Richard Millet lourd de colère
La colère a de beaux jours devant elle. Car la haine du « Système » ronge jusqu'au coeur du Système. Voyez Richard Millet, qui publie une Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes (Pierre-Guillaume
de Roux, 96 p., 15,90 €). Curieux titre : dans ce livre, les Norvégiens sont des spectres fugaces et, s'il y a bien une victime, c'est la littérature, étouffée sous les slogans politiques. Le vrai sujet du livre est Millet lui-même, son orgueil d'acier, son ressentiment funèbre. Il est fascinant.
Revenant sur la polémique déclenchée, en 2013, par son « éloge littéraire » d'Anders Breivik, l'écrivain raconte son « bannissement». Livré aux injures des ennemis comme au silence des amis, traqué par le « Système », le voilà condamné à clamer dans le désert sa vérité : la décadence d'un Occident envahi par l'immigration, souillé par le mariage gay, miné par le rock et le protestantisme. Epargnons-nous les citations, qui feraient passer d'autres grands proscrits, Zemmour en tête, pour des humanistes. Mais l'essentiel est moins dans les positions politiques de Millet que dans sa posture de réprouvé. Lui dont les ouvrages ont été si souvent encensés (y compris, récemment encore, dans « Le Monde des livres »), martèle que personne n'a jamais voulu le lire. Lui qui a dû quitter le comité de lecture de Gallimard vit comme une « mise à mort» cet éloignement des élites littéraires : ne plus appartenir à ce comité, dit-il, c'est «n'être plus rien socialement». Et il y croit. Authentiquement blessé, déserté par l'espérance, Richard Millet fustige le monde de l'édition, autrement dit le sien, comme un milieu « maçonnique ». Prenant des accents bernanosîens, il en appelle aux rares amis qui oseront défier les «puissances du Mal ». A le lire, oui, on pense à Bernanos. Et d'abord aux pages où l'auteur de L'Imposture décrit ces hommes qui jouent à cache-cache avec eux-mêmes jusqu'à se laisser dévorer par le dégoût : « Haïr en soi sa propre espèce, n 'est-ce pas l'enfer ? »
JEAN BIRNBAUM
Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)
Le chant profond de Richard Millet
Aux procureurs du Bien qui l’ont condamné sans procès, aux chiens de garde de l’ordre moral qui l’ont voué aux gémonies, aux haineux « confrères » de la littérature qui ont réclamé et obtenu sa mise au ban de Gallimard, Richard Millet réplique avec les seules armes à sa disposition : sa plume et son talent On aurait voulu que le réprouvé se taise, que le banni cesse d'écrire, que son nom honni ne soit plus cité. D'aucuns, les plus ignobles, ont même souhaité son suicide. Mais voilà que, bien loin de l’avoir réduit au silence, la proscription dont il fut et reste victime semble avoir stimulé en lui la nécessité et l'urgence d'écrire.
Aux trois livres parus simultanément cet automne, un roman, Une artiste du sexe, chez Gallimard, des nouvelles, Trois légendes, et un récit, L’Etre-Bœuf, aux éditions Pierre Guillaume de Roux viennent de s’ajouter, toujours chez ce dernier, un essai, Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, et le livret d’un opéra, Charlotte Salomon
Combien d'écrivains contemporains, à l’exception d'un autre proscrit considérable, Renaud Camus, peuvent se flatter d’une telle effervescence créatrice ? Combien de pestiférés se seraient réfugiés dans le silence ou la plainte, auraient imploré pardon et battu leur coulpe au lieu de se battre avec les moyens du bord ?
Depuis qu'il tut contraint de démissionner du comité de lecture de Gallimard en septembre 2012, l’écrivain, en faveur duquel nulle pétition ne circula, est un homme seul, assigné à résidence, lecteur intermittent de quelques manuscrits de second choix, et qui ne participe à aucune décision éditoriale. Gallimard continuera-t-il à publier ses romans ? Rien n'est moins sûr, tant le courage est une vertu rare dans le petit milieu littéraire. Lui demeure acquise la fidélité d'un jeune éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, qui n'est pas en vain le fils du réfractaire que fut Dominique de Roux, et de quelques journalistes, parmi lesquels, inattendu, Franz-Olivier Giesbert, qui lui a ouvert les colonnes du Point. Sans compter la cohorte de ses lecteurs anciens et les nouveaux, venus à lui dans le sillage du scandale et de la conjuration des "indignés" professionnels.
