L'amour fou
Extrait du grand dossier "La nouvelle, ce genre mal aimé" du Figaro littéraire du 27 février.
Commençons par la troisième nouvelle qui donne son titre au recueil : Tout /e monde s'aime. Elle est tout simplement ha-llu-ci-nan-te. Un virus, la libido fantasia, s'empare du pays, puis du monde. Très vite, des « signes cliniques avères d'hypersexualité compulsive généralisée » sont détectes par le professeur Eva Poznanski. Aucun homme, aucune femme n'est capable de résister à cet appel du sexe. Evidemment, cette drôle de peste pose de sacrés problèmes. Du moins, au début. Après ? Après, l'épidémie ressemble à une fête, à une révolution pacifique, d'autant que ce virus de l'amour fou atteint le cœur. Ce court récit d'Alain Absire est tellement génial que l'on se dit mais d'où a-t-il inventé tout ça ? On en redemande, et cela tombe bien, l'auteur en donne une suite sur les dix nouvelles qu'il propose. Ne ratez pas les autres, elles possèdent leur charme aussi, avec une mention spéciale à Folamour (de la Rivière d'argent), Claire, une caissière qui gagne au Loto 2 900 €, s'achète un épagneul tibétain et voit sa vie se transformer. Remarquable, également, Ce soir, je tue John Lennon, récit minute de l'assassinat raconte par le tueur. Que ce soit ce texte ou les autres, le fil directeur reste l'amour. Amour filial, passion, divin ou espérance. Le fil directeur, c'est aussi cette manière qu'a Alain Absire de nous embarquer, en quelques lignes, dans un univers. Que cet univers soit fantastique ou réaliste, on aime absolument.
MOHAMMED AISSAOUI
Tout le monde s’aime, nouvelles d’Alain Absire (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Tout le monde s'aime
Le titre annonce d'entrée de jeu que l'amour est au cœur du recueil, ou plutôt les amours car le sentiment amoureux est décliné ici sous toutes ses couleurs, de la tendresse à la passion, du désir à la folie. L'amour ici, l'amour ailleurs car Alain Absire, au fil de cette dizaine d'histoires tendres, émouvantes ou douloureuses, nous emmène en Italie, aux Caraïbes, à New-York, au Japon, en Orient… Éros rejoint souvent Thanatos et la mort est présente dans plusieurs nouvelles, par le déni, le meurtre ou l'espoir fou d'une résurrection.
On croise de nombreux personnages dans ce livre, anonymes ou célèbres.
A Palerme on accompagne Luchino Visconti sur le tournage du Guépard où le réalisateur s'interroge sur la possibilité d'atteindre son but - Fallait-il qu'il eût mené à leur terme tant de projets grandioses pour s'apercevoir, à 56 ans, que le sommet auquel il s'était cru capable de conduire sa vie et son œuvre le dépassait ? - et sur l'utilité de son travail - A quoi bon cet adieu à un passé dont l'époque actuelle s'était débarrassée ? Mais il y a Tancredi et Angelica, le couple magique formé par Alain Delon et Claudia Cardinale, la beauté, la jeunesse, la passion…
A New-York, c'est John Lennon qui vit, sans le savoir, ses dernières heures. Un homme est venu d'Hawaï pour le tuer, un homme qui veut exister aux yeux de la femme qu'il aime…
En Palestine, Joseph, le menuisier inconsolable depuis son veuvage, regarde la jeune Marie, s'étonne de sa grâce et de son sérieux et plus encore de cette certitude dans ses propos lorsqu'elle affirme qu'ils ont un avenir commun pour que des choses admirables s'accomplissent sur la Terre…
A Kyôto, dans une maison de retraite, un vieil homme s'éprend d'une femme en fauteuil roulant et lui écrit des lettres d'une beauté à couper le souffle.
Mais la vieillesse n'est pas toujours synonyme de tendresse et dans les Caraïbes, un ancien esclave devenu riche propriétaire s'est aigri avec le temps. Maintenant obèse, quasiment grabataire, il veut encore profiter des charmes de sa jeune femme malgré son incapacité à la satisfaire physiquement.
L'amour envers un être cher peut aussi conduire au refus d'admettre la mort. Quand Michel se lève, sa mère n'a pas préparé le petit déjeuner. Elle doit dormir, il ne faut surtout pas la réveiller. Il joue, dessine, cueille des fleurs, va chercher le pain... pendant plusieurs jours, jusqu'à ce que la boulangère trouve cela étrange. En Italie, c'est une mère qui est confrontée à la mort de son bébé. Le médecin n'a pas voulu se déplacer. Mais elle sait qu'à Santa Barbara de la Soffrenza, le père Guiseppantonio pourra le ramener à la vie. Peu importe le chemin à parcourir, la foi et la prière doivent être plus fortes que la mort.
Alain Absire nous emmène aussi sur des territoires plus éloignés du réel, où l'imaginaire guide la plume. C'est ainsi que nous nous retrouvons au pays des Mille et une nuits sur les traces d'un vieux conteur évoquant l'histoire d'un jeune maçon payé pour construire, dans une maison où il est conduit les yeux bandés, une nouvelle pièce dont il comprend qu'elle doit servir de cachot pour une jeune fille. Malgré son grand âge, il n'a oublié ni la jeune fille ni la fleur rouge qu'elle tenait à la main… Plus près de nous, ici et maintenant, le pays est confronté au développement du virus satyriastique et nymphomatique. Toutes les personnes atteintes connaissent une exagération pathologique de leur désir sexuel. Après avoir craint de nombreuses conséquences désastreuses on s'aperçoit que cette épidémie fait baisser la criminalité et rend les gens heureux. Eva Pozananski, neuropsychiatre, se demande s'il faut vraiment combattre le virus dont les effets ramènent à son souvenir Pascalis, ce jeune homme qu'elle a aimé à 16 ans et qui avait un cœur ailé tatoué dans le dos…
Un recueil d'une très grande force, des histoires d'amour aussi diverses qu'émouvantes, des phrases toujours fines et précises, flirtant avec l'humour et la poésie, un travail très abouti, pour nous rappeler que la nouvelle est un genre aussi riche qu'exigeant quand il est servi par un auteur de talent qui ne cesse de prouver, au fil d'une œuvre déjà riche d'une trentaine de titres, son amour de l'écriture et la place importante qu'il occupe dans la littérature.
SERGE CABROL
Tout le monde s'aime, nouvelles d'Alain Absire (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)