’échafaud
Maurice Ronet a fait l'expérience intuitive de la mort durant toute sa vie. Ayant intériorisé, dès son plus jeune âge, la philosophie tragique esthétique de Schopenhauer (au point de vouloir lui consacrer un ouvrage), il traversa l'existence comme une épreuve du feu, brûlante et incendiaire. Une existence que relatent, aujourd'hui, deux livres publiés à l'occasion du trentième anniversaire de la disparition de l’acteur : une biographie classique et exhaustive, Maurice Ronet le splendide désenchanté, de José Alain Fralon, et un essai biographique plus intimiste, profond et empreint d'empathie Maurice Ronet, les vies du feu follet, de Jean-Pierre Montal, qui, à travers un portrait intellectuel et spirituel de Ronet, cerne au plus près son être et sa vision du monde. Jean-Pierre Montal rapporte ce témoignage du comédien Maxence Mailfort : « Maurice m'a souvent parlé de religion, de sacré. Plus exactement d’éblouissements mystiques dans l’église de Saint- Sulpice [ ] Une inclination confirmée par son défunt ami, le poète et mystagogue Jean Parvulesco, qui confia, un jour « Ce qui l'intéressait chez moi c’était mes connaissances spéciales disons ésotériques Et lui avait une connaissance intime, vécue, de son aventure mystique, (pas) uniquement intellectuelle » Ronet, précisait Parvulesco, « voulait trouver le joint entre le catholicisme ésotérique et le mithraïsme parce que c’était finalement une opération de salut, de délivrance totale obtenue par un sacrifice de sang. Le Christ avait établi son royaume et sa doctrine à travers son sacrifice de sang. Le mithraïsme, par le sacrifice de sang, reproduit ce processus. »
Ces moments salvateurs de croyance en Dieu furent, cependant, toujours très fragiles. Et le désespoir, sur fond d’alcool, finit par l'emporter. Appartenant — selon sa propre expression — à une génération sacrifiée > — celle qui avait dix-huit ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale —, Maurice Ronet rêvait néanmoins de grandeur éthique et d'aventure politique. Mais la réalité de l’époque ne correspondait plus à ses aspirations. A la guerre et à ses rudesses avait succédé une paix douce et émolliente, placée sous l'horizon de la marchandise et de la consommation. D'où un mal de vivre engendré par un monde moderne partant à la dérive, en proie à un effrayant vide spirituel Au lendemain de la mort de l'acteur, François Chalais rapportait, dans le Figaro Magazine, ces propos tenus par celui-ci en 1969 « Mon ambition est d'être quelqu'un, pas quelque chose Pas commode A mon âge les hommes sont tous P DG, ou anciens combattants Quant à la jeunesse elle ne sait plus que se réfugier dans la drogue ou dans le dynamisme à reculons Je ne suis plus dans le coup Et mes amis sont déjà morts »
Ce désespoir est contenu en germe dans Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle (1957), d’après un scénario de Roger Nimier Le titre du film est bien évidemment une métaphore de l'existence Une noirceur profonde qui atteindra son son paroxysme dans le Feu follet (1963) du même metteur en scène, d’après le roman de Pierre Drieu La Rochelle Un pur chef-d’œuvre, qui se termine par le suicide du personnage principal, Alain Leroy Inspiré tout à la fois de l'écrivain surréaliste Jacques Rigaut et de Drieu lui-même, celui-ci a trouvé en Ronet l'interprète idoine Fusionnant littéralement avec Leroy, l'acteur signe là, en effet, une prestation magistrale Ce rôle, sans doute le plus fort et le plus emblématique de sa personnalité et de sa carrière, lui collera définitivement à la peau Lui-même en perdition, Maurice Ronet s’est toujours senti solidaire des causes perdues, cultivant le sens de l’honneur et de la fidélité Ainsi osa-t-il prendre parti en faveur des épures de 1945 (Alexandre Astruc a confié à l’auteur de ces lignes — le 12 mars 2013 sur Radio Courtoisie — que Maurice Ronet lui faisait écouter les Poèmes de Fresnes de Robert Brasillach, lus par Pierre Fresnay, et que cette lecture « lui arrachait des larmes aux yeux ») et des rescapés de l’OAS Considérant que la vérité et la liberté se paient toujours très chers (à l'écran comme à la ville), il fît un jour cette observation « [ ] Dans mes compositions, c'est au moment où je commence à dire la vérité qu’on me bousille On punit toujours le héros que je représente, dans sa clairvoyance son cynisme, sa lucidité […] j’ai souvent incarné celui qui jette un défi à la morale, à la vie Et ce personnage-là n’a pas sa place Alors, il faut le "flinguer" »