Son orgueilleux refus de la repentance aggravera la vindicte à son égard. «Échec, opprobre, solitude: j'en ai toujours fait mon sel, écrit l'auteur dans sa Lettre ouverte aux Norvégiens... C'est pourquoi je ne prétends pas plus au martyre qu'à la pitié, non plus qu'à la condescendance moralisante ou psychologisante par laquelle on m'incite parfois à regretter, chez moi, je ne sais quelles dispositions à la provocation, voire au masochisme. »
Revenant sur le réquisitoire prononcé à son encontre par de vertueux censeurs qui, pour la plupart, n'avaient lu que le titre de son essai, Éloge littéraire d'Anders Breivik, par lequel le scandale était advenu, Millet récuse les principaux griefs de ses juges: il n'a jamais fait l'apologie d'un tueur de masse, mais seulement vu en lui le produit
pervers, le choc en retour, d'une politique iréniste ; il n'a pas voulu dire que ses victimes, complices d'un système néfaste, méritaient de mourir, et s'il n'a pas manifesté de compassion pour elles, alors qu'il se sent depuis toujours solidaire de tous les vaincus de l'Histoire, c'est que le silence lui paraissait le seul signe de respect, voire de compassion, qui n'a pas besoin d'être ostentatoire.
Est-il nécessaire de souligner que cette défense orgueilleuse ne convaincra pas plus ses critiques qu'elle ne désarmera la haine à son endroit : car bien loin de se présenter en coupable repentant, nu-pieds sur le chemin de Canossa, Millet ne renie pas ses propos sur les menaces que le multiculturalisme et l'immigration extraeuropéenne font courir à l'identité européenne.
Ni raciste, ni nationaliste, ni fasciste, ni xénophobe, ni provocateur, il se pose en victime émissaire et revendique son « innocence d'écrivain solitaire», refusant le déni de réalité et la décadence de la littérature, et « cherchant dans la langue une voie qui est celle de la vérité». Condamné à l'infamie et à la damnatio memoriae, banni de la scène publique - comme l'a montré, après qu'il ait été accepté et loué,
le soudain refus du livret que Luc Bondy lui avait demandé pour un opéra de Marc-André Dalbavie, Charlotte Salomon —, il sait que les conséquences de "l'affaire Millet" se feront sentir longtemps encore et que seules, peut-être, les générations à venir rendront
justice à son œuvre. «Je suis toujours en guerre, conclut-il. Encore plus étranger au bruit de la foule, aux fausses valeurs, aux mots d'ordre du Bien, je continue à écrire : j'apprends à être seul, j'accouche de moi-même, je tente de me défaire du rapport de moi à soi qui définit le narcissisme littéraire [...]. Et je m'éloigne, cherchant l'absolu d'une rupture qui ne se confonde pas avec le nihilisme...»
Mes écrits témoigneront pour moi, veut croire l'écrivain qui, à dessein, use du futur, sachant qu'il n'a pas été lu, et l'eût-il été, qu'il n'eût pas été compris, ni entendu de bonne foi. À rebours de la foule des tâcherons de la plume pour qui la littérature n'est qu'un divertissement profane et participe de l'échange banal des marchandises, Millet la reconnaît pour ce qu'elle doit être, une aventure spirituelle, un style de vie, un exorcisme des démons, démons personnels et démons du siècle. Une confrontation permanente avec le risque, celui, pour citer Michel Leiris, du contact avec la corne du taureau. En sont l'éclatante démonstration les trois livres publiés à l'automne 2013, qui illustrent à la fois la diversité de sa palette et l'envoûtement qu'exerce la
somptueuse beauté de la langue française, telle qu'un maître sait en jouer et la faire vibrer en musicien virtuose.
