De Gaulle for ever
L'exemple du Grand Charles n'en finit pas d'inspirer mémorialistes et biographes. De quoi faire réfléchir les politiques biberonnés à la com.
Pierre-Louis Blanc, qui fut le chef du service de presse du Général de 1967 à 1969, l’aida pour ses ultimes œuvres littéraires, puis dirigea l’ENA et notre ambassade à l’O.N.U, publie « Retour à Colombey ». Il y revient en 2010 entendre la messe du quarantième anniversaire de la mort du Général. Ecoutant le discours de Nicolas Sarkozy probablement rédigé par Henri Guaino, il mesure la différence entre la personnalité du Général et celle de ses successeurs. Conclusion : c’est un autre monde, un autre ordre des choses, un autre rapport de soi à la fonction, au pays, au service. Ce récit part de ce constat, ironique, parfois franchement critique, mais sans amertume, puis va sur les côtés de l’actualité, convoque son expérience, et médite sur l’histoire, en cherchant la clef de l’époque. Le bon point de comparaison avec le moment que nous vivons, il le trouve dans le demi-sommeil intellectuel et moral de la fin des années trente, l’état de conscience gazeux de la France pendant la montée des périls. Cette belle endormie que ne réveillent pas les prophètes de l’Apocalypse, c’est nous.
Ce récit croustillant est écrit dans le style des anciens collaborateurs de De Gaulle. C’est un mystère que l’inoxydable alacrité de ces septuagénaires, octogénaires, ou nonagénaires (et parfois même centenaires) qui portent le flambeau de la grandeur et le transmettent au pas de gymnastique. Ce style devrait faire réfléchir les générations politiques biberonnées au cynisme de la « com » et au relâchement général du surmoi (le mot moderne pour « honneur »). Comment vieilliront-elles ? A l’âge de la retraite, les camarades de Cohn-Bendit évolueront-ils aussi bien qu’Yves Guéna, qui a toujours l’air de vouloir donner des ordres brefs et précis à une section d’infanterie ? Que Stéphane Hessel, qui s’endort bercé par des haïkus après une journée de travail harassante ? Les anciens hauts fonctionnaires gaullistes dansent sous le grand chêne, comme Jehanne dans le pré de son enfance. Cette eau de Jouvence, d’où coule-t-elle ? Ce style Jules II, vieillard puissant, à quoi le doivent-ils ? Ce nez haut, ce regard impérieux, cette ironie nichée dans un français impeccable, ce sens de la frontière privé-public à mettre au chômage tous les paparazzis de la création : d’où tout cela vient-il ? Ajoutez leur discrète mystique planante doublée d’un rationnel ciselé, leur côté fils de Sainte-Thérèse d’Avila et de Descartes, comme s’ils avaient vu le Ciel, et qu’ils avaient donc des choses très précises à nous dire…
La clef est-elle dans « Charles le catholique », de Gérad Bardy, qui explore la foi chrétienne de De Gaulle ? En partie, certainement. Il en ressort un portrait du Général en catholique incandescent et discret, croyant comme il respire, avec un zeste d’utilitarisme maurrassien s’agissant du rôle de l’Eglise (l’idée que cette institution sert l’ordre social). Le credo : Dieu a fait l’homme à son image et a voulu la France. Donc j’agis et je pense pour la grandeur de l’homme et de la patrie. Ce livre dit tout de la formation spirituelle de ce « roi chrétien » modéré par le ralliement à la République des catholiques français, avec toute l’histoire familiale du Général, l’influence qu’il a reçue du Sillon et de la doctrine sociale de l’Eglise, et même de Bergson, admiré pour sa philosophie de l’action malgré ses ouvrages mis à l’index par l’Eglise… De Gaulle est obéissant, mais il n’est pas docile.
Ce Saint-Louis parvient pourtant à aimanter ceux qui ont d’autres options métaphysiques, malgré son christianisme mêlé au terroir comme la truffe au chêne. Tous les amateurs de sublime se sentent chez eux chez De Gaulle. En témoigne l’ « Ode à l’homme qui fut la France », où Romain Gary, foudroyé par la mort de De Gaulle, s’extravase de sa condition de romancier métèque et génial pour écrire un discours de Bossuet du 20eme siècle. En témoigne la vie de Malraux, qui veut passionnément transformer ce stock de légendes françaises et catholiques qu’est De Gaulle en flux de pensées valables pour l’avenir, et auquel Robert Poujade consacre un essai, « Retrouver Malraux », qui évoque sa personne et fait un travail de critique profonde et inspirée de son œuvre.
De tout cela, une idée se dégage : ce n’est pas par la fascination que De Gaulle nous tient, c’est par l’exemple. Il y a beaucoup plus d’honneur à être un exemple qu’à être un objet de fascination.
MARIN DE VIRY
Retour à Colombey, de Pierre-Louis Blanc (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Le "gaullisme" d'aujourd'hui
En lisant Pierre-Louis Blanc et Hervé Gaymard, on saisit combien la politique actuelle est devenue l'esclave du court terme.
Cette rencontre improbable n'aurait pas échappé à Malraux, qui savait si bien mettre en évidence, à des siècles d'écart, les dialogues secrets de l'histoire de l'art. Dans l'ordre politique, celui-ci est un bonheur, tant rien ne prédisposait Pierre-Louis Blanc, gaulliste historique, né en 1926, et Hervé Gaymard, qui n'avait pas 10 ans à la mort du Général, à parler d'une même voix de l'héritage du fondateur de la Ve République. De sorte que s'il ne fallait retenir que deux textes sur le gaullisme dans le flot ininterrompu produit par l'édition à chaque anniversaire de la mort de l'homme du 18-Juin, ce serait, en 2011, ceux-là. Le court essai de Pierre-Louis Blanc, diplomate de carrière devenu l’un des plus proches collaborateurs de Charles de Gaulle dans les dernières années de sa vie, est une réflexion nourrie de tableautins impitoyables sur ce que les gaullistes "officiels" ont fait de ce qu'ils avaient reçu en héritage, à savoir une France aux mains libres conduite par un État fort : une vaste apostasie (mal) enrobée de manie commémorative et de piété toute médiatique. Bref, l'hommage du vice à la vertu que constituent pour lui les fameux pèlerinages officiels à Colombey où, à l'ombre de la croix de Lorraine, les hommes politiques viennent, une fois par an, faire concurrence aux lapins. Le texte d'Hervé Gaymard, qui introduit la réédition, par Perrin, de la France et son armée (1938) et de l’Histoire des troupes du Levant (1931), aboutit, en creux, au même constat : à force de souligner, à la fois, la culture et la prescience (la seconde procédant forcément de la première) de celui qui n'était encore que le colonel de Gaulle, l'auteur démontre combien la politique est devenue malade du court terme, et finalement esclave d'une inculture générale tenant pour nulles et non avenues les leçons du passé, et réduisant l’action à l’art de gagner les élections.
ÉRIC BRANCA
Retour à Colombey, de Pierre-Louis Blanc (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)
Ecoutez Pierre-Louis Blanc sur France Info
De De Gaulle au "gaullisme" qu'affecte toute une classe politique, qu'est devenu l'héritage de l'homme du 18 juin ? Pierre-Louis Blanc répond à Philippe Vallet sur France Info.
Retour à Colombey, de Pierre-Louis Blanc (Pierre-Guillaume de Roux, 2011)