En 1973, Maurice Ronet part avec son ami l'écrivain et éditeur Dominique de Roux tourner un reportage pour la télévision sur la guerre menée par le Portugal au Mozambique Appel de l'aventure, défense à contre-courant, pour l'honneur, d'un des derniers lambeaux d'empire européen en Afrique Les deux hommes prennent des risques insensés et échappent de peu à la mort La même année, Ronet porte à l'écran Vers l'île des dragons, un documentaire allégorique, à la fois cosmogonique et eschatologique sur les lézards géants du Komodo, en Indonésie • « C'est une chronique sur la terre, l'eau, le feu et sur ces monstres qui n'existent que là, qui sont (de très loin) nos ancêtres, explique-t-il alors [ ] II s'agit d'animaux qui sont à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de nous-mêmes, et puis ils étaient là bien avant nous et ils seront là bien après nous C'est un peu un pèlerinage aux sources, ou un voyage en enfer, ou un film sur le début ou sur la fin du monde » Trois ans plus tard, le metteur en scène réalisse Bartleby (1976), un drame intimiste d'après la nouvelle éponyme d'Hermann Melville, avec Michael Lonsdale et Maxence Mailfort II s'agit du récit d'un homme désespéré se conduisant comme un somnambule Un mort en sursis, prostré dans une armure invisible, hermétique aux autres hommes, médiocres et parfois haineux à son endroit. Un seul l'aide comme il peut Mais cela ne suffit pas Un voyage au bout de la nuit que Ronet filme sous l'influence littéraire décisive de Louis Ferdinand Céline Bouleversant et sans concession L'existence tragique et nue. . Maurice Ronet est mort d'un cancer le 14 mars 1983, à l'âge de cinquante-cinq ans, en homme de l'ancienne France et de la vieille Europe. Son projet d'adaptation télévisée de Semmelweis, de Céline, n'a pu voir le jour II nous reste, heureusement, ses films, à voir et à revoir, dans lesquels cet acteur authentique ne jouait pas la comédie.
ARNAUD GUYOT-JEANNIN
Maurice Ronet – Les vies du feu follet, de Jean-Pierre Montal (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Ronet dans toute sa splendeur
Cet ouvrage est né de la fidélité. Fidélité à sa jeunesse : l’auteur a été très tôt happé par le talent de l’acteur. Et fidélité à son père : l’éditeur Pierre-Guillaume de Roux est le fils de Dominique de Roux, fondateur des Cahiers de l’Herne et ami de Maurice Ronet. De nos jours, la fidélité est associé à la ringardise par ceux qui la malmène à des fins carriéristes. Acteur reconnu, Maurice Ronet voulait aussi être peintre et cinéaste. Les acteurs ne sont souvent que de la matière pour metteurs en scène qui ont toujours le dernier mot. Par sa naissance, Maurice Ronet est Niçois mais Nice ne fut qu’un lieu de naissance, rien de plus. Ces parents, eux aussi comédiens, étaient sur la Côte d’Azur de passage quand leur fils est né le 13 avril 1927.
Maurice Ronet est un hussard du grand écran, d’ailleurs il était très ami avec Roger Nimier. Hussard cela veut dire, marcher droit, tête haute et ne jamais vendre son âme. Plutôt crever. Ronet avait tout pour devenir un des acteurs les plus célèbres de France mais il n’a pas pipoliser sa vie comme Alain Delon ou Belmondo. On a connu toutes les aventures de Delon et Belmondo mais qui peut citer le nom d’une compagne de Ronet, entre autres Joséphine Chaplin qui lui a donné un fils ? Pour devenir une icône, il faut accepter de faire tomber les murs de son intimité.