Une artiste du sexe conte la relation étrange entre deux exilés, Sébastian, apprenti écrivain américain, originaire du Montana, venu à Paris pour fuir la trivialité matérialiste de son pays, et écrire en français, langue du crépuscule de la littérature, et Rebecca, métisse mi-danoise mi-maorie, pour qui la prodigalité sexuelle est un mode de vie, une fatalité, pour conjurer culpabilité et mal-être, « tuer quelque chose en soi ». Un livre splendide et sombre, leçon de ténèbres qui fait songer à Pierre Jean Jouve plus qu'à Georges Bataille, encore que la "part maudite" et le sacrifice en soient l'enjeu. Mais aussi, un hommage ironique, rendu de la part d'un étranger, aux prestiges désuets de la langue et de la littérature françaises : «Je suis l'hôte de cette langue, moi, l'Américain, né dans une langue terriblement démocratique, si populiste, souvent, qu'elle semble s'oublier elle-même; et je tends naturellement à la respecter, cette langue française, dans ce qu'elle a de beau, c'est-à-dire de précis et de souple, non d'aristocratique ou de démocratique, encore moins de vulgaire, bien sûr, comme tant d'écrivains contemporains y compris les Français, peuple vaincu par lui-même plus que par d'autres peuples, et qui ne rêve plus que d'écrire en anglais... »
Même clair-obscur caravagesque dans Trois légendes, nouvelles qui ramènent le lecteur dans la contrée onirique de Siom, sur ces hauts plateaux limousins, repliés sur leur solitude, leurs sortilèges et leurs malédictions ancestrales, que Richard Millet a élevés à la dignité littéraire du vieux Sud faulknérien. La puissance de l'imaginaire le dispute ici à la maîtrise "La littérature nous quitte si nous n'en sommes plus dignes." de la langue, qu'illustre la nouvelle les Frères Cavalier, où, sur une vingtaine de pages, l'histoire se déroule en uneseule longue phrase, ample et harmonieuse, prodige d'équilibre, que seules scandent les virgules.
Ultime défi à l'ordre végétarien, nouvel impératif moral d'une société exsangue, l'Être-Boeuf, enfin, célèbre la chair, chair de la femme, et chair animale, celle des bovins, animaux sacrificiels depuis l'Antiquité, mais aussi la part d'animalité qui est en nous. Une fascinante ode érotique et cannibale où se croisent souvenirs et mythologie, Virgile et Rembrandt, et qui culmine dans l'évocation du Minotaure, parabole de la condition de l'homme enfermé dans le labyrinthe de l'existence.
« La littérature n'est pas tout à fait morte. Comme l'amour, elle nous quitte si nous n'en sommes plus dignes », fait dire l'auteur à Sébastian dans Une artiste du sexe. Avec la prière et l'amour, la littérature reste l'ultime patrie de Richard Millet, et la seule digne de celui qui, tel Orphée, continue de chanter pour franchir les portes de l'Enfer. •
BRUNO DE CESSOLE
À lire Aux Éditions Pierre-Guillaume de Roux; 2014 :
Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, 200pages, IS, 90 €;
Charlotte Salomon, précédé d'une lettre à Luc Bondy, 124 pages, 16,50€.;
Trois légendes, 86 pages, 15,50 €;
L'Être-Boeuf, 96 pages, 15,50 €.
De quoi Millet est-il le nom ?
Le dictionnaire de référence de tout littéraire, Le Petit Robert, a raison d’admettre, dans l’édition récemment parue de 2014, le mot « bien-pensance », substantif féminin signifiant « caractère des personnes bien-pensantes ». Celles-ci, apprenons-nous dans le même usuel, sont les personnes « dont les idées sont conformistes, conventionnelles ». Le mot bien-pensance est certes en vogue, mais s’agit-il d’un concept à la mode ou d’une donnée réelle affectant la société ? Si elle est loin d’être insoluble, cette question demeure néanmoins difficile, «le Nouvel ordre moral» étant ce qu’il est aujourd’hui, fort, sûr de ses atouts et de ses moyens, pourvu d’une légion de fanatiques prêts à dégainer au moindre battement de sourcil.