Maurice Ronet avait d’autres ambitions, par exemple de tourner des films derrière la caméra. Il en tourna trois, mais en France on ne peut pas faire les deux, c’est mal vu. N’empêche Maurice Ronet avait quelque chose à dire, notamment dans Bartleby d’après H. Merville, où il est question d’un écrivain qui reste dans l’ombre. Comme les cinéastes le faisaient souvent mourir dans leur film, il a voulu tourner un film qu’il maîtrisa de bout en bout.Très cultivé, Maurice Ronet tranche avec son milieu : les acteurs lisent surtout le scénario du film qu’ils vont tourner. Bourreau de travail, Maurice Ronet a tourné dans plus de 80 films dont plusieurs films mythiques dont Le Feu Follet, de Louis Malle d’après le roman de Drieu la Rochelle. Dans ce film, il crève l’écran. La voix de Ronet, son regard, sa bouche, sa démarche sont mémorisés dans notre esprit. Dans ce chef d’œuvre, on voit bien son rêve de devenir adulte. On voulait être son ami tant il nous touchait dans ses rôles. Face à Delon, on percevait autant Ronet que Delon, tout comme le face à face Gabin-Bernard Blier faisait voir les deux autres géants sans que l’un dominât l’autre.
Le jour de sa mort, le 14 mars 1983, tous les cinéphiles ont été tristes très tristes de perdre un membre de leur famille des salles obscures. On n’a pas oublié Ronet comme on n’a pas oublié Jean Bouise. Il appartient au cénacle des comédiens qui n’ont jamais raconté n’importe quoi pour exister. Ils ne sont pas si nombreux. Ses rôles ont été liés «à la guerre, à la collaboration, au passé trouble» écrit son biographe qui le connaît par cœur. Merci à lui de nous restituer Ronet dans toute sa splendeur.
BERNARD MORLINO
Maurice Ronet – Les vies du feu follet, de Jean-Pierre Montal (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Maurice Ronet le désenchanté
IL Y À TRENTE ANS, l'acteur de « Feu follet » mourait d'un cancer, à 55 ans. Après une vie menée à 100 à l'heure, assure le journaliste José-Alain Fralon, qui reconstitue, dans « Maurice Ronet, le splendide désenchanté» (Éditions des Équateurs, 256 p., 19 euros), la vie « mystérieuse et disloquée » de ce surdoué. Ses 83 films, ses amis, ses amours, ses choix, ce sont 40 ans de cinéma et d'un peu d'histoire de France (son adolescence pendant la guerre, ses relations ambiguës avec l'extrême-droite) qui défilent, avec des ouvertures lointaines comme le Mozambique ou l'Indonésie.
Un parcours accidenté qui a aussi inspire une autre biographie, « Maurice Ronet - Les Vies du feu follet », signée Jean-Rerre Montal, un « portrait-enquête (qui) dévoile, sur fond de flash-back et de dialogues à bâtons rompus avec les survivants, une œuvre au noir inédite, habitée par fa mémoire, le goût de l'étrange et l'esprit d'aventure » (Éditions Pierre-Guillaume de Roux, 173 p., 20 euros).
Pour redécouvrir ce comédien inclassable, le cinéma Le Champo (www.lechampo.com), à Paris, propose du 2 au 22 octobre une rétrospective en 19 films et des soirées-rencontres suivies d'une signature. « Ascenseur pour l'échafaud », « Plein Soleil », « la Piscine », « Raphaël ou le débauché » (en présence de Nina Companeez et Françoise Fabian) sont notamment au programme, tout comme « Rendez-vous de juillet » (en avant-première le 1er octobre, en présence de Brigitte Auber), qui lui donna son premier vrai rôle, en 1949, et « Bartleby » (en présence de Michael Lonsdale et Maxence Mailfort), qu'il réalisa en 1976.
R.C
Maurice Ronet – Les vies du feu follet, de Jean-Pierre Montal (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Le Feu follet brille encore
FAIRE ses débuts en littérature avec un exercice d'admiration est souvent l'une des voies qu'ernpruntent les âmes pudiques.