La parution, en octobre dernier, du courageux essai de Muriel de Rengervé, L’Affaire Richard Millet. Critique de la bien-pensance, en dit long sur cet « assassinat » tant littéraire que politique, tant symbolique que réel, dont l’auteur de Langue fantôme suivi de Éloge littéraire d’Anders Breivik a été la victime. Assassinat, permettons-nous d’insister, qui a réduit l’un des plus grands écrivains français d’aujourd’hui, lequel est également un prestigieux éditeur, à quelques dizaines de pages qui n’ont même pas été lues, soit parce qu’elles ont été tout simplement incomprises, soit parce qu’elles ont souffert du poids du qu’en-dira-t-on. Nous employons à bon escient le mot qu’en-dira-t-on car la pétition signée contre Richard Millet par une bonne centaine d’écrivains révèle que la majorité — sinon la plupart, voire tous — n’ont pas lu le texte en question. C’est que les signataires de ladite pétition ont suivi un mouvement de masse tels des moutons qui, cette fois-ci, n’ont pas été conduits à l’abattoir, mais qui se sont vu pousser des crocs et des griffes pour massacrer le vilain petit Millet.
Aussi le qu’en-dira-t-on s’est-il transformé en censure, dans la mesure où les détracteurs de Richard Millet ont à maintes reprises refusé de l’affronter en public, comme pour illustrer la définition ainsi proposée par Bernard Noël : «La censure efficace ne rature pas, elle annule, et il n’y a plus de trace. Dès lors ce qui a disparu n’a jamais existé. On n’écrit pas pour dire quelque chose, mais pour délimiter un lieu dont nul ne pourra décréter qu’il n’a pas eu lieu» (L’Outrage aux mots, 1975). Mais que dire quand on apprend que Bernard Noël, lui-même attaqué en justice, condamné et censuré pour Le Château de Cène, a été trompé et a signé contre un auteur qui, aujourd’hui, en janvier 2014, récidive courageusement en publiant toujours chez son fidèle éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, un texte intitulé Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes.
Au seuil donc de ce nouveau brûlot, une dédicace : « À mes filles», et un «nota bene» qui, pour ainsi dire, ouvre les hostilités : «Les armes dont j’use pour me défendre et convaincre supposent par moments des généralisations excessives; on aurait ainsi tort de penser que je méprise tous les écrivains et tous les journalistes ; parmi ces derniers, certains ont été honnêtes, d’autres fidèles à un idéal de liberté que presque tous ont par ailleurs prostitué ; ils se reconnaîtront, et savent que le fasciste est celui qui ne me lit pas».
Point d’avertissement ou de mise en garde, rien qu’un «nota bene» afin de ne pas d’emblée brusquer ou choquer le lecteur. Il s’agit, nous semble-t-il, d’attirer son attention comme dans la rhétorique classique où la captatio benevolentiae joue le même rôle. Cela dit, Richard Millet ne se fait pas d’illusion, si bien que cette phrase — «le fasciste est celui qui ne me lit pas» — résonne comme un cri de détresse au moment où l’on veut que cela soit à peine l’écho d’une voix prêchant dans le désert. Là encore, nous pensons de nouveau à Bernard Noël qui, condamné en 1973 pour « outrage aux mœurs », forge le concept de «sensure» pour dire «la privation de sens et non la privation de parole », précisément « la sensure, qui agit sur nous à travers les mots (alors que la censure agit à travers nous contre les mots), agit par ailleurs sur les mots avec un effet de sensure : elle oblitère leur signifiant, c’est-à-dire leur matière, leur corps. Ainsi découvre-t-on que l’ordre moral vise à raturer en tout être, en toute chose, sa matérialité».
C’est contre cet ordre moral que mutatis mutandis s’insurge Richard Millet. À l’instar de Bernard Noël, l’auteur de Langue fantôme suivi de Éloge littéraire d’Anders Breivik dénonce avec la même lucidité les mensonges, les machinations, les faux-semblants, en somme le véritable fascisme rampant : «On est bien là dans un autre délire, lequel sert néanmoins le Nouvel ordre mondial : celui qui tend à taxer de fasciste toute interrogation sur la pureté, l’identité, l’origine, et qui, à bout d’arguments, finit par récuser ce que nous sommes : notre culture, par exemple, la Chanson de Roland, bientôt effacée de notre héritage car décrétée politiquement incorrecte et raciste, comme l’Edda des Nordiques, et avec elle ce qui nous permet encore de nommer et que le Nouvel ordre moral est en train d’éradiquer: la littérature».
Ces lignes sont les dernières du fameux « éloge littéraire d’Anders Breivik », texte qui vraisemblablement n’a pas été lu, parce que ni l’ironie qui le caractérise ni le vrai message ou la thèse qu’il défend n’ont été appréciés à leur juste valeur. Lynché, Richard Millet l’a été, et voilà qu’il revient lui-même à la charge dans un nouveau texte pamphlétaire où, non seulement il rend hommage à celles et ceux qui l’ont soutenu, mais encore, dans Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, il dame le pion à la bien-pensance ambiante en s’en prenant à elle frontalement, vaillamment, sauvagement : « Que mes livres n’aient pas été lus ou qu’ils l’aient été peu ou mal, le silence de la presse en témoigne autant que les insultes qu’ils me valent régulièrement. Ce sont eux qui m’ont en quelque sorte conduit à clore la série par un “littéraire” et, bien sûr, ironique éloge de Breivik. » (p. 32)
Avec la colère d’Achille ou la fureur de Roland, Richard Millet ne s’excuse ni ne se justifie. Certes, il n’en a nullement besoin, mais il poursuit sa quête contre vents et marées. Loin de nous l’idée de faire de lui un justicier des temps postmodernes, néanmoins comment se placer devant la bravoure dont il fait preuve quand on lit ce qu’il plaide en faveur de deux écrivains français majeurs, le suicidé Pierre Drieu la Rochelle, et le controversé Renaud Camus, ainsi que le prix Nobel norvégien Knut Hamsun. En les défendant, Millet ne fait pas que se défendre, il défend tout écrivain digne de ce nom, lui qui déclare : «Écrire, c’est donc s’insurger contre les Breivik et leurs alliés objectifs : les maîtres des illusions totalitaires, les dirigeants des pays où la guerre civile sans nom est en cours». (p. 73)
Ayant dédié à ses filles cette Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, Richard Millet a peut-être aussi tenu à répondre à la question que l’on est en droit de se poser à son sujet — de quoi est-il le nom ? Assiégé par une nébuleuse des plus inquiétantes, son nom a été qualifié de tant de maux (« raciste», «fasciste», «réac», «xénophobe», etc.) Mais il n’en est rien. Pour s’en rendre compte, il faut le lire, dialoguer avec lui, le comprendre et, même si on peut ne pas être tout à fait d’accord avec lui, il ne faut jamais jeter le livre et l’écrivain avec, comme certains font expéditivement, le bébé et l’eau du bain.
À ce titre, le nom de Richard Millet évoque pour moi (qu’il me soit permis de m’exprimer ici à la première personne), moi qui le connais personnellement, qui entretiens avec lui une amitié et une correspondance suivies, de dire que, à mes yeux, ce nom haï et presque prohibé rime avec honneur, courage et amitié comme le montrent les dernières lignes de cette superbe Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes : « Je suis en guerre, puisque je refuse l’évacuation du réel et la mort littéraire des langues. Le réel, c’est ma tâche d’écrivain. Ce sont mes livres, et la langue dans laquelle j’écris et dont je me suis fait le seul espace de liberté qui me reste, avec l’amour et la prière. Dans mon bannissement, je veux voir autre chose qu’une défaite, un châtiment, une expiation. Je respire l’odeur de l’aube où je m’approche de vous, mes amis à venir, vous qui savez que le nom que je porte ne saurait se réduire à la construction qu’on a faite à partir de lui et qui m’a souvent donné l’impression qu’il désignait, sous les insultes, quelqu’un d’autre que moi, dans une extériorité aussi spectaculaire que mensongère, la fiction politique définissant une réalité qui n’est pas la mienne. Cette lutte pour le sol réel et la vérité du nom, voilà dans quoi il me reste à advenir, parmi les pauvres ; c’est aussi cela, écrire».
AYMEN HACEN
Lettre aux Norvégiens sur la littérature et les victimes, de Richard Millet (Pierre-Guillaume de Roux, 2014)