On s'adresse à un intercesseur pour ne pas tout à fait baisser sa garde En témoigne l'essai que Jean-Pierre Montal, cofondateur des Editions Rue Fromentin, consacre à Maurice Ronet en retrouvant chez lui « l'ami d'enfance désormais absent, avec lequel on savourait l'un des plus grands plaisirs de l'existence, long en bouche et sur le fruit emmerder le reste du monde avec une mauvaise foi blindée par les années et la complicité ».. « Finalement, cette passion pour Maurice Ronet a résisté aux boulots salariés, au cholestérol, aux divorces, aux accidents de voiture, aux brouilles, à l'organisation des prochaines vacances, aux enterrements bref aux tracas de l'âge adulte », poursuit-il dans ce livre à la fois vagabond et précis, sorte de promenade le long d'un chemin ou l'on croise écrivains, cinéastes, acteurs en rupture avec une normalité émolliente et les contingences de la vie sociale Roger Nimier, Antoine Blondin, Alexandre Astruc, Dominique de Roux, Jean Parvulesco ou Paul Gégauff apparaissent ainsi au gré d'un portrait retraçant la carrière et la vie du comédien, mais aussi ses ombres, ses failles, ses lignes de fuite au Mozambique ou en Indonésie à la recherche des « dragons» de Komodo…
« Cette voix blanche et émouvante»
L'interprète d'Ascenseur pour l'échafaud, du Feu follet, de Plein soleil et de La Piscine revit – lui qui avait fait profession de mourir à l'écran avant de s'éteindre pour de bon en 1983 - sous la plume de Jean-Pierre Montal, qui restitue parfaitement, entre passion cinéphile et confession intime, « son style à l'écran une froideur inquiète, un iceberg qui frissonne », « cette voix blanche et émouvante » Nul besoin cependant d'être un spécialiste du cinéma pour apprécier cet hommage à un acteur degrande classe et, à travers lui, aux irréguliers qui rendent le quotidien moins fade Le feu follet brille encore En témoigne aussi le livre, plus classique et plus exhaustif, que vient de signer José-Alain Fralon •
CHRISTIAN AUTHIER
Maurice Ronet – Les vies du feu follet, de Jean-Pierre Montal (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Rôle-clé
LES ACTEURS SONT DES PASSE-MURAILLES ils habitent l’enveloppe d’un personnage puis le délaissent pour un autre rôle mais leur incarnation reste fixée sur la pellicule ou dans les mémoires Quand ils meurent partent-ils vraiment ? Jean-Luc Godard dit que tout film est un reportage sur ce film Les acteurs offrent un moment de leur vie à un metteur en scène qui les rend parfois mémorables « La Bête humaine » est un reportage sur Jean Gabin en 1938 « Belle de jour » un reportage sur Catherine Deneuve en 1967. Je songeais en lisant le très joli essai biographique que Jean Pierre Montal consacre à Maurice Ronet disparu en 1983 à l’âge de cinquante-six ans Cet acteur afficha toujours le détachement inquiet d’un dandy qui va être flingué II finit d’ailleurs poignardé dans « Plein Soleil » et noyé dans « la Piscine » à chaque fois par Alain Delon Son ami Louis Malle lui promit la guillotine avec Ascenseur pour l’échafaud puis en fit un suicidé dans « le Feu follet » Frotté d’ésotérisme portant à droite agrégé d’angoisse et de petits matins Maurice Ronet concédait à l’écran des séquences de son romanesque privé Mais la vraie vie était ailleurs dans les livres beaucoup, dans la compagnie des femmes sûrement On le vit avec Maria Pacôme et Anouk Aimée, Anna Karina et Joséphine Chaplin II aimait à dire : « On est toujours connu pour de mauvaises raisons » Ce pourrait être un requiem pour cette pièce de théâtre qu’est toute vie humaine.
MARC LAMBRON
Maurice Ronet – Les vies du feu follet, de Jean-Pierre Montal (Pierre-Guillaume de Roux, 2013)
Pleins feux
Rarement comédien aura autant « collé » à ses rôles dans Ascenseur pour l’échafaud et Le Feu follet, Maurice Ronet semble avant tout interpréter le rôle de Maurice Ronet, mélange de froideur inquiète et d'insondable mélancolie. Trente ans après sa mort, il était temps de rendre hommage à cet acteur mystérieux qui partagea la vedette de Plein Soleil avec Alain Delon. Jean-Pierre Montal s'en acquitte avec délicatesse dans un petit livre inspiré.
Fils de comédien, élève de Bernard Blier, ayant fait ses débuts sous la direction du talentueux Jacques Becker, grand séducteur – Anouk Aimée, Anna Karma, Joséphine Chaplin -, Maurice Ronet (1927-1983) a toujours traîné une double réputation : homme de droite et fêtar